CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 7 juin 2011, n° 09-04482
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fil'In (EURL)
Défendeur :
Michel Thierry Group (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
MM. Roger, Delmotte
Avoués :
SCP Château, SCP Boyer Lescat Merle
Avocats :
Mes Castex, Monferran Carrière
Faits et procédure
L'EURL Fil'In, gérée par Monsieur Des Michel, exerçait l'activité de travail à façon.
Depuis plusieurs années la société Michel Thierry lui fournissait des prestations de façonnage en sous-traitance, en lui procurant le fil, et des instructions sur la réalisation du produit fini. L'EURL Fil'In dit même qu'elle n'avait plus qu'un seul et unique client, la société Michel Thierry, selon elle, en raison des exigences de son fournisseur d'ordres, selon lui, par une décision de gestion libre.
Selon l'EURL Fil'In le 15 février 2008, la société Michel Thierry a informé son sous-traitant de la décision de cesser toute relation, de manière verbale et informelle. Selon Michel Thierry, c'est Fil'In qui a décidé début 2008 de fermer sa société.
Par acte d'huissier en date du 20 mai 2009, la société Fil'In a fait délivrer une assignation à l'encontre de la société Michel Thierry pour obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales, sans préavis et ce en contradiction avec les dispositions de l'article L. 442-6 du 1 Code de commerce.
Par jugement décision en date du 27 juillet 2009, le Tribunal de commerce de Foix a débouté la demanderesse. Même si le tribunal a constaté l'existence d'une relation commerciale établie, qualifiée de " non exclusive ", il a estimé que Fil'In aurait pris l'initiative de mettre fin à son activité dès le 15 février 2008, et que la société Michel Thierry a été mise devant le fait accompli et obligée de procéder à l'achat de 6 machines à tisser, qu'en conséquence, elle ne pouvait donc être tenue à un quelconque préavis.
L'EURL Fil'In a interjeté appel le 10 septembre 2009.
Prétentions et moyens des parties
Par conclusions déposées le 5 janvier 2010, l'EURL Fil'In affirme que l'arrêt d'activité de la société Fil'In est la conséquence directe et certaine de la cessation des ordres et des commandes du donneur d'ordre, la société Michel Thierry.
La société Fil'In fait valoir qu'elle n'avait aucun intérêt à cesser volontairement son activité, puisqu'elle avait pris des engagements d'investissement sur le quatrième trimestre 2007 d'une durée de cinq ans, que la cessation brutale de l'activité a généré des pertes conséquentes, soit de 264 577 euro au bilan arrêté au 31 juillet 2008, que le jugement fait fi des informations publiques et connues sur la place du secteur, que les autres sous-traitants ont subi le même sort qu'elle par un arrêt brutal de toutes commandes.
L'EURL Fil'In demande à la cour de :
- Réformer le jugement rendu le 27 juillet 2009 par le Tribunal de commerce de Foix,
- Constater la rupture brutale des relations commerciales de la société Michel Thierry, sans notification officielle et sans préavis ;
- Condamner la société Michel Thierry SA, à payer à la société Fil'In EURL, les sommes suivantes ;
* Sur le non-respect des engagements contractuels :
- la somme de 1 020 000 euro HT euro hors taxe, au titre des 1 an de préavis,
- la somme de 510 000 euro hors taxe à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi suite à la rupture brutale des relations commerciales;
* Sur les conséquences de la rupture abrupte :
- la somme de 177 904,44 euro hors taxe au titre du coût des licenciements,
- la somme de 3 600 euro hors taxe au titre de la rupture du contrat d'EDF,
- la somme de 3 000 euro hors taxe au titre du dépôt de garantie de 2 mois,
- la somme de 1 638,80 euro hors taxe au titre d'un mois de loyer,
- la somme de 10 000 euro hors taxe au titre des frais de dissolution et liquidation,
- la somme de 23 135,42 euro TTC, au tire du contrat du manitou pris en crédit-bail ;
- Condamner la société Michel Thierry SA, à payer à la société Fil'In EURL la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens;
- Autoriser le recouvrement direct des dépens au profit de son avoué en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 5 mai 2010, la société Michel Thierry Group affirme que c'est l'EURL Fil'In qui a décidé seule d'arrêter son activité et qu'elle tente de faire prendre en charge le coût de la fermeture par son fournisseur d'ordres.
Elle fait valoir que, dès le mois de février 2008, la société Fil'In informait la Direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de son intention d'arrêter son activité et procédait à la vente de ses machines, dont six vendues à Michel Thierry Group.
Il est seulement exact que Michel Thierry Group, comme il est coutume de le faire entre les partenaires commerciaux dont la relation est établie principalement sur la confiance, a d'abord pris soin d'informer verbalement, et ce en mi-février 2008, de la diminution du courant d'affaires entre les deux sociétés vers une cessation de ces relations. A peine avisée par la société Michel Thierry Group, la société Fil'In s'est empressée de prendre attache auprès de la Direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle pour l'informer des licenciements de son personnel.
La société Michel Thierry Group demande à la cour de :
- Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que la relation commerciale établie entre la société Fil'In et la société Michel Thierry Group a eu une durée de deux ans et demi.
- Fixer le délai de préavis à une durée maximale de trois mois.
- Dire que la société Fil'In devra assumer le risque de se limiter à un seul client et prendra charge une quote-part du préjudice qu'elle invoque et qui sera déterminé par l'expert judiciaire.
- Ordonner une mesure d'expertise et désigner tel expert qui lui plaira avec notamment la mission suivante:
* se faire communiquer tous les documents comptables de la société Fil'In des trois derniers exercices,
* vérifier l'éventuel et réel impact de la cessation de la relation commerciale entre les sociétés Michel Thierry Group et Fil'In,
* donner tous éléments à la cour lui permettant d'apprécier toutes les opérations financières et comptables effectuées par la société Fil'In au cours des trois derniers exercices,
* Rechercher tous éléments permettant d'apprécier les efforts de la société Fil'In pour se diversifier,
* déterminer la part de responsabilité imputable à la société Fil'In,
* déterminer le taux de marge brute de la société Fil'In
* dire et chiffrer les préjudices éventuellement subis,
- Dire que les frais d'expertise seront à la charge de la société Fil'In;
En tout état de cause,
- Condamner la société Fil'In à payer à la société Michel Thierry Group la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la société Fil'In aux entiers dépens qui pourront être directement recouvrés par la SCP Boyer Lescat Merle.
Motifs de l'arrêt
C'est à bon droit et par des motifs pertinents que la cour approuve que le premier juge a constaté l'existence d'une relation commerciale établie non exclusive entre l'EURL Fil'In et la société Michel Thierry depuis mars 2005, date de l'immatriculation de la société Fil'In au registre du commerce et des sociétés. Cette date est effectivement celle du début des relations commerciales contrairement à la date de 2003 invoquée par l'EURL Fil'In car les relations existant entre septembre 2003 et mars 2005 ne sont pas établies dans leur importance et leur permanence et elles ne concernaient que l'entreprise personnelle de Monsieur Des.
C'est à bon droit et par une exacte appréciation des faits que le premier juge a considéré que l'information donnée verbalement le 15 février 2008 par Michel Thierry d'une diminution du courant d'affaires allant vers une cessation des relations ne pouvait être qualifiée de rupture brutale. En tout cas, l'EURL Fil'In n'établit pas que cette information conduisait à une rupture immédiate des commandes d'autant plus que les facturations de l'EURL Fil'In à la société Michel Thierry s'élèvent respectivement à 109 344,12 euro TTC et 61 000,39 euro TTC pour janvier et février 2008.
Le premier juge a pertinemment relevé que l'EURL Fil'In a décidé immédiatement de saisir la Direction départementale du travail et de la formation professionnelle pour organiser une procédure de licenciement collectif sans chercher à poursuivre ses relations avec Michel Thierry.
Même si l'environnement économique pouvait laisser penser à une cessation prévisible des relations à moyen ou court terme, la décision de l'EURL Fil'In de mettre fin immédiatement à son activité relève d'une décision de gestion libre non imposée par Michel Thierry.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à l'intimé contraint d'exposer des frais devant la cour.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Fil'In à payer à la société Michel Thierry Group la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Fil'In aux entiers dépens qui pourront être directement recouvrés par la SCP Boyer Lescat Merle.