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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 28 mai 2009, n° 08-05141

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Jacques Albertini & Associes (SARL)

Défendeur :

La Redoute (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Parenty

Conseillers :

M. Deleneuville, Mme Neve de Mevergnies

Avoués :

SCP Levasseur-Castille-Levasseur, Me Quignon

Avocats :

Me Burget, Doussot

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 24 mai 200…

24 mai 2007

Vu le jugement contradictoire du 24 mai 2007 du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing qui a débouté la SARL Jacques Albertini et Associés de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la SA La Redoute la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 15 juin 2007 par la SARL Jacques Albertini et Associés (ci-après la société Albertini) ;

Vu les conclusions déposées le 18 juin 2008 pour cette dernière ;

Vu l'ordonnance de retrait du rôle du 19 juin 2008 du magistrat chargé de la mise en état, rendue à la demande des avoués des parties pour cause de grève des avoués ;

Vu la réinscription de l'affaire au rôle le 11 juillet 2008 à la demande de l'avoué de la SARL Jacques Albertini et Associés du 2 juillet 2008 ;

Vu les conclusions déposées le 6 novembre 2008 pour la SA La Redoute ;

Vu l'ordonnance de clôture du 13 février 2009 ;

Attendu que la société Albertini a interjeté appel aux fins d'infirmation, condamnation de la société La Redoute à lui payer 292 153 euro, subsidiairement 222 146 euro, à titre de dommages et intérêts pour rupture de la relation commerciale établie existant entre les parties depuis plus de 30 ans, outre 5 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la société La Redoute sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de la société Albertini à lui payer 5 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et la même somme pour la couverture de ses frais irrépétibles, exposant que la société Albertini n'a aucun droit pour agir à son encontre compte tenu des relations qu'elle avait nouées avec M. Albertini d'une part, et d'autre part de l'absence de préjudice justifié ayant un lien de causalité avec un fait imputable à la société La Redoute ;

Sur ce :

Attendu que la société La Redoute a, depuis 1973, confié chaque année la réalisation de quelques pages de ses catalogues Printemps Eté et Automne Hiver d'abord à M. Jacques Albertini puis à la société Albertini à la création de celle-ci, le 3 juillet 1985 ; que le 21 juillet 2004 elle a informé la société Albertini qu'elle lui ôtait " les aplats Enfants de la boutique Activewear " pour les confier au photographe déjà chargé des aplats Femme et homme, que le 7 février 2005 elle ne lui a confié qu'un lot de photographies représentant une activité largement en retrait par rapport à celle jusqu'alors sous-traitée à la société Albertini avant de lui annoncer, par lettre du 1er mars 2005 en réponse à la demande d'explication de celle-ci du 15 février 2005, qu'elle acceptait de lui attribuer " la boutique Edeis " de 12 pages, la boutique " Lingerie nuit femmes " de 9 pages tout en précisant qu'elle ne lui passerait plus aucune commande pour le prochain catalogue Printemps Eté 2006 ; qu'après l'avoir, par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception du 2 mars 2005, solennellement informée que cette décision tombait sous le coup de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et avoir constaté qu'aucune commande ne lui était parvenue pour le catalogue suivant Printemps Eté 2006, la société Albertini a, par acte du 29 novembre 2005, assigné la société La Redoute devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing qui a rendu le jugement entrepris ;

Sur l'existence d'une relation commerciale établie

Attendu que la société La Redoute soutient vainement qu'il n'existe de relation commerciale établie qu'en présence de contrats à exécution successive ou de clause d'exclusivité alors que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce vise indifféremment les relations précontractuelles, contractuelles ou même post contractuelles, et englobe aussi bien les relations d'affaires formalisées par une convention écrite que celles entretenues de manière informelle dans le cadre d'un simple courant d'affaires ; qu'il suffit à la juridiction de constater que les relations entre les parties sont établies, au-delà du cadre juridique dans lequel elles ont été nouées et maintenues ;

Attendu qu'en l'espèce il est acquis aux débats que la société La Redoute a, depuis une trentaine d'années, systématiquement confié à la société Albertini la réalisation de pages de ses catalogues représentant un volume constant ; que ce courant d'affaires a représenté pour cette dernière la part prépondérante de son activité (77,12 % de son chiffre d'affaires en 2001, 92,14 % en 2002 et 87,19 % en 2003) ; qu'il s'ensuit que les parties ont entretenu une relation commerciale établie au sens de l'article précité ;

Sur la brutalité de la rupture

Attendu que, si la société La Redoute avait parfaitement la faculté de faire appel à un autre prestataire, c'est à la condition que sa décision ne porte pas préjudice à la société Albertini ;

Attendu que son choix de faire appel à un autre photographe à compter du catalogue Printemps Eté 2006 a été notifiée à la société Albertini le 1er mars 2005 pour entrer en application courant septembre de la même année, soit à l'issue d'un préavis de six mois ;

Attendu que cette notification avait été précédée d'une diminution de la commande passée le 24 juin 2004 pour le précédent catalogue, la société La Redoute ayant, par télécopie du 21 juillet 2004, retiré à la société Albertini " les aplats Activewear " qu'elle lui avait d'abord confiés, cette année là comme les précédentes ; que cette rupture partielle du contrat s'était déjà traduite, selon la société Albertini qui n'est pas contredite sur ce point, par une diminution de 14,3 % de son volume d'affaires avec la société La Redoute ;

Attendu que la commande de la société La Redoute de février 2005 a, selon la société Albertini, été elle-même en retrait de 58,80 %, la société La Redoute acceptant finalement de la compléter par " la boutique Edeis " (12 pages) et la " boutique lingerie nuit femmes " (9 pages) pour calmer l'irritation de la société Albertini ;

Attendu que, contrairement à ce que soutient la société La Redoute, la rupture n'a nullement été annoncée, même implicitement, en juillet 2004, la télécopie adressée à cette époque émanant d'un de ses services techniques (elle est signée " Marie Paule ", sans autre précision quant à la qualité de l'intéressée pour engager la société La Redoute) soucieux d'informer l'équipe de la société Albertini d'avoir à réorganiser son planning de travail de la journée du 7 septembre 2004 ;

Attendu que la rupture définitive a été notifiée le 1er mars 2005 pour prendre effet au 1er septembre suivant ; que la société La Redoute l'a justifiée par un changement de stratégie l'amenant à privilégier des prestations aux délais plus courts, le choix de prestataire identique à l'ensemble des marchés pour nos marques transversales ; qu'elle n'y fait nullement allusion au caractère intuitu personae des contrats passés avec M. Albertini, qu'elle invoque aujourd'hui dans ses conclusions pour tenter de justifier après coup la brutalité de la rupture de ses relations avec la société Albertini ;

Sur la durée du préavis

Attendu qu'en cas de rupture partielle ayant précédé une rupture totale des relations commerciales, un délai de préavis propre à chacune d'elles doit être respecté ; que le jugement attaqué doit être réformé en ce que les premiers juges ont considéré que la télécopie du 21 juillet 2004 constituait le point de départ du préavis pour en déduire qu'il a été suffisant et débouter la société Albertini ;

Attendu que la société Albertini ne chiffre pas la durée du préavis qui lui était dû consécutivement à la rupture partielle de juillet 2004 ; que cette rupture s'étant traduite par une diminution de 14,3 % de son volume d'affaires avec la société La Redoute, la cour juge qu'un préavis de 2 mois aurait été justifié ;

Attendu que la rupture totale a été notifiée à la société Albertini le 1er mars 2005 ; qu'un préavis de six mois est insuffisant au regard d'une relation de 30 années qui a représenté pour elle l'essentiel, voire la quasi-totalité certaines années, de son activité ; qu'exerçant une activité de services, la société Albertini ne peut prétendre à un préavis de deux années que la jurisprudence réserve aux fabricants de marques de distributeurs, ou à tout partenaire contraint d'engager des investissements lourds propres à satisfaire un client dominant, soudainement rendus inutilisables par la rupture des relations à l'initiative de ce dernier ;

Attendu que la cour trouve au dossier les éléments suffisants pour lui permettre de fixer à une année la durée du préavis que devait la société La Redoute à la société Albertini à l'occasion de sa décision du 1er mars 2005 de rompre sa relation de trente années avec cette dernière ;

Sur l'indemnité due par la société La Redoute

Sur l'indemnité pour réduction d'activité

Attendu que l'indemnité pour réduction d'activité ne saurait être constituée par la perte de chiffre d'affaires, la société Albertini ne justifiant pas avoir engagé, par avance, des frais pour la réalisation d'une prestation future dont elle aurait été privée ; qu'elle ne peut prétendre qu'à une indemnité équivalant à la marge bénéficiaire qu'elle n'a pas réalisée ; que la société Albertini ne produit aucune donnée tirée de sa comptabilité propre à permettre de déterminer le chiffre d'affaires qui lui a échappé et partant la marge brute qu'elle n'a pas réalisée ; que la cour trouve au dossier les éléments de nature à lui permettre de fixer l'indemnité due par la société La Redoute à 15 000 euro ;

Sur l'indemnité pour absence de préavis

Attendu que le préavis doit permettre au partenaire évincé d'organiser sa reconversion ; que le droit à indemnité naît du caractère brutal de la rupture non de la rupture elle-même ; qu'il s'ensuit que la société Albertini ne peut prétendre à une indemnité égale à la marge qu'elle n'a pas réalisée pendant l'année de préavis qui lui était due mais à une indemnité tenant compte du fait qu'elle n'a pas pu rechercher et trouver immédiatement des clients de substitution ; que ce chef de préjudice sera justement réparé par la condamnation de la société La Redoute à lui payer 60 000 euro ;

Sur l'indemnité pour rupture des équilibres financiers et économiques

Attendu que la société Albertini, après avoir affirmé que la perte de chiffre d'affaires consécutive à la rupture brutale de ses relations avec la société La Redoute l'a amenée à résilier son bail commercial, demande la condamnation de cette dernière à lui payer une somme de 9 862 euro représentant le chiffre d'affaires qu'elle n'a pas réalisé avec son client habituel Bragard, celui-ci s'étant adressé à la concurrence disposant de locaux désormais mieux adaptés à ses besoins ;

Attendu cependant que ce préjudice, à le supposer établi, n'étant pas en rapport de causalité direct avec la faute reprochée à la société La Redoute, ne saurait entraîner la condamnation de cette dernière à le réparer ; que la société Albertini sera déboutée sur ce point ;

Attendu qu'il est équitable de condamner la société La Redoute à payer à la société Albertini la somme de 3 500 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe, Infirme le jugement entrepris, statuant à nouveau, Condamne la SA La Redoute à payer à la SARL Jacques Albertini et Associés la somme de 75 000 euro à titre de dommages et intérêts, Déboute la SARL Jacques Albertini et Associés de sa demande de dommages et intérêts à raison de la perte de son client Bragard, Condamne la SA La Redoute à payer à la SARL Jacques Albertini et Associés la somme de 3 500 euro au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, Condamne la SA La Redoute aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.