Livv
Décisions

CA Pau, 1re ch., 16 mai 2011, n° 10-02116

PAU

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fernandez (SARL), Selarl Brénac & Associés (ès qual.)

Défendeur :

Lacq et sa région (SCI), Services conseil expertises territoires (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pons

Conseillers :

MM. Lesaint, Castagne

Avoués :

SCP de Ginestet Duale Ligney, SCP Longin-Longin-Dupeyron-Mariol

Avocats :

Mes Biou, Barnaba

TGI Pau, du 14 avr. 2010

14 avril 2010

Faits et procédure :

La SCI de Lacq et sa région gère, par mandataire, un ensemble de logements.

La SARL Fernandez, ayant une activité de peintre en bâtiment, est intervenue pour effectuer divers travaux de peinture pour le compte de la SCI, de 2002 à 2007 selon ses dires.

Se plaignant d'une rupture brutale et sans motif des relations qui existaient entre elles la mettant en difficulté financière, la SARL Fernandez, par acte du 20 novembre 2007, s'est adressée au tribunal de commerce contre la SA Services conseil expertises territoires (SCET), en tant que mandataire de la SCI de Lacq, pour obtenir indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

La juridiction consulaire, par décision du 30 septembre 2008, considérant l'activité civile de la SCI, s'est déclarée incompétente et a renvoyé l'affaire au Tribunal de grande instance de Pau.

Au cours de l'instance devant cette juridiction, Maître Gilles Berthé, nommé représentant des créanciers dans la procédure de redressement judiciaire de la SARL Fernandez, est intervenu volontairement.

Par jugement du 14 avril 2010, le Tribunal de grande instance de Pau, considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce était inapplicable à la SCI, qui n'est pas une société commerciale et que l'absence de relations commerciales établies entre les parties comme de tout engagement en ce sens étaient exclusives de faute dans la rupture des relations contractuelles, a débouté la SARL Fernandez de ses demandes et l'a condamnée à payer à la SCI la somme de 1 200 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le 21 mai puis le 11 juin 2010, la SARL Fernandez et Maître Berthé, ès qualités de mandataire judiciaire, ont relevé appel de cette décision contre la SCI de Lacq et sa région et contre la SA Services conseil expertises territoires, en qualité de mandataire de la SCI, dans des conditions de forme qui ne sont pas critiquées et qui, au vu des pièces dont dispose la cour, sont recevables.

La SCI de Lacq et sa région a constitué avoué et est intervenue aux côtés de la SCET.

Au cours de l'instance d'appel, la Selarl Brénac et associés, ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL Fernandez, est intervenue volontairement au lieu et place de Maître Berthé, ayant été désignée pour le remplacer dans ces fonctions par jugement du Tribunal de commerce de Pau du 2 novembre 2010.

Moyens et prétentions des parties :

Dans leurs dernières conclusions, la SARL Fernandez et la Selarl Brénac et associés, celle-ci intervenante volontaire, appelants, font valoir que :

* la SARL Fernandez a consacré l'essentiel de son activité pour la SCI, 91 % de son chiffre d'affaires pour l'exercice clos le 31 mars 2005, 78 % pour l'exercice clos en 2006 et 67 % pour celui clos en 2007. La SCI était donc son client quasi exclusif pour lequel elle devait être très disponible, l'empêchant de développer une clientèle par ailleurs. La rupture brutale et inexpliquée des relations l'a plongée dans des difficultés financières importantes, provoquant son redressement judiciaire.

* l'article L. 442-6 I 5° du Code commerce qui sanctionne un tel comportement est applicable, les sociétés ayant passé un certain nombre d'actes de commerce entre elles.

* subsidiairement, ce comportement fautif sera sanctionné sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la faute de la rupture brutale et inexpliquée ayant entraîné le licenciement de deux salariés et un préjudice financier important équivalant à 80 % du chiffre d'affaires des trois dernières années.

Elles demandent, au visa principal de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et au visa subsidiaire de l'article 1382 du Code civil :

- de ce qu'il soit donné acte à la Selarl Brénac et associés de son intervention volontaire;

- la réformation de la décision déférée ;

- le paiement par la SCI de Lacq et sa région et la SA SCET, mandataire de la SCI, de la somme de 140 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture fautive des relations d'affaires.

- le paiement encore par les deux sociétés de la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 9 novembre 2010, la SCI de Lacq et sa région et la SA Services conseil expertises territoires (SCET), intimées, répliquent que :

* le mandat de gestion de la SCET est venu à expiration au 31 décembre 2007 et cette société doit être mise hors de cause.

* la SCI n'ayant pas la qualité de commerçante et à défaut de relations commerciales établies, au sens de ce texte, avec la SARL Fernandez, l'article L. 442-6 I 5° du Code commerce est inapplicable, ce qu'a d'ailleurs déjà tranché le tribunal de commerce.

* ce texte ne concerne que des parties qui ont entre elles des relations commerciales établies, supposant d'une part que la SARL consacre l'exclusivité de tout ou partie de son activité à la SCI et d'autre part que celle-ci s'engage pour un temps déterminé et pour un certain nombre de chantiers à un prix déterminé. Ce n'est pas le cas en l'espèce : la SCI a conclu des contrats d'entreprise de travaux de peinture, ponctuels et non exclusifs, avec la SARL Fernandez, pour l'entretien de son parc immobilier. Ces relations ont décru au fur et à mesure des années et les demandes de travail urgent n'étaient pas régulières. L'arrêt progressif des relations a été en réalité la conséquence de l'attitude du gérant de la SARL, dont attestent des employés, voulant imposer un monopole des travaux de peinture et se refusant à tout dialogue. La SARL a ainsi créé son propre préjudice.

* aucune faute ne peut être reprochée à la SCI sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Elles concluent :

- à la mise hors de cause de la SA Services conseil expertises territoires ;

- à la confirmation du jugement entrepris ;

- au paiement de la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 25 janvier 2011.

Discussion :

Jusque devant la cour, les demandes faites par la SARL Fernandez et son mandataire judiciaire étaient dirigées contre la SA SCET mais aussi contre la SCI de Lacq et sa région, qui n'était pourtant pas dans la cause. Il convient de donner acte à la SCI, qui a constitué avoué devant la cour aux côtés de la SA SCET, de ce qu'elle intervient volontairement aux débats.

Il convient également de donner acte à la SARL Brénac et associés de ce qu'elle intervient volontairement aux côtés de la SARL Fernandez, ès qualités de mandataire judiciaire, au lieu et place de Me Gilles Berthé.

La SARL Fernandez et la Selarl Brénac et associés poursuivent l'indemnisation d'une rupture de relations commerciales qu'elles estiment fautive. Elles fondent leur demande, à titre principal, sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Ce texte énumère limitativement les auteurs d'une rupture brutale de relations commerciales établies : il doit s'agir d'un producteur, d'un commerçant, d'un industriel ou d'une personne immatriculée au répertoire des métiers.

Tel n'est pas le cas de la SCI de Lacq et sa région, société civile. Les dispositions de ce texte ne lui sont donc pas applicables.

Seule l'attitude de la SA SCET à l'égard de la SARL Fernandez est susceptible de relever de cet article.

La SCI et la SA SCET demandent que cette dernière soit mise hors de cause, au motif que le mandat de gestion qui les unissait a pris fin le 31 décembre 2007.

Mais il ressort de la demande faite à son encontre que la faute reprochée aurait été commise au début de l'année 2007, période où elle avait encore mandat d'agir pour le compte de la SCI et pour laquelle elle doit répondre des fautes éventuellement commises à l'occasion ou dans l'exercice de ses fonctions. Elle ne peut donc être mise d'emblée hors de cause.

A titre subsidiaire, la SARL Fernandez et la Selarl Brénac et associés fondent leur demande sur l'article 1382 du Code civil, fondement possible de l'action dirigée contre la SCI.

Quel que soit le texte applicable, la responsabilité recherchée contre l'une et l'autre des sociétés est de nature délictuelle et l'analyse de la faute reprochée est donc la même.

La SARL Fernandez et la Selarl Brénac et associés affirment que la SARL consacrait l'essentiel de son activité de peinture à exécuter les commandes passées par la SCI et, pour son compte, par la SA SCET, dans le cadre de la gestion d'un parc immobilier important.

L'existence des relations entre ces sociétés n'est pas discutée.

Pour que l'arrêt de ces relations puisse revêtir un caractère fautif, il n'est pas nécessaire qu'elles aient eu, pour la partie qui se plaint de la rupture, un caractère d'exclusivité, mais, par contre, il faut qu'il soit démontré d'une part qu'il s'agissait de relations établies, c'est-dire habituelles, d'autre part que cette rupture a été faite de façon brutale en l'absence de motif sérieux, propre à provoquer un préjudice.

En l'espèce, il ressort de l'extrait des comptes fournisseurs de la SCI de Lacq et sa région, que celle-ci produit aux débats, que la SARL Fernandez, inscrite sous le nom de son gérant Fernandez Jean-Paul, a fourni des travaux :

- durant l'année 2005, à raison de 138 interventions pour la somme de 127 362,91 euro TTC, soit une moyenne approximative de plus de deux et demi par semaine ;

- durant l'année 2006, à raison de 52 interventions pour la somme de 81 918,59 euro TTC, soit une par semaine ;

- durant l'année 2007, à raison de 12 interventions, entre le 2 janvier et le 21 février, pour la somme de 10 654,91 euro TTC, soit approximativement une et demi par semaine.

Aucune autre intervention n'a été faite par la SARL Fernandez après le 21 février 2007.

Il résulte de ce compte fournisseur dans les écritures de la SCI que les interventions de la SARL Fernandez, même si leur nombre avait diminué entre les deux années 2005/2006, restaient néanmoins très fréquentes. Ainsi, la relation d'affaires entre la SARL Fernandez et la SCI de Lacq et sa région, par son mandataire la SA SCET, doit être considérée comme établie.

Les relevés comptables montrent encore que cette relation a brutalement pris fin à la fin du mois de février 2007, après 12 interventions faites sur presque deux mois, aucune autre facture n'ayant été émise après le 21 février 2007.

A la cessation des relations, par lettre du 28 mars 2007, M. Fernandez a demandé à Mme Herboux, responsable d'agence, les raisons pour lesquelles il n'était plus fait appel à ses services. En réponse, il lui a été confirmé que la SA SCET ne travaillait plus avec son entreprise depuis le début de l'année 2007 et il lui a été proposé de le recevoir pour répondre à ses questions. Un entretien n'a cependant apparemment jamais eu lieu, M. Fernandez persistant dans sa demande de réponse écrite.

Pour autant, y compris dans le présent débat, la SA SCET comme la SCI de Lacq et sa région ne donnent aucune explication sérieuse pouvant motiver une rupture brutale des relations. Ces sociétés ne produisent aucun élément propre à appuyer leur affirmation de ce que la SARL aurait tenté d'imposer un monopole à son profit dans les commandes de travaux. Les deux attestations d'employées disant se plaindre de l'attitude de M. Fernandez, qui les aurait surveillées et parfois photographiées, ne peuvent justifier à elles seules la rupture alors que l'une, Mme Amigo, décrit des faits qui se seraient produits à l'automne 2007, soit après la rupture, que l'autre, Mme Aubin, ne donne pas de précision de dates ou périodes et qu'aucun élément concomitant à la rupture ne corrobore les témoignages.

Dans ces conditions, en tenant compte de la liberté contractuelle, la cessation brutale des relations de la SCI, par son mandataire, avec la SARL Fernandez, sans avertissement préalable ni préavis, qui était nécessaire en raison du caractère habituel et fréquent des commandes passées, doit être considérée comme fautive.

La SARL Fernandez demande réparation du préjudice qui en est résulté. Ce préjudice est certain, compte tenu de l'attestation de son expert-comptable qui indique que le pourcentage du chiffre d'affaires effectué avec la SCI a été de 91 % en 2005, 78 % en 2006 et 67 % pour l'exercice clos au 31 mars 2007.

Ces chiffres montrent la part importante occupée par les commandes de la SCI dans l'activité de la SARL. Cependant, à défaut d'établir l'exigence particulière de la SCI ou son mandataire à l'égard de la SARL de lui consacrer une part prépondérante de son activité, elles ne peuvent être rendues responsables de l'importance accordée par la SARL à ces relations, au détriment de la recherche d'une clientèle plus diversifiée.

Le préjudice résultant de la faute commise est en réalité équivalent au chiffre d'affaires qui aurait été réalisé pendant la durée d'un préavis que l'on peut fixer à deux mois, soit selon les chiffres de 2007, dernier état des relations, 11 000 euro.

La SARL Fernandez a formulé les demandes d'indemnisation contre la SA SCET, mandataire de la SCI et la SCI elle-même. Les correspondances produites aux débats montrent que toutes les démarches étaient effectuées par le mandataire seul mais il ressort des écritures prises dans le cadre de la procédure que la SCI entérine totalement les opérations de son mandataire à l'égard de la SARL Fernandez. Dès lors, les deux sociétés devront être condamnées in solidum à indemniser la SARL Fernandez.

Le jugement entrepris sera infirmé.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés appelantes les frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû engager dans la procédure. La SCI de Lacq et sa région et la SA Scet, in solidum, devront leur payer, ensemble, la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort ; Donne acte à la SCI de Lacq et sa région de son intervention ; Donne également acte à la Selarl Brénac et associés, ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL Fernandez de son intervention, aux lieu et place de Me Gilles Berthé ; Dit n'y avoir lieu à mettre hors de cause la SA Services conseil expertises territoires ; Dit l'appel de la SARL Fernandez et du mandataire judiciaire fondé ; Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau : Dit que la SA Services conseil expertises territoires et la SCI de Lacq et sa région ont rompu les relations d'affaires avec la SARL Fernandez de façon fautive ; Les condamne in solidum à payer ; - à la SARL Fernandez la somme de 11 000 euro (onze mille euros) en réparation de son préjudice ; - à la SARL Fernandez et la Selarl Brénac et associés, ensemble, la somme de 3 000 euro (trois mille euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit les dépens de la procédure de première instance et d'appel à la charge de la SA Services conseil expertises territoires et de la SCI de Lacq et sa région, avec autorisation donnée à la SCP de Ginestet Duale Ligney, avoué, qui l'a demandé, de faire application de l'article 699 du Code de procédure civile.