CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 13 mai 2011, n° 09-21126
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Prime Wines & Spirits (SARL)
Défendeur :
Massaya & Co Sal (Sté), Wine Mawassem Tanail Sal (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
M. Schneider, Mme Beaudonnet
Avoués :
Mes Huyghe, Careto
Avocats :
Mes Mazoyer, Serra-Abouzeid
La société Massaya & Co (Massaya) et sa filiale la société Wine Mawassem Tanail (WMT), qui ont pour activité l'exploitation d'un vignoble situé au Liban, produisent du vin et de l'arak sous la marque Massaya.
Ces sociétés sont depuis début 2002 en relation d'affaires avec la société Prime Wines and Spirits (PWS), anciennement DWS, qui exerce l'activité de négociant en vins et spiritueux et qui a en particulier pour fournisseur les sociétés Massaya.
En octobre 2007, les sociétés de droit libanais Massaya et WMT ont assigné la société PWS en paiement de factures, la société PWS formant notamment une demande reconventionnelle fondée sur la rupture brutale de leurs relations commerciales.
Par jugement du 8 septembre 2009, le Tribunal de commerce de Créteil a :
- condamné la société PWS à payer à la société Massaya la somme de 30 667,60 euro au titre de factures impayées outre intérêts à compter du 10 octobre 2007,
- condamné la société PWS à payer la société WMT la somme de 7 558,65 euro au titre de factures impayées outre intérêts à compter du 10 octobre 2007,
- condamné la société Massaya à payer à la société PWS la somme de 7 294,39 euro outre intérêts à compter du 22 octobre 2007 et capitalisation,
- condamné la société WMT à payer à la société PWS la somme de 4 000 euro outre intérêts à compter du 8 septembre 2009 et capitalisation,
- ordonné la compensation des sommes dues entre les parties,
- débouté la société PWS de sa demande de dommages-intérêts tendant au paiement de la somme de 276 264 euro pour rupture abusive des relations commerciales,
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société PWS aux dépens.
Vu les dernières écritures signifiées le 10 février 2011 par la société PWS, appelante, priant la cour de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux condamnations pécuniaires prononcées et de l'infirmer pour le surplus.
Cette société prie la cour d'ordonner la capitalisation des intérêts et de condamner solidairement les intimées à lui payer les sommes de 276 264 euro pour rupture brutale des relations commerciales, de 10 000 euro pour préjudice d'image et de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 3 janvier 2011 par les sociétés Massaya et WMT, intimées et appelantes incidentes.
Ces sociétés sollicitent la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société WMT à payer à la société PWS une somme de 4 000 euro au titre d'un trop-perçu. Elles demandent la condamnation de la société PWS à payer à la société WMT cette somme de 4 000 euro outre intérêts à compter de la demande et capitalisation et le paiement d'une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur les demandes en paiement :
Considérant que toutes les parties sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société PWS à payer à la société Massaya la somme de 30 667,60 euro outre intérêts à compter du 10 octobre 2007 et à la société WMT la somme de 7 558,65 euro outre intérêts à compter du 10 octobre 2007, et en ce qu'il a condamné la société Massaya à payer à la société PWS la somme de 7 294,39 euro outre intérêts à compter du 22 octobre 2007 ;
Considérant que la société WMT sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société PWS la somme de 4 000 euro outre intérêts à compter du 8 septembre 2009 en remboursement d'un trop-perçu et capitalisation et demande la condamnation de cette société à lui payer cette somme ;
Considérant que la société WMT soutient qu'un accord est intervenu entre les parties pour l'annulation de trois traites d'un montant de 11 000 euro chacune, à échéance des 20 février, 20 mars et 20 avril 2005 et leur remplacement par dix traites mensuelles d'un montant de 3 700 euro chacune à compter du 20 février 2005, correspondant au principal (33 000 euro) outre frais, intérêts et pénalités forfaitairement évalués d'un commun accord entre les parties à 4 000 euro ;
Considérant qu'il n'est plus contesté que les dix traites ont été payées, soit la somme totale de 37 000 euro, bien que la société PWS se soit opposée le 23 novembre 2005 au paiement de la dernière traite ;
Considérant que si la société WMT a transmis le 14 février 2005 à la banque Saradar France un ordre d'émission de dix traites en remplacement des trois traites émises à son bénéfice par la société PWS, aucun élément ne démontre l'accord de la société PWS sur le paiement d'une somme de 4 000 euro en plus du montant principal de sa dette (33 000 euro) ;
Que le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a condamné la société WMT à restituer à la société PWS la somme de 4 000 euro outre intérêts à compter du 8 septembre 2009 et capitalisation et la société WMT déboutée de sa demande ;
Sur la rupture des relations commerciales :
Considérant que la société PWS fait valoir :
- que les parties ont entretenu une relation commerciale établie depuis janvier 2002 ; que la société Massaya lui a confié la distribution exclusive de ses produits ; qu'en effet, les sociétés Massaya et WMT la présentaient auprès de clients potentiels comme le distributeur exclusif de ses produits pour Europe, qu'en outre la société Massaya a indiqué le 11 novembre 2004 que PWS représente les vins Massaya exclusivement sur cinq ans en France et en Allemagne pour 5 ans à compter du 11 novembre 2004 et qu'enfin, PWS était jusqu'en 2007 le seul distributeur des produits Massaya en France, les Vignobles Brunier devant s'approvisionner auprès d'elle ; qu'en toute hypothèse, l'exclusivité de la relation n'est pas une condition d'application des dispositions invoquées de l'article L. 442-6 du Code de commerce,
- que les sociétés Massaya et WMT ont rompu brutalement leur relation commerciale fin 2007 sans le moindre préavis, que la société Massaya a confié la distribution de ses vins en France à la société Vignobles Brunier en juin 2007 et à la société Chirag en décembre 2007 alors même que l'accord d'exclusivité les liant devait prendre fin en novembre 2009 ; que ce n'est pas elle qui a pris l'initiative de la rupture, n'ayant pas cessé de passer commande auprès de Massaya ; qu'enfin le fait qu'elle n'a pas payé certaines factures ne saurait justifier l'absence de préavis ;
Considérant que les intimées répliquent notamment qu'aucun rapport d'exclusivité ne liait les parties et qu'elles n'ont pas rompu les relations commerciales, n'ayant jamais cessé d'honorer les commandes de PWS qui a elle-même pris l'initiative de la rupture en cessant de passer commandes et en dénigrant ses produits et qui, en outre, s'est soustraite au paiement de ses factures ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que les parties ont entretenu une relation commerciale établie de janvier 2002 à fin 2007 ;
Considérant qu'aucun élément ne corrobore les affirmations de la société PWS selon lesquelles elle aurait été le distributeur exclusif de la société Massaya ;
Qu'il résulte en effet des pièces versées aux débats :
- que si la société WMT a projeté en 2002 de signer avec la société PWS un contrat de distribution, aucune exclusivité n'était envisagée ni pour 2002, ni pour 2003 ;
- que si la société PWS se prévaut de comptes rendus d'une réunion indiquée s'être tenue entre les parties le 11 novembre 2004, force est de constater que ces comptes rendus ont été établis l'un " quelque part autour de la méditerranée le 26 novembre 2004 " faisant état du fait que PWS " endossera le rôle d'agent général pour les vins de WMT pour la France et l'Allemagne ", et l'autre " quelque part autour de la méditerranée le 30 décembre 2004 " indiquant que " PWS représente les vins Massaya exclusivement sur cinq ans en France et en Allemagne " et qu'au " bout de la quatrième année (2008) les parties informent la seconde partie par rapport au renouvellement du contrat pour 5 années supplémentaires. Le cas de l'Allemagne doit être traité séparément par rapport à la France " ; que ces comptes rendus de réunion, au surplus non signés par l'ensemble des participants, ne constituent pas un contrat entre les parties et qu'aucun élément n'établit que cette réunion ait été suivie de la signature par les sociétés Massaya et WMT d'un contrat confiant à la société PWS la distribution exclusive de ses produits en France ou/et en Allemagne,
- que les courriers et mails échangés entre les parties ou adressés par la société Massaya à des clients potentiels ne sauraient établir ni l'existence, ni a fortiori les contours et conditions, de l'accord d'exclusivité invoqué,
- qu'il n'est pas davantage établi que la société Vignobles Brunier avait l'obligation de s'approvisionner en vins Massaya auprès de la société PWS ; qu'il n'est pas contesté que la société Vignobles Brunier située à Châteauneuf du Pape distribuait également du vin Massaya en France, la société PWS ayant à partir de 2006 (mail du 6 mars 2006) le choix de commander ledit produit dans les entrepôts Massaya de Châteauneuf du Pape ou de continuer à les acheter directement à Massaya avec garanties bancaires ;
Considérant que le fait que la société PWS ne justifie pas avoir bénéficié d'une exclusivité pour la distribution des vins Massaya, n'exclut pas la possibilité pour cette société d'invoquer les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Qu'il lui appartient de démontrer que les sociétés Massaya et WMT ont rompu de façon brutale, sans préavis écrit, la relation commerciale établie qui les liait depuis début 2002 ;
Considérant que, selon PWC ce sont les sociétés libanaises qui ont pris l'initiative de la rupture ; que ces dernières soutiennent que l'initiative de la rupture a été prise par la société PWC ;
Considérant, contrairement à ce que soutient la société PWC :
- que le fait que la société Massaya a, à partir de mars 2006, exigé des garanties bancaires ou des paiements anticipés pour toute commande au lieu de conserver la pratique antérieure de paiement par traite à 90 jours ne saurait démontrer l'intention de Massaya de rompre les relations commerciales, qu'il n'est, en outre, pas établi que les changements de tarifs que PWS soutient lui avoir été imposés à cette occasion aient présenté un caractère anormal ou inhabituel destiné à l'évincer de la distribution ; que les relations entre les parties se sont poursuivies sans incident après le mois de mars 2006,
- qu'en l'absence d'exclusivité de distribution consentie à la société PWS, les sociétés libanaises n'étaient pas tenues de faire apparaître celle-ci dans ses brochures ou sur les étiquettes de ses produits,
- que le fait que la société Massaya a également confié à d'autres distributeurs (les Vignobles Brunier en juin 2007, la société Chirag en décembre 2007) ne peut constituer, en l'absence d'un tel accord, la violation d'un accord d'exclusivité qui aurait dû se poursuivre avec la société PWS jusqu'en novembre 2009,
- qu'enfin la société PWS ne peut invoquer une rupture de la relation commerciale deux ans avant son terme (novembre 2009) dès lors qu'il n'est justifié d'aucun accord des parties sur la durée de ladite relation ;
Considérant qu'il s'évince des pièces produites que la société PWS n'a pas à compter du mois de mars 2007 réglé certaines factures, pourtant non contestées, de la société Massaya ; que, cette dernière n'a néanmoins pas cessé d'honorer les commandes postérieures de la société PWS ; que la société Massaya s'est, le 24 septembre 2004, inquiétée auprès de la société PWS du fait que certains clients parisiens de celle-ci se plaignaient de ne pas être régulièrement approvisionnés et lui a demandé de remédier à cette situation et de cesser de défavoriser Massaya au profit d'autres marques qu'elle commercialise ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société PWS n'est pas fondée à soutenir que les sociétés libanaises ont rompu brutalement la relation commerciale ; qu'il s'avère que l'initiative de la rupture a été prise au printemps 2007 par la société PWS qui n'a pas réglé l'intégralité des factures et qui a cessé de passer des commandes, ce qui ne peut, eu égard au courant d'affaires habituel entre les parties, s'expliquer par l'état de ses stocks fin juillet 2007 ;
Que le jugement doit par conséquent être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la société PWS pour rupture brutale par les sociétés Massaya et WMT de leur relation commerciale ;
Sur la demande de dommages-intérêts (10 000 euro) :
Considérant que la société PWS sollicite la condamnation des intimées à lui payer une somme de 10 000 euro de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui ont causé les mesures d'exécution engagées par la société Massaya (saisies-conservatoires en octobre et novembre 2007, puis saisies-attribution en octobre 2009) ;
Que les intimées invoquent l'irrecevabilité de cette demande ;
Considérant que cette prétention nouvelle, formulée pour la première fois en cause d'appel, doit, s'agissant des saisies-conservatoires qui sont antérieures au jugement, être déclarée irrecevable par application de l'article 564 du Code de procédure civile, étant au surplus observé qu'il appartenait à la société PWS qui a obtenu du juge de l'exécution le 5 février 2008, la mainlevée de deux des saisies-conservatoires pratiquées en novembre 2007, de saisir le juge de l'exécution d'une telle demande ;
Que, s'agissant des saisies-attribution pratiquées en octobre 2009 auprès de quatre clients de la société PWS, il n'est pas contesté que mainlevée en a été donnée dès le mois de novembre ; qu'il n'est par conséquent pas justifié d'un " comportement particulièrement malhonnête " devant être " sanctionné par l'octroi de dommages-intérêts " ;
Que la société PWS doit être déboutée de ce chef de demande ;
Considérant qu'aucune considération tirée de l'équité ne conduit à faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant : Ordonne la capitalisation des intérêts sur l'ensemble des sommes dues par l'une ou l'autre des parties dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ; Déboute les parties pour le surplus ; Condamne la société Prime Wines and Spirits aux dépens.