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Décisions

CA Besançon, 2e ch. civ., 18 mai 2011, n° 10-01277

BESANÇON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Fenioux

Défendeur :

Guepratte

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Sanvido

Conseillers :

Mmes Theurey-Parisot, Boutruche

Avoués :

SCP Dumont-Pauthier, Me Economou

Avocats :

Mes Fournier, Kois

TGI Belfort, du 27 avr. 2010

27 avril 2010

Faits et prétentions des parties

Vu le jugement du 27 avril 2010 aux termes duquel le Tribunal de grande instance de Belfort a :

- qualifié de contrat d'agent commercial la convention signée le 1er février 1996 par Catherine Guepratte et Christian Fenioux exerçant sous l'enseigne Laboratoires Fenioux,

- dit que Catherine Guepratte n'était pas à l'initiative de la rupture dudit contrat, et que n'était pas rapportée la preuve d'une faute grave de sa part,

- condamné Christian Fenioux à payer à Catherine Guepratte, outre les dépens et une indemnité de procédure de 2 000 euro, les sommes de 100 000 euro à titre d'indemnité compensatrice et de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Vu la déclaration d'appel déposée au greffe de la cour le 17 mai 2010 par Christian Fenioux ;

Vu les dernières conclusions des parties, du 17 septembre 2010 (pour l'appelant), et 2 décembre 2010 (pour Catherine Guepratte, intimée et appelante incidente), auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du Code de procédure civile pour l'exposé de leurs prétentions respectives et de leurs moyens ;

Vu l'ordonnance de clôture du 3 février 2011 ;

Vu les pièces régulièrement produites ;

Sur ce

L'appel présenté dans les formes et délais légaux est recevable.

Christian Fenioux qui exploite un laboratoire spécialisé dans les produits médicinaux et diététiques, a conclu le 1er février 1996 un contrat expressément qualifié d'agent commercial avec Catherine Guepratte, mandatée pour "le représenter auprès de la clientèle qu'elle visitera... pour la vente des produits présentés aux praticiens de la gamme Fenioux Diet".

Le contrat accordant à Catherine Guepratte un droit de représentation non exclusif sur 7 départements et prévoyant la réalisation d'un chiffre d'affaire minimum à revoir annuellement, moyennant un commissionnement de 20 % sur le chiffre d'affaire net HT payable mensuellement, a fait l'objet d'un avenant du 31 janvier 2004 réduisant le secteur géographique (en contrepartie de quoi Catherine Guepratte a perçu une indemnité compensatrice de 144 000 FF).

Après avoir, par courrier du 15 mai 2007, avisé Catherine Guepratte de ce qu'en raison de " l'état de pauvreté manifeste (créé) sur le secteur ", il allait le travailler lui-même, sauf engagement de la part de l'intéressée de " relever le secteur avec un chiffre d'affaires prévisionnel mois par mois ", Christian Fenioux a renouvelé ces reproches par lettre du 28 juin 2007, mentionnant une diminution des résultats de 27,06 % en 2005/2006 et de 23,06 % en 2006/2007 (sur les 5 premiers mois).

Catherine Guepratte, par courrier de son conseil du 23 juillet 2007, a contesté ces griefs et imputé à Christian Fenioux un manquement grave à ses obligations de mandant, constituant selon elle un cas de rupture du contrat d'agent commercial et justifiant le versement d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, qu'elle chiffrait à 130 000 euro, tout en indiquant rechercher une solution amiable.

Christian Fenioux, par lettre de son avocat du 24 août 2007, a contesté la qualification de la convention en cause, rappelé la baisse de résultats précitée et, se déclarant prêt à l'assister dans ses démarches en vue de la préservation de la clientèle, a invité Catherine Guepratte à préciser sans équivoque si elle entendait dénoncer ladite convention et se considérait en période de préavis.

Enfin le 17 octobre 2007, dénonçant l'absence d'indication de la part de Catherine Guepratte sur ses intentions et prestations actuelles, ainsi que l'absence de visite de la clientèle depuis plusieurs mois, caractérisant un manquement grave à sa mission, Christian Fenioux a notifié à celle-ci la résiliation du contrat à effet du 31 janvier 2008.

Christian Fenioux a assigné Catherine Guepratte par acte d'huissier de justice délivré le 20 janvier 2008, aux fins d'obtenir restitution des commissions dites indues et paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de l'exécution défectueuse par la défenderesse du contrat, qu'il qualifiait de contrat de prestation de services ou courtage.

Catherine Guepratte a répliqué en réclamant pour l'essentiel paiement de l'indemnité compensatrice légalement prévue au bénéfice des agents commerciaux en cas de rupture par le mandant.

Les parties réitèrent en instance d'appel leurs prétentions initiales (sauf à noter de minimes différences de montants en ce qui concerne celles de l'appelant).

Il est vrai que la qualification donnée par les parties à leur convention ne suffit pas à soumettre les relations contractuelles au statut légal de l'agent commercial, et qu'il appartient au juge, en cas de contestation, de rechercher la nature exacte de ces relations.

Il n'est cependant pas sans intérêt de noter que Christian Fenioux a présenté à la signature de Catherine Guepratte un contrat expressément qualifié de contrat d'agent commercial, en 1996, et a encore, 5 ans plus tard, indemnisé Catherine Guepratte pour la perte de la clientèle d'un secteur retiré, sans discuter alors la qualification du contrat.

Mais surtout, les conditions dans lesquelles Catherine Guepratte a exercé son activité ne conduisent pas à exclure la qualification choisie par les parties.

En effet, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, est chargé de conclure des contrats notamment de vente au nom et pour le compte de producteurs : comme retenu par le premier juge, par une motivation que la cour adopte, la négociation, ainsi distinguée de la prise d'ordres, résulte en l'espèce de ce que Catherine Guepratte, à qui un chiffre d'affaires minimal était contractuellement imposé, avait pour mission non seulement de faire connaître les produits de la gamme Diet aux praticiens visités, mais encore d'obtenir de ceux-ci qu'ils prennent des carnets de commande aux fins soit de contracter eux-mêmes avec le laboratoire Fenioux, soit de faire commander ces produits par leur clientèle, eux-mêmes étant alors commissionnés par le laboratoire.

En conséquence la demande principale de Christian Fenioux ne peut être accueillie.

A titre subsidiaire, Christian Fenioux dénie à Catherine Guepratte tout droit à l'indemnité de rupture expressément prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, en s'appuyant sur l'article L. 134-13-1° du même Code qui exclut cette réparation en cas de faute grave de l'agent.

Le premier juge, après une analyse complète, précise et détaillée de l'évolution des relations des parties à laquelle Catherine Guepratte n'a apporté aucune contestation sérieuse, a à bon droit considéré que le grief tiré de l'indéniable baisse des résultats de Catherine Guepratte depuis 2005/2006 (qui n'avait pas été reprochée à l'intéressée avant mai 2007) et le grief tiré d'un défaut d'information et de collaboration de la part de Catherine Guepratte à partir de l'été 2007 (qui s'inscrivait dans une dégradation générale des relations des parties accompagnée d'une mise à l'écart de l'agent commercial annoncée à la clientèle avant toute rupture), ne suffisaient pas à caractériser une faute grave.

En revanche le préjudice invoqué a été surévalué par le premier juge : en ce qui concerne le préjudice moral, force est de constater que Catherine Guepratte a réagi de manière tardive, équivoque, le 23 juillet 2007, à l'initiative de son mandant et que si la lettre-circulaire adressée par celui-ci à la clientèle le 6 juillet 2007 était injustifiée en l'absence de rupture notifiée à cette, date, Catherine Guepratte était en mesure de s'épargner cette réaction excessive, en répondant immédiatement aux premiers courriers de Christian Fenioux en date du 15 mai 2007 (alors très conciliant) et du 28 juin 2007 (plus ferme dans le ton, mais ne contrevenant nullement aux stipulations contractuelles) ; quant à l'indemnité de rupture, en l'absence de justificatif d'investissements particuliers, et en considération de la diminution constante des commissions perçues de 2004 à 2006, il y a lieu d'évaluer le préjudice subi de ce chef à l'équivalent de la dernière année complète d'activité, soit 50 000 euro.

Christian Fenioux, qui succombe au moins partiellement, supporte les dépens, ses propres frais et ceux que Catherine Guepratte a engagés, à hauteur de 1 500 euro pour l'instance d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré, Déclare l'appel recevable, Infirme le jugement prononcé par le Tribunal de grande instance de Belfort le 27 avril 2010 en ce qu'il a condamné Christian Fenioux à payer à Catherine Guepratte la somme de deux mille euro (2 000 euro) à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et la somme de cent mille euro (100 000 euro) à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial, Statuant à nouveau des chefs infirmés, Déboute Catherine Guepratte de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral, Condamne Christian Fenioux à payer à Catherine Guepratte la somme de cinquante mille euro (50 000 euro) à titre d'indemnité de rupture, avec intérêts au taux légal à compter de la demande de ce chef, en tant que de besoin à titre indemnitaire complémentaire, Confirme ledit jugement pour le surplus, Y ajoutant, Condamne Christian Fenioux à payer à Catherine Guepratte la somme de mille cinq cents euro (1 500 euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute Christian Fenioux de ses propres prétentions sur le fondement de ce texte, Condamne Christian Fenioux aux dépens avec possibilité de recouvrement direct au profit de Maître Economou, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.