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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 19 mai 2011, n° 09-05487

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Erides (SARL)

Défendeur :

Didatec (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

Mme Devalette, M. Semeriva

Avoués :

SCP Aguiraud Nouvellet, SCP Laffly-Wicky

Avocats :

Selarl Arcadio, Associes, SCP Boniface-Hordot-Fumat-Mallon

T. com. Saint-Etienne, 3e ch., du 25 jui…

25 juin 2009

La société Didatec Technologie, ci-après, Didatec, a pour activité la conception et la fabrication de matériels techniques (équipements de réfrigération, climatisation, chauffage, maintenance) à vocation pédagogique principalement destinés aux enseignants et étudiants des CFA et universités.

Reprochant à deux de ses anciens salariés démissionnaires (Monsieur Robert, ingénieur, et Monsieur Ropers, technicien en recherche et développement) et à un salarié licencié (Monsieur Triollier,) qui ont quitté l'entreprise fin 2004, pour les deux premiers et en mai 2004, pour le dernier, d'avoir créé en mars 2005 une entreprise, la société Erides, qui exerçait une activité de concurrence déloyale, la société Didatec a été autorisée à faire opérer une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Erides.

Elle a ensuite assigné la société Erides et ses anciens salariés en concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse qui, par jugement en date du 25 juin 2009, en substance :

- s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action engagée contre les anciens salariés, et a fait application de l'article 97 du Code de procédure civile,

- a dit que la société Erides avait commis des actes de concurrence déloyale et l'a condamnée à payer 55 000 euro de dommages intérêts en réparation du préjudice commercial, outre intérêts capitalisés,

- a prononcé les interdictions et condamnations à restitution subséquentes sous astreintes, en se réservant de les liquider,

- a condamné la société Erides à 3 500 euro d'indemnité de procédure outre les dépens comprenant les frais de constat.

Ce jugement a été assorti de l'exécution provisoire.

Par déclaration du 20 août 2009, la société Erides a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières écritures, la société Erides demande l'infirmation du jugement sauf sur l'incompétence de la juridiction consulaire vis-à-vis des consorts Robert, Ropers et Triollier, le rejet de toutes les demandes de la société Didatec et la condamnation de celle-ci à lui verser 6 000 euro d'indemnité de procédure.

Elle soutient tout d'abord que la société Didatec est un généraliste de la formation, alors qu'elle-même ne travaille que sur la formation de génie énergétique pour un chiffre d'affaires 10 fois inférieur. Depuis le départ des dirigeants actuels de la société Erides, un seul ex-salarié de Didatec, Monsieur Boyer, a rejoint l'entreprise.

Elle réfute tout démarchage des clients publics potentiels qui émettent des appels d'offres publiés sur le site du BOAMP.

Elle reconnaît, comme en première instance, qu'elle a utilisé à deux reprises pour un même marché une photographie d'une chambre à froid positif qui est sur le catalogue Didatec, mais de manière partielle, sans possible référence à Didatec et sans préjudice pour celle-ci qui a obtenu le marché.

Sur le prétendu plagiat des matériels pédagogiques, elle relève qu'il existe certes des analogies entre les manuels (qui tiennent au rédacteur commun, Monsieur Roppers qui a utilisé ses cours, aux données techniques fondamentales et aux pensées tombées dans le domaine public) mais aussi des différences dans les formules et les utilisations de schémas.

Elle conteste tout détournement de procédés de fabrication pour la " tour de refroidissement " du marché Alsace, car ces procédés n'ont précisément pas été utilisés.

Sur l'obtention du marché de Nantes elle conteste toutes réutilisations des données techniques de l'appel d'offre 2003, car le contenu technique était complètement différent et toute utilisation de la connaissance de prix qui n'a d'ailleurs pas été le critère principal de l'obtention du marché. Pour ce marché, elle conteste toute contrefaçon de la bouteille de découplage qui ne présente pas de singularité en termes de cotes et de forme.

Concernant les plans du régulateur d'humidité, elle affirme que les plans ont été réalisés par Siemens et non par Didatec qui n'a pas l'exclusivité de cette relation.

Sur les marchés des lycées de Ris Orangis et de Tours, elle relève que la non-obtention du marché par Didatec pour offre plus avantageuse d'Erides ne suffit pas à caractériser une concurrence déloyale de cette dernière mais s'explique par la qualité technique de l'offre et par les moindres coûts de fonctionnement de la société Erides.

Elle réfute enfin les griefs relatifs au défaut d'agrément, ou à l'utilisation de bases de données ou de logiciels de Didatec.

Concernant les préjudices, elle considère qu'ils ne sont pas établis et que le montant exorbitant des sommes réclamées n'a d'autre but que de l'éliminer.

Aux termes de ses dernières écritures, la société Didatec demande la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages intérêts qui doit être porté à 144 500 euro pour détournements de marchés publics et 150 000 euro pour préjudice commercial, outre intérêts à compter de l'assignation, capitalisation des intérêts. Elle sollicite en outre la publication de l'arrêt aux frais de la société Erides et une indemnité de procédure de 5 000 euro.

Elle reproche à nouveau à la société Erides un plagiat de ses manuels pédagogiques (manuel de la tour de refroidissement qui a été trouvé dans le disque dur de la société Erides-manuel du banc de pompes centrifuges, qui est un copier-coller de son propre manuel, y compris pour les fautes-manuel du banc de dynamique des fluides qui reproduit également les coquilles).

Elle lui reproche d'avoir détourné des procédés de fabrication de la tour de refroidissement grâce au manuel pédagogique et aux photos de montage, et d'avoir profité des informations techniques et financières acquises par ses dirigeants quand ils étaient salariés de Didatec pour décrocher des appels d'offres (marché Alsace Lorraine préparé par Monsieur Robert, marchés Ris Orangis et Grammont obtenus pour offre plus avantageuse, utilisation de photos, partenariat avec Siemens avec utilisation de plans sans l'accord de celle-ci, plans de la bouteille de découplage) en s'épargnant plusieurs mois de travail pour pouvoir soumissionner dès sa création.

Elle estime que tout ceci n'a été possible que parce qu'Erides utilise l'intégralité de ses bases de données et de ses schémas emportés par ses salariés.

Sur ses préjudices, elle réclame pour les 4 marchés détournés de manière déloyale 144 550 euro de perte de marge, et pour l'utilisation de ses données techniques 150 000 euro, un seul manuel nécessitant 80 heures de travail.

Elle indique qu'une partie seulement des documents lui a été restituée et maintient sa demande d'exécution sous astreinte pour les autres documents et sa demande de publication dans 3 quotidiens plutôt qu'au BOAMP.

Motifs de la décision

Même si la société Erides n'est pas comparable à la société Didatec, en termes d'expérience, de chiffre d'affaires et de positionnement sur le marché, puisqu'elle n'intervient que dans le domaine du génie énergétique, même si elle ne peut être accusée de débauchage d'anciens salariés de la société Didatec, puisque ceux-ci l'ont créée et qu'un seul autre ex-employé de Didatec les a ensuite rejoints, alors qu'il se trouvait déjà délié de tout engagement avec cette dernière, même si enfin les termes de "détournement de marchés publics" ou de "captation d'une clientèle" sont impropres, eu égard aux actes de concurrence déloyale allégués et à la nature même de cette clientèle, c'est, néanmoins, par une exacte appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu que la société Erides s'était livrée à des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Didatec, dont sont issus ses dirigeants.

En effet, s'il ne peut-être reproché à la société Erides d'avoir profité du savoir-faire et des compétences techniques acquises par ces derniers lorsqu'ils étaient salariés de la société Didatec ou d'avoir soumissionné à des marchés publics sans disposer des agréments nécessaires, ce qui est inexact, d'après les documents produits, il est en revanche fautif de sa part d'avoir utilisé certains documents photographiques, mais surtout techniques ou pédagogiques de la société Didatec, non pas pour obtenir de manière déloyale des marchés publics, mais pour faciliter l'élaboration des dossiers de candidature et être présente sur le marché des offres publiques dès son entrée en activité.

Il ressort en effet du procès-verbal de saisie réalisé au siège de la société Erides et des autres pièces produites, que la société a ainsi utilisé par facilité ou dans l'urgence, ce qu'elle ne conteste pas, deux clichés photographiques appartenant à la société Didatec, l'un pour son propre catalogue, l'autre pour un marché algérien, procédé déloyal, même si rien dans ces photographies ne permet de les rattacher à la société Didatec et si le marché algérien a finalement été obtenu par cette dernière.

Il est également établi que la société Erides a utilisé des plans et documents techniques emportés de la société Didatec par ses dirigeants ou conservés sur leur disque dur. En effet, hors grief relatif à l'utilisation d'un plan de régulateur Siemens, puisqu'aucune des pièces produites n'établit en quoi la société Didatec pourrait s'en plaindre, la société Erides était bien en possession, lors de la saisie, d'un classeur contenant des éléments de principe, qui ne sont évidemment pas publiés sur internet, d'un manuel pédagogique et de schémas "oubliés" sur le disque dur d'un de ses dirigeants et qui ont, notamment, servi à l'appel d'offre région Alsace, en cours de préparation lorsque l'huissier est intervenu.

Par ailleurs, il ressort de la juxtaposition des éléments de comparaison produits, que la société Erides a copié presque intégralement, en y apportant certes quelques retouches, le manuel pédagogique élaboré pour la société Didatec par Monsieur Ropers, lorsqu'il en était salarié, manuel certes lui-même largement inspiré par un ouvrage de référence en matière hydraulique. Ce procédé, sans constituer à proprement parler un "plagiat" puisque les données techniques de ce manuel sont, de l'avis des parties, dans le domaine public, est déloyal dans la mesure où il a fait gagner un temps certain à la société Erides dans l'élaboration d'un document indispensable à son activité.

Il est enfin établi que pour les marchés de Ris Orangis et Nantes, notamment, la société Erides a utilisé des plans techniques établis par Monsieur Ropers, comme comportant ses initiales ou datés de l'époque où il était salarié de la société Didatec, pour faire fabriquer, par un des sous-taitants d'ailleurs de la société Didatec, des bancs d'étude, contenant notamment une bouteille de découplage hydraulique et une bouteille d'injection, dont les plans, identiquement cotés, ont été réutilisés, peu important, là encore, qu'ils ne fassent que reprendre des données techniques tombées dans le domaine public.

Même si le soupçon de la société Didatec selon lequel les anciens salariés seraient partis avec l'intégralité de ses bases de données, n'est pas établi, les agissements ci-dessus rapportés, consistant à utiliser le patrimoine technique et pédagogique de la société Didactec, fruit de son travail intellectuel et de son investissement, suffisent à caractériser à l'encontre de la société Erides des actes de concurrence déloyale, en ce qu'ils constituent un comportement parasitaire lui ayant procuré un avantage concurrentiel, par gain de temps et économie de moyens.

Eu égard, toutefois au fait que la société Didatec ne peut réclamer qu'une perte de chance au titre des quatre marchés publics qu'elle estime avoir perdus suite aux agissements déloyaux de la société Erides, l'objet même de ces marchés à caractère pédagogique faisant intervenir d'autres critères que les coûts, l'indemnisation du préjudice subi par la société Didatec à ce titre doit être ramenée à la somme de 30 000 euro, étant observé qu'il n'est pas allégué que ces agissements déloyaux ont perduré après l'obtention de ces marchés.

Il convient également d'indemniser la société Didatec pour l'utilisation indue de ses données techniques et pédagogiques, qui, depuis, lui ont été restituées, à hauteur de 5 000 euro.

Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, intérêts qui seront capitalisés par année entière à compter de cette date.

Le jugement doit donc être infirmé sur ce point comme sur le montant de l'indemnité globale allouée.

Il n'y a pas lieu de maintenir la condamnation à restitution, sous astreinte, de documents puisque, dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement, des documents ont été restitués par la société Erides et qu'il n'est pas établi, par le procès-verbal d'huissier, notamment, que les autres documents réclamés par la société Didatec soient bien en possession de la société Erides. La société Didatec ne sollicite pas la liquidation de l'astreinte.

Le préjudice de la société Didatec étant intégralement réparé, il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt.

La société Erides doit être condamnée à verser une indemnité de procédure de 3 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris sauf sur l'indemnisation mise à la charge de la société Erides pour concurrence déloyale et sur sa condamnation en restitution sous astreinte de documents ; Et statuant à nouveau sur ces chefs de demande, Condamne la société Erides à payer à la société Didatec la somme de 35 000 euro de dommages intérêts pour concurrence déloyale outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts, par année entière à compter de cette date ; Déboute la société Didatec de sa demande de restitution de documents sous astreinte ; Y ajoutant, Condamne la société Erides à payer à la société Didatec la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Erides aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Laffly-Wicky, avoués.