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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 19 mai 2011, n° 10-05090

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jacquet Ferrand, NX-Met (SARL)

Défendeur :

Presi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Muller

Conseillers :

M. Bernaud, Mme Pages

Avoués :

SCP Grimaud, Selarl Dauphin & Mihajlovic

Avocats :

Mes Benhamou, Leyraud

TGI Grenoble, du 18 nov. 2010

18 novembre 2010

La société Presi a pour activité la fabrication et la vente de machines et consommables pour la métallographie. Monsieur Philip Jacquet-Ferrand travaille en qualité de technico-commercial depuis le 7 juin 1988 pour cette société et est licencié pour motif économique en septembre 2009.

Par jugement en date du 3 mars 2011, le Conseil de prud'hommes de Grenoble déclare ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, la SA Presi interjette appel à l'encontre de cette décision.

Monsieur Philip Jacquet-Ferrand créée la SARL NX-Met immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 29 décembre 2009 qui a pour activité principale l'achat, la revente et la fabrication de produits abrasifs.

Par ordonnance sur requête en date du 3 mars 2010, le Président du Tribunal de grande instance de Grenoble commet un huissier de justice afin de se rendre au siège de la SARL NX-Met et au domicile de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et de pratiquer toutes constatations nécessaires et sur le fondement de l'article L. 343-1 du Code de la propriété intellectuelle. L'huissier réalise ses opérations le 22 mars 2010.

Par jugement du Tribunal de grande instance de Grenoble en date du 18 novembre 2010, la mesure pratiquée en date du 22 mars 2010 par la SA Presi est déclarée valable, Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met sont condamnés in solidum à payer à la société Presi la somme de 115 000 euro en réparation de son préjudice commercial et celle de 8 000 euro en réparation de son préjudice matériel, la société Presi est déboutée de ses autres demandes.

Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met sont condamnés in solidum à payer à la société Presi la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens, le tout assorti du bénéfice de l'exécution provisoire.

Par déclaration au greffe en date du 29 novembre 2010, Monsieur Philip Jacquet-Ferrand interjette appel à l'encontre de cette décision.

Par ordonnance en date du 28 janvier 2011 du Premier Président de la Cour d'appel de Grenoble, la SA Presi est autorisée à assigner à jour fixe Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met.

Au vu de ses dernières conclusions en date du 16 mars 2011 régulièrement signifiées, Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met demandent l'infirmation du jugement susvisé.

Ils demandent de constater que la SA Presi ne rapporte pas la preuve d'actes de concurrence déloyale de leur part. Ils concluent par conséquent au débouté de l'ensemble des demandes de la SA Presi et demande sa condamnation au paiement de la somme de 17 000 euro à titre de dommages et intérêts à chacun d'entre eux.

À titre subsidiaire, ils font valoir que le préjudice subi par la SA Presi doit se chiffrer à hauteur de la somme de 7 000 euro, cette dernière devant être déboutée de toute autre demande.

En tout état de cause, ils demandent la condamnation de la SA Presi à leur payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Philip Jacquet-Ferrand fait valoir qu'à compter de son licenciement n'étant pas lié par une clause de non-concurrence il pouvait créer une société ayant une activité similaire à celle de la SARL NX-Met. Il ajoute que la SA Presi ne justifie d'aucun acte de concurrence déloyale qu'il ne peut lui être reproché un quelconque dénigrement, une divulgation de secret de fabrique, un détournement de bases de données ou du parasitisme. Il précise que les sociétés Presi et SARL NX-Met n'ont pas le même objet social, qu'il n'avait pas accès au fichier client.

À titre subsidiaire, il explique que la présente action en concurrence déloyale ne peut aboutir à une interdiction d'exercer portant atteinte à la libre concurrence et à la liberté du commerce et de l'industrie.

Il ajoute que la SA Presi ne justifie pas d'une perte de chiffre d'affaires suite aux actes de concurrence déloyale invoqués établissant son préjudice, qu'elle ne justifie pas non plus d'un quelconque dommage ou lien de causalité.

Il conteste également l'existence d'un préjudice moral.

Il fait valoir le caractère abusif de la saisie contrefaçon diligentée à son encontre et demande par conséquent la condamnation de la SA Presi à lui payer à ce titre la somme de 17 000 euro à titre de dommages et intérêts et sa condamnation au paiement d'une amende civile.

Au vu de ses dernières conclusions en date du 30 mars 2011 et régulièrement signifiées la SA Presi demande la confirmation du jugement contesté en ce qu'il déclare valable la mesure pratiquée le 22 mars 2010 et la saisie consécutive.

Elle fait valoir que Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met se sont rendus coupables d'actes de concurrence déloyale à son encontre.

Par conséquent, elle demande qu'il soit fait interdiction à Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met d'exercer toute activité de commercialisation de consommables et machines équivalents à ceux vendus par la société Presi, et sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée, de prendre contact avec des distributeurs, fournisseurs et clients de la société Presi et sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée, d'être associés ou partenaires directs ou indirects d'une société qui commercialiserait des consommables et machines équivalents à ceux vendus par elle. Elle demande la condamnation solidaire de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met au paiement de la somme de 232 226,80 euro au titre de son préjudice commercial et celle de 75 000 euro au titre de son préjudice moral, celle de 13 600 euro au titre du remboursement des frais d'huissier et d'expert informatique.

Elle demande que soit ordonnée la publication du jugement à intervenir dans un journal professionnel par exemple l'Usine nouvelle ou le Dauphiné libéré ainsi que dans un quotidien national.

Elle conclut au débouté des demandes reconventionnelles.

Elle sollicite la condamnation de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle fait valoir que les appelants ne soutiennent plus la nullité de la saisie que le jugement contesté qui valide cette saisie est par conséquent définitif à ce titre.

Elle ne conteste pas la possibilité pour Monsieur Philip Jacquet-Ferrand d'exercer une activité concurrente, elle fait valoir le caractère déloyal de l'exercice de cette concurrence.

Elle explique que la version erronée des conditions du licenciement de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand transmise par ce dernier à l'ensemble des clients et distributeurs de la société Presi et le fait de prétendre que d'autres salariés ont quitté lé société dans les mêmes conditions constituent un dénigrement ainsi que les courriers envoyés à ses interlocuteurs disant que ses produits seront meilleurs.

Elle ajoute que Monsieur Philip Jacquet-Ferrand a volé les adresses mails de ses clients, qu'il a avec la complicité de monsieur Gros divulgué les secrets de fabrication des produits diamantés qu'elle produit, qu'il a divulgué à ses concurrents les noms et coordonnées de ses fournisseurs, qu'il a détourné des bases de données.

Elle précise que la vente des mêmes produits aux mêmes clients à des prix moindres compte tenu des différents détournements constituent du parasitisme.

Elle demande donc de faire cesser les agissements fautifs, soit la cessation de toute activité relative à la commercialisation de consommables et machines, l'interdiction de prendre contact avec ses distributeurs, fournisseurs ou clients, l'interdiction d'être partenaire ou associé.

Elle sollicite également l'indemnisation de son préjudice commercial et à hauteur de la somme de 232 226,80 euro et de son préjudice moral soit la somme de 75 000 euro. Elle demande aussi l'indemnisation des frais d'huissier et d'expert informatique soit la somme de 13 600 euro et enfin celle de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle conclut au débouté des demandes reconventionnelles.

Motifs de l'arrêt :

Sur la faute de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met :

Monsieur Philip Jacquet-Ferrand en sa qualité d'ancien salarié de la SA Presi pouvait créer une société avec une activité similaire à celle de son ancien employeur et exercer ainsi une activité commerciale concurrente, n'étant pas tenu suite à son licenciement par une clause de non-concurrence.

Il devait cependant exercer cette activité concurrente de façon loyale.

En l'espèce, il résulte de plusieurs courriers papier ou informatique produits aux débats que Monsieur Philip Jacquet-Ferrand a envoyé concomitamment à son licenciement à des clients, fournisseurs ou distributeurs de la SA Presi un courrier identique par lequel il les informe avoir été licencié parce que son salaire était trop élevé. Il précise que ce courrier est confidentiel.

Indépendamment du véritable motif du licenciement de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand, objet d'une autre procédure, ce courrier est de nature à porter atteinte à la réputation de la SA Presi en mettant en doute la légalité de ses pratiques en matière de licenciement de ses salariés.

Le contenu de ces courriers, leur large diffusion auprès des partenaires commerciaux de la SA Presi et par Monsieur Philip Jacquet-Ferrand qui souhaite donner un caractère confidentiel à ces envois et alors qu'il a désormais une activité concurrente de la SA Presi caractérisent la volonté de dénigrement de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand à l'encontre de la SA Presi.

Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met ne contestent pas avoir démarché l'ensemble des partenaires commerciaux de la SA Presi, soit ses fournisseurs, clients, et distributeurs pour constituer leurs propres marchés.

La saisie réalisée au siège de la SARL NX-Met en date du 22 mars 2010 et dont la validité prononcée par le jugement contesté n'est plus discutée par les appelants justifie de l'atteinte aux secrets de fabrique par l'embauche de monsieur Gros , ancien salarié retraité de la SA Presi en charge depuis 30 ans des produits diamantés et dont le contrat de travail prévoyait explicitement qu'il allait être mis au courant de formules de fabrication qui sont la propriété de Presi et qui en aucun cas ne doivent être divulguées à qui que ce soit et alors que Monsieur Philip Jacquet-Ferrand envoie un courrier à ses clients potentiels par lequel il précise que ses produits diamantés sont en tout point identiques à ceux commercialisés par Presi car justement fabriqués par Monsieur Gros ancien salarié de cette dernière.

Cette même mesure a permis de saisir 500 fichiers informatiques, soit des bases de données de la SA Presi, à savoir : la liste des distributeurs de Presi, le prix de revient des machines vendues, prix de revente et coefficient appliqué, le cahier d'enregistrement des machines vendues avec indication des coordonnées des clients, offres réalisées aux distributeurs depuis 2008, statistiques de vente, prix de vente ventilés selon les pays depuis 2005, factures comptabilisées par Presi, fichiers de suivi des clients par département, appels d'offres, tarifs douaniers, prix des emballages, comptes rendus de réunions commerciales, résultats des ventes pour 2007, fichier clients (152 pages constituant l'intégralité des clients de Presi).

Monsieur Philip Jacquet-Ferrand ne conteste pas avoir utilisé ces fichiers propriété de la SA Presi pour développer l'activité de sa société nouvellement créée.

L'ensemble de ces agissements constituent des actes de concurrence déloyale de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et de la SARL NX-Met au détriment au détriment de la SA Presi, en proposant sur le marché des produits identiques à moindre coût compte tenu des économies faites en l'absence entre autre de la nécessité de travaux de recherche ou de mise au point, d'étude de marché, de la mise en place d'un réseau de fournisseurs de clients ou de l'élaboration de tarifs et ce, compte tenu des procédés préalablement rappelés.

La connaissance par Monsieur Philip Jacquet-Ferrand du caractère déloyal de l'ensemble de ces procédés résulte du caractère confidentiel donné à la plupart de ses courriers.

Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met ont par conséquent bien commis une faute à l'origine d'un préjudice au détriment de la SA Presi.

Sur le préjudice commercial de la SA Presi :

La SA Presi justifie avoir perdu au profit des appelants plusieurs clients, soit les sociétés Bodson, Spectrographic et Arquimed et Photonis.

Elle chiffre à juste titre la perte de marge brute subie par la perte de ces clients à hauteur de la somme de 232 226,80 euro.

Il sera par conséquent fait droit à la demande de condamnation in solidum à l'encontre de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met à hauteur de cette somme et en réparation de son préjudice commercial.

Sur le préjudice moral de la SA Presi :

Les dénigrements établis au détriment de la SA Presi justifient de faire droit à sa demande en réparation du préjudice moral à hauteur de la somme de 8 000 euro.

Il sera par conséquent fait droit à la demande de condamnation in solidum à l'encontre de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met à hauteur de cette somme.

Sur le préjudice matériel de la SA Presi :

La SA Presi justifie d'un préjudice matériel correspondant aux frais d'huissier et d'expertise informatique à hauteur de la somme de 13 600 euro.

Il sera par conséquent fait droit à la demande de condamnation in solidum à l'encontre de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met à hauteur de cette somme.

Sur la demande de cessation des pratiques fautives de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met :

Les demandes de la SA Presi tendant à interdire à Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met d'exercer toute activité de commercialisation de consommables et machines équivalent à ceux vendus par elle ou d'être associé ou partenaire direct ou indirect d'une société qui commercialise des consommables et machines équivalentes à ceux qu'elle vend ou de prendre contact avec ses distributeurs, fournisseurs ou clients se heurtent au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met pouvant légitimement exercer comme préalablement rappelé une activité concurrente à celle de la SA Presi, les agissements dont il est demandé l'interdiction n'étant pas en eux mêmes des agissements déloyaux.

Ces demandes seront par conséquent rejetées et le jugement contesté déboutant la SA Presi de ces demandes confirmé également en cette disposition.

Sur les demandes reconventionnelles de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met :

Le procès verbal de constat a été réalisée en date du 22 mars 2010, en exécution d'une autorisation du président du tribunal de grande instance, il a été jugé par la décision contestée du caractère valable et ce de façon définitive, au vu de l'objet du présent appel.

Le recours à cette mesure ainsi réalisée ne peut par conséquent être considéré comme étant abusif, il a au contraire été démontré par la présente procédure son utilité, permettant d'établir des éléments de fait de nature à démontrer les faits de concurrence déloyale allégués. La demande en dommages et intérêts à ce titre de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et de la SARL NX-Met ainsi que leur demande de condamnation de la SA Presi à une amende civile seront par conséquent rejetées.

Sur les autres demandes :

La demande de publication de la présente décision n'est pas en l'espèce justifiée. Elle sera rejetée.

L'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la SA Presi.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l' article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Grenoble du 18 novembre 2010 en ce qu'il juge que Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met ont commis une faute au préjudice de la SA Presi et les condamne in solidum à lui payer la somme de 8 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et 13 600 euro en réparation de son préjudice matériel et rejette les demandes de la SA Presi en ces demandes tendant à faire interdiction à l'encontre de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met. Réforme le jugement sur le quantum des dommages et intérêts au titre de la réparation du préjudice commercial, Statuant à nouveau, Condamne in solidum Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met à payer à la SA Presi la somme de 232 226,80 euro. Rejette les demandes reconventionnelles de Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met. Rejette la demande de publication de la présente décision. Condamne in solidum Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met à payer à la SA Presi la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et en plus de la condamnation à ce titre du jugement du Tribunal de grande instance de Grenoble du 18 novembre 2010. Condamne in solidum Monsieur Philip Jacquet-Ferrand et la SARL NX-Met aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise la Selarl Dauphin et Mihajlovic à les recouvrer directement.