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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 mai 2011, n° 10-03880

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jeanne Lanvin (SA)

Défendeur :

Livia Gregoretti Srl (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Touzery-Champion, Pomonti

Avoués :

SCP Monin d'Auriac de Brons, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Chartier, Aknin

T. com. Paris, du 2 févr. 2010

2 février 2010

La SA Jeanne Lanvin (ci-après Lanvin) crée, fabrique et commercialise, des articles de prêt-à-porter féminin, maroquinerie, petite maroquinerie, chaussures féminines.

Le 3 juin 2002, elle a conclu à Paris avec Madame Livia Gregoretti un contrat d'agent commercial afin que cette dernière prospecte les magasins et boutiques situés en Italie.

Le contrat qui devait se terminer le 1er février 2004 s'est poursuivi par tacite reconduction.

Le 14 octobre 2005, la SA Lanvin et Madame Gregoretti ont signé un avenant au contrat, prévoyant que seraient désormais confiées à cette dernière les collections homme de Lanvin et modifiant le mode de rémunération de Livia Gregoretti.

Le 11 mars 2007, Madame Gregoretti a annoncé à la SA Lanvin son changement d'entité juridique, lui annonçant la création de sa société, la société à responsabilité limitée de droit italien Livia Gregoretti qui reprenait l'exécution du contrat.

Par lettre recommandée avec AR en date du 13 décembre 2007, la société Lanvin a notifié à la société Livia Gregoretti la résiliation du contrat à effet au 30 juin 2008 indiquant qu'elle envisageait de prendre en charge elle-même la distribution de ses produits en Italie en créant une filiale.

Par acte en date du 31 juillet 2008, la société Livia Gregoretti a assigné la SA Lanvin pour être indemnisée des conséquences de cette rupture.

Par jugement du 2 février 2010 assorti de l'exécution provisoire sans garantie, le Tribunal de commerce de Paris a :

- déclaré le droit français applicable au présent litige,

- condamné la société Lanvin à payer à la société Livia Gregoretti la somme de 1 180 186 euro, en deniers ou quittance valable, avec des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement,

- condamné la société Lanvin à payer à la société Livia Gregoretti la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR

Vu l'appel interjeté le 23 février 2010 par la SA Lanvin.

Vu les conclusions signifiées le 8 mars 2011 par lesquelles la SA Lanvin demande à la cour :

À titre principal, de constater que :

- la loi applicable au contrat conclu entre la société Lanvin et Livia Gregoretti est la loi italienne,

- en application de la loi italienne, une indemnité compensatrice d'une année, sur la base de la moyenne des commissions perçues par Livia Gregoretti durant les cinq dernières années, lui est due,

- la société Lanvin a déjà payé à la société Livia Gregoretti cette indemnité à hauteur de 390 000 euro, et que la société Livia Gregoretti a donc été remplie de ses droits,

- la demande formulée par la société Livia Gregoretti au titre du préavis prétendument insuffisant est irrecevable en application de l'article 564 du CPC et en toute hypothèse mal fondée,

- la société Livia Gregoretti ne caractérise aucun manquement de la société Lanvin au regard du droit italien, applicable au litige,

- la société Lanvin démontre qu'aucun manquement ne peut lui être reproché,

Par conséquent, statuant à nouveau,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le droit français était le droit applicable au contrat et statuant à nouveau, dire et juger qu'en application du droit italien, applicable au présent litige, la société Lanvin a d'ores et déjà versé à l'indemnité compensatrice qui était due,

- confirmer en toute hypothèse le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Livia Gregoretti de l'intégralité de ses demandes de dommages et intérêts,

- débouter la société Livia Gregoretti de l'intégralité de ses demandes incidentes,

Si, par extraordinaire, la cour devait considérer que le droit français est applicable au contrat, constater que :

- le préjudice subi par la société Livia Gregoretti du fait de la rupture est extrêmement limité,

- la demande au titre du préavis prétendument insuffisant est irrecevable en application de l'article 564 du Code de procédure civile et en toute hypothèse mal fondée,

- aucun manquement ne peut être reproché à la société Lanvin, que ce soit au titre du préavis, au titre d'une prétendue " réticence dolosive " ou encore au titre du prétendu " discrédit ",

En conséquence, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Lanvin à payer à Livia Gregoretti la somme de 1 180 186 euro à titre d'indemnité de rupture (de laquelle doit être déduite la somme de 390 000 euro d'ores et déjà payée par la société Lanvin ainsi que l'a reconnu le Tribunal de commerce de Paris), correspondant à deux années de commissions calculées sur la base de la moyenne des commissions perçues par Livia Gregoretti durant les trois dernières années, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Livia Gregoretti de ses demandes supplémentaires de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau,

- juger que le versement de la somme de 390 000 euro constitue au cas d'espèce une indemnité de fin de contrat suffisante,

- débouter la société Livia Gregoretti de l'intégralité de ses demandes, et notamment de ses demandes incidentes formulées en appel,

En toute hypothèse,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 2 février 2010 en ce qu'il a débouté la société Livia Gregoretti de ses demandes de dommages et intérêts complémentaires,

- débouter la société Livia Gregoretti de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et l'a condamnée à payer à la société Lanvin la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les conclusions signifiées le 23 février 2011 par lesquelles la société Livia Gregoretti demande à la cour de confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 2 février 2010 en ce qu'il a déclaré la loi française applicable et a condamné Lanvin au paiement d'une indemnité, de porter la condamnation de la société Lanvin à payer à la société Livia Gregoretti à la somme de 2 547 791,73 euro au titre de l'indemnité de rupture augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2008, de condamner la société Lanvin à payer à la société Livia Gregoretti la somme de 700 000 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires et la somme de 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Sur ce

Sur le droit applicable :

Considérant que la SA Lanvin soutient qu'il y a lieu d'appliquer la Convention de la Haye du 4 mars 1978 applicable à la représentation et aux contrats d'intermédiaires et que dès lors qu'il ne peut être déduit avec une certitude raisonnable que les parties ont choisi le droit français comme étant la loi applicable au contrat, il convient de faire application de l'article 6 de la convention et de s'attacher aux facteurs objectifs de rattachement du contrat qui mènent indubitablement à l'application du droit italien ;

Que la SA Lanvin estime en outre qu'en application de la Convention de Rome, le droit italien est également applicable au litige au titre de l'article 4 de la convention, dans la mesure où le lieu de la fourniture de la prestation caractéristique est l'Italie et où la loi italienne est la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits ;

Considérant que la société Livia Gregoretti soutient qu'en l'espèce, tant le contrat que les circonstances de la cause, pour le moins abondantes et significatives, permettent de considérer sans équivoque que la loi française s'applique ;

Considérant que les premiers juges ont fait application de la Convention de Rome relative au droit applicable aux obligations contractuelles ;

Mais considérant que la Convention de la Haye est spécifique aux contrats d'intermédiaires et donc d'agents commerciaux ; qu'il y a lieu en conséquence de réformer la décision entreprise en ce sens qu'est applicable au contrat d'agent commercial en cause la Convention de la Haye ;

Considérant que l'article 5 de cette convention dispose " la loi interne choisie par les parties régit le rapport de représentation entre le représenté et l'intermédiaire. Le choix de cette loi doit être exprès ou résulter avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause " ;

Qu'en l'espèce les parties n'ont pas indiqué expressément le droit applicable ; que dès lors la détermination de celui-ci ne peut que résulter de l'existence des conditions prévues cumulativement par l'article 5 à savoir des dispositions du contrat et des circonstances de la cause ;

Considérant que le contrat signé à Paris et rédigé en français comporte une clause attributive de compétence aux juridictions françaises ;

Que si Madame Livia Gregoretti est de nationalité italienne et si sa société a son siège social en Italie, il résulte des échanges de mails que ceux-ci sont rédigés de part et d'autre en français ;

Que si le secteur de Livia Gregoretti puis de sa société était l'Italie, l'article 6.2 du contrat stipule l'agent assurera les prises de commandes des produits uniquement auprès des magasins et boutiques eux-mêmes, dans le show-room de JLSA, sis <adresse> ;

Que l'article 7.1 lui faisait obligation " d'être présente aux séances de présentation qui précédent chaque session de vente et également lors des achats par les magasins et boutiques ce qui nécessitera quatre voyages à Paris par an ;

Que toutes les facturations ont été faites en France par la société Lanvin ;

Qu'enfin la société Lanvin ne s'est pas soumise pendant toute l'exécution du contrat aux dispositions légales italiennes spécifiques aux agents commerciaux mettant à sa charge une obligation d'inscription à la fondation Enarsaco dans les trois mois à compter de la date du début des relations et le paiement de cotisations sociales spécifiques ;

Considérant en conséquence que les éléments du contrat et les circonstances de l'espèce démontrent avec certitude que les parties ont entendu soumettre leurs relations contractuelles au doit français.

Sur les conséquences de l'application du droit français :

Considérant que l'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu' " en cas de cessation de ses relations commerciales avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi " ;

Considérant que Mme Gregoretti relate avoir investi environ 1 200 000 euro notamment en frais de personnel, de formation, ayant embauché 14 personnes pour répondre aux besoins de la société Lanvin ;

Qu'il convient de relever que ces investissements n'ont pas concerné la seule marque Lanvin dans la mesure où Mme Gregoretti travaillait dans le même temps avec d'autres marques ;

Qu'elle expose que la progression du chiffre d'affaires montre un doublement entre 2007 et les 6 premiers mois de 2008 ;

Que les commissions versées les trois dernières années ont été les suivantes :

2006 : 310 194,94 euro

2007 : 489 908,45 euro

2008 : 909 029,42 euro ;

Que ces chiffres démontrent une progression constante au cours de ces trois années ce qui apparaît également à travers les mails adressés par la société Lanvin à la société Gregoretti font état de la progression des ventes résultant de son activité ainsi :

- Mail du 24 juillet 2006 " tout ce travail nous a énormément facilité la tâche. Le nombre de commandes à traiter augmentant, l'effort que vous avez fourni a été très apprécié ",

- Mail du 1er décembre 2006 " un grand merci à toi pour la disponibilité et pour le professionnalisme de toute ton équipe ",

- Mails du 21 mars 2007 " un grand merci et un grand bravo à vous tous pour les compléments de commande obtenus et les efforts entrepris pour optimiser les ventes de la collection H07 jusqu'au bout tout en préservant la qualité du réseau de distribution " ;

Que si la société Livia Gregoretti ne conteste pas avoir trouvé de nouveaux clients au nombre de 6, elle fait valoir que quatre clients démarchés en 2008 ont cessé leur activité et qu'aucun ne lui a assuré un chiffre d'affaires comparable à celui de la société Lanvin ;

Considérant que dès lors, au vu de ces éléments, c'est à juste titre que le tribunal a alloué à la société Livia Gregoretti deux années de commissions soit 1 180 186 euro et la société Lanvin indiquant avoir déjà versé la somme de 390 000 euro, il sera confirmé un paiement en deniers ou quittance ;

Considérant que la société Livia Gregoretti fait état d'un préjudice résultant du licenciement de six salariés et de la perte de commandes pour avoir été tenue à l'écart du salon qui se tenait à Milan du 21 au 26 juin 2008 avant la fin du préavis contractuel fin le 30 juin 2008 ;

Considérant que l'indemnité de rupture n'a pas pour effet d'indemniser les conséquences de la rupture mais la rupture elle-même ; que de plus il n'est pas rapporté la preuve que les salariés licenciés étaient affectés exclusivement à la marque Lanvin ;

Considérant que la société Lanvin soutient que la demande au titre du préavis serait une demande nouvelle ;

Considérant que la demande vise la perte de commandes au cours du préavis, qu'il ne s'agit pas d'une demande concernant la durée du préavis et donc d'une demande nouvelle mais d'une demande déjà formulée en première instance et rejetée ;

Considérant que l'article L. 134-11 du Code de commerce dispose " la durée du préavis est d'un mois pour la première année, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes " ;

Que si la société Lanvin a indiqué à la société Livia Gregoretti qu'un préavis de 6 mois lui était accordé, c'est au visa des dispositions de l'article 1750 du Code civil italien qui n'a pas lieu d'être appliqué ;

Que de plus le salon de Milan concernait des collections P/E 2009 donc commercialisables postérieurement à la rupture des relations commerciales ; que la société Livia Gregoretti ayant été totalement en charge des collections P/E2008 et A/H2008 il s'ensuit que son préavis a bien inclus la commercialisation de la saison A/H2008 correspondant à une demi-année civile soit 6 mois de préavis ;

Considérant qu'il y a lieu de rejeter ses demandes au titre de ces deux préjudices.

Sur la demande de dommages intérêts complémentaires :

Considérant que la société Livia Gregoretti fait valoir d'une part que la société Lanvin a agi de façon déloyale en lui laissant supposer la poursuite des relations commerciales à travers la constitution d'une filiale commune, d'autre part que celle-ci l'aurait discréditée ;

Considérant que si la société Livia Gregoretti a fait l'acquisition d'un show room à Milan, cette acquisition résulte de sa seule initiative ; que cette acquisition est postérieure à la rupture du contrat avec la société Lanvin ; que la seule circonstance que la société Lanvin l'ait chargée au cours de son préavis de lui rechercher des locaux pour accueillir une filiale ne lui donnait aucune assurance sur sa propre participation ; qu'elle ne démontre pas que l'acquisition du show rom résulte d'un quelconque engagement de la société Lanvin à son égard ; qu'au surplus celui-ci était destiné à l'ensemble de ses activités et donc aux autres marques dont elle était l'agent ;

Qu'elle expose que la société Lanvin ne l'a pas informée des conditions de la poursuite de la distribution de la marque Lanvin ce qui lui aurait causé un préjudice ;

Considérant que la société Lanvin a averti ses clients italiens de sa décision de reprendre la distribution de sa marque en direct, pour des raisons stratégiques, indiquant que Livia Gregoretti resterait leur contact pour la collection P/E 2008 et précisant les noms et coordonnées téléphoniques des nouveaux contacts pour la collection P/E2009 ;

Considérant que Livia Gregoretti ne démontre aucun agissement de la société Lanvin de nature à jeter le discrédit sur elle ; que sa demande à ce titre sera rejetée.

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile :

Et considérant que la société Livia Gregoretti a engagé des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif et de rejeter la demande de la société Lanvin à ce titre.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la loi française applicable sauf à dire que la cour fait application de la Convention de la Haye du 14 mars 1978, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Jeanne Lanvin au paiement d'une indemnité de 1 180 186 euro en deniers ou quittances avec intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement et a débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, Y ajoutant, Condamne la société Lanvin à payer à la société Livia Gregoretti la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Lanvin aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.