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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juin 2011, n° 09-28814

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Chabernaud

Défendeur :

Union des Vignerons des Coteaux de L'Ardèche

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Grappotte-Benetreau, Pelit-Jumel, Me Huygue

Avocats :

Mes Catoni, Le Chene

T. com. Créteil, du 19 oct. 2004

19 octobre 2004

LA COUR,

Vu le jugement du 19 octobre 2004 du Tribunal de grande instance de Créteil qui, dans un litige entre Monsieur Chabernaud, ancien agent commercial de l'UVICA de 1991 à 1999, relatif à des droits à commissions et indemnités de fin de contrat allégués, a notamment condamné l'UVICA à payer 2 558,66 euro outre intérêts de commissions, 1 235,94 euro outre intérêts d'indemnités de préavis, condamné Monsieur Chabernaud à payer à l'UVICA 3 006,44 euro de trop-perçu de commissions, ordonné la compensation et l'exécution provisoire, et débouté Monsieur Chabernaud de sa demande d'indemnité de fin de contrat et, implicitement, de sa demande de commission fondée sur l'article L. 134-6 alinéa 1er in fine du Code de commerce, pour des ventes de vins diffusés par les magasins Auchan sous la marque " Pierre Chanau " ;

Vu l'arrêt de cette cour autrement composée qui, sur appel de Monsieur Chabernaud, a confirmé le jugement sauf sur le rejet de la demande au titre de l'indemnité de cessation de contrat et condamné l'UVICA à payer de ce chef à Monsieur Chabernaud la somme de 7 749,36 euro avec intérêts au taux légal à compter du 12 février 2001 capitalisés, et dit que les condamnations à 2 558,66 euro et à 1 235,94 euro à la charge de l'UVICA devaient être assorties de la TVA ;

Vu l'arrêt du 29 septembre 2009 de la Cour de cassation qui a cassé l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, mais seulement en ce qu'il avait débouté Monsieur Chabernaud de sa demande de commissions sur les ventes de la marque Pierre Chanau et fait droit à l'action d'UVICA en répétition de l'indu pour des commissions déjà versées, au visa de l'article 455 du Code de procédure civile et au motif que pour statuer ainsi, l'arrêt, après avoir relevé que M. Leclere, acheteur de vins pour la société Auchan, avait attesté que cette dernière avait décidé de commercialiser des vins de pays sous la marque Pierre Chanau, anagramme de son enseigne commerciale, et lancé un appel d'offres auprès de différents producteurs pour embouteiller des produits de sa marque, puis retenu l'offre de l'UVICA, sans intervention d'un tiers dans cette opération, cette marque étant directement gérée par les acheteurs nationaux de la centrale d'achats Auchan qui avaient pris la décision de la faire figurer dans les magasins du groupe, retenait que la vente de vin sous la marque Pierre Chanau ne résultait donc pas de l'activité de l'agent commercial ; qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de Monsieur Chabernaud qui faisaient valoir qu'il avait droit à cette commission parce qu'il avait obtenu la clientèle antérieurement pour des opérations du même genre, ce qui lui ouvrait droit à commission, la cour d'appel n'avait pas satisfait aux exigences légales du texte susvisé ;

Vu la saisine de cette cour par Monsieur Chabernaud et ses conclusions sur 1er octobre 2010 par lesquelles il demande à la cour de condamner l'UVICA à lui payer les sommes de 3 006,44 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 19 octobre 2004 et capitalisation en restitution de la somme " indument retirée ", 11 324 euro à titre de provision pour commissions sur les ventes de vins Pierre Chanau " sauf à parfaire suivant l'expertise " avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance et anatocisme à compter du 2 juillet 2002, date de la première demande à cet effet ; dire que l'UVICA devra communiquer sous astreinte un relevé complet des ventes de vins Pierre Chanau pendant la période contractuelle de 1997 à 2000 ; subsidiairement, ordonner une expertise ; débouter l'UVICA de toutes ses demandes ; la condamner à lui payer 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 27 septembre 2010 de l'UVICA qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur Chabernaud au titre de commissions sur les ventes de la marque Pierre Chanau et l'a condamné au paiement de la somme de 3 006,44 euro à titre de trop-perçu de ce chef ; débouter Monsieur Chabernaud ; le condamner à lui payer 8 000 euro au titre des frais irrépétibles ;

Considérant qu'en vertu d'un contrat d'agent commercial verbal, Monsieur Chabernaud représentait l'UVICA auprès de diverses centrales d'achats et magasins grande et moyenne surface ; qu'il était, plus exactement, chargé de prospecter de tels acheteurs et de conclure avec eux, au nom et pour le compte de l'UVICA, des ventes de vins moyennant paiement de commissions ; qu'il est ainsi constant que, contractuellement lié à l'UVICA de 1991 jusqu'à ce que le contrat prenne fin au début de l'année 2000, Monsieur Chabernaud a, de 1991 à 1997, représenté l'UVICA auprès des supermarchés Atac, approvisionnés par la Centrale Docks de France Paris " Les Docks d'Emerainville ", appartenant au Groupe Paridoc ; que ledit groupe a été racheté en 1996 par la société Auchan ; qu'à la suite de cette opération, la société Auchan a réorganisé au niveau national la politique " Liquides " ; que dans ce contexte de renouvellement de la stratégie commerciale, la société Auchan a lancé un appel d'offres pour la commercialisation, le conditionnement, le stockage et la livraison de vins de pays sous la marque distributeur " Pierre Chanau " ; que l'offre émise par l'UVICA ayant été retenue, la société Auchan a conclu avec l'UVICA deux accords en date du 3 juin 1996, l'un intitulé " Contrat de référencement ", l'autre intitulé " Cahier des charges " ; qu'estimant que, du fait de ces circonstances nouvelles, le contrat d'agent commercial se trouvait dépourvu d'objet, UVICA a, par lettre du 7 décembre 1999, notifié à Monsieur Chabernaud sa volonté de mettre fin audit contrat au début de l'année 2000 ;

Considérant que Monsieur Chabernaud prétend de manière quelque peu obscure et imprécise qu'il n'est pas prétendu qu'il soit intervenu " pour que les vins UVICA soient vendus sous la marque Auchan, c'est-à-dire Pierre Chanau ", mais qu'il a eu un rôle dans le " suivi " des ventes ; qu'il était commissionné sur " le direct et l'indirect ", ayant un droit à commissions même s'il n'est pas intervenu personnellement et matériellement pour les affaires directement traitées par le mandant ; que les vins de marque Pierre Chanau ont été vendus " dans la clientèle " que Monsieur Chabernaud visitait pour UVICA, soit principalement dans les supermarchés Atac, et ce à partir d'une " plate-forme " dénommée " Docks de France " ; qu'il se réfère essentiellement à deux attestations en dates des 26 juin 2002 et 27 août 2003, de Monsieur Gosley, ancien " responsable d'enseigne " apparemment chez Atac au moins jusqu'en 1997 ; que l'UVICA conteste tout droit à commission de Monsieur Chabernaud au titre de ventes de vins de marque Pierre Chanau et soutient que les commissions payées par lui à ce titre l'ont été par erreur et qu'il y a lieu à répétition de l'indu ;

Considérant que l'article L. 134-6 alinéa 1er in fine du Code de commerce distingue deux hypothèses dans lesquelles l'agent commercial a droit à commission sur une opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence : lorsqu'elle a été conclue " grâce " à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec " un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre " ; que pour la première hypothèse, le texte ne souffre pas de difficultés d'interprétation ; qu'en ce qui concerne la seconde hypothèse, il résulte de l'article L. 134-6 alinéa 1er in fine que l'agent commercial a droit à une commission sur chaque opération conclue sans son intervention, pendant la durée du contrat, entre son mandant et un client de celui-ci qu'il n'a connu qu'en raison de l'activité antérieure de l'agent, qui lui a ainsi apporté ledit client, ce droit à commission étant subordonné à la condition que les opérations entre le mandant et le client sans le concours de l'agent soient similaires à celles effectuées antérieurement entre le client et une autre personne que le mandant avec le concours de l'agent ;

Considérant, en ce qui concerne l'application à l'espèce de la première hypothèse, que l'UVICA fait valoir que, pour la commercialisation des vins sous la marque Pierre Chanau, la société Auchan a procédé par voie d'appel d'offres envers divers fournisseurs de vins ; qu'à la suite de cet appel d'offres, UVICA a fait une proposition suivant courrier du 17 novembre 1997 adressé directement à Madame Lopoy, responsable de la Centrale Liquides chez Auchan, suivie d'une proposition détaillée sous la seule signature de son dirigeant Monsieur Roume ; que la marque Pierre Chanau, propriété d'Auchan, est directement gérée par les acheteurs nationaux de la centrale d'achats d'Auchan, ce qui résulte d'une lettre du 18 juillet 2002 de Monsieur Leclere, " acheteur vins " chez Auchan, qui indique ainsi que " la présence de produits Pierre Chanau dans les magasins du groupe est de la seule décision des acheteurs nationaux et des acheteurs d'enseigne du groupe Auchan " ; que la déclaration imprécise de Monsieur Gosley dans son attestation du 27 août 2003 selon laquelle Monsieur Chabernaud, lors des visites qu'il lui rendait à la centrale d'achats, se " préoccupait " des ventes sur la marque Pierre Chanau n'est pas de nature à combattre ces éléments ; que la notion de " suivi " est imprécise et ne concerne pas la conclusion d'opérations ; que les ventes de vins Pierre Chanau n'ont pas été conclues " grâce à l'intervention " de Monsieur Chabernaud ; que la première hypothèse prévue par le texte précité n'est pas applicable à l'espèce ;

Considérant sur la seconde hypothèse que, dans son attestation du 26 juin 2002, Monsieur Gosley déclare " en 1994, le référencement des Muletiers aux Docks de France d'Emerainville a été entièrement effectué par le biais de Philippe Chabernaud dans la mesure où il était mon unique interlocuteur. Tout le travail qui a été réalisé et qui a permis à UVICA de se développer avec les Docks de France Paris l'a été grâce au travail de Monsieur Chabernaud, qui avait su nouer avec "le magasin" (ou "les magasins") un relationnel étroit " ; qu'aucun élément ne contredit cette affirmation ;

Considérant qu'il est constant que " Les Muletiers " sont une marque de vins de pays de l'Ardèche ; que la promotion des vins UVICA auprès de la centrale d'achat régionale des Docks d'Emerainville est une opération du même " genre " que, ou similaire à, la vente de vins UVICA à Auchan, même d'un autre vin et sous une autre marque ;

Considérant que la centrale d'achats régionale Les Docks de France Paris " Les Docks d'Emerainville ", appartenant au Groupe Paridoc, était, comme dit ci-dessus, entre autres, concernée par l'approvisionnement des magasins Atac ; que la cour a constaté dans l'arrêt susvisé seulement partiellement cassé qu'après le rachat de Paridoc en 1996 par Auchan, celle-ci a mis en place une gestion nationale de commercialisation des produits de l'UVICA notamment en référençant le vin Muletiers Rouge dans tous les supermarchés Atac de France en 1997 ; qu'il y a bien eu apport de la clientèle d'Atac, ou de sa centrale d'achat, par Monsieur Chabernaud du fait du premier référencement des Muletiers grâce à lui, à UVICA, au niveau régional, développée ensuite au niveau national par Auchan et UVICA ; que l'article L. 134-6 alinéa 1er in fine du Code de commerce ne distingue pas entre l'apport partiel, ou régional, et total, ou national, de clientèle ; qu'il suffit aux termes de ce texte que la clientèle ait été obtenue par l'agent pour " des " opérations du même " genre ", c'est-à-dire similaires pour qu'il ait droit à commission sur toutes lesdites opérations commerciales conclues postérieurement entre le mandant, en l'espèce UVICA, et le client " tiers ", en l'espèce Auchan exploitant Atac ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire droit aux demandes de Monsieur Chabernaud relatives aux commissions sur les ventes Pierre Chanau pour lesquelles le calcul de ce dernier n'est pas contesté de manière précise et circonstanciée et de restitution de la somme de 3 006,44 euro qui concerne les mêmes commissions ;

Considérant qu'en revanche, sous couvert de dommages et intérêts, Monsieur Chabernaud demande en fait des indemnités complémentaires au titre de commissions, qui sont hors la saisine de la cour de renvoi ; qu'au surplus, il ne justifie pas du montant de sa demande ; que la cour ne peut y faire droit ;

Considérant qu'il n'y a pas non plus lieu de faire droit à la demande de communications de pièces en vue du calcul d'éventuelles commissions complémentaires au titre de vente de vins sous la marque Pierre Chanau ; que cette communication, qui impliquerait une réouverture des débats pour en tirer des conséquences aurait dû être demandée et, le cas échéant, effectuée, dans le cadre de la mise en état ; qu'il est de bonne administration de la justice de trancher définitivement ce litige ancien ; qu'il n'y a pas non plus lieu à complément d'expertise, laquelle n'a pas pour objet de palier la carence des parties dans l'administration de la preuve ;

Considérant qu'il est équitable d'accorder à Monsieur Chabernaud la somme de 6 000 euro pour ses frais irrépétibles d'appel au titre du présent arrêt ;

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Chabernaud de sa demande au titre de commissions sur les ventes de produits de la marque Pierre Chanau et en ce qu'il l'a condamné à payer à l'UVICA la somme de 3 006,44 euro au titre du trop-perçu de ce chef ; Condamne l'UVICA à payer à Monsieur Chabernaud les sommes de 11 324 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 12 juin 2001 capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil à compter du 2 juillet 2002, 3 006,44 euro avec intérêts au taux légal à compter de la compensation valant paiement opérée par le jugement du 19 octobre 2004, capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil, et 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Met à la charge de l'UVICA les dépens d'appel afférents au présent arrêt qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.