CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 1 juin 2011, n° 09-13364
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Auto Ritz (SA)
Défendeur :
Société commerciale Citroën
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mmes Imbaud-Content, Blum
Avoués :
SCP Grappotte-Benetreau, Petit-Jumel, SCP Oudinot, Flauraud
Avocats :
Mes Bertin, Munnier
Faits et procédure :
La société Auto Ritz, société familiale, était concessionnaire automobile de la marque Citroën 23 boulevard Arago 75013 Paris suivant contrat de concession conclu avec le constructeur Automobiles Citroën ;
Après avoir, suivant courrier du 19 juin 2002, proposé de lui racheter sa concession, suivant certaines conditions financières et juridiques énoncées dans ce courrier, la société commerciale Citroën filiale à 100 % de Automobiles Citroën a ouvert le 1er juillet 2002 une nouvelle succursale 133-139 avenue d'Italie dénommée succursale Paris Italie ;
Courant 2005, la société Auto Ritz était avertie par le propriétaire des locaux abritant son exploitation de son intention de céder ses biens immobiliers et parallèlement, la société Automobiles Citroën l'informait de ce que faute par elle de satisfaire aux critères de sélection requis pour la distribution et la réparation automobiles, elle verrait son contrat résilié (courriers du 31 octobre 2005 et du 18 octobre 2005) ;
La société Auto Ritz obtenait cependant de la société Automobiles Citroën la poursuite des contrats de concession jusqu'au 30 avril 2006 ;
Invoquant que par la suite et du fait que la société commerciale Citroën était devenue l'unique représentant de la marque Citroën à Paris en exclusivité à compter du 1er mai 2006, la société Auto Ritz s'appuyant sur les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail a fait savoir à la société commerciale Citroën qu'elle devait être considérée comme l'employeur de tous les salariés affectés au sein de la société Auto Ritz prise comme entité économique constituée par la représentation de la marque Citroën en qualité de réparateur et de distributeur agréé et l'a ainsi mise en demeure de faire face à ses obligations à l'égard des salariés en poursuivant leurs contrat de travail, une liste de personnel étant annexée à cette lettre (courrier de la société Auto Ritz du 27 février 2006).
L'avocat de la société commerciale Citroën y a répondu que la société commerciale Citroën n'envisageait pas de reprendre les activités exercées par la société Auto Ritz puisqu'il n'y avait plus aujourd'hui de zone territoriale réservée en application du règlement d'exemption n° 1400-2002 de sorte que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code de travail ne pouvaient trouver à s'appliquer, à défaut de transfert d'une unité économique autonome conservant son identité à la société commerciale Citroën (courrier de la société commerciale Citroën du 3 mars 2006).
La société Auto Ritz a répondu que l'argument tiré de l'application du règlement d'exception était inopérant dès lors que dans les faits, une exclusivité territoriale sur Paris était conférée à la société commerciale Citroën.
Après avoir assigné devant le conseil des prud'hommes la société commerciale Citroën et l'ensemble de ses salariés, la société Auto Ritz a décidé à titre purement conservatoire de notifier aux salariés une mesure de licenciement économique.
Parallèlement, quelques jugements de conseils de prud'hommes saisis par des salariés ont estimé que l'article L. 122-12 du Code de travail n'était pas applicable et condamné la société Auto Ritz à payer diverses sommes à la suite du licenciement des salariés tandis que d'autres jugements après départage ont considéré au contraire que l'article L. 122-12 du Code de travail était applicable.
Appel de l'ensemble de ces décisions étaient formés.
Parallèlement à ces procédures prud'homales, la société Auto Ritz a saisi le tribunal de commerce qui s'est déclaré compétent ; sur contredit formé par la société commerciale Citroën, cette cour a, par arrêt du 15 novembre 2006, rejeté le contredit, estimant qu'à bon droit, le tribunal de commerce avait retenu sa compétence pour trancher le litige né d'une contestation entre commerçants, à l'occasion de l'exercice ou de la cessation de leurs activités commerciales ;
Par jugement au fond du 11 mai 2009, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Auto Ritz de toutes ses demandes à l'encontre de la société commerciale Citroën, la condamnant à lui payer la somme de 7 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur appels des jugements des conseils de prud'hommes, cette cour par arrêt du 21 septembre 2010 a jugé au contraire que la vente de véhicules neufs de la marque Citroën, la vente de pièces de rechange, ainsi que la réparation et l'entretien de véhicules de ladite marque au sein de la société Auto Ritz constituaient bien des entités économiques autonomes caractérisées par l'affectation d'un personnel spécialisé au sein de chaque activité, l'attribution de locaux spécifiques pour l'exercice de celle-ci et la poursuite d'un objectif propre défini par l'objet de l'activité. Que postérieurement au 1er mai 2006, ces différentes activités se sont poursuivies au sein de la société commerciale Citroën ; la cour en a tiré comme conséquence que les contrats de travail des salariés de la société Auto Ritz ont été transférés de plein droit au sein de la société commerciale Citroën.
Dans les instances où la société commerciale Citroën n'avait pas été mise en cause, la cour a condamné la société Auto Ritz à indemniser les salariés en retenant que ceux ci pouvaient indifféremment demander au repreneur la poursuite du contrat de travail ou à l'auteur du licenciement la réparation du préjudice en résultant, à charge par ce dernier de se retourner contre la société considérée comme repreneur, la société commerciale Citroën ;
La société Auto Ritz demande à la cour d'infirmer le jugement déféré du Tribunal de commerce de Paris du 11 mai 2009 et statuant à nouveau, de dire et juger que la société commerciale Citroën a commis une faute inadmissible en se soustrayant de façon déloyale et avec une mauvaise foi inégalée aux obligations légales mises à sa charge par les dispositions d'ordre public édictées par l'article L. 1224-1 du Code de travail (ancien article L. 122-12), de dire et juger qu'elle a ainsi lourdement engagé sa responsabilité au préjudice de la société Auto Ritz, de dire et juger qu'elle devra donc être condamnée à réparer intégralité du préjudice subi ;
Elle demande en conséquence condamnation de la société commerciale Citroën à lui payer les sommes suivantes :
- 133 932,13 euro
- 191 429,11 euro
- 91 038,86 euro
- 515 467,11 euro,
Outre les sommes de 50 000 euro et de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts complémentaires, et la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Grappotte Benetreau Jumel avoués ;
La société commerciale Citroën demande à la cour de la dire bien recevable et bien fondée et de débouter la société Auto Ritz de ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens avec droit de recouvrement au profit de la SCP Oudinot Flauraud avoués.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs conclusions signifiées le 21 janvier 2011 par la société Auto Ritz et le 16 février 2011 par la société commerciale Citroën ; leurs moyens seront examinés au cours de la discussion;
Sur ce,
L'arrêt de cette cour du 21 septembre 2010 qui a dit que les contrats de travail des salariés de la société Auto Ritz ont été transférés à la société commerciale Citroën laquelle n'a formé aucun recours contre cette décision est aujourd'hui définitif ;
Vainement la société commerciale Citroën invoque-t-elle que la société Auto Ritz a choisi de se placer sur un terrain social en ce qui concerne le transfert des contrats de travail de ses salariés tout en réclamant une indemnité d'éviction pour la perte de son fonds à son bailleur (sans du reste qu'elle justifie du montant transigé avec celui-ci) alors qu'elle n'a pas respecté les modalités imposées par la marque pour pouvoir bénéficier d'un contrat de distribution sélective comme désormais instauré par le dernier règlement d'exemption applicable en matière tant de distribution de véhicules neufs que de réparations.
En effet, la cour n'a pas à statuer sur le point de savoir si la société Auto Ritz remplissait les critères de distribution sélective pour pouvoir continuer à vendre des véhicules neufs ou des pièces détachées et réparer des véhicules de marque Citroën dès lors d'une part que la société Auto Ritz avait obtenu que le contrat de concession exclusive qui la liait à la marque Citroën soit poursuivi jusqu'au 30 avril 2006, date à compter de laquelle la société Auto Ritz a cessé son activité et d'autre part que cette cour, par plusieurs arrêts du 21 septembre 2010, a considéré que nonobstant l'application du règlement d'exemption, la société commerciale Citroën devait être considérée comme le repreneur de l'unité de production autonome que constituait la société Auto Ritz de sorte que les contrats de travail des salariés lui étaient transférés, ce qui n'est plus contesté ;
Les sommes dont la société Auto Ritz demande paiement sont d'ailleurs principalement celles consécutives au licenciement de son personnel dont elle est fondée à réclamer remboursement à la société commerciale Citroën :
- qu'il s'agisse des indemnités qu'elle a payées en exécution des arrêts du 21 septembre 2010 aux salariés qui n'ont pas appelé en cause la société commerciale Citroën soit les sommes payées aux salariés Bouziane, Ben Maria, Marchand, Cattelin, et François pour un montant de 121 524,20 euro dont elle justifie et qui n'est pas critiqué.
- qu'il s'agisse des indemnités qu'elle a payées au salarié Bruneaux en exécution de l'ordonnance de référé, en l'absence de toute demande du salarié au fond pour un montant justifié de 8 127,54 euro;
- qu'il s'agisse des salaires payés aux salariés Nemouthe et Canena qui n'ont formé aucune demande en justice durant leur préavis,
- qu'il s'agisse enfin des charges sociales dont elle s'est acquittée auprès des organismes sociaux pour un montant réduit à 181 923,23 euro selon l'erreur admise par la société Auto Ritz dans une pièce communiquée aux débats ayant consisté à additionner montants bruts des préavis versés à certains salariés et charges salariales et patronales (tableau 4.3);
Ces sommes déterminées dans leur montant produiront intérêts au taux légal à compter de leur versement et jusqu'au remboursement par la société commerciale Citroën dès lors que c'est à tort en définitive que la société Auto Ritz en a assumé le paiement au lieu et place de la société commerciale Citroën.
S'agissant des frais et honoraires dont la société Auto Ritz demande le remboursement, elle expose qu'elle a dû faire face à de nombreux frais à l'occasion des procédures judiciaires mises en œuvre, qu'il s'agisse de ses frais d'avocat mais également de frais exposés pour parvenir à établir la réalité du transfert de l'unité de autonome que constituait la société Auto Ritz à la société commerciale Citroën qui s'adressait à la même clientèle ;
Toutefois, cette demande n'est fondée que pour partie, et pour partie elle est excessive ou est sans rapport avec l'objet du litige.
En effet, à l'occasion des différentes procédures prud'homales l'ayant opposée à différents salariés et ou la société commerciale Citroën avait été appelée à la cause, la société Auto Ritz a sollicité et obtenu en cause d'appel condamnation de la société commerciale Citroën à son profit sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure ; en conséquence, il doit être considéré qu'il a déjà été statué en grande partie sur la demande globale que la société Auto Ritz forme aujourd'hui et qui tend à ce qu'elle soit indemnisée des frais irrépétibles exposés pour parvenir à établir le transfert des contrats de travail de ses salariés à la société commerciale Citroën.
La société Auto Ritz n'est ainsi fondée qu'à solliciter paiement des frais irrépétibles exposés à l'occasion des litiges l'opposant à ses salariés dans lesquels la société commerciale Citroën n'avait pas été appelée en cause ;
A cet égard, il doit être observé que certaines dépenses dont elle fait état sont sans lien direct avec l'objet du litige, comme le règlement des honoraires du commissaire au compte concernant la procédure d'alerte ;
De même les frais annexes de restaurant que la société Auto Ritz a exposés pour ses avocats ne correspondent pas à des frais obligatoirement dus par le client à son conseil.
Il y lieu en conséquence au visa des pièces produites d'allouer à la société Auto Ritz au titre des frais et honoraires qu'elle a dû exposer à l'occasion des procédures dans lesquelles la société commerciale Citroën n'était pas partie la somme de 20 000 euro.
Au surplus, la société Auto Ritz fait valoir que, en refusant de poursuivre les contrats des salariés, la société commerciale Citroën a commis une faute inexcusable puisqu'elle savait qu'elle avait récupéré l'intégralité de la clientèle de la société Auto Ritz et que les dispositions d'ordre public du Code du travail étaient applicables mais n'a pas hésité à nier cette évidence en cherchant à se constituer des preuves en toute déloyauté, privant les salariés de leur emploi et faisant encourir la mort de la société Auto Ritz et mettant en péril la santé physique de son dirigeant.
Or il faut souligner que la société commerciale Citroën a obtenu gain de cause en première instance devant le tribunal de commerce, que plusieurs décisions prud'homales avaient de même refusé de lui faire application des dispositions de l'article L. 122-12 du Code de travail aujourd'hui L. 1224-1 ;
La société commerciale Citroën a pu ainsi sans mauvaise foi de sa part estimer, quoiqu'à tort, qu'elle était fondée à créer une unité commerciale concurrente sans fraude et sans être considérée comme le repreneur de la société Auto Ritz dès lors que celle-ci n'avait pas justifié des critères pour bénéficier d'une distribution sélective, que le contrat de concession exclusive la liant à la société des Automobiles Citroën était résilié et qu'elle était en négociation avec son bailleur pour obtenir une indemnité d'éviction de son fonds pouvant inclure sur justificatifs les frais de licenciement, indemnité que la société Auto Ritz a d'ailleurs obtenue par la négociation avec son bailleur.
La résistance de la société commerciale ne peut donc être qualifiée d'abusive, l'exercice d'une action ne pouvant dégénérer en faute qu'en cas d'abus manifeste dont la démonstration est d'autant moins faite que le montant des frais et honoraires réclamés par la société Auto Ritz qui ne peut être que proportionnel à la difficulté du litige est lui-même important et établit le sérieux du débat juridique et des moyens de chaque partie ;
Au surplus, le préjudice personnel du dirigeant de la société Auto Ritz outre qu'il n'est pas établi qu'il soit en lien direct avec le litige n'est pas celui de la société Auto Ritz qui est seule en cause.
Il s'ensuit que la société Auto Ritz qui n'établit pas la faute de la société commerciale Citroën à son égard ne peut se voir allouer de dommages-intérêts.
Les dépens de première instance et d'appel resteront à la charge de la société commerciale Citroën qui succombe et ne peut se voir allouer de somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; elle paiera à la société Auto Ritz une somme de 10 000 euro sur ce fondement.
Par ces motifs, Vu les arrêts de cette cour (chambre 10 pôle 6) en date des 21 septembre 2010, Infirme le jugement déféré, Condamne la société commerciale Citroën à payer à la société Auto Ritz les sommes suivantes : * 133 932, 13 euro,* 181 923, 23 euro avec intérêts au taux légal à compter du paiement de ces sommes par la société Auto Ritz et jusqu'à la date de remboursement desdites sommes par la société commerciale Citroën, Condamne la société commerciale Citroën à payer à la société Auto Ritz la somme de 20 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés à l'occasion des procédures l'ayant opposé à certains de ses salariés, Déboute la société Auto Ritz de ses demandes en dommages-intérêts, Déboute la société commerciale Citroën de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Commerciale Citroën aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Grappotte Benetreau Jumel avoués et à payer à la société Auto Ritz la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.