Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-15.754
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
SNCM (SA)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Président de l'Autorité de la concurrence, Procureur général, Corsica ferries France (SAS), Compagnie méridionale de navigation (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Baraduc, Duhamel, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Sur le premier moyen : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 mars 2010), que par délibération du 24 mars 2006, la collectivité territoriale de Corse a chargé l'Office des transports de la Corse (OTC) de lancer une procédure d'appel d'offres en vue de l'attribution des délégations de service public pour la desserte maritime de l'île à partir de Marseille pour une durée de 6 ans à compter du 1er janvier 2007 ; que le 27 mai 2006, un avis d'appel à la concurrence a été publié au Journal officiel de l'Union européenne ; que quatre offres ont été déposées auprès de l'OTC, l'une de la société nationale Corse Méditerranée (la SNCM) portant sur l'ensemble des lignes, une autre de la société Corsica Ferries portant sur certaines lignes avec des options différentes, une troisième de la Compagnie méridionale de navigation (la CMN) comprenant six propositions individuelles avec des modalités différentes et la dernière provenant d'un groupement momentané entre la CMN et Corsica Ferries ; qu'après l'ouverture des plis, les deux dernières offres ont été écartées et le président de l'OTC a entamé une négociation avec la SNCM pour l'ensemble des cinq lignes et avec Corsica Ferries pour deux lignes ; que les 19 septembre et 23 octobre 2006, la CMN et Corsica Ferries ont saisi le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), en dénonçant des faits susceptibles de constituer des pratiques anticoncurentielles dans le cadre de cet appel d'offres et en demandant des mesures conservatoires ; que parallèlement, la société Corsica Ferries a saisi le juge administratif de deux référés précontractuels, qui ont abouti à l'annulation par le Conseil d'État de la procédure de passation de la délégation de service public par un arrêt du 15 décembre 2006 ; qu'après avoir, par une décision du 11 décembre 2006, jugé irrecevable la saisine en tant qu'elle dénonçait une entente anticoncurrentielle imputée à la collectivité territoriale de Corse, à l'OTC et à la SNCM, et prononcé des mesures conservatoires, le Conseil de la concurrence a, par une décision n° 09-D-10 du 27 février 2009, considéré que la SNCM avait, en infraction aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, commis un abus de position dominante sur le marché du renouvellement de la délégation de service public entre Marseille et la Corse en déposant, lors de l'appel d'offres pour le renouvellement de ce marché, une seule offre globale et indivisible qui avait pour objet et pour effet d'exclure les autres soumissionnaires du marché et lui a infligé une sanction pécuniaire ;
Attendu que la SNCM fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours contre la décision, alors, selon le moyen : 1°) qu'en soumettant les délégations de service public à une procédure spéciale permettant "la présentation de plusieurs offres concurrentes", l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales, issu de la loi n° 2001 du 11 décembre 2007 "relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques", a précisément pour objet de favoriser un égal accès des candidats à l'octroi des délégations de service public ; qu'il incombe à l'autorité délégante, sous le contrôle de la juridiction administrative et notamment du juge des référés contractuels, de faire, elle-même, respecter ce principe en particulier en vérifiant la conformité des offres à la publicité émise ou en invitant les candidats à les modifier ; qu'en estimant cependant que, même en l'absence de comportement étranger à la présentation de l'offre, il serait de sa propre compétence de se prononcer sur le grief tiré de ce que l'offre de la SNCM retenue par l'autorité délégante " avait pour objet ou pour effet d'exclure les autres soumissionnaires du marché ", le Conseil de la concurrence et la cour d'appel se substituent à l'administration compétente et excèdent leurs pouvoirs en violation du texte susvisé, des articles L. 461-1 ainsi que L. 462-6 du Code du commerce et de l'article 86 du traité CE ; 2°) que dans son arrêt du 15 décembre 2006, le Conseil d'État a précisément jugé qu'il appartenait à l'autorité délégante et au juge des référés administratifs de rechercher si les insuffisances de l'offre de la SNCM ne faisaient pas obstacle à sa conformité aux exigences du cahier des charges et n'étaient pas de nature à avoir une " influence sur la comparaison avec les autres candidats", de sorte qu'en décidant qu'il appartiendrait à l'Autorité de la Concurrence d'examiner à l'identique si " le comportement de l'entreprise qui se positionne sur ce marché par sa réponse à l'appel d'offre, n'était pas de nature à exclure les autres candidats", la cour d'appel, qui reconnaît qu'il s'agit des " mêmes faits " et du " même contexte constitué par le règlement particulier de l'appel d'offre", organise une dualité de compétence et de droit entre les juridictions civiles et administratives en violation du principe de la séparation des pouvoirs exprimé dans la loi des 17/24 août 1789, de l'article L. 551-1 du Code de la justice administrative et des articles L. 462-6 ainsi que L. 461-1 du Code du commerce ; 3°) que l'examen de la validité d'une offre par rapport à un appel d'offre n'est pas dissociable du contenu du règlement élaboré à cette fin ; qu'en présence d'un règlement d'appel d'offre précisant, en l'espèce, que "les candidats qui présenteraient une offre globale bénéficieraient d'une prise en compte privilégiée, ce qui n'exclut pas la possibilité de présenter des offres par ligne", la cour d'appel qui, sans s'arrêter à l'appréciation du Conseil d'Etat selon laquelle la formulation par la SNCM d'une "offre globale", présentée de façon indivisible et ne comportant pas les précisions nécessaires, ne constituait qu'une simple irrégularité relevant du contrôle normal de l'autorité délégante, décide que l'offre de la SNCM serait constitutive d'un abus de position dominante relevant des compétences propres du Conseil de la concurrence, et ne s'explique aucunement, comme elle y était invitée, sur le caractère détachable de l'offre litigieuse par rapport à la procédure de dévolution, prive sa décision de toute base légale au regard de des articles L. 420-2 et L. 462-6 du Code du commerce et L. 411-1 du Code général des collectivités territoriales ; 4°) que selon les conclusions de la SNCM, le Conseil de la concurrence, à défaut de pouvoir incriminer directement une entente entre OTC et le délégataire sortant, avait artificiellement, en vue de qualifier un prétendu abus de position dominante, reporté sur l'offreur les supposées atteintes à la concurrence, imputables en réalité à l'organisation de la consultation, et que cette démarche caractérisait bien le caractère " non détachable " du comportement de l'offreur ; qu'en se bornant a énoncer, de façon ambigüe, que si le juge administratif est compétent pour apprécier la légalité de l'appel d'offre, le Conseil de la concurrence demeure compétent pour apprécier, au regard du droit de la concurrence, le comportement des entreprises "qu'elles prennent, ou non, le parti de répondre" à une telle procédure d'appel d'offre, la cour d'appel, qui évite ainsi de se prononcer sur la nature réelle des liens entre l'offreur et l'offrant, viole l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève qu'en l'espèce, le Conseil d'État a recherché si l'autorité délégante avait respecté ses obligations et que de son côté le Conseil de la concurrence a apprécié le comportement de la SNCM au regard des seules règles du droit de la concurrence, sans se prononcer sur la légalité de l'appel d'offres, ni même sur sa conformité au regard de ces règles ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer davantage sur le caractère détachable de l'offre par rapport à la procédure de dévolution ni à suivre la société SNCM dans le détail de son argumentation inopérante visée par la quatrième branche du moyen, a, sans excéder ses pouvoirs, exactement déduit que l'intervention du juge administratif pour apprécier la régularité d'un acte administratif dans le cadre de l'appel d'offres ne fait pas obstacle à la compétence de l'Autorité pour examiner, sans se prononcer sur d'éventuelles irrégularités de l'appel d'offres, des comportements susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre à l'occasion de la réponse des entreprises ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et attendu que les deuxième et troisième moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.