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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 mai 2011, n° 08-05720

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Faiveley Transport Remscheid GmbH (SARL)

Défendeur :

Ibre (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Touzery-Champion, Pomonti

Avoués :

SCP Baufume Galland Vignes, SCP Bommart-Forster-Fromantin

Avocats :

Mes Challamel, Moitié

T. com. Sens, du 4 mars 2008

4 mars 2008

La société ZF Masson de droit français est une entreprise à vocation industrielle, divisée en deux secteurs d'activités distincts dont l'un se rapporte à la fabrication et l'usinage de disques de frein pour le secteur ferroviaire, selon des procédés techniques ayant pour origine un brevet de surmoulage, propriété du groupe Pont à Mousson vers 1970, et qui comprend de 40 à 50 salariés pour environ 10 millions d'euro de chiffre d'affaires.

Le 3 avril 2002, elle conclut avec la société de droit allemand Sab Wabco BSI - filiale de la société de droit suédois Sab Wabco -, spécialisée dans la fabrication de disques de freins pour l'industrie ferroviaire, diverses conventions pour le prix de 2,5 millions d'euro payable à tempérament,

1) un contrat de cession d'actif par lequel la société Sab Wabco BSI devenait propriétaire

- des clients et fournisseurs de l'activité Frein Ferroviaire avec le droit de se présenter comme successeur du vendeur,

- des brevets du vendeur, dessins, marques et autres droits de propriété industrielle, enregistrés ou non,

- de toutes les informations techniques ou commerciales qui sont relatives de n'importe quelle manière à l'activité frein ferroviaire ainsi que tous les supports corporels contenant ces informations,

et bénéficiait d'une option pour le rachat des moules et outillages de l'activité de fonderie et d'usinage de la société ZF Masson moyennant le paiement d'une somme minimale de 50 000 euro hors taxes.

2) un contrat de fabrication de disque de frein expirant au 31 décembre 2006, par lequel la société ZF Masson devenait le sous-traitant d'un unique client la société Sab Wabco BSI

3) un contrat de licence d'exploitation des droits de propriété intellectuelle et de savoir-faire, accessoire du contrat de fabrication

4) un contrat d'assistance technique mettant à disposition de la société Sab Wabco BSI, pendant une durée de 12 mois, certains salariés " clés " de la société ZF Masson.

Le 16 novembre 2004, la société anonyme Faiveley Transport France, société de tête du groupe Faiveley, qui est un des leaders mondiaux parmi les fournisseurs de systèmes et de services à l'industrie ferroviaire, se porte acquéreur de la société de droit suédois Sab Wabco (société mère de la société Sab Wabco BSI) l'un des leaders européens des systèmes de freinage pour l'industrie ferroviaire.

Le 7 juin 2005, le Tribunal de commerce de Sens prononce l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société ZF Masson. Au cours de la période d'observation, aucune solution de redressement par voie de continuation n'est proposée par l'actionnaire de ZF Masson et aucun des acteurs du secteur ne se déclare intéressé par la division ferroviaire.

Le 27 septembre 2005, la société Sab Wabco BSI - adoptant la dénomination de Faiveley Transport Remscheid GmbH - lève l'option d'achat de la propriété des modèles et outillages de la société ZF Masson consentie le 3 avril 2002 pour la somme de 50 000 euro, mais se refuse à reprendre le site et le personnel.

Pour sauver l'activité et les emplois attachés à la division ferroviaire, Monsieur Davion, ancien responsable de l'activité freins fonderie au sein de la société ZF Masson, et trois cadres de l'entreprise, s'associent pour constituer une société nouvelle dénommée SARL Ibre.

L'administrateur judiciaire, en accord avec les conseils du groupe Faiveley et du groupe ZF Masson, négocie, d'une part la possibilité pour la société Ibre de poursuivre la fabrication de disques de freins dans le cadre de nouvelles commandes à passer entre ces deux sociétés Faiveley Transport Remscheid GmbH et la SARL Ibre et, d'autre part le financement par le groupe ZF des moules et outillages à hauteur de 80 000 euro permettant à la SARL Ibre d'effectuer de nouvelles fabrications. Par jugement du 3 novembre 2005, le Tribunal de commerce de Sens arrête au profit de la société Ibre un plan de cession partiel de l'activité fonderie/usinage freins formant une branche complète et autonome d'activité.

La société Ibre, créée le 15 novembre 2005, développe alors sa propre gamme de disques de frein, passe les tests et reçoit les agréments nécessaires des entreprises et administrations du secteur ferroviaire.

Estimant que la société Ibre s'est appropriée de manière frauduleuse son savoir-faire et que cette appropriation est constitutive de concurrence déloyale, la société Faiveley Transport Remscheid GmbH fait assigner cette dernière, par acte en date du 20 février 2007, devant le Tribunal de commerce de Sens, lequel par jugement du 4 mars 2008 :

- déboute la société Ibre de son exception d'irrecevabilité,

- dit que la société Faiveley Transport Remscheid GmbH est recevable en son action,

- dit que la société Ibre ne s'est pas appropriée le savoir-faire de la société Faiveley Transport Remscheid GmbH de manière frauduleuse et que son action ne saurait constituer une concurrence déloyale,

- déboute la société Faiveley Transport Remscheid GmbH de toutes ses demandes,

- dit que la société Faiveley Transport Remscheid GmbH s'est rendue coupable de dénigrement à l'encontre de la société Ibre,

- condamne la société Faiveley Transport Remscheid GmbH à payer à la société Ibre, à titre de dommages et intérêts, les sommes de:

- 20 000 euro représentant le trouble commercial,

- 300 000 euro correspondant au manque à gagner résultant de la captation de clientèle,

- 30 000 euro pour procédure abusive,

- ordonne la publication du présent jugement, aux frais de la société Faiveley Transport Remscheid GmbH, dans les journaux suivants: International Railway Journal,

La Vie du Rail, Railway Gazette International, BahnZeit, à concurrence de 5 000 euro par insertion, et ce, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard, passé un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement sous le titre en gras : " A la demande de la société Ibre, la société Faiveley Transport Remscheid GmbH a été déboutée et condamnée pour des faits de concurrence déloyale par jugement du Tribunal de commerce de Sens du 4 mars 2008 dans les termes suivants... ",

- ordonne l'exécution provisoire du jugement,

- condamne la société Faiveley Transport Remscheid GmbH à payer la somme de 15 000 euro à la société Ibre en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.

Selon ordonnance du 14 mai 2008 , le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire des mesures de publication ordonnées par les premiers juges et la production par la société Ibre d'une caution bancaire d'un montant de 365 000 euro pour la poursuite de l'exécution provisoire relativement aux condamnations pécuniaires.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 14 octobre 2010, la société Faiveley Transport Remscheid GmbH, devenue Faiveley Transport Witten GmbH, (ci-après Faiveley), appelante, demande :

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Sens le 4 mars 2008,

- de juger, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil, que la société Ibre s'est appropriée de manière frauduleuse son savoir-faire et que cette appropriation frauduleuse est constitutive de concurrence déloyale,

- de condamner la société Ibre à l'indemniser en lui versant à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes :

- au titre du manque à gagner résultant de l'appropriation frauduleuse de son savoir-faire une somme qui, sauf à parfaire, ne saurait s'établir à moins de 112 790 euro,

- au titre du trouble commercial une somme qui, sauf à parfaire, ne saurait s'établir à moins de 100 000 euro,

- de condamner la société Ibre à lui verser la somme de 20 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 15 décembre 2009, la Sarl Ibre, intimée formant appel incident, demande de :

- débouter la société de droit allemand Faiveley Transport Witten GmbH de l'ensemble de ses demandes,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Sens en ce qu'il a prononcé la condamnation de la société de droit allemand Faiveley Transport Witten GmbH à lui verser à titre de dommages et intérêts la somme de 20 000 euro pour trouble commercial,

- porter cette condamnation pour trouble commercial à la somme de 150 000 euro,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Sens en ce qu'il a prononcé la condamnation de la société de droit allemand Faiveley Transport Witten GmbH à lui régler à titre de dommages et intérêts la somme de 300 000 euro pour manque à gagner résultant de la captation de clientèle,

- porter cette condamnation pour manque à gagner résultant de la captation de clientèle à la somme de 676 000 euro,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- condamner la société de droit allemand Faiveley Transport Witten GmbH à lui payer la somme de 20 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

Sur la concurrence déloyale invoquée par la société Faiveley

Considérant que la société Faiveley revendique un savoir-faire en matière de fabrication de freins à disques ferroviaires, acquis de la société ZF Masson et transféré à son profit au terme du contrat d'acquisition conclu le 3 avril 2002 entre Sab Wabco BSI (devenue depuis lors Faiveley Transport Witten GmbH) et la société ZF Masson; qu'elle prétend que ce savoir-faire est matérialisé par les plans et spécifications techniques qu'elle conçoit et qu'il constitue un ensemble d'informations "secret, substantiel et identifié " au sens de la réglementation communautaire; qu'elle estime que ce savoir-faire litigieux n'a jamais été compris dans le périmètre de la reprise des actifs de la société ZF Masson par la société Ibre ainsi qu'il ressort de la motivation du jugement du 3 novembre 2005 du tribunal de commerce de Sens lequel a exclu ce savoir-faire litigieux de la cession partielle; qu'elle entend donc sur le fondement de l'article 1382 du Code civil voir sanctionner l'appropriation frauduleuse d'un savoir légitimement acquis auprès de ZF Masson et les agissements anticoncurrentiels de la société Ibre, qui consistent à utiliser ce savoir-faire afin de répondre aux demandes des différents opérateurs ferroviaires européens et à présenter des offres à des prix inférieurs aux siens ;

Considérant que la Sarl Ibre réplique que la société Faiveley Transport tente de se comporter en propriétaire d'un droit réel sur le savoir-faire de ZF Masson, que le contrat de licence de savoir-faire, accessoire au contrat de fabrication, conclu entre les sociétés Faiveley Transport et ZF Masson, est nul pour défaut d'objet puisque le savoir-faire communiqué n'a en réalité pas quitté le patrimoine de cette dernière; qu'elle objecte que les uniques repreneurs des activités ferroviaires de la société ZF Masson sont ceux désignés par le tribunal de commerce de Sens, à savoir elle-même; qu'elle considère que le savoir faire, en tant qu'élément incorporel attaché à la branche d'activité, n'a jamais quitté le patrimoine de la société ZF Masson, qu'il est compris dans le périmètre de la reprise, puisqu'elle a vocation à poursuivre l'exploitation de la branche d'activité fonderie/usinage freins ; qu'elle nie avoir commis des actes de concurrence déloyale puisque disposant d'un savoir-faire légitimement acquis, elle a pu créer et fabriquer des nouveaux disques de freins répondant aux besoins des opérateurs ferroviaires ;

Considérant que les parties s'accordent sur le fait que la société Pont à Mousson était à l'origine propriétaire d'un brevet tombé dans le domaine public; que la société Faiveley se prévaut de plans de fabrication et spécifications techniques combinés avec une technologie de disques de freins précédemment brevetés, constituant son savoir-faire ; qu'elle ne revendique pas, contrairement à ce que tente de faire croire la société Ibre, un droit réel sur ce savoir-faire, qui n'appartient pas à la catégorie des droits privatifs ;

Considérant qu'à tort également cette dernière soulève la nullité du contrat de licence de savoir-faire par défaut d'objet, puisque selon elle, ce savoir-faire est resté dans le patrimoine de ZF Masson, la société Faiveley n'ayant jamais été le successeur de cette dernière, pour n'avoir acheté ni ses actions ni son fonds de commerce; qu'elle explique que le seul repreneur est celui désigné par le Tribunal de commerce de Sens, qui a homologué en sa faveur une cession partielle d'activité dans un jugement du 3 novembre 2005 à l'encontre duquel la société Faiveley n'a pas diligenté d'appel ;

Que le règlement de la Commission n° 240-1996-CE du 31 janvier 1996, (applicable lors de la signature des contrats litigieux) concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3 du traité CE relatif à des catégories d'accords de transfert de technologie définit le savoir faire comme 'un ensemble d'informations techniques qui sont secrètes, substantielles et identifiées de toute manière appropriée' ;

Qu'au cas particulier, aux termes des contrats de cession d'actifs du 3 avril 2002 passés entre les sociétés ZF Masson et Sab Wabco BSI, notamment du contrat intitulé "Licence agreement" (dont la traduction très partielle ne fait l'objet d'aucune contestation) que cette dernière a acquis :

- les brevets du vendeur, dessins, marques et autres droits de propriété intellectuelle enregistrés ou non,

- toutes les informations techniques ou commerciales qui sont relatives de n'importe quelle manière à l'activité frein ferroviaire (incluant sans limitation, l'information contenue dans les dessins, les spécifications, les manuels de fabrication, les manuels d'utilisation et de service, les résultats, les études de marché, les listes de clients et de fournisseurs, les états financiers et de comptabilité) ainsi que tous les supports corporels contenant ces informations ;

Que les juges consulaires dans leur décision du 3 novembre 2005 précisent en page 3 que la société Sab Wabco a racheté le 3 avril 2002 une partie du fonds de commerce de la société ZF Masson comprenant les comptes clients, le savoir faire, plans et spécifications techniques ;

Que si à juste titre la société Ibre se prévaut de l'absence d'appropriation possible du savoir-faire, de laquelle il résulte que le concept de "contrat de licence de savoir faire" est juridiquement inexact dans la mesure où la cession, soumise aux règles de la vente, est une opération translative de droits réels, il n'en reste pas moins que les connaissances constituant le savoir-faire sont transmissibles, c'est-à-dire susceptibles d'être transmises par communication et sont protégeables par une action en responsabilité fondée sur l'article 1382 du Code civil ; que la protection n'est donc pas fondée sur l'atteinte à un droit privatif mais sur la faute commise par ceux qui ont divulgué les connaissances secrètes ou y ont eu accès par des procédés déloyaux; qu'il convient d'observer que la société Ibre n'a jamais contesté l'existence de ce contrat devant le tribunal de commerce, lequel lui a donné acte dans son jugement du 3 novembre 2005 " de la non reprise par elle du contrat de licence et de fabrication et de son acquiescement à la levée d'option du 27 septembre 2005 " ;

Que le moyen tiré de la nullité de ce contrat ne saurait donc être retenu ;

Considérant que le support du savoir-faire industriel revendiqué par la société Faiveley est constitué par des dessins, des plans de fabrication, analyses de test et spécifications techniques des pièces utilisées par les opérateurs ferroviaires dans leur système de freinage, qui sont ses pièces numérotées 15 à 20, représentant des dessins industriels ;

Qu'en soutenant dans ses dernières écritures que le savoir faire de la société ZF Masson était compris dans le périmètre de la reprise et lui a été transmis (et non à la société Faiveley), la société Ibre ne conteste plus par là-même que cet ensemble d'informations soit, en premier lieu, secret , c'est-à-dire non généralement connu ou facilement accessible, en second lieu " substantiel " c'est-à-dire important et utile pour la production des produits contractuels, en troisième lieu, " identifié ", c'est-à-dire décrit d'une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu'il remplit les conditions de secret et de substantialité ;

Qu'en tout état de cause, le savoir faire peut être l'objet d'une protection dès lors que sa communication présente pour son destinataire une valeur économique résultant d'une économie de temps et d'argent ;

Considérant que dans son jugement du 3 novembre 2005, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement organisant la cession partielle des actifs de la société ZF Masson au profit de M. Davion ou à toute personne morale qu'il lui plaira de se substituer et a ordonné la cession partielle de l'activité fonderie/usinage freins formant une branche complète et autonome d'activités de la société ZF Masson ;

Que si à bon droit la société Faiveley remarque que cette cession partielle ne portait que sur les actifs suivants :

-"salariés attachés à une activité industrielle,

- ensemble de bâtiments à usage industriel,

- moyens de production et de matériels d'exploitation,

- encours de production et de stocks de produits finis,

- stocks de marchandises et de matières premières",

il n'en demeure pas moins que ce tribunal a relevé que les " prévisions d'exploitation apparaissent réalistes en regard du marché actuel, le cessionnaire disposant d'un potentiel humain, technique et d'un savoir faire pouvant lui permettre de répondre à ces nouveaux marchés et appel d'offres ";

Qu'en effet ce savoir-faire est celui acquis par des anciens salariés de la société ZF Masson, ayant des compétences et des qualifications particulières ; que la société Ibre a été constituée par cinq professionnels connaissant parfaitement le secteur ferroviaire pour avoir contribué au développement de l'activité fonderie et usinage freins au sein d'une société SEE puis au sein de la société ZF Masson; que notamment M. Davion a dirigé l'activité frein fonderie de 1990 à 1996 de la société SEE, que M. Huver a permis en 1990 le déploiement industriel des techniques de calcul par éléments finis appliqués aux comportements thermomécaniques de disques de freins; qu'il a développé son savoir-faire au sein de la société SEE et l'a complété chez ZF Masson par des connaissances approfondies de mécanique des fluides; que M. Teeten, ingénieur CNAM était spécialisé dans la fonderie au sein de la société SEE à l'époque difficile du changement de technologie ;

Qu'il est de principe que les anciens salariés sont libres d'utiliser dans la nouvelle société qu'ils ont créée le savoir-faire acquis ou de mettre en œuvre les expériences acquises au cours de leur précédent emploi, d'autant plus que la société Faiveley n'a imposé à ceux-ci, qui n'étaient pas ses salariés, aucune clause de confidentialité ou de non concurrence; que d'ailleurs, la solution inverse les aurait empêcher définitivement de travailler dans leur spécialité ou leur domaine; que les anciens salariés étaient donc parfaitement en droit de créer un société concurrente à l'expiration de leurs contrats de travail; qu'ils n'ont au demeurant pas caché leurs intentions, puisque le tribunal de commerce a relevé dans le jugement précité, page 5 que "le candidat repreneur souhaite reconquérir les anciens clients de la société Masson, en devenant un petit acteur dans un secteur dominé au plan mondial par les sociétés Knorr Bremst et Sab Wabco" ;

Que la société Faiveley, sur laquelle pèse la charge de la preuve, procède par voie de simples allégations mais ne démontre par aucun élément tangible, que les salariés de la société Ibre ont utilisé les études dont ils auraient eu connaissance au travers de leurs anciennes fonctions au sein de la société ZF Masson ou encore se sont servis de plans ou dessins dont ils disposaient dans leur précédent travail; que la circonstance que la société Ibre s'est vue attribuée une partie d'un appel d'offres lancé par la société Deutsche Bahn le 27 octobre 2005, auquel la société Faiveley a elle-même participé, ne peut en aucun cas suffire à démontrer que la société Ibre a utilisé les plans des pièces de cette dernière, dès lors que ses salariés avaient toute compétence pour réaliser des études, effectuer des calculs correspondant au modèle de disque imposé par la société allemande; que la société Faiveley ne démontre donc pas que la société Ibre a eu accès au savoir faire revendiqué par elle par des moyens frauduleux ou qu'elle a usurpé son savoir-faire ;

Que pour les moyens techniques permettant la fabrication des pièces, il convient d'observer qu' après avoir le 27 septembre 2005, levé l'option pour le rachat des moules et outillages de l'activité de fonderie et d'usinage de la société ZF Masson, la société Faiveley a pu les récupérer ainsi qu'il ressort du procès-verbal de constat établi le 24 janvier 2006 par Maître Guibert, huissier de justice qui précise que l'ensemble des moules et outillages ont été restitués à la société Faiveley, à la seule exception de quatre moules que cette dernière a accepté de laisser temporairement pour l'exécution d'une commande en cours; que par ailleurs, aux termes du jugement du 3 novembre 2005 la société ZF Masson s'est engagée à financer de nouveaux moules et outillages au profit de la société Ibre pour permettre la fabrication de nouvelles pièces; que la société Faiveley n'ignorait rien de l'activité de cette dernière puisqu'elle lui a passé le 11 novembre 2005 des commandes de disques de freins ;

Qu'en définitive, le savoir-faire de l'entreprise est détachable de la personne des salariés, de leur expérience professionnelle, de leurs aptitudes propres et de leurs compétences particulières qui leur restent personnelles et qui constituent l'exercice d'un droit dans le cadre de la liberté du commerce et de l'industrie; que la seule similitude des produits, non protégés par un droit privatif, ne saurait représenter l'appropriation déloyale du travail d'autrui ;

Que la société Faiveley sera en conséquence déboutée de son action en concurrence déloyale; que le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le dénigrement invoqué par la société Ibre

Considérant que les parties ne font que reprendre en cause d'appel les moyens développés devant les premiers juges, auxquels ceux-ci ont pertinemment répondu par des motifs que la cour adopte ;

Qu'il suffit d'ajouter que les lettres versées aux débats (pièces n° 1,2, 3, 4 et 5) sont constitutives d'un dénigrement de la part de la société Faiveley à l'égard de la société Ibre auprès de opérateurs ferroviaires en nombre limité sur le marché européen; qu'elles constituent une pression d'un acteur majeur du marché auprès de ces derniers les appelant clairement à ne plus contracter avec la société Ibre ;

Que les premiers juges ont justement estimé le préjudice subi par la société Ibre en réparation du trouble commercial; que celui résultant du manque à gagner du fait de la captation de la clientèle sera porté à la somme de 350 000 euro dans la mesure où la société Ibre justifie en cause d'appel, qu'outre les opérateurs autrichiens et hollandais retenus par les premiers juges, la société Faiveley a également incité les opérateurs hongrois et suisses à ne pas contracter avec elle ;

Que la mesure de publication ordonnée par les premiers juges sera également confirmée ;

Considérant en revanche qu'il ne saurait être alloué à la société Ibre des dommages et intérêts pour procédure abusive, la défense en justice de ses intérêts légitimes constituant un droit qui pour l'appelant n'a pas dégénéré en abus ;

Considérant enfin que l'équité commande en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile d'allouer, en plus de celle allouée à ce titre par le premier juge, à la société Ibre une indemnité de 15 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement dont appel, à l'exception du montant de la condamnation de la société Faiveley au titre du manque à gagner et de la condamnation de cette dernière à payer des dommages et intérêts pour procédure abusive, Statuant à nouveau de ce seul chef, Condamne la société Faiveley Transport Witten GmbH à verser à la société Ibre la somme de 350 000 euro au titre du manque à gagner, Ajoutant, Condamne la société Faiveley Transport Witten GmbH à payer à la société Ibre, en plus de celle allouée à ce titre par les premiers juges, une indemnité de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Faiveley Transport Witten GmbH aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.