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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 11 mai 2011, n° 09-06212

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

La Redoute (SA)

Défendeur :

Caroll International (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avoués :

Me Teytaud, SCP Menard Scelle Millet

Avocats :

Mes Bertrand, Pfirsch

T. com. Paris, du 4 déc. 2008

4 décembre 2008

LA COUR,

Vu l'appel interjeté le 5 mars 2009 par la SA La Redoute du jugement du Tribunal de commerce de Paris (15e chambre, n° de RG : 2007031919) rendu le 4 décembre 2008,

Vu les dernières conclusions de l'appelante (23 juin 2009),

Vu les dernières conclusions (11 février 2011) de la SA Caroll International intimée et incidemment appelante,

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 1er mars 2011,

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Caroll International, créant et commercialisant des articles de prêt à porter féminin au travers d'un réseau de magasins, en France et en Europe, a diffusé trois catalogues (automne-hiver 2005, printemps-été 2006 et automne-hiver 2006) pour lesquels elle a utilisé le mannequin Loren Denis, vêtue de vêtements des collections de ces saisons ;

Que, reprochant à la société La Redoute d'avoir utilisé, pour ses catalogues automne-hiver 2006 et printemps-été 2007, le même mannequin pour présenter des vêtements similaires dans des poses voisines, ainsi que des actes de contrefaçon de deux modèles de pull-over sur lesquels elle dit détenir des droits d'auteur, elle a assigné la société La Redoute devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire et celui de la contrefaçon de droits d'auteurs ;

Considérant que les premiers juges ont dit, pour l'essentiel, que la société La Redoute s'est rendue coupable de parasitisme économique au préjudice de la société Caroll International ainsi que d'actes de contrefaçon du modèle de pull-over à col roulé et boutonnières aux manches intitulé " Tara " et en conséquence prononcé une mesure d'interdiction à l'encontre de la société La Redoute et condamné celle-ci à payer à la société Caroll International 25 000 euro au titre des actes de parasitisme économique ainsi relevés et 15 000 euro au titre de la contrefaçon ;

Considérant que la société La Redoute soutient que la société Caroll International ne peut revendiquer de droits privatifs sur les poses prises par Loren Denis dans ses catalogues 2005/2006 et fait valoir que le modèle de pull intitulé " Tara ", sur lequel la société Caroll International revendique des droits d'auteur, n'est pas une création susceptible d'être protégée à ce titre ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que, pour apprécier l'existence des griefs de concurrence déloyale et parasitaire, il convient d'examiner les faits allégués par la société Caroll International à l'encontre de la société La Redoute dans une approche globale, en les mettant en perspective les uns avec les autres ;

Considérant en premier lieu que la société La Redoute est, contrairement à ses allégations, en situation de concurrence avec la société Caroll International dès lors que toutes deux interviennent sur le même marché, celui de la vente d'articles de prêt à porter pour femmes, et que la commercialisation de produits similaires par des circuits différents de distribution n'exclut pas l'existence d'une clientèle commune ;

Considérant qu'il ressort de l'examen des visuels litigieux auquel la cour s'est livré les constatations suivantes :

S'agissant des visuels extraits du catalogue printemps-été 2007 de la société La Redoute :

Que le visuel de la page 304 du catalogue printemps-été 2007 présente Loren Denis, cheveux lissés et tirés avec une raie sur le côté, vêtue d'une jupe ample et d'un tee-shirt, dans une attitude caractéristique (position de profil, assise le buste penché en avant, un bras posé sur un genou, l'autre main posée sur son bras, le visage tourné vers l'objectif) ; cette combinaison étant présente dans le catalogue printemps-été 2006 de la société Caroll International ;

Que les autres visuels de ce catalogue visés par la société Caroll International diffèrent toutefois dans leur combinaison (coiffure, attitude, vêtements) de ceux des catalogues de la société Caroll International ;

S'agissant des visuels extraits du catalogue Automne/Hiver 2006 de la société La Redoute :

Que le visuel de la page 264 du catalogue Automne-Hiver 2006 de la société La Redoute présente Loren Denis vêtue d'un manteau en laine beige ceinturé sous passants comportant un large col de fausse fourrure beige ; cette combinaison étant également présente dans le catalogue de la société Caroll International Automne Hiver 2005 ;

Considérant que le visuel de la page 267 du catalogue Automne-Hiver 2006 de la société La Redoute présente Loren Denis vêtue d'une tunique marron décolletée en V brodée au col et à la ceinture, d'une veste en velours bleue canard cintrée comportant un col tailleur et des poches à rabats, et d'un jean, cette combinaison étant également présente dans le catalogue de la société Caroll International Automne-Hiver 2005;

Qu'enfin le visuel de la page 268 du catalogue Automne-Hiver 2006 de La Redoute présente Loren Denis, cheveux lissés et tirés avec une veste noire de style " officier ", entièrement boutonnée, comportant un col officier et des boutons dorés, 7 boutons sur chaque bas de manche ; cette combinaison étant également présente dans le catalogue Caroll International Automne-Hiver 2005 ;

Que les autres visuels des catalogues La Redoute visés par la société Caroll International, diffèrent dans leur combinaison (mannequin, coiffures, attitudes, vêtements) de ceux de ses catalogues ;

Considérant que le simple fait que des ressemblances soient reconnues entre certains des visuels présentés au sein des catalogues de la société La Redoute et considérés par la société Caroll International comme lui faisant grief et les visuels que cette dernière présente au sein de ses catalogues ne saurait toutefois suffire à caractériser l'existence d'actes de concurrence déloyale imputables à la société La Redoute ;

Considérant en effet que tant la société La Redoute que la société Caroll International ne sauraient revendiquer de droits, directs ou indirects sur les coiffures, maquillages ou les poses du mannequin dont elles utilisent l'image au soutien de leurs campagnes publicitaires, dès lors que celles-ci sont courantes dans le domaine de la photographie de mode ;

Que, de la même manière, le fait que la société La Redoute se soit adjoint les services du même mannequin que la société Caroll International pour présenter des articles commercialisés par le biais de ses catalogues n'apparaît pas fautif, d'autant qu'elle justifie avoir utilisé l'image de Loren Denis dès 2004, soit antérieurement à la société Caroll International ;

Qu'au surplus, le fait que certains des visuels litigieux, s'agissant du catalogue de la société La Redoute printemps-été 2007, soient présentés sur fond blanc, ne permet pas plus de caractériser l'existence d'actes de concurrence déloyale, dès lors que ce choix de présentation est parfaitement courant dans le domaine de la photographie de mode et a fortiori dans la présentation de catalogues et que la société Caroll International ne saurait revendiquer de choix artistiques sur ce dernier ; qu'il sera relevé enfin que, contrairement au catalogue de la société Caroll International, pour lequel il a été choisi de faire figurer une à deux photographies par page, le plus souvent en plan rapproché, le catalogue de la société La Redoute présente la particularité de faire figurer plusieurs photographies par page, dans des formats différents, celles-ci étant systématiquement accompagnées de textes descriptifs des articles vestimentaires exposées au sein des photographies en cause ;

Que l'ensemble de ces circonstances n'apparaît pas de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public quand à l'origine des produits diffusés ;

Que, de la même manière, la société Caroll International n'est pas fondée à soutenir l'existence d'agissements parasitaires commis à son encontre par la société La Redoute à travers la diffusion des catalogues en cause dès lors qu'elle ne démontre pas en quoi la société La Redoute aurait sciemment cherché à détourner les investissements qu'elle a consacrés à la réalisation de ses catalogues et ne caractérise aucune forme de préjudice sur ce point ; qu'il n'est pas sérieusement contestable que la société La Redoute a également consacré des investissements substantiels afin de réaliser les catalogues litigieux ;

Considérant que le jugement entrepris sera en conséquence de ce qui précède infirmé en ce qu'il a reconnu la société La Redoute coupable d'actes de parasitisme économique ;

Sur la demande en contrefaçon de droits d'auteurs :

Considérant que l'appelante soutient que la société Caroll International, qui entend se prévaloir de droits d'auteur, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe des créations revendiquées à une date certaine ;

Qu'afin de justifier d'une date de divulgation certaine du modèle " Sympa ", la société Caroll International verse aux débats un tableau comptable d'extraction des factures de ce modèle, certifié par le président-directeur général de la société Caroll International, lequel, outre le fait qu'il s'agit d'un document purement interne supposé établir l'acquisition du modèle revendiquée à compter du mois de juillet 2004, ne permet pas de démontrer que ce modèle ait été créé en 2004, a fortiori en juin 2004 comme l'affirme la société Caroll International ;

Que, de surcroît, le catalogue Automne-Hiver 2004 produit aux débats par la société La Redoute présente à la page 72 un modèle reprenant précisément les caractéristiques essentielles attribuées par la société Caroll International au modèle " Sympa " : pull à encolure en V élargie présentant des bord-côtes très larges disposés à l'encolure, aux manches et à la ceinture, et justifie donc d'une divulgation de ce modèle de manière antérieure, ou à tout le moins concomitante, au modèle revendiqué par la société Caroll International ;

Que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société Caroll International de sa demande en contrefaçon du modèle " Sympa " ;

Considérant que la société Caroll International dit avoir déposé le modèle de pull-over à col roulé et boutonnières sur les manches intitulé " Tara " en janvier 1999, ce que la société La Redoute ne conteste pas ; qu'elle rapporte ainsi la preuve de la diffusion du modèle revendiqué antérieurement à la commercialisation du modèle argué de contrefaçon ;

Qu'elle soutient, pour satisfaire à la charge, qui lui incombe, de prouver l'originalité de ce modèle, que celle-ci procède de l'apposition d'une patte de boutonnage sur les manches d'un modèle de pull-over à col roulé et que la société La Redoute ne produit pas à d'antériorité de toutes pièces à ce modèle ;

Mais considérant que l'absence d'antériorité n'est pas une condition de l'accès d'une création à la protection par le droit d'auteur où seul compte la notion d'originalité ; que le caractère inédit d'une combinaison ne saurait à lui seul la rendre originale ;

Considérant que si le fait d'apposer une boutonnière aux manches d'un col roulé ne relève d'aucun impératif technique, il ne s'agit que d'une modification de détail d'un élément connu du fonds commun des créations vestimentaires, ne suffisant pas à elle seule à conférer au modèle en cause un style propre le distinguant des autres modèles du même genre et ne traduisant pas l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Considérant qu'il s'infère de ces constatations que le modèle revendiqué par la société Caroll International ne constitue pas une création susceptible d'être protégée par le droit d'auteur ; qu'en conséquence, la décision entreprise sera infirmée sur ce point ; que dès lors la société Caroll International sera déclarée irrecevable à agir en contrefaçon du modèle revendiqué ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Considérant que la société La Redoute ne rapporte pas la preuve que la société Caroll International, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits, a agi en justice dans une intention malveillante ou par légèreté blâmable, seules circonstances de nature à caractériser un abus du droit d'ester en justice ; que sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef sera rejetée ;

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Declare irrecevable la demande de la société Caroll International en contrefaçon du modèle " Tara " ; Déboute la société Caroll International de sa demande au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; Déboute la société La Redoute de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne la société Caroll International aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à la société La Redoute la somme de 10 000 euro par application de l' article 700 du Code de procédure civile.