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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 23 février 2010, n° 09-2140

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Saint Bois Concept (SAS)

Défendeur :

Catana (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

Mme Debuissy, M. Prouzat

Avoués :

Me Rouquette, SCP Auche-Hedou

Avocats :

Mes Vives, Lagadec

T. com. Perpignan, du 17 mars 2009

17 mars 2009

La société St Bois Concept SAS est une menuiserie industrielle spécialisée dans la conception et la fabrication de modules destinés à l'équipement d'espaces réduits tels que des navires et des camping-cars.

Elle est entrée en relations d'affaires avec le groupe Poncin Yachts.

La société Catana filiale de celui-ci et fabriquant des navires du même nom a consenti une avance de 140 000 euro à la société Bois Concept pour permettre à celle-ci d'acquérir partie de la matière première nécessaire à la réalisation des kits destinés à équiper ses bateaux.

A la suite de difficultés, de nouveaux accords sont intervenus entre parties en septembre 2007, les factures devant être honorées dans les 48 heures sous peine de suspension des livraisons.

En contrepartie, le groupe Poncin Yachts bénéficierait d'un taux d'escompte de 2 %.

Les commandes se sont poursuivies par télécopies et sans signature de contrats, 30 kits ayant été commandés entre septembre 2007 et août 2008, les derniers restants à fabriquer.

Des difficultés de paiements auraient eu lieu au début de l'année 2008 ce qui fait que l'acheteur n'aurait souhaité être livré que jusqu'au kit 24, annulant de la sorte les six derniers.

La société St Bois Concept a, le 4 avril 2008 dénoncé la rupture abusive de la commande ferme et, invoquant la perte d'un chiffre d'affaires conséquent, a réclamé une indemnisation à sa cliente, mais en vain.

C'est dans ces circonstances que la société St Bois Concept a, par acte du 5 août 2008, fait assigner la SA Catana devant le Tribunal de commerce de Perpignan pour se voir payer par celle-ci la somme de 280 730,64 euro en réparation de son préjudice résultant de l'annulation unilatérale de 6 kits avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation de ceux-ci, outre 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 17 mars 2009, la juridiction saisie a débouté la société St Bois Concept de toutes ses demandes et la société Catana de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts faute de preuves de l'existence des préjudices invoqués de part et d'autre.

La société St Bois Concept SAS a interjeté appel de cette décision le 25 mars 2009.

Elle fait observer que la société Catana ne nie pas avoir rompu la commande de 6 kits mais tente de s'en justifier en invoquant 3 moyens qu'elle réfute:

- les manquements dans le cadre d'un chantier Orion alors que ce navire a été livré au cours de l'été 2007 et que les parties avaient clos le contentieux qui y était relatif avant leurs nouveaux accords de septembre 2007,

- des relations devenues trop difficiles vu les conditions de celles-ci figurant dans ce nouvel accord, ceci pouvant s'admettre mais pour l'avenir et non pour les contrats en cours,

- le déséquilibre des relations commerciales mettant l'entreprise Catana en péril alors qu'elle bénéficiait d'un taux d'escompte de 2 % et pouvait s'adresser à un autre fournisseur.

L'appelante explique autrement la rupture. Selon elle, la société Catana a repris la menuiserie Ploquin sise en Charente Maritime en décembre 2007 et n'a plus eu besoin d'elle.

La société Catana qui lui a payé à prix coûtant la matière première des 6 kits litigieux l'a d'ailleurs fait transporter au siège de la société Ploquin en septembre 2008.

Même si cette nouvelle orientation était connue, dit l'appelante, la société Catana ne pouvait annuler ses commandes et devait l'avertir de la cessation de leurs relations futures dans le respect de l'article L. 442-6, I 5e du Code de commerce.

Le coût du stock a été compensé par l'avance initiale des 140 000 euro. Mais elle invoque une perte de marge qui lui a créé des difficultés financières en 2008. Elle l'évalue à 280 730,64 euro. C'est cette somme qu'elle réclame à la société Catana avec intérêts à compter de l'assignation et capitalisation de ceux-ci.

Elle réclame 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SA Catana reproche à l'appelante, parce qu'un incident s'est effectivement produit au cours de l'été 2007 et qu'un autre procès a été intenté devant le Tribunal de commerce de la Rochelle, de ne jamais prendre en considération le contexte commercial dans lequel les parties évoluent et d'oublier que si elle a des droits, elle a aussi des devoirs à l'égard de sa cocontractante.

Elle évoque les retards de son fournisseur lors de la construction du navire Orion au cours de l'été 2007 et le non-respect habituel des délais de commande de sa partenaire.

Elle explique qu'elle était dans l'obligation de s'entendre avec son fournisseur peu rigoureux parce qu'elle n'en n'avait pas d'autre et que la société St Bois Concept qui le savait profitait de cette situation.

Selon son expression, cette société, durant tout le 2e semestre 2007, n'a cessé de "souffler le chaud et le froid" en la menaçant systématiquement de cesser toutes ses livraisons, de bloquer la fabrication, de retarder les chaînes de montage des kits.

Elle considère que la société St Bois Concept s'est montrée imprudente en agissant de la sorte. Elle fait état d'une pression infernale, d'un véritable chantage de la part de celle-ci. Les conditions draconiennes de paiement que son fournisseur avait obtenues étaient insupportables pour sa trésorerie.

Elle a payé tous les kits commandés et livrés. Elle a payé toute la matière première des 6 derniers kits.

Elle a subi les suspensions de ralentissements de livraisons ceci désorganisant le travail sur ses chantiers.

Elle soutient que la société St Bois Concept est seule responsable de l'impossibilité de poursuivre leurs relations commerciales.

Elle réclame confirmation du jugement entrepris, mais aussi 10 000 euro à titre de dommages et intérêts et 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce

En l'absence de tout contrat signé entre les parties pour la fabrication de 30 kits pour les navires Catana, il convient de se référer aux échanges par courriers et e-mails ayant présidé aux relations entre les deux sociétés concernées et qui constituent la seule matière de leurs dossiers.

Il en résulte que les échanges ont été âpres, peu amènes notamment de la part de la société St Bois Concept, un dialogue de sourds s'instaurant entre parties, le fournisseur reprochant à sa cliente des retards de paiements et celle-ci reprochant au premier nommé des retards de livraison.

Mais il apparaît que les retards de livraison ne sont pas consécutifs à des difficultés matérielles mais à la volonté de la société St Bois Concept de distribuer ses kits au gré de sa volonté par mesure de rétorsion à l'égard de la société Catana en retard de paiement.

Certes un nouvel accord commercial avait été conclu, rapporté dans un courrier du 14 septembre 2007 de la société St Bois Concept mais avec des conditions drastiques de paiement dans les 48 heures de la livraison ce qui ne correspond pas à des pratiques commerciales courantes pour des "objets", les kits, dont le prix moyen de vente était de plus de 100 000 euro chacun.

La St Catana a raison d'évoquer pour illustrer ses propos l'échange de courriers des 13 et 17 septembre 2007 entre le "directeur des achats groupés" du groupe Poncin Yachts et Patrick Danais de la société Saint Bois Concept tout aussi peu souple dans ses propos que Christian Henriot de la même société daté du 14 septembre 2007.

La société St Bois Concept manifestement en position dominante dans sa relation avec sa cliente semble ne pas avoir réalisé qu'elle encourait un risque consistant en la rupture de la relation commerciale par la société Catana tant elle se rendait insupportable à l'égard de celle-ci.

L'autoritarisme et les quasi-caprices de la société St Bois Concept parfaitement illustrés par la lettre du 17 septembre 2007 déjà citée permettent de le dire : "j'ai simplement refusé de continuer à travailler pour un client qui ne nous payait pas" ; "ma décision de cesser les fabrications et livraisons vous a été transmise par moi-même" (...)

C'est pourtant cette société qui se plaint d'une rupture abusive et sans préavis de la part de la société Catana alors que c'est elle qui y pousse sa cliente.

Les relations commerciales ne peuvent se maintenir dans un tel climat où tout serait permis.

La société Saint Bois Concept ne démontre pas que la société Catana était un mauvais payeur. Sur les dernières commandes, elle a été payée de 24 kits sur 30 dans le climat décrit qui aurait découragé bien d'autres clients. La société Catana a aussi payé la matière première des 6 derniers kits qui, sans l'énervement, l'impatience et l'intransigeance de la société St Bois Concept qui avait un excellent client et qui disposait d'une avance pour payer les matières premières, auraient pu être livrés et payés.

L'article L. 442-6 du Code de commerce représente a contrario le "guide du savoir-vivre" en matière de relations commerciales puisqu'il énumère ce qu'il ne faut pas faire en la matière.

L'appelante l'invoque pour reprocher à la société Catana la rupture brutale de leurs relations commerciales.

Mais la société Catana a pareillement été victime de la part de la société St Bois Concept de menaces de rupture brutale de leurs relations commerciales.

Pour être aussi impérieuse, il ne fait pas de doute que la société St Bois Concept savait que sa cliente dépendait d'elle. Tout ceci est aussi visé à l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Les parties sont de ce fait à renvoyer dos à dos. C'est très justement que le tribunal les a déboutées de l'intégralité de leurs demandes. Le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions.

L'application de l'article 700 sera refusée aux parties.

La société St Bois Concept assumera la charge des dépens d'appel puisque c'est elle qui a engagé la procédure et qui succombe en sa demande principale.

Par ces motifs, Reçoit en la forme les appels interjetés; Les dit mal fondés; En conséquence confirme en toutes ses dispositions le jugement attaqué; Déboute les parties de leurs demandes respectives d'application de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société St Bois Concept aux dépens d'appel qui seront distraits en application de l'article 699 du Code de procédure civile.