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Décisions

CJUE, 3e ch., 30 juin 2011, n° C-271/10

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vereniging van Educatieve en Wetenschappelijke Auteurs

Défendeur :

Belgische Staat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Šváby

Avocat général :

Mme Trstenjak

Juges :

Mme Silva de Lapuerta, MM. Juhász, Malenovský (rapporteur), von Danwitz

Avocats :

Mes Nelissen Grade, Verbeke, Doutrelepont, Lemmens

CJUE n° C-271/10

30 juin 2011

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de la notion de "rémunération" versée aux titulaires des droits d'auteur au titre du prêt public, visée à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100-CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO L 346, p. 61), devenu l'article 6, paragraphe 1, de la directive 2006-115-CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO L 376, p. 28).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un recours en annulation introduit par le Vereniging van Educatieve en Wetenschappelijke Auteurs (VEWA), opposé au Belgische Staat, concernant l'arrêté royal du 25 avril 2004 relatif aux droits à rémunération pour prêt public des auteurs, des artistes-interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des producteurs de premières fixations de films (ci-après l'"arrêté royal").

Le cadre juridique

Le droit de l'Union

3 Les septième, quatorzième, quinzième et dix-huitième considérants de la directive 92-100 sont libellés comme suit:

"considérant que la continuité du travail créateur et artistique des auteurs, artistes interprètes ou exécutants exige que ceux-ci perçoivent un revenu approprié et que les investissements, en particulier ceux qu'exige la production de phonogrammes et de films, sont extrêmement élevés et aléatoires; que seule une protection juridique appropriée des titulaires de droits concernés permet de garantir efficacement la possibilité de percevoir ce revenu et d'amortir ces investissements;

[...]

considérant que, lorsque le prêt effectué par un établissement accessible au public donne lieu à un paiement dont le montant ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour couvrir les frais de fonctionnement de l'établissement, il n'y a pas d'avantage économique ou commercial direct ou indirect au sens de la présente directive;

considérant qu'il est nécessaire d'introduire un régime qui assure une rémunération équitable, à laquelle il ne peut être renoncé, aux auteurs et aux artistes interprètes ou exécutants [...];

[...]

considérant qu'il est nécessaire aussi de protéger au moins les droits des auteurs à l'égard du prêt public en prévoyant un régime spécial; que, toutefois, toute mesure prise sur la base de l'article 5 de la présente directive doit être compatible avec le droit communautaire, et notamment avec l'article 7 du traité".

4 L'article 1er, paragraphes 1 à 3, de la directive 92-100 précise:

"1. Conformément aux dispositions du présent chapitre, les États membres prévoient, sous réserve de l'article 5, le droit d'autoriser ou d'interdire la location et le prêt d'originaux et de copies d'œuvres protégées par le droit d'auteur ainsi que d'autres objets mentionnés à l'article 2 paragraphe 1.

2. Aux fins de la présente directive, on entend par 'location' d'objets leur mise à disposition pour l'usage, pour un temps limité et pour un avantage économique ou commercial direct ou indirect.

3. Aux fins de la présente directive, on entend par 'prêt' d'objets leur mise à disposition pour l'usage, pour un temps limité et non pour un avantage économique ou commercial direct ou indirect, lorsqu'elle est effectuée par des établissements accessibles au public."

5 Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 92-100:

"Lorsqu'un auteur ou un artiste interprète ou exécutant a transféré ou cédé son droit de location en ce qui concerne un phonogramme ou l'original ou une copie d'un film à un producteur de phonogrammes ou de films, il conserve le droit d'obtenir une rémunération équitable au titre de la location."

6 L'article 5, paragraphes 1 à 3, de la directive 92-100 énonce:

"1. Les États membres peuvent déroger au droit exclusif prévu à l'article 1er pour le prêt public, à condition que les auteurs au moins obtiennent une rémunération au titre de ce prêt. Ils ont la faculté de fixer cette rémunération en tenant compte de leurs objectifs de promotion culturelle.

2. Lorsque les États membres n'appliquent pas le droit exclusif de prêt prévu à l'article 1er en ce qui concerne les phonogrammes, films et programmes d'ordinateur, ils introduisent une rémunération pour les auteurs au moins.

3. Les États membres peuvent exempter certaines catégories d'établissements du paiement de la rémunération prévue aux paragraphes 1 et 2."

7 Selon l'article 8, paragraphe 2, de la directive 92-100:

"Les États membres prévoient un droit pour assurer qu'une rémunération équitable et unique est versée par l'utilisateur lorsqu'un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public, et pour assurer que cette rémunération est partagée entre les artistes interprètes ou exécutants et producteurs de phonogrammes concernés [...]"

La réglementation nationale

La loi du 30 juin 1994

8 La loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins (Moniteur belge du 27 juillet 1994, p. 19297), dans sa version en vigueur depuis l'année 2005 (ci-après la "loi du 30 juin 1994"), transpose la directive 92-100.

9 L'article 23, paragraphe 1, de cette loi est libellé comme suit:

"L'auteur ne peut interdire le prêt d'œuvres littéraires, de bases de données, d'œuvres photographiques, de partitions d'œuvres musicales, d'œuvres sonores et d'œuvres audiovisuelles lorsque ce prêt est organisé dans un but éducatif et culturel par des institutions reconnues ou organisées officiellement à cette fin par les pouvoirs publics."

10 L'article 47, paragraphe 1, de ladite loi énonce:

"L'artiste-interprète ou exécutant et le producteur ne peuvent interdire le prêt de phonogrammes ou de premières fixations de films lorsque ce prêt est organisé dans un but éducatif et culturel par des institutions reconnues ou organisées officiellement à cette fin par les pouvoirs publics."

11 Aux termes de l'article 62, paragraphes 1 et 2, de la loi du 30 juin 1994:

"1. En cas de prêt d'œuvres littéraires, de bases de données, d'œuvres photographiques ou de partitions d'œuvres musicales dans les conditions définies à l'article 23, l'auteur et l'éditeur ont droit à une rémunération.

2. En cas de prêt d'œuvres sonores ou audiovisuelles, dans les conditions définies aux articles 23 et 47, l'auteur, l'artiste-interprète ou exécutant et le producteur ont droit à une rémunération."

12 L'article 63, premier et troisième alinéas, de cette loi dispose:

"Après consultation des institutions et des sociétés de gestion des droits, le Roi détermine le montant des rémunérations visées à l'article 62. [...]

[...]

Après consultations des Communautés, et le cas échéant à leur initiative, le Roi fixe pour certaines catégories d'établissements reconnus ou organisés par les pouvoirs publics, une exemption ou un prix forfaitaire par prêt pour établir la rémunération prévue à l'article 62."

L'arrêté royal

13 L'arrêté royal transpose l'article 5 de la directive 92-100.

14 L'article 4, premier à troisième alinéas, de l'arrêté royal est libellé comme suit:

"Le montant des rémunérations visées à l'article 62 [du 30 juin 1994] de la loi est fixé forfaitairement à 1 [euro] par an et par personne majeure inscrite dans les institutions de prêt visées à l'article 2, pour autant qu'elle ait au moins fait un emprunt durant la période de référence.

Le montant des rémunérations visées à l'article 62 de la loi [du 30 juin 1994] est fixé forfaitairement à 0,5 [euro] par an et par personne mineure inscrite dans les institutions de prêt visées à l'article 2, pour autant qu'elle ait au moins fait un emprunt durant la période de référence.

Lorsqu'une personne est inscrite auprès de plus d'une institution de prêt, le montant de la rémunération n'est dû qu'une seule fois pour cette personne."

Le litige au principal et la question préjudicielle

15 VEWA est une société de gestion de droits d'auteur belge.

16 Le 7 juillet 2004, VEWA a introduit un recours en annulation devant le Raad van State contre l'arrêté royal.

17 À l'appui de sa requête, VEWA soutient en particulier que l'article 4 de l'arrêté royal, en établissant une rémunération forfaitaire de 1 euro par an et par personne, viole les dispositions de la directive 92-100 qui exigent qu'une "rémunération équitable" soit versée pour un prêt ou une location.

18 La juridiction de renvoi relève que les articles 4, paragraphe 1, et 8, paragraphe 2, de la directive 92-100 font référence à une "rémunération équitable" alors que l'article 5, paragraphe 1, de cette directive ne mentionne qu'une "rémunération". Elle ajoute que si la Cour a déjà eu l'occasion d'interpréter la notion de "rémunération équitable", visée à l'article 8, paragraphe 2, de ladite directive (arrêt du 6 février 2003, SENA, C-245-00, Rec. p. I-1251), et de statuer sur l'article 5, paragraphe 3, de la directive 92-100, relatif à la possibilité d'exempter certaines catégories d'établissements de l'obligation de verser une rémunération (arrêt du 26 octobre 2006, Commission/Espagne, C-36-05, Rec. p. I-10313), elle ne s'est toutefois jamais encore prononcée sur la notion de "rémunération" contenue dans l'article 5, paragraphe 1, de cette directive.

19 Dans ces conditions, le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'article 5, paragraphe 1, de la directive [92-100], devenu l'article 6, paragraphe 1, de la directive [2006-115], s'oppose-t-il à une disposition nationale qui prévoit à titre de rémunération un montant forfaitaire de 1 [euro] par an et par personne majeure et de 0,5 [euro] par an et par personne mineure?"

Sur la question préjudicielle

20 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100 s'oppose à une législation, telle que celle en cause au principal, qui institue un système selon lequel la rémunération due aux auteurs en cas de prêt public est calculée exclusivement en fonction du nombre d'emprunteurs inscrits dans les établissements publics, sur la base d'une somme forfaitaire fixée par emprunteur et par an.

21 Il convient d'emblée de rappeler que, en vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 92-100, les auteurs disposent d'un droit exclusif d'autoriser ou d'interdire le prêt. Toutefois, s'agissant plus particulièrement du prêt public, l'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100 permet aux États membres de déroger à ce droit exclusif.

22 Dans la mesure où la mise en œuvre de cette dérogation facultative porte atteinte au droit exclusif des auteurs dès lors que ces derniers se voient privés de leur droit d'autoriser ou d'interdire une forme précise de prêt, cette faculté est conditionnée à ce que les auteurs obtiennent une rémunération au titre de ce prêt.

23 En vue de préciser, d'abord, quels sont les sujets auxquels il incombe d'acquitter la rémunération due aux auteurs en cas de prêt public, il y a lieu de souligner que le prêt est défini par l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 92-100 comme la mise à disposition d'objets pour l'usage, pour un temps limité et non pour un avantage économique ou commercial, lorsqu'elle est effectuée par des établissements accessibles au public. Il peut être déduit de cette définition et de l'objectif de ladite directive que c'est la mise à disposition d'objets par les établissements publics rendant possible leur emprunt, et non l'emprunt effectif de certains objets par les personnes inscrites dans de tels établissements, qui constitue l'activité se trouvant à l'origine de l'obligation d'acquitter la rémunération due aux auteurs. Il incombe dès lors, en principe, aux organismes opérant cette mise à disposition de verser la rémunération due aux auteurs.

24 Cette conclusion est implicitement corroborée par l'article 5, paragraphe 3, de la directive 92-100 qui permet aux États membres d'exempter certaines catégories d'établissements de prêt du paiement de la rémunération.

25 S'agissant, ensuite, de la notion de rémunération, la Cour a déjà jugé qu'il découle des exigences tant de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une disposition du droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, notamment, arrêts du 9 novembre 2000, Yiadom, C-357-98, Rec. p. I-9265, point 26, et SENA, précité, point 23).

26 Il en est ainsi de la notion de "rémunération", figurant à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100, qui n'est pas définie par cette dernière (en ce qui concerne la notion de "rémunération équitable" voir, par analogie, arrêt SENA, précité, point 24).

27 Concernant le contexte dans lequel s'inscrit la notion de rémunération, il convient de relever que la directive 92-100 ne constitue pas le seul instrument dans le domaine de la propriété intellectuelle et que, compte tenu des exigences découlant de l'unité et de la cohérence de l'ordre juridique de l'Union, cette notion de rémunération doit être interprétée à la lumière des règles et des principes établis par l'ensemble des directives relatives à la propriété intellectuelle, tels qu'interprétés par la Cour.

28 À cet égard, la Cour a déjà jugé, à l'occasion de l'interprétation de la notion de "compensation équitable" en matière de reproduction pour copie privée visée à l'article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001-29-CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (JO L 167, p. 10), que cette compensation a pour objet d'indemniser les auteurs de manière adéquate pour l'utilisation faite sans leur autorisation de leurs œuvres protégées, de sorte qu'elle doit être regardée comme la contrepartie du préjudice subi par l'auteur résultant de l'acte de reproduction (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2010, Padawan, C-467-08, non encore publié au Recueil, points 39 et 40).

29 Certes, dans le cadre de la directive 92-100, lorsqu'il est dérogé au droit exclusif des auteurs, le législateur communautaire a utilisé le terme de "rémunération" au lieu de celui de "compensation" prévu par la directive 2001-29. Toutefois, cette notion de "rémunération" a également pour objet d'instituer une indemnisation pour les auteurs, puisqu'elle intervient dans une situation comparable, les œuvres étant utilisées dans le cadre du prêt public sans l'autorisation des auteurs, causant ainsi un préjudice à ces derniers.

30 En outre, il convient de relever que l'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100 ne vise qu'une "rémunération" alors que l'article 4, paragraphe 1, de cette même directive, relatif à la location, fait systématiquement référence à une "rémunération équitable". La notion de "rémunération équitable" apparaît également à l'article 8, paragraphe 2, de cette directive, relatif à la radiodiffusion et à la communication au public. Déjà, cette différence rédactionnelle implique que les deux notions évoquées ne doivent pas être interprétées de façon identique.

31 Il ressort également du dix-huitième considérant de la directive 92-100 qu'il est nécessaire de prévoir un régime spécial pour le prêt public afin de protéger les droits des auteurs. Par conséquent, le régime du prêt public est réputé se distinguer des autres régimes définis dans cette directive. Il doit en être de même s'agissant des différents éléments desdits régimes, y compris celui tenant à l'indemnisation des auteurs.

32 En ce qui concerne, enfin, le montant de la rémunération, il convient de relever que la Cour a déjà jugé, concernant la notion de "rémunération équitable", figurant à l'article 8, paragraphe 2, de la directive 92-100, que cette rémunération implique que son caractère équitable soit, notamment, analysé au regard de la valeur de l'utilisation d'un objet protégé dans les échanges économiques (voir, en ce sens, arrêt SENA, précité, point 37).

33 Or, ainsi qu'il a été rappelé au point 23 du présent arrêt, conformément à l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 92-100, le prêt n'a pas de caractère économique ou commercial direct ou indirect. Dans ces circonstances, l'utilisation d'un objet protégé en cas de prêt public ne saurait être analysée au regard de sa valeur dans les échanges économiques. Par conséquent, le montant de la rémunération sera nécessairement moins important que celui correspondant à une rémunération équitable ou pourra même être fixé de manière forfaitaire afin de compenser la mise à disposition de l'ensemble des objets protégés en cause.

34 Cela étant, la rémunération à fixer doit pouvoir, conformément à ce que prévoit le septième considérant de la directive 92-100, permettre aux auteurs de percevoir un revenu approprié. Son montant ne saurait donc être purement symbolique.

35 S'agissant, plus particulièrement, des critères de détermination du montant de la rémunération due aux auteurs en cas de prêt public, il y a lieu de rappeler qu'il n'existe aucune raison objective justifiant la fixation par le juge communautaire de modalités précises de détermination d'une rémunération uniforme qui amènerait forcément la Cour à se substituer aux États membres auxquels la directive 92-100 n'impose aucun critère particulier. Ainsi, il appartient aux seuls États membres de déterminer, sur leur territoire, les critères les plus pertinents pour assurer, dans les limites imposées par le droit communautaire, et notamment par la directive 92-100, le respect de cette notion communautaire (voir, par analogie, arrêt SENA, précité, point 34).

36 À cet égard, le libellé de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100 réserve une grande marge d'appréciation aux États membres. En effet, ceux-ci peuvent fixer le montant de la rémunération due aux auteurs en cas de prêt public en fonction de leurs propres objectifs de promotion culturelle.

37 Toutefois, étant donné que la rémunération constitue, ainsi qu'il est constaté aux points 28 et 29 du présent arrêt, la contrepartie du préjudice causé aux auteurs en raison de l'utilisation de leurs œuvres sans leur autorisation, la fixation du montant de cette rémunération ne saurait être totalement dissociée des éléments constitutifs d'un tel préjudice. Ce dernier résultant du prêt public, c'est-à-dire de la mise à disposition d'objets protégés par des établissements accessibles au public, le montant de la rémunération due devrait tenir compte de l'ampleur de cette mise à disposition.

38 Ainsi, plus le nombre d'objets protégés mis à disposition par un établissement de prêt public est élevé, plus l'atteinte aux droits d'auteurs est large. Il s'ensuit que le montant de la rémunération à acquitter par un tel établissement devrait prendre en compte le nombre d'objets mis à la disposition du public et que, par conséquent, les grands établissements de prêt public devraient verser une rémunération plus importante que les établissements plus petits.

39 En outre, le public concerné, à savoir le nombre d'emprunteurs inscrits dans un établissement de prêt, s'avère tout aussi pertinent. En effet, plus le nombre de personnes ayant accès aux objets protégés est élevé, plus l'atteinte aux droits des auteurs est majeure. Il en résulte que le montant de la rémunération à acquitter aux auteurs devrait être fixé en prenant également en considération le nombre d'emprunteurs inscrits dans cet établissement.

40 Dans l'affaire au principal, il est constant que le système institué par l'arrêté royal prend en compte le nombre des emprunteurs inscrits dans les établissements de prêt public, mais non le nombre d'objets mis à disposition du public. Ainsi, une telle prise en considération ne tient pas suffisamment compte de l'ampleur du préjudice subi par les auteurs, ni du principe selon lequel ces derniers doivent recevoir une rémunération qui équivaut à un revenu approprié tel qu'évoqué au septième considérant de la directive 92-100.

41 En outre, l'article 4, paragraphe 3, de cet arrêté prévoit que, lorsqu'une personne est inscrite dans plusieurs établissements, la rémunération n'est due qu'une seule fois pour cette personne. À cet égard, VEWA a soutenu, lors de l'audience publique, que 80 % des établissements dans la communauté française de Belgique font valoir qu'une grande partie de leurs lecteurs sont également inscrits dans d'autres établissements de prêts et que, par conséquent, ces lecteurs ne sont pas pris en compte dans le paiement de la rémunération de l'auteur concerné.

42 Dans ces conditions, ledit système peut aboutir à ce que de nombreux établissements se voient, dans les faits, presque exemptés de l'obligation d'acquitter toute rémunération. Or, une telle exemption de fait n'est pas conforme à l'article 5, paragraphe 3, de la directive 92-100, tel qu'interprété par la Cour, selon lequel seul un nombre limité de catégories d'établissements potentiellement tenus de verser une rémunération en application de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100 est susceptible d'être exempté de ce paiement (voir arrêt Commission/Espagne, précité, point 32).

43 Par conséquent, eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100 s'oppose à une législation, telle que celle en cause au principal, qui institue un système selon lequel la rémunération due aux auteurs en cas de prêt public est calculée exclusivement en fonction du nombre d'emprunteurs inscrits dans les établissements publics, sur la base d'une somme forfaitaire fixée par emprunteur et par an.

Sur les dépens

44 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L'article 5, paragraphe 1, de la directive 92-100-CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle, s'oppose à une législation, telle que celle en cause au principal, qui institue un système selon lequel la rémunération due aux auteurs en cas de prêt public est calculée exclusivement en fonction du nombre d'emprunteurs inscrits dans les établissements publics, sur la base d'une somme forfaitaire fixée par emprunteur et par an.