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Décisions

CJUE, 5e ch., 30 juin 2011, n° C-397/10

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission européenne

Défendeur :

Royaume de Belgique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Kasel

Avocat général :

M. Cruz Villalón

Juges :

MM. Borg Barthet (rapporteur), Ilešic

CJUE n° C-397/10

30 juin 2011

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en soumettant les agences de travail intérimaire aux obligations suivantes:

- avoir pour objet social exclusif l'activité de mise à disposition de travailleurs (sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale);

- revêtir une forme juridique particulière (sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale), et

- détenir un capital social minimal de 30 987 euro (sur le territoire de la Région flamande),

le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 56 TFUE.

Le cadre juridique national

2 L'article 2, paragraphe 2, sous b), de l'ordonnance du 26 juin 2003 relative à la gestion mixte du marché de l'emploi dans la Région de Bruxelles-Capitale (Moniteur belge du 29 juillet 2003, p. 39629) indique qu'une agence d'emploi privée désigne toute personne physique ou morale indépendante des autorités publiques, qui exerce une ou plusieurs activités d'emploi visées par la présente ordonnance, à titre exclusif, nonobstant les activités de toute autre nature ayant trait à la gestion des ressources humaines, sans pour autant intervenir dans les relations individuelles de travail.

3 L'article 7, paragraphes 2, sous 1°, et 3, sous 1°, de l'arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 15 avril 2004 portant exécution de l'ordonnance du 26 juin 2003 relative à la gestion mixte du marché de l'emploi dans la Région de Bruxelles-Capitale (Moniteur belge du 23 juin 2004, p. 51574) dispose que, pour l'exercice de l'activité de mise à disposition de travailleurs, l'agence d'emploi privée doit être constituée sous la forme d'une société anonyme ou d'une société de personnes à responsabilité limitée, à l'exclusion d'une société unipersonnelle, ou sous une forme équivalente en droit étranger pour les personnes morales étrangères.

La procédure précontentieuse

4 Le 10 avril 2000, à la suite de plusieurs plaintes, la Commission a attiré l'attention des autorités belges sur la réglementation nationale relative aux activités des agences de travail intérimaire.

5 À la suite des informations qu'elle a reçues des autorités belges, la Commission a adressé au Royaume de Belgique, par lettre du 30 novembre 2000, une mise en demeure, à laquelle celui-ci a répondu par lettre du 26 février 2001.

6 Par lettre du 23 septembre 2002, la Commission a transmis un avis motivé, auquel le Royaume de Belgique a répondu par lettre du 3 décembre 2002.

7 Après un nouvel échange de correspondances, la Commission a, le 19 juillet 2007, envoyé au Royaume de Belgique une lettre de mise en demeure complémentaire, à laquelle celui-ci a répondu notamment par lettre du 3 octobre 2007.

8 Par lettre du 17 octobre 2008, la Commission a adressé un avis motivé complémentaire.

9 Estimant que les réponses à cette lettre faisaient apparaître que le manquement persistait, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.

La procédure devant la Cour

10 Par acte déposé au greffe de la Cour le 21 février 2011, la Commission a fait savoir à la Cour que, à la suite du courrier du 12 janvier 2011 par lequel le Royaume de Belgique l'a informée de l'adoption par la Région flamande du décret du 10 décembre 2010 relatif au placement privé (Moniteur belge du 29 décembre 2010, p. 82856) et de l'arrêté du gouvernement flamand du 10 décembre 2010 portant exécution du décret relatif au placement privé (Moniteur belge du 29 décembre 2010, p. 83034), elle se désistait du troisième grief de son recours.

Sur le recours

Sur le premier grief

11 La Commission fait valoir que l'obligation pour les agences de travail intérimaire d'avoir pour objet social exclusif l'activité de mise à disposition de travailleurs, visée à l'article 2, paragraphe 2, sous b), de l'ordonnance du 26 juin 2003, contraint de telles agences établies dans un État membre autre que le Royaume de Belgique, qui seraient également autorisées à y exercer des activités d'une autre nature que celle de mise à disposition de travailleurs, à modifier leur statut pour fournir de tels services, même à titre temporaire, en Région de Bruxelles-Capitale. Cette obligation serait dès lors de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités d'un prestataire établi dans un État membre autre que le Royaume de Belgique, dans lequel il fournit légalement des services analogues.

12 Le Royaume de Belgique ne conteste pas le présent grief. Il se limite à indiquer qu'une nouvelle ordonnance relative à la gestion mixte sur le marché de l'emploi dans la Région de Bruxelles-Capitale, supprimant l'exigence pour les agences de travail intérimaire d'avoir pour objet social exclusif l'activité de mise à disposition de travailleurs, est en voie d'adoption.

13 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé (voir, notamment, arrêts du 27 octobre 2005, Commission/Luxembourg, C-23-05, Rec. p. I-9535, point 9, et du 3 février 2011, Commission/Belgique, C-391-10, point 8).

14 En l'espèce, il est constant que, à l'expiration du délai imparti dans l'avis motivé complémentaire, les agences de travail intérimaire installées dans les États membres autres que le Royaume de Belgique et souhaitant fournir des services sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale devaient exercer à titre exclusif l'activité de mise à disposition de travailleurs.

15 Or, il ressort de l'arrêt du 15 janvier 2002, Commission/Italie (C-439-99, Rec. p. I-305, point 32), que l'obligation d'exercer une activité à titre exclusif constitue une restriction importante à la libre prestation de services et que des motifs d'intérêt général de nature à justifier une telle restriction sont difficilement envisageables.

16 Le Royaume de Belgique n'ayant, en l'occurrence, invoqué aucun motif d'intérêt général, il convient de considérer le premier grief comme fondé.

Sur le second grief

17 La Commission soutient que l'obligation pour une agence de travail intérimaire établie dans un État membre autre que le Royaume de Belgique de posséder une forme ou un statut juridique particulier constitue une restriction importante à la libre prestation de services et que des motifs d'intérêt général de nature à justifier de telles restrictions sont en principe difficilement envisageables.

18 Le Royaume de Belgique ne conteste pas le présent grief. Il se limite à indiquer qu'une nouvelle ordonnance relative à la gestion mixte sur le marché de l'emploi dans la Région de Bruxelles-Capitale, supprimant l'obligation pour les agences de travail intérimaire de revêtir une forme juridique particulière, est en voie d'adoption.

19 Ainsi qu'il a été rappelé au point 13 du présent arrêt, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé.

20 En l'espèce, il est constant que, à l'expiration du délai imparti dans l'avis motivé complémentaire, les agences de travail intérimaire installées dans les États membres autres que le Royaume de Belgique et souhaitant fournir des services sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale étaient soumises à l'obligation de revêtir une forme juridique particulière.

21 Or, il ressort du point 32 de l'arrêt Commission/Italie, précité, que l'obligation pour une entreprise de posséder une forme ou un statut juridique particulier constitue une restriction importante à la libre prestation de services et que des motifs d'intérêt général de nature à justifier de telles restrictions sont difficilement envisageables.

22 Le Royaume de Belgique n'ayant, en l'occurrence, invoqué aucun motif d'intérêt général, il y a lieu de considérer le second grief comme fondé.

23 Par conséquent, le recours de la Commission doit être considéré comme fondé.

24 Il s'ensuit que, en soumettant les agences de travail intérimaire fournissant leurs services sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale aux obligations suivantes:

- avoir pour objet social exclusif l'activité de mise à disposition de travailleurs, et

- revêtir une forme juridique particulière,

le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 56 TFUE.

Sur les dépens

25 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. L'article 69, paragraphe 5, premier alinéa, de ce règlement dispose par ailleurs que, à la demande de la partie qui se désiste, les dépens sont supportés par l'autre partie, si cela apparaît justifié en vertu de l'attitude de cette dernière.

26 En l'espèce, la Commission a conclu à la condamnation du Royaume de Belgique et celui-ci a succombé en ses moyens. Quant au désistement partiel de la Commission, il est le résultat de l'adoption et de l'entrée en vigueur, après l'introduction du présent recours, du décret du 10 décembre 2010 concernant le placement privé en Région flamande ainsi que de l'arrêté portant exécution de celui-ci.

27 Dans ces conditions, il y a lieu de condamner le Royaume de Belgique aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête:

1) En soumettant les agences de travail intérimaire fournissant leurs services sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale aux obligations suivantes:

- avoir pour objet social exclusif l'activité de mise à disposition de travailleurs, et

- revêtir une forme juridique particulière,

le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 56 TFUE.

2) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.