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Décisions

CE, 6e sous-sect. jugeant seule, 10 juin 2011, n° 335584

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ordre des avocats au Barreau de Lyon, Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg, Ordre des avocats au Barreau de Toulouse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maugüé

Rapporteur :

M. Pichon de Vendeuil

Rapporteur public :

M. Guyomar

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin

CE n° 335584

10 juin 2011

LE CONSEIL : - Vu, 1° sous le n° 335584, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier 2010 et 15 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Ordre des avocats au Barreau de Lyon, dont le siège est au 42, rue Bonnel à Lyon (69484), représenté par son Bâtonnier en exercice ; l'Ordre des avocats au Barreau de Lyon demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence en tant qu'il réserve les appels en matière de pratiques restrictives de concurrence à la seule Cour d'appel de Paris ; - Vu, 2° sous le n° 335593, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier 2010 et 16 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg, dont le siège est au 3, quai Jacques Sturm à Strasbourg (67000), représenté par son Bâtonnier en exercice ; l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence en tant qu'il transfère respectivement au Tribunal de grande instance et au Tribunal de commerce de Nancy la compétence du Tribunal de grande instance de Strasbourg en matière de pratiques restrictives de concurrence ; - Vu, 3° sous le n° 335595, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier 2010 et 16 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Ordre des avocats au Barreau de Toulouse, dont le siège est Maison de l'Avocat 13, rue des Fleurs à Toulouse (31000), représenté par son Bâtonnier en exercice ; l'Ordre des avocats au Barreau de Toulouse demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence en tant qu'il transfère respectivement au Tribunal de grande instance et au Tribunal de commerce de Bordeaux la compétence du Tribunal de grande instance et du Tribunal de commerce de Toulouse en matière de pratiques restrictives de concurrence ; - Vu les autres pièces des dossiers ; - Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ; - Vu la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et de libertés fondamentales, notamment son article 6 ; - Vu le Code de commerce, notamment son article L. 442-6 ; - Vu le Code de l'organisation judiciaire ; - Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; - Vu le décret n° 82-452 du 28 mai 1982 ; - Vu le décret n° 2008-522 du 2 juin 2008 ; - Vu l'arrêté interministériel du 22 août 1985 portant création d'une commission d'harmonisation du droit privé ; - Vu l'arrêté du 25 mars 1993 du garde des Sceaux, ministre de la Justice portant création d'un comité technique paritaire local auprès de chaque premier président de cour d'appel, modifié par l'arrêté du 21 octobre 1999 ; - Vu le Code de justice administrative, notamment son article R. 771-15 ; - Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, chargé des fonctions de Maître des Requêtes, - les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de l'Ordre des avocats au Barreau de Lyon et autre et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg et autres, - les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ; La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de l'Ordre des avocats au Barreau de Lyon et autre et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg et autres ;

Considérant que les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le décret du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur les interventions au soutien des conclusions des requêtes n° 335584 et 335593 : - Considérant que l'Ordre des avocats au Barreau de Lille et l'Ordre des avocats au Barreau de Rennes ont intérêt à l'annulation du décret attaqué, en tant qu'il réserve à la Cour d'appel de Paris les appels en matière de pratiques restrictives de concurrence ; qu'ainsi leur intervention au soutien de la requête n° 335584 est recevable ;

Considérant que les interventions présentées à l'appui de la requête n° 335593 par l'Ordre des avocats au Barreau de Colmar et par l'Ordre des avocats au Barreau de Mulhouse, qui ont également intérêt à l'annulation du décret attaqué en tant qu'il transfère au Tribunal de grande instance de Nancy la compétence du Tribunal de grande instance de Strasbourg en matière de pratiques restrictives de concurrence, ne sont pas motivées ; qu'elles sont par suite irrecevables ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité : - Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant que l'article L. 442-6 du Code de commerce énumère différents agissements pour lesquels tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers est susceptible de voir sa responsabilité engagée en matière de pratiques restrictives de concurrence ; qu'aux termes du cinquième alinéa du III de cet article : " Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret " ;

Considérant que l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg soutient, en premier lieu, que les dispositions du cinquième alinéa du III de l'article L. 442-6 du Code de commerce méconnaissent la compétence confiée au seul législateur par l'article 34 de la Constitution pour créer un nouvel ordre de juridiction en ce qu'elles renvoient au pouvoir réglementaire le soin de fixer le siège et le ressort des juridictions appelées à connaître des contentieux en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence et violent en conséquence le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et le principe d'égalité devant la justice protégé par ses articles 6 et 16 ; que, toutefois, les dispositions législatives en cause n'ont ni pour objet ni pour effet de créer un nouvel ordre de juridiction au sens des dispositions de l'article 34 de la Constitution ; qu'ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le législateur a méconnu l'étendue de sa propre compétence et, ce faisant, privé de garanties des droits et libertés garantis par la Constitution ;

Considérant, en deuxième lieu, que si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution ;

Considérant que l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg soutient, en dernier lieu, que les dispositions législatives litigieuses méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et le principe d'égalité devant la justice protégé par ses articles 6 et 16 ; que, cependant, les dispositions législatives en cause, qui se bornent à confier au pouvoir réglementaire le soin de fixer le siège et le ressort des juridictions appelées à connaître des contentieux en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence, n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet de priver les justiciables d'un accès effectif à un tribunal ni de créer des distinctions entre eux, alors, au demeurant, qu'il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent pourvu que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le cinquième alinéa du III de l'article L. 442-6 du Code de commerce porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur la légalité externe du décret attaqué : - En ce qui concerne la compétence du pouvoir réglementaire : - Considérant, d'une part, que si l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant la création de nouveaux ordres de juridiction, la détermination du nombre, du siège et du ressort de chacune des juridictions créées dans le cadre défini par la loi ressortit à la compétence réglementaire ; que, d'autre part, le décret attaqué a été pris en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui a dérogé aux règles de valeur législative déterminant par ailleurs la compétence générale des juridictions civiles et commerciales, auxquelles le décret n'avait dès lors pas, par voie de conséquences, à se soumettre ; qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le Premier ministre n'était pas compétent pour fixer comme il l'a fait le nombre, les sièges et les ressorts de première instance et d'appel des juridictions compétentes en matière de contestations des pratiques restrictives de concurrence ;

En ce qui concerne le défaut de contreseing ministériel : - Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier Ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution " ; que, s'agissant d'un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de cet acte ; que le décret attaqué, qui n'appelle aucune mesure d'exécution ni de la part du ministre chargé du Budget et de la Fonction publique, ni de la part de celui chargé du Commerce, a pu légalement être pris sans le contreseing de ces ministres ;

En ce qui concerne la consultation des comités techniques paritaires : - Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 12 du décret du 28 mai 1982 relatif aux comités techniques paritaires : "Les comités techniques paritaires connaissent dans les conditions et les limites précisées pour chaque catégorie de comité par les articles 13 et 14 du présent décret des questions et des projets de textes relatifs : / 1° Aux problèmes généraux d'organisation des administrations, établissements ou services ; / 2° Aux conditions générales de fonctionnement des administrations et services (...)" ; qu'en vertu de l'article 3 du même décret, sont créés, par arrêté du ministre, des comités techniques centraux auprès de chaque directeur responsable de services centraux et de services déconcentrés ; que les dispositions du décret attaqué entraient, du fait des conséquences qu'elles emportent sur l'organisation et le fonctionnement des services des tribunaux concernés, dans le champ de compétence du comité technique paritaire central placé auprès du directeur des services judiciaires, constitué en vertu de cet article et exerçant ainsi sa compétence tant pour les services déconcentrés que pour les services centraux ; que si ont été également créés des comités techniques paritaires régionaux auprès de chaque premier président de cour d'appel par arrêté du 25 mars 1993 modifié par arrêté du 21 octobre 1999, la consultation de ces comités n'était pas requise préalablement à l'édiction du décret attaqué, eu égard au caractère général des orientations ayant présidé à la réorganisation de la carte judiciaire qu'il opère, y compris quant à sa mise en œuvre territoriale ; que les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que l'absence de consultation des comités techniques paritaires régionaux entacherait d'irrégularité le décret qu'ils attaquent ;

Considérant, en deuxième lieu, d'une part, que l'article 9 du décret du 28 mai 1982 dispose que : Les membres titulaires et suppléants des comités techniques sont désignés pour trois ans, sous réserve du cas prévu au troisième alinéa de l'article précédent. (...) ; que l'article 10 du même décret précise que : Les représentants de l'administration et du personnel membres titulaires ou suppléants des comités techniques venant, au cours de la période de trois années visée à l'article 9 ci-dessus, à cesser les fonctions pour lesquelles ils ont été nommés (...) sont remplacés dans les formes prévues aux articles 7, 8 et 9 ci-dessus. (...) / Le mandat des remplaçants prend fin en même temps que celui des autres membres du comité ; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration ne peut, en dehors des cas qu'elles énumèrent limitativement, modifier, en cours de mandat, la composition d'un comité technique paritaire en mettant fin au mandat de certains de ses membres en vue de procéder à la nomination de nouveaux membres ; que, par un arrêté du 1er juillet 2009, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a procédé à une nouvelle nomination de l'ensemble des membres titulaires et suppléants du comité technique paritaire central des services judiciaires, dont la composition était précédemment fixée par un arrêté du 22 juin 2009 ; qu'à l'appui du recours dirigé contre le décret litigieux pris à la suite de la consultation de ce comité, ne peut être invoquée, pour démontrer l'irrégularité de sa composition au motif qu'il procède à la nomination de nouveaux membres, que l'illégalité du seul arrêté du 1er juillet 2009 ; qu'il est constant que si cet arrêté a abrogé l'arrêté précédent du 22 juin 2009 qui comportait des erreurs matérielles, il n'a toutefois nullement modifié la composition du comité par rapport à celle résultant du premier arrêté ; qu'il en résulte que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le comité technique paritaire était, lorsqu'il a examiné le projet de décret litigieux lors de sa séance du 10 juillet 2009, composé dans des conditions de nature à entacher d'irrégularité de procédure ce décret ;

Considérant, d'autre part, que l'article 25 du décret du 28 mai 1982 visé ci-dessus prévoit que les membres d'un comité technique paritaire doivent recevoir communication de toutes pièces et documents nécessaires à l'accomplissement de leurs fonctions au plus tard huit jours avant la date de la séance ; qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers, notamment du procès-verbal de la réunion du comité technique paritaire central des services judiciaires du 10 juillet 2009, que tel n'aurait pas été le cas ;

Considérant, enfin, que l'article 28 du décret du 28 mai 1982 relatif aux comités techniques paritaires dispose que les trois quarts au moins de leurs membres doivent être présents lors de l'ouverture de la réunion (...) ; qu'il ressort des pièces des dossiers que ce quorum était atteint lors de l'ouverture de la séance du 10 juillet 2009, l'ensemble des représentants de l'administration et du personnel étant présents et ayant au surplus pris part aux différents votes organisés au cours de la réunion du comité ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué serait entaché d'illégalité en raison de l'irrégularité de la consultation du comité technique paritaire central des services judiciaires ;

En ce qui concerne la consultation d'autres organismes : - Considérant, en premier lieu, que l'article 13 du décret du 2 juin 2008 portant refonte de la partie réglementaire du Code de l'organisation judiciaire a abrogé le chapitre III du titre Ier du décret du 22 décembre 1958 portant application de l'ordonnance n° 58-1273 du 22 décembre 1958 et relatif à l'organisation judiciaire, qui instaurait le conseil de l'organisation judiciaire ; que ce conseil ayant ainsi été supprimé antérieurement à l'édiction du décret attaqué, le moyen tiré de ce que ce dernier aurait dû lui être soumis pour avis ne peut qu'être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonnait à la consultation préalable des représentants des avocats inscrits près des barreaux concernés l'édiction du décret attaqué ;

Considérant, en troisième lieu, que si, aux termes de l'article 1er de l'arrêté interministériel du 22 août 1985 portant création d'une commission d'harmonisation du droit privé : "Il est institué auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice, une commission chargée de proposer et d'étudier les harmonisations qui paraîtraient possibles, en droit privé, entre les dispositions applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et les autres départements.", il ne résulte pas de ces dispositions ni d'aucune autre que la consultation de cette commission était en l'espèce légalement requise pour prendre le décret attaqué ; que le moyen tiré de l'absence de consultation de cet organisme doit donc être écarté ;

Sur la légalité interne du décret attaqué : - Considérant que le décret attaqué s'inscrit dans le cadre de la réforme de l'organisation judiciaire ; que les objectifs d'intérêt général de cette réforme ont visé notamment, afin de mettre en œuvre l'objectif de bonne administration de la justice, à rationaliser la carte judiciaire, permettre une professionnalisation et une spécialisation accrues des magistrats, limiter l'isolement des juges et renforcer la continuité du service public ; que, pour la prise en charge du traitement de certains contentieux présentant une forte technicité et nécessitant une jurisprudence mieux harmonisée sur le territoire national, la réforme a en outre cherché à spécialiser certaines juridictions dans la connaissance de ces contentieux ; que l'objectif recherché par le décret attaqué a ainsi consisté, pour le contentieux des pratiques restrictives de concurrence, à accroître la spécialisation de certaines juridictions ;

Considérant, en premier lieu, que malgré l'éloignement qui en résulte pour certains justiciables, la suppression de la compétence de certaines juridictions de premier ressort et d'appel pour connaître des litiges en matière de pratiques restrictives de concurrence opérée par le décret attaqué ne porte pas, eu égard aux motifs d'intérêt général exposés ci-dessus et compte tenu du nombre de juridictions dont la compétence en cette matière subsiste et de leur répartition sur l'ensemble du territoire, une atteinte illégale au principe d'égalité entre les usagers du service public de la justice et ne porte pas non plus illégalement atteinte au droit d'accès à un tribunal garanti par les stipulations de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'au regard des mêmes motifs d'intérêt général, les atteintes éventuellement portées aux intérêts économiques des professionnels du droit, dans le ressort des juridictions dont la compétence en matière de pratiques restrictives de concurrence est supprimée, ne sont pas excessives et ne constituent pas une discrimination illégale à l'égard de ces professionnels, par rapport à ceux qui exercent dans les ressorts des juridictions dont la compétence est maintenue ; que, dès lors qu'aucune disposition n'imposait que des mesures de compensation soient prises au bénéfice des professionnels du droit lésés par la réforme, l'absence de telles mesures dans le décret attaqué est sans incidence sur sa légalité ;

Considérant, en troisième lieu, qu'au regard des objectifs d'intérêt général rappelés ci-dessus, du nombre potentiel d'affaires concernées et de la spécificité du contentieux en cause, le moyen tiré de ce que le transfert respectivement aux juridictions civiles et commerciales de Nancy et de Bordeaux de la compétence relevant auparavant de celles de Strasbourg et de Toulouse en matière de contestations de pratiques restrictives de concurrence serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté ; que, pour les mêmes motifs et alors, au demeurant, que la Cour d'appel de Paris connaît déjà exclusivement de plusieurs contentieux spécifiques en matière de droit de la concurrence, le décret n'est pas non plus entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il a transféré à cette cour d'appel unique le soin de connaître de l'appel des décisions rendues en matière de pratiques restrictives de concurrence par les juridictions de premier degré désignées par le décret attaqué ;

Considérant, enfin, que le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait pour effet d'allonger indûment les délais de jugement et, ce faisant, de méconnaître les stipulations de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et de libertés fondamentales ne peut qu'être écarté, aucune disposition du décret attaqué n'ayant par elle-même d'effet sur la durée des procédures ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les ordres requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret attaqué ;

Décide :

Article 1er : Les interventions de l'Ordre des avocats au Barreau de Lille et de l'Ordre des avocats au Barreau de Rennes sont admises.

Article 2 : Les interventions de l'Ordre des avocats au Barreau de Colmar et de l'Ordre des avocats au Barreau de Mulhouse ne sont pas admises.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg.

Article 4 : Les requêtes de l'Ordre des avocats au Barreau de Lyon, de l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg et de l'Ordre des avocats au Barreau de Toulouse sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Ordre des avocats au Barreau de Lyon, à l'Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg, à l'Ordre des avocats au Barreau de Toulouse, à l'Ordre des avocats au Barreau de Lille, à l'Ordre des avocats au Barreau de Rennes, à l'Ordre des avocats au Barreau de Colmar, à l'Ordre des avocats au Barreau de Mulhouse, au garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés et au Premier ministre. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.