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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 4 mai 2010, n° 09-01440

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ecole Technique Privée d'Esthétique et de Coiffure Giorgifont (SAS)

Défendeur :

Ansellm, Dermo Esthétique Reine (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

M. Chassery, Mme Debuissy

Avoués :

SCP Argellies - Watremet, SCP Jougla - Jougla

Avocat :

Me Laurent

TGI Montpellier, du 27 janv. 2009

27 janvier 2009

Faits et procédure - moyens et prétentions des parties

Mme Ansellm, dirigeante de la société Dermo Esthétique Reine exploitant un salon de beauté situé à Lyon, est titulaire des marques " Dermo Esthétique Reine ", déposée le 10 juin 1981 et enregistrée sous le numéro 1173185, et " Dermo Esthétique ", déposée le 2 août 1983 et enregistrée sous le numéro 1270243, toutes deux désignant des "produits de beauté et de parfumerie, soins de beauté et méthodes particulières pour les administrer " (classes 3.42).

Au mois de novembre 2005, Mme Ansellm a eu connaissance du fait que la société Ecole Technique Privée d'Esthétique et de Coiffure Giorgifont (la société Giorgifont) faisait usage de la marque " Dermo Esthétique " sur son site Internet et, ce, afin de promouvoir sa propre activité.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 24 novembre 2005, elle a mis en demeuré la société Giorgifont de cesser immédiatement toute contrefaçon ou utilisation abusive des marques " Dermo Esthétique Reine " et " Dermo Esthétique " sur quelque support que ce soit, de justifier de la cessation effective de cette utilisation illicite, de lui adresser une attestation par laquelle elle reconnaissait avoir procédé à la destruction de tout document utilisant lesdites marques et s'engageait pour l'avenir à ne plus les employer d'une quelconque façon et de lui indiquer les modalités suivant lesquelles elle entendait l'indemniser du préjudice résultant de ces actes de contrefaçon et de concurrence déloyale.

La mise en demeure étant restée sans effet, Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine ont fait assigner, selon exploit du 13 décembre 2006, la société Giorgifont devant le tribunal de grande instance de Montpellier pour voir constater qu'elle s'est livrée à des actes de contrefaçon à l'encontre de Mme Ansellm et de concurrence déloyale à l'encontre de la société Dermo Esthétique Reine en reproduisant les termes " Dermo Esthétique " sur son site internet et la voir condamner à leur verser la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts à chacune, outre la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 27 janvier 2009, le tribunal a dit que la société Giorgifont avait commis des actes de contrefaçon, a ordonné qu'elle cesse, sous astreinte, ces actes, et l'a condamnée à payer à Mme Ansellm 5 000 euro à titre de dommages et intérêts, outre des frais irrépétibles, mais a rejeté l'action en concurrence déloyale.

La société Giorgifont a régulièrement interjeté appel de ce jugement en vue de sa confirmation en ce qu'il a rejeté la demande en concurrence déloyale et à son infirmation pour le surplus, demandant à la cour:

- sur le grief de contrefaçon de marques,

* à titre principal, de constater que la marque " Dermo Esthétique " a été judiciairement définitivement annulée, en sorte que la demande en contrefaçon de cette marque n'est pas fondée, et que la demande en contrefaçon de la marque " Dermo Esthétique Reine " n'est pas fondée,

* à titre subsidiaire et reconventionnellement, d'annuler les marques " Dermo Esthétique Reine " et

" Dermo Esthétique " ou de prononcer leur déchéance ou, en toute hypothèse, de dire qu'elle n'a pas commis d'atteinte à ces marques,

- sur le grief de concurrence déloyale, de dire qu'elle n'a pas commis d'actes répréhensibles,

- en toute hypothèse, sur le préjudice allégué, de dire que Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine n'ont subi aucun préjudice en relation causale avec les faits reprochés,

- reconventionnellement, de condamner in solidum Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine à lui payer 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Elle soutient, dans ses écritures du 17 mars 2010, que:

-la marque " Dermo Esthétique " a été annulée par un jugement définitif du tribunal de grande instance de Paris du 30 avril 2009, et cette décision a été, depuis lors, consacrée par d'autres juridictions,

- la demande fondée sur la marque " Dermo Esthétique Reine " sera également rejetée puisque le radical " Dermo Esthétique " a été jugé non protégeable et qu'elle n'a jamais reproduit le nominal " Reine ",

- le signe " Dermo Esthétique" doit être annulée pour absence de distinctivité, ainsi que cela a été jugé par diverses juridictions,

- aucune distinctivité par usage ne peut être invoquée, seuls un usage postérieur au dépôt de la marque et un usage réellement exceptionnel étant susceptibles de la justifier,

- les marques invoquées ont été déposées par Mme Ansellm, ce qui ne correspond pas à l'état civil véritable de Mme Reine Amsellem, mais à son pseudonyme,

- il n'est pas justifié d'un usage sérieux de ces marques pendant une durée ininterrompue de cinq ans,

- la formule " Dermo Esthétique " est employée depuis de nombreuses années dans son acception commune, de manière courante, ce qui a entraîné sa déchéance pour dégénérescence,

- le premier juge s'est fondé à tort sur les dispositions de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui vise la reproduction de marque, alors que la demande devait être examinée sur le fondement de l'article L. 713-3 du même Code qui concerne l'imitation, laquelle suppose la démonstration d'un risque de confusion, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque son activité qui consiste dans des formations et des stages dans le domaine de l'esthétique, la coiffure et la parapharmacie, est différente de celle de Mme Ansellm,

- elle n'a pas utilisé les termes de " dermo esthétique " à titre de marque, mais dans leur sens usuel,

- les faits qui lui sont reprochés pour fonder l'action en concurrence déloyale ne sont pas distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon,

- aucune concurrence n'existe entre des activités de formation et d'enseignement, d'un côté, et des activités de diffusion de produits et soins de beauté, d'un autre côté,

- elle n'a jamais fait usage du nom commercial " Centre Dermo Esthétique Reine " utilisé par Mme Ansellm

- Mme Ansellm, qui soutient avoir prêté ses marques à sa société et ne les exploite donc pas directement, ne peut invoquer aucun préjudice commercial ou une perte de clientèle,

- la société Dermo Esthétique Reine rencontre des difficultés financières depuis de nombreuses années, bien antérieurement à l'exploitation litigieuse alléguée,

- en persistant dans leur action en dépit d'une décision ayant annulé la marque " Dermo Esthétique ", Mme Ansellm et la société Dermo esthétique Reine ont abusé de leur droit d'agir en justice.

Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine ont conclu à la confirmation du jugement entrepris, sauf à leur allouer la somme de 15 000 euro à chacune à titre de dommages et intérêts, outre 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elles font valoir, dans leurs écritures du 30 octobre 2009, que:

- en l'absence de toute décision définitive ayant prononcé la nullité de la marque " Dermo Esthétique", il ne peut être fait état de l'effet erga omnes prévu par l'article L. 714-3 du Code la propriété intellectuelle,

- la société Giorgifont s'est rendue coupable de contrefaçon en reproduisant la marque " Dermo Esthétique " à l'identique pour faire la promotion de ses activités, mais aussi par imitation de la marque, qui crée un risque de confusion dans l'esprit du public,

- a la date de son dépôt, en 1983, la marque " Dermo Esthétique " n'était pas constituée de la désignation nécessaire ou générique des produits et services visés dans l'acte de dépôt, et, par ailleurs, n'était pas composée exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou du service,

- la marque " Dermo Esthétique " est distinctive et, en outre, elle est utilisée depuis 1971,

- peu importe que la marque ait été déposée par Mme Amsellem sous son pseudonyme Ansellm dès lors que la capacité d'ester en justice s'attache à la personne en tant que sujet de droit, quelle que soit son identité,

- la marque a été exploitée notamment par la société dirigée par Mme Ansellm au cours des cinq dernières années,

- contrairement à ce que soutient la société Giorgifont, la marque " Dermo Esthétique " ne constitue pas aujourd'hui un terme générique,

- Mme Ansellm a toujours réagi aux actes de contrefaçon en poursuivant leurs auteurs en justice,

- les termes utilisés par la société Giorgifont sur son site internet et sa brochure de présentation constituent bien la reproduction de l'enseigne et du nom commercial de la société Dermo Esthétique Reine, ce qui constitue un acte de concurrence déloyale, l'existence d'une situation de concurrence directe ou effective entre les parties n'étant pas une condition de cette action,

- Mme Ansellm a subi un préjudice commercial constitué par l'absence de versement de redevances de licence de marque et par une atteinte à cette marque,

- la concurrence déloyale a également nécessairement entraîné un préjudice.

Le 26 mars 2010, Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine ont fait signifier des conclusions, dont la société Giorgifont a sollicité, le 1er avril 2010, le rejet en raison de leur proximité avec l'ordonnance de clôture du 29 mars 2010, qui l'a empêchée d'y répliquer en temps utiles.

Le 31 mars 2010, la société Giorgifont a fait signifier des écritures, dont Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine ont soulevé, le 1er avril 2010, l'irrecevabilité. Elles ont également répliqué à l'incident de leur adversaire en demandant à la cour, pour le cas où elle rejetterait les conclusions et pièces signifiées le 26 mars 2010, de rejeter pareillement les écritures et pièces leur ayant été notifiées le 17 mars 2010.

Motifs de la décision

1/ Sur les incidents de procédure

Attendu que l'ordonnance de clôture a été prononcée, ainsi que les parties en avaient été avisées, le 29 mars 2010;

Que les écritures et pièces signifiées par la société Giorgifont le 17 mars 2010 ont laissé à leur adversaire un temps suffisant pour y répliquer;

Qu'en revanche, tel n'est pas le cas des conclusions - contenant des moyens nouveaux - et des pièces (n° 52 à 57) que Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine ont notifiées à l'appelante le 26 mars 2010, qui était un vendredi, alors que la clôture de l'instruction a été prononcée le lundi 29 mars suivant;

Qu'elles seront donc rejetées, de même que les conclusions et pièces (n° 47 à 52) signifiées par la société Giorgifont le 31 mars 2010, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture;

2/ Sur l'action en contrefaçon de marque

Attendu que par jugement du 30 avril 2009, le Tribunal de grande instance de Paris, statuant dans une instance en contrefaçon opposant Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine à la société Yves Rocher, a déclaré nul l'enregistrement n° 1270243 de la marque verbale " Dermoesthétique " déposée le 2 août 1983 par Mme Reine Ansellm;

Que cette décision, signifiée à Mme Ansellm et à la société Dermo Esthétique Reine le 27 mai 2009 et à leur conseil le 11 mai précédent, n'a pas été frappée d'un recours ainsi que l'atteste le certificat de non-appel délivré le 31 août 2009;

Que, s'il ressort de la lecture d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 novembre 2009, rendu dans une instance opposant Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine à M. Benoliel, que la décision précitée du 30 avril 2009 a fait l'objet d'une tierce opposition, il reste que cette voie extraordinaire de recours n'étant pas suspensive d'exécution et ne tendant qu'à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du seul tiers qui l'attaque, est sans incidence sur le présent litige;

Attendu qu'aux termes de l'article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle, la décision d'annulation a un effet absolu;

Qu'il s'ensuit que Mme Ansellm ne peut invoquer à titre privatif ses droits sur la marque " Dermo Esthétique ", qui ont été définitivement et rétroactivement éteints;

Attendu, par ailleurs, qu'il n'est pas reproché à la société appelante d'avoir fait usage de la marque

" Dermoesthétique Reine ";

Attendu que c'est donc par une fausse appréciation que le premier juge a fait droit à l'action en contrefaçon;

Que le jugement entrepris sera infirmé de ce chef;

3/ Sur l'action en concurrence déloyale

Attendu que les intimées font valoir à ce titre qu'en faisant usage sur son site internet du terme " Dermo esthétique ", la société Giorgifont a porté atteinte à la dénomination sociale de la société Dermo Esthétique Reine, à son enseigne et à son nom commercial " Centres Dermo Esthétique Reine ";

Attendu que la société appelante n'a jamais fait usage du nom " Centres Dermo Esthétique Reine ", mais a seulement employé les termes " dermo esthétique " dans le sens courant décrivant le sujet de certaines des formations professionnelles qu'elle dispense, et sans jamais l'associer au terme "Reine";

Que, ce faisant, la société Giorgifont n'a pas porté atteinte au nom commercial des intimées;

Que le jugement entrepris sera donc, par ces motifs, confirmé en ce qu'il a rejeté la demande formée au titre des actes de concurrence déloyale;

4/ Sur les autres demandes

Attendu que la société appelante ne démontre pas que l'action en justice de Mme Ansellm et de la Dermo Esthétique Reine a dégénéré en abus;

Attendu que les intimées, qui succombent, seront condamnées in solidum à payer à la société appelante la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, verront leur propre demande de ce chef rejetée et supporteront les dépens de première instance et d'appel;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Rejette des débats les conclusions et pièces signifiées les 26 et 31mars 2010. Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'action en concurrence déloyale. L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau, déboute Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine de leur action en contrefaçon de marque. Condamne in solidum Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine à payer à la société Ecole Technique Privée d'Esthétique et de Coiffure Giorgifont la somme de cinq mille euro (5 000) en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute la société appelante de sa demande à titre de dommages et intérêts. Déboute les intimées de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne in solidum Mme Ansellm et la société Dermo Esthétique Reine aux dépens de première instance et d'appel, et autorise la SCP Argellies-Watremet, avoués, à recouvrer le montant de ceux d'appel aux forme et condition de l'article 699 du Code de procédure civile.