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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 29 juin 2011, n° 10-02209

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Monsieur Bricolage (SA)

Défendeur :

Pebeo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP Primout-Faivre, SCP Cohen Guedj

Avocats :

Mes Bedoiseau, Tavitian

T. com. Marseille, du 28 janv. 2010

28 janvier 2010

La SA Pebeo, fabricant et commercialisant des produits de peinture dits " beaux-arts " et " loisirs créatifs " est en relation d'affaires avec la SA Monsieur Bricolage depuis une date controversée (1990 ou 2000), la SA Pebeo fournissant à la SA Monsieur Bricolage différents produits et bénéficiant pour ceux-ci de référencements auprès de distributeurs groupés dans un réseau mis en place par la centrale d'achats (environ 500 points de vente). Le dernier " contrat-cadre de commercialisation " a été signé entre les parties, le 15 février 2007. La SA Monsieur Bricolage mettait fin à la relation commerciale, le 6 décembre 2007, à effet au 31 décembre 2008.

Par jugement contradictoire en date du 28 janvier 2010, le Tribunal de commerce de Marseille a condamné la SA Monsieur Bricolage à payer à la SA Pebeo la somme de 263 644 euro au titre de remboursement de factures de " coopérations commerciales " et celle de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et a débouté la SA Pebeo de ses deux autres demandes, indemnité au titre de la coopération commerciale et indemnité pour le mobilier de présentation, le jugement étant assorti de l'exécution provisoire pour l'ensemble de ses dispositions.

La SA Monsieur Bricolage a régulièrement fait appel de ce jugement dans les formes et délais légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 en date du 28 décembre 1998.

Vu les conclusions récapitulatives de la SA Monsieur Bricolage en date du 12 janvier 2011 tendant à faire juger :

- que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la SA Pebeo de sa demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce visant à obtenir des dommages et intérêts (132 865 euro) pour avoir imposé à la SA Pebeo d'acheter à un fabricant désigné (la société Artech) des mobiliers et aménagements de présentation spécifiques et coûteux, cette obligation étant prévue au contrat,

- que la société Artech a fabriqué ce mobilier spécifique nécessaire pour valoriser d'une manière homogène les produits Pébeo distribués et qu'il ne peut être retenu l'argumentation de la SA Pebeo quant à l'existence d'un différend important en février/mars 2004 quant au coût estimé prohibitif du mobilier et quant à des faits de chantage et de pression de la part de la SA Monsieur Bricolage pour maintenir le contrat, la SA Pebeo usant d'une " stratégie de victimisation ",

- que la rupture précédée d'un préavis d'une durée d'une année n'a été ni abusive, ni brutale, la demande de dommages et intérêts à hauteur de 500 000 euro a été justement rejetée,

- que la rupture n'a pas pour cause le différend survenu en 2004, l'ancienneté de ce différend et la conclusion postérieure d'un accord commercial, outre l'existence d'un certain volume d'affaire réalisé entre la SA Pebeo et la SA Monsieur Bricolage l'excluant,

- que les éléments du préjudice invoqués par la SA Monsieur Bricolage ne sont pas démontrés (perte du chiffre d'affaires, atteinte à l'image de marque et perte sur les investissements mobiliers réalisés),

- que les premiers juges ne pouvaient condamner la SA Monsieur Bricolage à payer à la SA Pebeo la somme de 263 644 euro correspondant aux factures de " Prestations de Services Centrale " acquittées par la SA Pebeo depuis 2005, alors que cette facturation était " légitime ",

- que ces factures acquittées n'étaient pas dénuées de contrepartie, celle-ci étant l'accès au réseau de distribution permis par le travail de la centrale de référencement, cet ensemble de services étant de deux natures : " organisationnels et commerciaux " et liés à la procédure de référencement comportant treize étapes et la rémunération des prestations étant proportionnelle aux chiffres d'affaires réalisés par la SA Pebeo et les adhérents du réseau de magasins Monsieur Bricolage ;

Vu les conclusions récapitulatives de la SA Pebeo en date du 13 janvier 2001 tendant à faire juger :

- que la SA Monsieur Bricolage a encaissé des paiements pour des prestations commerciales fictives appelées " prestations de coopération commerciale " selon le " système " dit de " remontée des marges arrières " condamné par l'article L. 442-6 du Code de commerce dans sa rédaction alors applicable,

- que la SA Monsieur Bricolage ne fait pas la preuve que le service facturé au titre initialement de " commission de référencement ", puis qualifié de prestations de service centrale, prestations services marketing, de dynamisme des ventes, a été effectivement rendu,

- que la SA Monsieur Bricolage ne fait la preuve ni de l'effectivité d'une prestation commerciale, ni de sa proportion avec l'importance de la facturation, soit au total un montant de 263 644 euro payés indûment, la réalité des prestations étant contredite par la baisse constante du chiffre d'affaires,

- que la SA Monsieur Bricolage lui a imposé en 2004 la réalisation et le montage à un prix prohibitif par une entreprise de son choix (la société Artech) d'un mobilier de présentation, des pressions et menaces de rupture de la relation commerciale étant alors proférées, des dommages et intérêts équivalents à cette dépense inutile doivent être alloués à hauteur de 132 865 euro,

- que la SA Monsieur Bricolage a déréférencé la SA Pebeo de manière abusive et discrétionnaire à l'issue d'un processus sur 3 années après avoir trouvé un autre fournisseur, le préavis n'a pas été respecté, des magasins du réseau de distribution Monsieur Bricolage ayant annulé des commandes pendant le cours du préavis,

- que l'indemnité lui revenant en raison de l'abus du droit commis par la SA Monsieur Bricolage de rompre la relation commerciale, doit être fixée à 500 000 euro sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle.

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 17 janvier 2011.

Attendu que les négociations pour le renouvellement annuel du " contrat-cadre de commercialisation de produits " devant entrer en vigueur le 1er janvier 2004 et devant être conclu avant le 15 février 2004, ont achoppé entre les parties sur l'exigence nouvelle de la SA Monsieur Bricolage d'imposer la société Artech pour la fabrication du mobilier de présentation devant être fourni par la SA Pebeo et installé dans le réseau de magasins des distributeurs et ont donné lieu à des échanges vifs de correspondances et à des difficultés prolongées ; que les parties ont finalement conclu, à une date indéterminée (aucune mention à cet égard ne figurant sur le contrat), un contrat à effet au 1er janvier 2005, en renouvellement du dernier signé entre elles, le 31 décembre 2002, au titre de l'année 2003 ; que le " contrat-cadre de commercialisation de produits " à effet au 1er janvier 2005 stipule expressément que la SA Pebeo fournirait à la SA Monsieur Bricolage du " mobilier spécifique ", c'est-à-dire fabriqué par la société Artech que la SA Monsieur Bricolage avait choisie ; que la SA Pebeo a consenti malgré sa vive opposition initiale à commander auprès de la société Artech ledit mobilier malgré son coût qu'elle estimait prohibitif ; qu'elle a effectivement passé commande de ce mobilier qu'elle a installé à ses frais à partir du mois de mars 2005 dans le réseau de magasins des distributeurs ; qu'il ne résulte pas des courriers échangés (et notamment d'un mail de la SA Monsieur Bricolage du 21 janvier 2005) relativement à cette condition nouvelle posée par la SA Monsieur Bricolage et considérée par celle-ci comme essentielle ou déterminante, qu'elle a usé de menaces, de chantages et/ou de pressions pour obtenir le renouvellement du contrat ; que la SA Monsieur Bricolage faisait, sans faute avérée de sa part, de la fabrication de meubles/présentoirs par un seul fabricant qu'elle avait choisi, une condition essentielle du renouvellement du " contrat-cadre de commercialisation de produits " avec la SA Pebeo ; que cette exigence d'avoir un mobilier " normalisé " au sein d'un vaste réseau de distribution n'apparaît pas manifestement excessive au regard des règles et pratiques du commerce de la grande distribution ; que la SA Pebeo sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts équivalents à la dépense en mobiliers qu'elle a engagée, de manière contrainte selon elle, auprès de la société Artech ;

Attendu que les " contrats-cadres de commercialisation de produits " pour les années 2005, 2006 et 2007 comportent " des remises de fin d'année et ristournes payables en fin d'année " (RFA), rémunérant les " référencements des produits du fournisseur " et décrivent (titre III en 7 pages pour le contrat 2007) un ensemble " de prestations de services réalisées par la SA Monsieur Bricolage " ; que pour l'année 2007, la SA Monsieur Bricolage a facturé, au titre des RFA, une somme de 58 059,33 euro HT représentant 3 % et 4 % du chiffre d'affaires réalisé soit 829 419 euro et, au titre des " Prestations de Services Central ", de " commission de dynamisme des ventes " et de " Prestations de Services Centrale Marketing ", quatre avoirs trimestriels de 12 800,08 euro HT chacun sur un chiffre d'affaires évalué de 930 914 euro, soit des taux respectifs 4,30 %, de 0,20 % et de 1 % du montant du chiffre d'affaires, soit un prélèvement au taux global de 12,50 % ;

Attendu qu'aux termes de l'article L. 442-6 (I) 2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001, " engage la responsabilité de son auteur le fait par tout commerçant d'obtenir d'un partenaire économique un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu " ; que selon l'article L. 442-6 (III) 2e alinéa du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 2005, applicable à l'ensemble de la réclamation de la SA Pebeo, il appartient à un opérateur économique qui a obtenu la rémunération d'un service de coopération commerciale ou d'un " service distinct " de démontrer l'effectivité de la fourniture de ces services ; que la " reconnaissance " faite par la SA Pebeo dans le " contrat-cadre de commercialisation de produits " pour l'année 2007 (article 7, il est à noter que cette " reconnaissance " est une " innovation " par rapport au libellé du contrat précédent de 2005), que " la SA Monsieur Bricolage a mis en place une organisation spécifique qui lui permet de disposer en un lieu unique pour le référencement de ses produits d'un seul interlocuteur représentant l'ensemble des sociétés indépendantes " n'exonère pas la SA Monsieur Bricolage de faire la preuve de la réalité des services de toute nature qu'elle facturera à la SA Pebeo ; que la SA Pebeo ne s'est pas interdit de contester la réalité des prestations qui lui ont été facturées ;

Attendu que les services optionnels proposés par la SA Monsieur Bricolage (en évolution constante en nombre et en contenu au gré des contrats successifs) sont définis de manière générique et vague, malgré une description apparemment et faussement détaillée ; que la SA Pebeo a accepté que la SA Monsieur Bricolage accomplisse pour son compte certaines prestations : des " Prestation de Service Centrale " (PSC) se répartissant en services de deux ordres organisationnels et commerciaux ", des " Prestations de Services Centrale Marketing " (PSCM), des " Services de coopération commerciale " se déclinant en 11 sous-rubriques et un service intitulé " Commission de dynamisme des ventes " ; que la définition contractuelle ne recouvre pas un contenu de prestations clairement appréhendable et tangible ; que les obligations pesant sur la SA Monsieur Bricolage pour mettre en œuvre tous les services de coopération commerciale et les autres services distincts ne sont pas précisées ; que la SA Monsieur Bricolage ne fait pas a posteriori la preuve qui lui incombe qu'elle a rendu effectivement et complètement tous les services aux contours et à la réalité imprécis qu'elle avait promis ; que pour justifier de la réalité de l'ensemble des prestations qu'elle dit avoir réalisées, elle se borne à décrire son fonctionnement général et à fournir de très rares documents lacunaires dont certains sans rapport aucun avec les services en cause (tels un compte-rendu de visites d'un magasin à Paray le Monial (71) en 2004 - hors période contestée - pour apprécier ses " performances économiques " globales !!! ou un compte-rendu d'une " réunion animateurs " toujours en 2004 à Saint Renan visant l'ensemble des rayons du magasin de bricolage dans lequel le rayon " beaux-arts " et " loisirs créatifs " n'occupe pas une place prépondérante et a été évoqué très incidemment !!!) ; que de même, la SA Monsieur Bricolage fournit deux documents de 2004 pour illustrer une action commerciale dans le domaine des " beaux-arts " et des " loisirs créatifs "; qu'en raison de leur date, ils sont inopérants ; qu'il est seulement produit le planning pour 2005 des " animations Mr Bricolage " en " loisirs créatifs " programmées dans 51 magasins du réseau ; que la SA Monsieur Bricolage ne rapporte absolument pas la preuve, en dehors de ses affirmations et du descriptif du long processus de référencement en 13 étapes (une rémunération spéciale, soit 3 % et 4 % des chiffres d'affaires, étant perçue pour le référencement lui-même), qu'elle a exécuté des prestations significatives de coopération commerciale ou autres, annexes à la prestation de référencement des produits de la SA Pebeo ; qu'il s'ensuit que les premiers juges ont justement fait application de l'article L. 442-6 (I) 2 du Code de commerce, le prix des services facturé (263 644 euro) pour la période considérée étant manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu dont il a été très faiblement justifié (quelques opérations d'animation commerciale) ; qu'il y a lieu en raison de cette très faible valeur, de fixer le montant des dommages et intérêts revenant à la SA Pebeo à celui des factures qu'elle a acquittées ;

Attendu que la SA Monsieur Bricolage n'a pas commis d'abus de droit lorsqu'elle a rompu le " contrat-cadre de commercialisation " de 2007 ; qu'il lui est loisible sans indiquer de motifs mais en respectant un préavis suffisant (une année en l'espèce), de mettre fin à la relation commerciale ; que la SA Pebeo n'établit pas que la SA Monsieur Bricolage l'a évincée en fin d'année 2007 à titre de mesure de rétorsion notamment en provoquant la baisse des ventes de produits Pebeo à partir de 2004 et que l'existence du différend né, en début d'année 2004, à propos de l'exigence nouvelle de la SA Monsieur Bricolage de faire installer dans les magasins de son réseau un mobilier d'un certain type, est la cause déterminante de sa décision de rupture en date du 6 décembre 2007 ; que la preuve de la volonté de la SA Monsieur Bricolage de se défaire de son partenaire en décourageant les ventes dans son réseau de distribution ne résulte pas, en l'absence d'autres éléments pertinents, de la seule baisse du chiffre d'affaires constatée à partir de 2004 ;

Attendu que le jugement mérite confirmation pour les motifs exposés ci-dessus et ceux non contraires des premiers juges ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre une somme de 5 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Déclare recevable l'appel interjeté par la SA Monsieur Bricolage. Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, condamne la SA Monsieur Bricolage à porter et payer à la SA Pebeo la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel. Condamne la SA Monsieur Bricolage aux dépens dont distraction au profit de la SCP d'avoués associés Hervé Cohen-Laurent Cohen & Paul Guedj, qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.