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Décisions

Cass. soc., 22 juin 2011, n° 09-68.762

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Escabasse, Tatibouet

Défendeur :

Compagnie IBM France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Rapporteur :

M. Blatman

Avocat général :

M. Cavarroc

Avocats :

SCP Defrenois, Levis, SCP Célice, Blancpain, Soltner

Versailles, 11e ch., du 12 mai 2009

12 mai 2009

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que MM. Escabasse et Tatibouet, employés en qualité de consultants ingénieurs-conseil par la société Pricewaterhouse Coopers Consulting, en sont devenus associés ; que la société compagnie IBM France ayant, par accord du 30 juillet 2002, fait l'acquisition de l'activité "consulting" de cette société, les contrats de travail des deux salariés, qui par ailleurs avaient cédé leurs parts sociales à la société acheteuse, lui ont été transférés ; que les intéressés ont signé le 19 septembre 2002, à effet du 1er octobre 2002, un contrat de travail qui prévoyait une rémunération comprenant une partie fixe et une partie variable annuelle en fonction d'objectifs définis, l'employeur s'engageant à ne licencier aucun des deux salariés pour motif économique dans les deux années suivant la date d'engagement, et, en cas de licenciement pendant cette période, à leur verser, sauf dans l'hypothèse d'un licenciement pour faute lourde ou grave ou d'une cause définie à l'article 16 du contrat de travail, une indemnité contractuelle de rupture ; que le même contrat stipulait, dans son annexe A, une clause de non-concurrence d'une durée de 12 mois ainsi libellée : "(...) l'employeur (...) vous paiera à partir de la cessation effective du contrat de travail et tant que cet engagement restera en vigueur, 25 % de la rémunération en espèces qui vous aura été versée par l'employeur durant les 12 mois civils précédant la cessation de votre emploi (...). Cette indemnité vous sera versée en mensualités de montant égal, le premier versement étant effectué à la première date de paiement des salaires suivant la date effective de la cessation du contrat de travail" ; qu'ayant été licenciés le 23 mars 2004 avec dispense d'exécution de leur préavis de trois mois, les salariés ont saisi la formation prud'homale de référé de diverses demandes ; que par arrêt du 28 juin 2005, rendu en référé, la cour d'appel a notamment condamné l'employeur à leur payer une somme à titre de provision sur le solde de l'indemnité contractuelle de rupture, et dit que la clause de non-concurrence avait pris fin le 25 mars 2005 ; que les salariés ont ensuite saisi la juridiction prud'homale au fond afin d'avoir paiement d'un complément d'indemnité contractuelle de licenciement, d'un complément d'indemnité de non-concurrence, de dommages-intérêts pour allongement abusif de la clause de non-concurrence et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal des salariés et le second moyen du pourvoi incident de l'employeur : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que les salariés font grief à l'arrêt de limiter à certaines sommes le montant du complément d'indemnité conventionnelle de licenciement qu'il leur alloue, alors, selon le moyen, que selon l'article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, l'indemnité de congédiement doit être calculée sur la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels dont l'ingénieur ou le cadre a bénéficié au cours de ses douze derniers mois de présence dans l'établissement, ce qui s'entend nécessairement de la présence effective du salarié au sein de l'entreprise ; qu'en jugeant que cette indemnité devait être calculée sur la base des rémunérations perçues au cours des douze derniers mois de présence des salariés à l'effectif de l'établissement, incluant la période de préavis dont ceux-ci avaient été dispensés et durant laquelle ils n'étaient pas présents au sein de l'établissement, la cour d'appel a violé l'article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie ;

Mais attendu que selon l'article L. 1234-5 du Code du travail, l'inobservation du délai-congé n'a pas pour conséquence d'avancer la date à laquelle le contrat prend fin; qu'en prévoyant que l'indemnité de licenciement se calcule sur la base des salaires des douze derniers mois de présence dans l'entreprise, la convention collective n'a pas exclu de cette période de référence les six mois de préavis que le salarié était dispensé d'effectuer ; qu'il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Attendu que les salariés font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande de complément d'indemnité contractuelle de rupture, alors, selon le moyen : 1°) que ne constitue pas une clause pénale la stipulation contractuelle prévoyant le versement au salarié d'une indemnité en cas de rupture du contrat de travail intervenant dans un certain délai, en contrepartie du rachat par son employeur de ses parts de société et de l'activité de conseil qu'il exerçait antérieurement ; que les salariés faisaient valoir dans leurs conclusions délaissées que les stipulations contractuelles relatives à l'indemnité contractuelle de rupture ne constituaient pas une clause pénale dès lors qu'elles faisaient partie des éléments du contrat de vente de leur activité de conseil formant un tout indissociable avec le contrat de travail et étaient limitées dans le temps, ce dernier mentionnant au surplus que les engagements contractés étaient "raisonnables" ; qu'en réduisant le montant de l'indemnité contractuelle sans répondre à ce chef des conclusions des salariés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences légales de motivation et ainsi violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en toute hypothèse, le juge qui entend modérer le montant de l'indemnité contractuelle de licenciement est tenu de caractériser en quoi le montant convenu est manifestement excessif ; qu'en limitant le montant de l'indemnité contractuelle de rupture versée à chaque salarié sans préciser les circonstances d'où résultait le caractère manifestement excessif de la peine convenue, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 et 1152 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a fait ressortir, par motifs propres et adoptés, que l'indemnité contractuelle de rupture due par l'employeur en cas de cessation du contrat de travail à son initiative, hors les cas de faute grave ou lourde, de violation des obligations contractuelles ou de défaillance substantielle du salarié dans la réalisation de ses devoirs, auxquelles il ne serait pas remédié dans un délai raisonnable après mise en demeure, avait pour finalité le maintien de l'emploi des intéressés et non la compensation d'un sacrifice ou d'une renonciation de ceux-ci, de sorte que l'indemnité litigieuse avait bien le caractère d'une clause pénale réductible en raison de son caractère manifestement excessif ;

Attendu, ensuite, que sous le couvert d'une prétendue insuffisance de motivation, le moyen tend seulement à remettre en cause, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine par les juges du fond de l'étendue du préjudice des salariés et du caractère manifestement excessif de l'indemnité contractuelle litigieuse ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le premier moyen du pourvoi incident, qui est préalable : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société IBM à verser à M. Escabasse la somme de 60 016,90 euros et à M. Tatibouet celle de 45 266,68 euros à titre de complément d'indemnité de clause de non-concurrence, et de condamner ladite société à verser à M. Escabasse la somme de 12 652 euros et à M. Tatibouet la somme de 9 917,60 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité de non-concurrence, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de la clause de non-concurrence figurant à l'annexe A du contrat de travail des salariés, la contrepartie de l'obligation de non-concurrence est de "25 % de la rémunération en espèces qui vous aura été versée par l'employeur durant les 12 derniers mois civils précédant la cessation de votre emploi" ; que le préavis des salariés et, par suite, leur contrat de travail et leur emploi ayant pris fin le 25 juin 2005, leur indemnité de non-concurrence devait donc être calculée en fonction de la rémunération perçue entre juin 2004 et juin 2005 ; qu'en affirmant que l'assiette de calcul de cette contrepartie financière devait porter sur les rémunérations perçues entre le 1er mars 2003 et le 29 février 2004, c'est-à-dire sur les douze mois précédant la notification du licenciement, et non sur les douze mois précédant la cessation de leur emploi ou de leur contrat, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) qu'en retenant, pour dire que l'assiette de calcul de l'indemnité de non-concurrence devait porter sur les rémunérations perçues sur les douze mois précédant la notification du licenciement, et non sur les douze mois précédant la cessation effective du contrat, que les salariés, dispensés de l'exécution de leur préavis, étaient en droit de prétendre au paiement de la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence dès leur départ effectif de l'entreprise, la cour d'appel s'est fondée sur un motif radicalement inopérant, en violation de l'article 1134 du Code civil ; 3°) que la dispense d'exécution du préavis n'a pas pour effet d'avancer la date à laquelle le contrat prend fin ; qu'en affirmant que l'assiette de calcul de l'indemnité de non-concurrence devait porter sur les rémunérations perçues entre le 1er mars 2003 et le 29 février 2004, au motif adopté que "lorsque le salarié est dispensé de l'exécution du préavis, la cessation de l'emploi intervient dès la notification du licenciement", la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 1234-4 du Code du travail ;

Mais attendu qu'en cas de licenciement du salarié avec dispense d'exécution de son préavis, la date de départ de l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité, sont celle du départ effectif du salarié de l'entreprise ;

Et attendu que la cour d'appel qui a, sans dénaturation du contrat de travail, décidé que l'assiette de calcul de la contrepartie financière due aux salariés dispensés de l'exécution de leur préavis de licenciement incluait les rémunérations perçues au cours des douze derniers mois précédant leur départ effectif, soit entre le 1er mars 2003 et le 29 février 2004, n'encourt pas le grief du moyen ;

Mais sur le quatrième moyen du pourvoi principal : - Vu le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble les articles 1134 et 1147 du Code civil ;

Attendu que pour débouter les salariés de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts pour allongement abusif de la clause de non-concurrence, la cour d'appel retient que l'arrêt contradictoire du 28 juin 2005 a fixé le terme de cette clause au 25 mars 2005, que l'employeur ne peut être tenu du paiement de la contrepartie financière prévue contractuellement que pour la durée d'application de 12 mois, ce dont il s'est acquitté, et qu'il ne peut être déduit du seul fait que l'employeur a fait courir à tort la clause de non-concurrence à compter de la fin du préavis la volonté de celui-ci d'en allonger la durée ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que bien qu'ils aient quitté effectivement l'entreprise sans exécuter leur préavis, les salariés n'avaient été déliés de leur interdiction de non-concurrence que par l'arrêt rendu en référé le 28 juin 2005 en ayant fixé rétroactivement le terme au 25 mars 2005, ce qui représentait un allongement d'un peu plus de trois mois, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants pris de l'absence de volonté de l'employeur d'aboutir à ce résultat et de régularisation du paiement de l'indemnité financière compensatrice, a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a débouté les salariés de leur demande en paiement de dommages-intérêts pour allongement abusif de la clause de non-concurrence, l'arrêt rendu le 12 mai 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles, autrement composée.