CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 9 juin 2011, n° 09-16011
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Useldinger Participation (SARL)
Défendeur :
Valmonde (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Touzery-Champion, Pomonti
Avoués :
SCP Monin d'Auriac de Brons, Me Melun
Avocats :
Mes Gomel, Lacorne
A compter du 9 janvier 1997, la société Valmonde, entreprise d'édition, a confié à la société Useldinger Participation (ci après UP) l'exécution de prestations de services consistant en la commercialisation de pages de publicité paraissant dans ses revues (Valeurs actuelles, Spectacles du Monde, Jour de Chasse), cette dernière devant démarcher des annonceurs pour vendre des espaces publicitaires dans lesdites revues, moyennant le paiement de commissions.
Pour l'exercice 2007, la société Valmonde a décidé de ne plus faire appel à la société UP.
Se plaignant de la rupture brutale de leurs relations, la société UP a mis vainement en demeure la société Valmonde par lettre du 15 mars 2007 d'avoir à lui payer des dommages et intérêts d'un montant de 76 939 euro pour le préjudice subi.
Par acte d'huissier du 13 mars 2008, la société UP a fait assigner la société Valmonde devant le Tribunal de commerce de Paris, lequel par jugement en date du 3 juin 2009:
- l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
- l'a condamnée à verser à la société Valmonde une somme de 2 500 euro en vertu de l'article 700 du Code de Procédure civile.
Par conclusions récapitulatives signifiées le 9 février 2011 la société UP, appelante, demande :
- à titre principal, de juger que la société Valmonde a mis fin au contrat d'agent commercial les liant, s'obligeant ainsi à l'indemniser sur le fondement de l'article L. 134-12 du Code de commerce,
- à titre subsidiaire,
- de juger que la société Valmonde a commis une faute à son égard de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
- de condamner la société Valmonde à lui verser la somme de 86 636 euro au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre une somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société UP expose que la relation qui l'unissait à la société Valmonde était une relation de mandant à agent commercial, au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce, en ce que la première était chargée de prospecter des annonceurs pour le compte de la seconde, dans le but de vendre des espaces publicitaires. Elle souligne que lorsque la rupture du contrat d'agent commercial est due au fait du mandant, ce dernier doit verser à l'agent une indemnisation en réparation du préjudice subi en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce, qui doit être égal à deux annuités de commission, soit en l'espèce une somme de 76 636 euro.
Si la cour ne devait pas l'indemniser sur le fondement de la rupture du contrat d'agent commercial, la société UP soutient que la société Valmonde a unilatéralement et brutalement rompu les relations commerciales établies qui les liaient. Elle excipe de la faute de cette dernière qui engage sa responsabilité en application de l'article L. 442-6- I 5° du Code de commerce, s'agissant d'une relation commerciale établie par une succession de contrats ponctuels. Elle fait valoir que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de tout préavis, la société Valmonde lui ayant donné un simple coup de fil, sans aucun délai.
Enfin, elle estime que son préjudice est double : il est non seulement économique, constitué par la perte de la marge commerciale brute pendant la période de préavis qui aurait dû être respectée par la société Valmonde, mais il porte également atteinte à son image, notamment vis-à-vis des annonceurs qu'elle démarche.
Par conclusions récapitulatives signifiées le 10 janvier 2011, la société Valmonde, intimée faisant appel incident demande de :
- dire qu'il n'y a pas lieu à application des articles L. 134-1 et L. 134-12 du Code de commerce, la société UP n'étant pas un agent commercial statutaire,
- dire qu'il n'y a pas eu rupture brutale au sens de l'article L. 442-6- I, 5° du Code de commerce,
- débouter la société UP de l'intégralité de ses demandes dirigées à son encontre et confirmer le jugement entrepris,
- subsidiairement dire que le délai de préavis ne saurait être supérieur à six mois et qu'il y a lieu pour le calcul du préjudice de décompter de ce délai, le préavis effectif de trois mois dont la société UP a en tout état de cause été bénéficiaire,
- dire que la société UP ne pourrait tout au plus prétendre qu'à une indemnité de 1 250 euro si l'on fixe le taux de marge brute à 30 %,
- débouter la société UP de sa demande de condamnation à lui payer une somme de 10 000 euro au titre d'une prétendue atteinte à son image,
- la débouter également de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 5 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société UP à lui verser une somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Valmonde conteste l'application des dispositions des articles L. 134-1 et L. 134-12 du Code de commerce, qui ne concernent que les agents commerciaux statutaires. Elle fait valoir que la société UP ne justifie pas être inscrite au registre spécial des agents commerciaux, et ne peut prétendre être mandataire d'intérêt commun, n'ayant pas la même finalité que la société Valmonde. Elle considère avoir prévenu sa cocontractante au début de l'année 2007, de ce qu'il ne serait pas fait appel à ses services pour la commercialisation de pages de publicité à paraître à la fin de l'année 2007, de sorte que la société UP a bénéficié d'un délai de prévenance de sa part d'au moins quatre mois. Si la cour venait à considérer ce délai insuffisant compte tenu de la durée des relations commerciales établies, la société Valmonde soutient que le dit délai ne saurait être fixé à deux années. Elle rappelle que la victime d'une rupture brutale ne peut obtenir la réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle- même. Elle prétend qu'en créant une situation de dépendance, la société UP a accepté de prendre un risque, de sorte qu'elle ne peut invoquer sa dépendance économique comme cause d'aggravation de son préjudice pour une brusque rupture des relations. Elle estime qu'il convient de prendre en compte cette prise de risque dans l'évaluation du préjudice. Elle souligne en outre pour l'évaluation de ce préjudice, que la société UP, qui prétend que les commissions qu'elle percevait de la société Valmonde se confondaient avec la marge brute, a produit dans ses deux dernières écritures des moyennes de commissions annuelles sur les années 2004, 2005 et 2006 qui différaient. Elle argue enfin que la société UP ne démontre pas en quoi le fait de ne plus avoir fait appel à ses services aurait porté atteinte à son image.
La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR
Considérant que la société UP revendique, à titre principal, la qualité d'agent commercial de la société Valmonde conformément aux dispositions de l'article L 134-1 du Code de commerce; qu'elle prétend qu'elle était chargée par la société Valmonde de la vente d'espaces publicitaires dans les revues de luxe appartenant au groupe Valmonde, moyennant le versement de commissions déterminées conventionnellement par les parties; qu'elle déduit de sa mission, selon laquelle elle devait prospecter des annonceurs pour le compte de la société Valmonde avec l'objectif de leur vendre des espaces publicitaires, qu'elle agissait au nom et pour le compte de l'intimée; qu'elle ajoute que sa rémunération était une commission calculée en fonction des insertions publicitaires commandées par les annonceurs;
Considérant que pour sa part, la société Valmonde conteste cette thèse en invoquant d'abord le fait que la société UP ne justifie pas être inscrite au registre spécial des agents commerciaux;
Mais considérant que l'application du statut des agents commerciaux n'est pas subordonnée à l'inscription au registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce, qui n'est qu'une mesure de police professionnelle; que la société Valmonde ne saurait en conséquence tirer argument du fait que la société UP n'y est pas inscrite;
Que l'intimée fait également valoir que l'appelante n'est pas un mandataire d'intérêt commun dès lors que leur activité n'avait pas pour même finalité le développement de la clientèle attachée à l'exploitation de la société Valmonde;
Qu'en effet la société UP ne conteste pas qu'elle ne prospectait pas la clientèle de la société Valmonde mais sa propre clientèle et qu'elle l'a d'ailleurs conservée après la rupture des relations commerciales; qu'il s'ensuit qu'elle n'est pas fondée à se prévaloir du statut d'agent commercial;
Considérant à titre subsidiaire que la société UP estime que la société Valmonde a unilatéralement et brutalement rompu les relations commerciales qu'elles avaient établies depuis plus de 10 ans, sans aucun préavis; qu'elle a ainsi commis une faute qui engage sa responsabilité en application de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce lequel dispose :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...)
5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ";
Considérant que l'existence de relations commerciales établies entre les parties n'est pas contestée dans ses dernières écritures par la société Valmonde qui ne développe aucun argument à cet égard, bien qu'elle sollicite la confirmation du jugement;
Qu'au cas particulier il ressort des pièces produites que depuis 10 ans les parties ont noué des relations commerciales, qui se concrétisaient chaque année par une correspondance de la société Valmonde confirmant les conditions de leurs rapports commerciaux pour l'année à venir; que les relations ont été constantes avec un flux d'activité stable entre les deux sociétés pendant cette période;
Qu'il est ainsi démontré que la relation entre les deux sociétés s'est inscrite dans la continuité, à travers la conclusion d'une succession ininterrompue de contrats ayant le même objet, pendant 10 années; que le caractère établi des relations commerciales n'étant pas contestable, c'est à tort que les premiers juges ont retenu que s'agissant de missions annuelles prenant fin chaque année, la société Valmonde n'avait pas à mettre un terme aux relations en respectant un préavis;
Que la brutalité de la rupture ressort de l'absence de tout préavis écrit adressé à la société UP par la société Valmonde, qui ne conteste au demeurant pas l'avoir simplement prévenue par téléphone au début de l'année 2007; que l'intimée ne peut sérieusement prétendre que dans le type d'activité concernée, la commercialisation de publicités pour la fin de l'année ne commence par la prise des ordres auprès des annonceurs qu'au mois de septembre, de sorte que l'appelante aurait bénéficié d'un délai de prévenance d'au moins quatre mois; qu'en effet des contacts sont nécessairement pris en amont par la société UP avec les annonceurs et en l'espèce dans le salon de référence de Bâle qui se tient chaque année en début d'année en février ou mars; que la lettre de félicitation envoyée le 16 février 2007 par le directeur commercial de la société Valmonde ne pouvait qu'entretenir l'illusion de la poursuite de la collaboration entre les parties;
Que cette dernière a donc engagé sa responsabilité, au sens de l'article susmentionné, en rompant brutalement les relations commerciales sans préavis conforme aux usages du commerce et à la nature de la prestation fournie;
Qu'eu égard à la durée de la relation commerciale de 10 années, de l'état de dépendance économique de la société UP (la quasi-exclusivité du chiffre d'affaires de la société UP étant réalisé avec la société Valmonde), des spécificités du secteur d'activité de la publicité, la durée du préavis raisonnable, dans un tel contexte, doit être fixée à 9 mois, correspondant au temps nécessaire à la société UP pour prendre toute disposition utile afin de donner une nouvelle orientation à ses activités ou trouver d'autres partenaires commerciaux;
Considérant que la réparation du préjudice, qui ne doit couvrir que les conséquences de la brutalité de la rupture et non la rupture, correspond à la perte de marge brute; que dans une activité de prestations de service, la marge brute correspond à la différence entre le chiffre d'affaires et les achats consommés; que la société UP précise que les frais qu'elle pouvait exposer pour sa participation aux foires ou salons lui étaient directement remboursés par la société Valmonde;
Que l'assiette retenue à cette fin doit être la moyenne du chiffre d'affaires hors taxes réalisée au cours des trois années précédant la rupture, assiette à laquelle est ensuite affectée la marge brute bénéficiaire, multipliée par les mois de préavis qui auraient dû être respectés;
Qu'au vu des pièces comptables produites, le préjudice économique de la société UP sera estimé à la somme de 33 318, 33 euro pour une année, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de la réduction qui serait imputable à la société Publiprint comme le fait l'appelante, soit une somme de 24 988,74 euro pour 9 mois;
Considérant que l'appelante ne justifiant nullement d'une atteinte à son image, la somme susmentionnée suffit à réparer son dommage résultant de la brutalité de la rupture; qu'elle sera donc déboutée de cette autre prétention;
Considérant en revanche que l'équité commande en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile de lui allouer une indemnité de 4 000 euro; que la société Valmonde sera déboutée de sa prétention sur ce même fondement.
Par ces motifs : Infirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions, Dit que la société Valmonde a commis une faute sur le fondement de l'article L. 442-6 1 5e du Code de commerce, Condamne en conséquence la société Valmonde à régler à la société UP une somme de 24 988,74 euro, Condamne la société Valmonde à verser en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile à la société UP une indemnité de 4 000 euro, Rejette toutes autres prétentions des parties, Condamne la société Valmonde aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.