Cass. com., 12 juillet 2011, n° 10-17.482
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Lafarge ciments (SA)
Défendeur :
Vicat (SA), Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Président de l'Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
M. Jenny
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Bénabent, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 avril 2010), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 7 juillet 2009, pourvois n° 08-15.609 et n° 08-16.094) que saisi par le Ministre de l'Economie de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision n° 07-D-08 du 12 mars 2007, notamment dit établi que, contrevenant aux dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du Traité CE, les sociétés Lafarge ciments (Lafarge), Vicat et le groupement logistique ciments Haute-Corse (le GIE) se sont entendus en signant le 8 novembre 1994 une convention de subdélégation de l'exploitation des infrastructures de stockage du port de Bastia, que, contrairement à ces mêmes dispositions, les sociétés Lafarge, Vicat et le syndicat des négociants en matériaux de construction (le syndicat) se sont entendus en signant un protocole d'accord le 6 mai 1999 afin de lier les membres du syndicat par un contrat d'approvisionnement exclusif et qu'au mépris des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE, les sociétés Lafarge et Vicat ont abusé de leur position dominante collective sur les marchés du ciment en Haute-Corse, à Ajaccio, Porto-Vecchio et Propriano en octroyant des remises fidélisantes anticoncurrentielles aux négociants corses ; que le Conseil a infligé à ces sociétés et groupements des sanctions pécuniaires ; que par l'arrêt partiellement cassé du 6 mai 2008, la cour d'appel a réduit le montant de celles-ci à 10 millions et 4,5 millions d'euro ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° J 10-17.482 pris en sa première branche et le moyen unique du pourvoi n° V 10-17.791, pris en ses première, deuxième et sixième branches : - Attendu que les sociétés Lafarge et Vicat font grief à l'arrêt d'avoir prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires respectivement de 10 millions d'euro et de 4,5 millions d'euro, alors, selon le moyen : 1°) qu'en vertu de l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce, les sanctions doivent être proportionnées à la gravité des comportements ; que dès lors, l'abandon du grief d'abus de position dominante collective conduit nécessairement à modérer les sanctions prononcées, pour respecter le principe de proportionnalité ; qu'en décidant qu'un tel abandon ne conduisait pas nécessairement à modérer les sanctions prononcées, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce ; 2°) que l'arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 2009 n'a censuré l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 mai 2008 ayant condamné des chefs d'ententes et d'abus de position dominante collective les sociétés Vicat et Lafarge à payer respectivement une amende de 4,5 millions d'euro et 10 millions d'euro, qu'en ses seules dispositions relatives à l'abus de position dominante collective et aux sanctions y afférent ; qu'en décidant d'apprécier à nouveau la gravité des ententes définitivement caractérisées et de maintenir le montant des sanctions prononcées par l'arrêt du 6 mai 2008, après avoir constaté qu'aucun abus de position dominante collective ne pouvait être établi, la cour de renvoi qui a méconnu l'étendue de sa saisine, a violé l'article 631 du Code de procédure civile ; 3°) que le juge méconnaît son office en refusant de procéder à une recherche à laquelle il est tenu ; que l'arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 2009 a spécialement invité la cour de renvoi non seulement à vérifier l'existence de l'abus de position dominante collective mais aussi à opérer une distinction entre la sanction afférente aux ententes et celle afférente à l'abus de position dominante ; qu'en refusant de procéder à cette ventilation, la cour de renvoi a méconnu son office et violé les articles 4 du Code civil et L. 464-2 ancien du Code de commerce ; 4°) que les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée et de façon motivée pour chaque sanction ; qu'en affirmant qu'il ressort de la lettre de l'article L. 464-2 ancien du Code de commerce et des principes du droit répressif national que l'annulation de la décision du Conseil de la concurrence du chef de l'abus de position dominante collective ne conduit pas à modérer nécessairement la sanction que prononce ladite décision, quand l'annulation de la décision du Conseil de la concurrence concernant l'une des infractions retenues contre la société Vicat rend son comportement sur le marché nécessairement moins grave d'un point de vue concurrentiel, la cour de renvoi qui a ajouté à la loi, a violé le texte susvisé ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées ; qu'elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ; que si l'arrêt annule l'article 6 de la décision du Conseil, aux termes duquel les sociétés Lafarge et Vicat avaient abusé de leur position dominante collective en octroyant des remises fidélisantes anticoncurrentielles aux négociants corses, en relevant que le Conseil ne pouvait invoquer plusieurs fois les mêmes actes ou faits tantôt comme un accord ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel au sens de l'article 101 TFUE, tantôt comme l'indication d'une position dominante collective dont il aurait été abusé et qu'aucun élément du dossier ne permettait de considérer que les remises fidélisantes, qui avaient été abondamment évoquées tant par la décision du Conseil que par l'arrêt de la cour d'appel en date du 6 mai 2008 en ses énonciations non cassées comme un élément caractérisant les ententes verticales reprochées aux deux sociétés et visant à assurer leur efficacité, auraient pu être mises en œuvre en l'absence de ces ententes, il retient que l'annulation de la décision du Conseil du chef de l'abus de position dominante ne conduit pas à modifier la sanction qu'avait prononcée la cour d'appel dans son arrêt du 6 mai 2008 dès lors que cette sanction était proportionnée à la gravité des faits anticoncurrentiels, résultait d'une analyse pertinente du dommage à l'économie et avait été individualisée pour chaque entreprise ; qu'ayant ainsi fait ressortir que l'annulation du grief d'abus de position dominante collective ne modifiait ni le nombre, ni la nature anticoncurrentielle ni la gravité des faits, notamment de remises fidélisantes, retenus à l'encontre des sociétés Lafarge et Vicat, la cour d'appel qui n'a pas apprécié à nouveau la gravité des ententes définitivement caractérisées par l'arrêt du 6 mai 2008, mais a recherché si la gravité des pratiques telle qu'appréciée par la cour d'appel dans cet arrêt était modifiée par l'annulation du grief d'abus de position dominante collective afin de déterminer la part de la sanction globale justifiée par ce grief, qui n'a pas violé le principe de proportionnalité, qui n'a ni méconnu l'étendue de sa saisine ni son office et qui n'a pas ajouté à la loi, a pu statuer comme elle a fait; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 10-17.791, pris en sa huitième branche : - Attendu que les sociétés Lafarge et Vicat font à l'arrêt le même grief, alors, selon le moyen, que le dommage à l'économie ne peut pas être présumé ; qu'en adoptant expressément l'analyse du Conseil de la concurrence ayant évalué le dommage à l'économie à partir d'une hypothèse minimaliste non vérifiée, après avoir expressément reconnu la difficulté de quantifier, en l'espèce, le dommage à l'économie, la cour de renvoi, qui a considéré que l'existence de ce dommage pouvait reposer sur de simples présomptions, a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt retient que l'analyse du dommage à l'économie a été extrêmement prudente dans la décision du Conseil, puisqu'il a relevé que les prix des concurrents étrangers, pour du ciment ne bénéficiant d'ailleurs pas de la norme NF, étaient inférieurs de 20 % aux prix moyens pratiqués par les sociétés Lafarge et Vicat en Corse du Sud, lesquels étaient encore inférieurs de 30 % à ceux que les cimentiers eux-mêmes ont pratiqué en Haute-Corse entre 1997 et 1999, là où l'intégration de la chaîne "production-transport-stockage-ensachage" sous leur contrôle était la plus accomplie ; qu'il retient encore qu'il a été tenu compte de ce que les prix que les deux sociétés ont pratiqués sur le marché corse, hors transport, étaient inférieurs à ceux qu'elles pratiquaient simultanément en France continentale ; qu'il prend en considération la modeste dimension du marché affecté et sa valeur ainsi que la durée des pratiques, légèrement moins longue que ce que la décision du Conseil avait retenu ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel qui ne s'est pas fondée sur une présomption de dommage reposant sur l'existence d'ententes anticoncurrentielles mais a retenu, pour évaluer le sur-prix payé par les clients, les estimations du Conseil, qui, comme toute estimation, étaient affectées d'un coefficient d'incertitude mais étaient fondées sur une méthode scientifiquement reconnue consistant à comparer les prix effectivement pratiqués sur le marché affecté par les pratiques anticoncurrentielles et ceux des concurrents étrangers sur ce marché ou ceux des sociétés auteurs des pratiques anticoncurrentielles sur d'autres marchés, après avoir éliminé l'influence d'autres facteurs explicatifs de différence de prix entre ces situations, a pu statuer comme elle a fait; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que les deuxième et troisième branches du moyen unique du pourvoi n° 10-17.482 et les troisième, quatrième, cinquième, septième, neuvième, dixième et onzième branches du moyen unique du pourvoi n° 10-17.791 ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois.