CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 22 juin 2011, n° 09-00245
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cogiterra (SARL)
Défendeur :
Victoires Editions (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
Mmes Chokron, Gaber
Avoués :
SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Salem, Honorat
Vu l'appel interjeté le 6 janvier 2009 par la société Cogiterra (SARL), du jugement réputé contradictoire rendu le 10 décembre 2008 par le Tribunal de grande instance de Paris statuant dans le litige l'opposant à la société Victoires Editions (SARL) ;
Vu l'arrêt contradictoire rendu par la cour de céans le 17 mars 2010 ;
Vu les ultimes écritures de la société Cogiterra, appelante, signifiées le 4 avril 2011;
Vu les dernières conclusions de la société Victoires Editions, intimée, signifiées le 8 mars 2011;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 26 avril 2011 ;
Sur ce, LA COUR:
Considérant que la société Victoires Editions, spécialisée dans la publication de guides et annuaires destinés aux professionnels de l'environnement, titulaire de la marque française dénominative " envirojob " déposée le 9 juillet 2002 dans les classes 35, 38 et 41 pour désigner notamment les services de recrutement de personnel et d'aide à la recherche d'emploi dans le domaine de l'environnement et, par ailleurs, réservataire depuis le 22 mai 2006 du nom de domaine www.envirojob.fr, adresse à laquelle elle exploite un site Internet, a fait constater par huissier de justice, le 31 janvier 2008, que l'introduction des mots " envirojob " et " enviro job " dans le moteur de recherche de la société Google suscitait l'apparition, en marge des résultats naturels de la recherche, d'un lien commercial vers le site " www.emploi-environnement.com " exploité par la société Cogiterra, spécialisée dans la recherche d'emploi et le recrutement dans les métiers de l'environnement ;
Que, faisant grief à cette société d'avoir commis à son préjudice des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale en sélectionnant dans le cadre du service AdWords proposé par la société Google les mots " envirojob " et " enviro job " à titre de mots-clés appelés à provoquer l'affichage de son lien commercial à l'occasion de toute requête utilisant ces mots, elle a introduit la présente instance devant le Tribunal de grande instance de Paris ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel, a retenu à la charge de la société Cogiterra des actes de contrefaçon par reproduction de la marque opposée ainsi que des actes de concurrence déloyale par usurpation de nom de domaine, détournement de clientèle et publicité trompeuse, a prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication et alloué à la société Victoires Editions des dommages-intérêts d'un montant total de 20 000 euros ;
Que la société Cogiterra, appelante de ce jugement, a invoqué, pour combattre le grief de contrefaçon, la nullité de la marque opposée 'ENVIROJOB' pour défaut de caractère distinctif et demandé en toute hypothèse un sursis à statuer sur l'ensemble des demandes dans l'attente de la réponse de la CJUE aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation le 20 mai 2008 ;
Que la cour de céans, par arrêt du 17 mars 2010, a rejeté la demande en annulation de la marque, et fait droit à la demande de sursis à statuer ;
Que, la décision attendue ayant été rendue par la CJUE le 23 mars 2010, les parties ont conclu à nouveau et demandé, la société Victoires Editions la confirmation du jugement sauf à voir augmenter les dommages-intérêts alloués tant pour la contrefaçon que pour la concurrence déloyale et aggraver les mesures d'interdiction et de publication, la société Cogiterra l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions ;
Sur l'action en contrefaçon,
Considérant que la société Cogiterra, sans contester avoir fait usage à titre de mots-clés, dans le cadre du service AdWords proposé par la société Google, de signes identiques à la marque opposée pour des services identiques à ceux couverts par la marque, conteste la contrefaçon en faisant valoir qu'un tel usage ne constitue pas une atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir l'identité d'origine des produits et services marqués ;
Considérant qu'il convient en effet de rappeler que selon les dispositions, applicables à l'espèce, de l'article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière de l'article 5, paragraphe 1, a) de la directive 89/104, le titulaire de la marque est habilité à interdire l'usage, sans son consentement, d'un signe identique à ladite marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque ;
Qu'il importe en conséquence de vérifier en l'espèce, si l'usage incriminé porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du service marqué, en lui permettant de distinguer ce service de ceux qui ont une autre provenance ;
Considérant que la Cour de justice de l'union européenne, appelée à se prononcer le 23 mars 2010 sur une demande de décision préjudicielle concernant des faits de même nature que ceux de l'espèce (affaire C-238-08) a dit, au point 88, qu'il incombait à la juridiction nationale, " d'apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est saisie sont caractérisés par une atteinte, ou un risque d'atteinte, à la fonction d'indication d'origine (...) ", après avoir relevé, au point 83, que la réponse à cette question " dépend en particulier de la façon dont (l')annonce est présentée " ;
Qu'elle a toutefois fixé les principes qui doivent guider le juge dans cette appréciation " au cas par cas ", et dit pour droit : " Lorsque l'annonce du tiers suggère l'existence d'un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y aura lieu de conclure qu'il y a atteinte à la fonction d'indication d'origine ". (point 89) ;
" Lorsque l'annonce, tout en ne suggérant pas l'existence d'un lien économique, reste à un tel point vague sur l'origine des produits ou des services en cause qu'un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n'est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l'annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il conviendra également de conclure qu'il y a atteinte à ladite fonction de la marque ".(point 90);
Or considérant qu'il résulte de l'examen, auquel la cour s'est livrée, du procès-verbal de constat établi le 31 janvier 2008, que l'introduction par l'internaute dans le moteur de recherche de la société Google de la requête " envirojob " fait apparaître, non pas sous la rubrique intitulée " lien commercial ", en l'espèce vide de toute annonce, mais dans la liste des résultats naturels de la recherche et, de plus fort, en première position, le site de www.emploi-environnement.com avec les mentions " Plus de 900 offres d'emploi/stage sélectionnées sur l'Environnement " - " Conseil: Gagner du temps en appuyant sur la touche Entrée au lieu de cliquer sur le bouton Recherche Google " , le site www.envirojob.fr figurant quant à lui en deuxième position et en troisième position avec les mentions " Emploi, carrières et formations environnement " et " Partenariats-Emploi, carrières et formations " ;
Considérant qu'il suit de ces constatations que l'internaute d'attention moyenne, normalement informé et raisonnablement avisé, qui sait que la rubrique " lien commercial " est dédiée aux annonceurs, n'est pas en mesure d'opérer une distinction quant à l'origine des services, identiques, proposés par les sites www.emploi-environnement.com et www.envirojob.fr qui apparaissent sous les résultats naturels de la recherche, sans que le caractère publicitaire de l'annonce pour le site www.emploi-environnement.com ne soit indiqué par un quelconque élément et sans que l'identité de l'exploitant de ce site ne soit davantage renseignée ;
Que, dans ces conditions, tout laisse accroire à l'internaute répondant aux qualités précédemment énoncées, que les services offerts par les sites www.emploi-environnement.com et www.envirojob.fr proviennent de la même entreprise ou d'entreprises économiquement liées ;
Considérant qu'il s'infère de ces éléments appréciés au regard de la décision précitée de la CJUE qu'il y a atteinte en l'espèce à la fonction d'identification de la marque et que le jugement déféré mérite en conséquence confirmation en ce qu'il a retenu à la charge de la société Cogiterra, au fondement de l'article L.713-2 du Code précité, des actes de contrefaçon par reproduction de la marque " envirojob " appartenant à la société Victoires Editions pour des services identiques à ceux couverts par cette marque ;
Sur l'action en concurrence déloyale,
Considérant qu'il est constant que les sociétés en cause œuvrent concurremment dans la recherche d'emplois et le placement du personnel dans les métiers de l'environnement et exploitent respectivement pour les besoins de cette activité les sites Internet www.envirojob.fr et www.emploi-environnement.fr ;
Considérant qu'en utilisant à titre de mots-clés dans le cadre du service AdWords les signes " enviro job " et " envirojob " constituant la reproduction du nom de domaine www.envirojob.fr de la société Victoires Editions, de manière à faire apparaître, dans les conditions précédemment évoquées, les références de son propre site, la société Cogiterra a créé dans l'esprit de la clientèle un risque de confusion susceptible de détourner cette clientèle en lui faisant croire que les services proposés sur les sites respectifs partagent une même origine ou proviennent d'entreprises partenaires ;
Considérant que la société Victoires Editions incrimine de publicité trompeuse l'utilisation de l'expression " lien commercial " qui porte l'internaute à croire qu'il existe un lien de nature commerciale entre les sites résultant naturellement de la recherche sur le moteur de la société Google et les sites regroupés sous cette bannière ;
Mais considérant que la circonstance ici invoquée est étrangère aux faits de l'espèce d'où il résulte ainsi qu'il a été précédemment relevé au vu du procès-verbal de constat du 31 janvier 2008, que les coordonnées du site exploité par la société Cogiterra loin de figurer sous la bannière des " liens commerciaux " est apparue au contraire, à l'instar du site exploité par la société Victoires Editions, dans les résultats naturels des requêtes " envirojob " et " enviro job " ;
Sur les mesures réparatrices,
Considérant que le tribunal a procédé, au regard des circonstances de la cause et des justifications produites aux débats selon lesquelles 16 internautes par mois en moyenne ont cliqué sur son site à partir des mots-clés litigieux sur la période du 15 juillet 2007 au 19 décembre 2008, à une juste appréciation du préjudice subi par la société Victoires Editions en fixant à 10 000 euros les dommages-intérêts du fait de l'atteinte à ses droits privatifs de marque et à 10 000 euros les dommages-intérêts des suites des actes de concurrence déloyale ;
Considérant que les mesures d'interdiction et de publicité prononcées par ailleurs par le tribunal sont pertinentes en leur principe et proportionnées dans les modalités ; qu'elles seront confirmées ;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne la société Cogiterra aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à la société Victoires Editions, une indemnité complémentaire de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.