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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 9 juin 2011, n° 10-03910

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MSTI (SARL)

Défendeur :

IBM Delivery Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseiller :

M. Testut

Avoués :

SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Fievet Lafon

Avocats :

Mes Pinto, Glaser

T. com. Nanterre, 8e ch., du 12 mai 2010

12 mai 2010

Vu l'appel interjeté le 21 mai 2010, par la société Multi Services Techniques en Informatiques, ci-après dénommée MSTI, d'un jugement rendu le 12 mai 2010 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui :

- l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande de paiement de factures,

- l'a condamnée à payer à la société Montics la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 23 août 2010, par lesquelles la société MSTI, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de:

- débouter la société Montics de ses demandes,

- condamner la société Montics au paiement de la somme de 1 500 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Montics au paiement de la somme de 1 341,91 euro au titre de factures dues, avec les intérêts légaux,

- prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution,

- condamner la société Montics au versement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 16 décembre 2010, aux termes desquelles la société Montics, nouvellement dénommée IBM Delivery Services, prie la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner la société MSTI au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

- la société MSTI est spécialisée dans la réparation des imprimantes,

- depuis 1999, elle est intervenue comme prestataire de la société Montics ayant une activité de commerce et de conseil en équipements informatiques,

- le 14 juin 2005, les parties ont signé un contrat de prestation de services techniques auquel devait s'annexer un cahier des charges,

- un cahier des charges a été conclu le 24 juin 2005, pour la durée du contrat du 1er juillet au 30 juin 2006,

- un nouveau cahier des charges a été signé le 16 octobre 2006, pour la période du contrat du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007,

- un avenant à ce second cahier des charges a été conclu par les parties afin de prolongation du contrat au 31 décembre 2007,

- un second avenant a été signé le 12 décembre 2007, prolongeant la prestation au 31 mars 2008,

- par un courriel du 19 mars 2008, la société Montics a notifié à la société MSTI la non-reconduction du contrat, lui notifiant que le périmètre de ses activités ne lui permettait plus de maintenir le contrat mais qu'elle serait amenée à la solliciter occasionnellement au cas par cas, une commande lui étant alors adressée avant la réalisation de sa prestation,

- c'est dans ces circonstances, que le 3 juillet 2008, la société MSTI a assigné devant le Tribunal de commerce de Nanterre la société Montics en paiement de factures et en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de relations commerciales établies;

Sur la rupture des relations commerciales:

Considérant que la société MSTI fait valoir que la société Montics, actuellement dénommée IBM Delivery Services, a brutalement rompu, sans préavis, en mars 2008, une relation commerciale établie depuis 1999, qui générait plus de 80 % de son chiffre d'affaires; qu'elle invoque également la déloyauté de la société intimée;

Considérant que la société intimée lui oppose la précarité des relations existantes définies par un contrat-cadre à durée déterminée dont le renouvellement était subordonné au succès de la société MSTI à une mise en concurrence;

Considérant en droit que selon les dispositions de l'article L. 442-6-I 5°) du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...);

Considérant en l'espèce, que les pièces versées aux débats (commandes, courriers, livre journal) ne révèlent que des commandes ponctuelles passées à la société MSTI par la société Montics de 1999 à 2003;

Considérant que ce n'est que dans le courant de l'année 2004, que la société Montics a fait appel de manière régulière à la société MSTI et a mis en place un contrat-cadre qui a été conclu le 14 juin 2005;

que l'article 15-7 de ce contrat énonce que la prestation de services définie dans un cahier des charges ou un ordre de services ne pourra en aucun cas être reconduite tacitement. Toute prolongation fera l'objet d'un avenant au cahier des charges ou à l'ordre de services;

qu'un cahier des charges a été établi le 24 juin 2005, pour la période du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006, suivi d'un cahier des charges signé le 19 octobre 2006, pour la période du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007;

que ce second cahier des charges a été l'objet de deux avenants, le 26 octobre 2007 d'une part, prolongeant la prestation jusqu'au 31 décembre 2007, le 12 décembre 2007 d'autre part, prolongeant la prestation du 1er janvier au 31 mars 2008;

Considérant que la société Montics fait valoir que chaque cahier des charges a été conclu pour une durée déterminée d'un an non renouvelable, la conclusion d'un nouveau cahier des charges de même durée étant subordonnée au succès de la société MSTI à l'appel d'offres organisé chaque année;

Considérant que la société MSTI soutient qu'il n'y a pas eu de procédure d'appel d'offres ni en 2005, ni après cette date, qu'aucune autre société n'a été consultée et qu'elle était dans la dépendance de la société Montics dont elle devait respecter les exigences, notamment en termes de tarifs;

Mais considérant qu'il résulte d'un courriel en date du 30 mai 2005, que la société MSTI a bien été consultée dans le cadre d'un appel d'offres ;

que ce courriel, qui mentionne expressément avoir pour objet appel d'offres imprimantes, rappelle à la société MSTI : "Nous devons finaliser le dépouillement de l'A/O imprimantes ce matin. Pour notre grille de décision et d'évaluation fournisseurs, il nous manque vos comptes/ bilans 2003 et 2004. SVP, nous envoyer en urgence par mail ces informations indispensables";

que le 16 juin 2005, la société Montics a annoncé la société MSTI qu'elle avait été retenue à la suite de cet appel d'offres, en ces termes : "Suite à votre première proposition, à notre réunion du 9 juin 2005, à votre nouvelle proposition et à nos différents entretiens, veuillez bien noter que vous être retenu. Le périmètre de vos prestations sera décrit dans le contrat, son cahier des charges (...) Ce contrat est rattaché au contrat général (...) signé le 14 juin 2005";

Considérant que par ailleurs, à l'issue de la période annuelle expirant le 30 juin 2006, un nouvel appel d'offres a été lancé ainsi qu'il ressort d'un mail adressé à la société MSTI par la société Montics le 17 mai 2006: "Comme déjà abordé par nos équipes, nous vous sollicitons dans le cadre du renouvellement de notre partenariat. Veuillez trouver ci-joint le cahier des charges concernant la prestation de réparation. La réponse à cette consultation est demandée pour le mercredi 31 mai 12 h (...) Les critères de choix pour sélectionner le prestataire sont les suivants: La conformité de la réponse au cahier des charges. L'expertise, l'expérience, la solidité de l'entreprise. La méthodologie et l'organisation proposée afin de garantir un service de qualité. Une proposition tarifaire précise";

que par courriel du 12 octobre 2006, la société Montics a informé la société MSTI de la réponse apportée à la consultation : "Nous avons le plaisir de vous informer que MSTI est retenu pour assurer la réparation de nos imprimantes selon notre consultation du 17 mai et de votre proposition tarifaire du 31 mai. Nous vous félicitons pour la qualité de votre dossier, ainsi que pour les réponses accordées (...) Nous reviendrons vers vous cette semaine pour vous faire parvenir les exemplaires des contrats signés. Durée: du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007";

que le 22 novembre 2007, la société Montics a fait savoir à la société MSTI que la consultation initialement prévue avant la fin de l'année était reportée à début 2008;

qu'en réponse, la société MSTI l'a assurée dans un mail du 23 novembre 2007, de son accord pour une nouvelle prolongation du contrat en cours jusqu'au début de l'année 2008 et lui a demandé de lui préciser la date prévue pour une nouvelle consultation;

Considérant que ces pièces démontrent la réalité d'appels d'offres en 2005 et 2006, peu important que ne soit pas spécifié le volume de machines à réparer;

que la société MSTI ne saurait sérieusement contester cette réalité alors qu'elle a, elle-même, demandé à la société Montics quelle serait la date retenue pour la prochaine consultation concernant l'année 2008;

qu'elle ne saurait davantage prétendre que les prix ont été toujours fixés unilatéralement par la société Montics alors que le 30 août 2005, elle a informé cette dernière d'un nouveau forfait pour la réparation d'imprimantes et que les 28 janvier et 18 octobre 2005, lui ont été demandées des précisions sur ses tarifs de réparation;

que l'absence de référence aux appels d'offres dans le contrat-cadre ou les cahiers des charges n'a pas d'incidence, étant rappelé que le contrat-cadre exclut la possibilité d'une tacite reconduction et que les cahiers des charges ont été établis pour des durées déterminées;

Considérant ainsi que la participation à un appel d'offres a inscrit la relation commerciale dans une situation précaire, même si la société MSTI a été retenue au titre des consultations 2005 et 2006;

que la prorogation conventionnelle à deux reprises en 2007, la première jusqu'au 31 décembre 2007, la seconde jusqu'au 31 mars 2008, du contrat dont la tacite reconduction a été formellement exclue par une clause du contrat-cadre, n'a pas conduit à l'existence de relations commerciales établies au sens de l' article L. 442-6 du Code de commerce, en ce que à chaque fois, les parties ont stipulé une durée déterminée et l'exclusion de reconduction tacite;

Mais considérant que si la société Montics pouvait mettre fin à la relation contractuelle, il n'en subsiste pas moins que la société MSTI invoque justement la déloyauté de la société Montics qui lui a laissé croire qu'elle serait prochainement consultée tout en lui dissimulant sa volonté de ne pas renouveler les relations commerciales;

Considérant en effet, que le 26 septembre 2007, la société Montics a adressé à la société MSTI un courrier ainsi rédigé: "Nous sommes en cours de renouvellement et nous vous sollicitons pour prolonger par un avenant le contrat en cours. Une consultation est en cours, pour laquelle vous avez ou vous serez sollicitée";

que par un courriel du 23 novembre 2007, la société Montics, renouvelant la demande de prolongation du contrat jusqu'au 31 mars 2008, a indiqué à la société MSTI que la consultation initialement prévue avant la fin de l'année était reportée à début 2008;

Considérant cependant que force est de constater que la consultation annoncée par la société Montics ne pouvait plus être réalisée dès lors que cette dernière avait choisi dès le 4 octobre 2007 de confier la réparation de l'intégralité de son parc d'imprimantes à la société Rockwell jusqu'alors réparateur d'ordinateurs et d'écrans ;

qu'ainsi aux dates précitées, auxquelles la société Montics a assuré la société MSTI d'une consultation prochaine et lui a demandé un inventaire des stocks des imprimantes confiées pour réparation, celle-ci avait d'ores et déjà signé depuis plusieurs mois avec la société Rockwell, un cahier des charges;

que dans ces circonstances, depuis le mois d'octobre 2007, la société Montics savait qu'aucune consultation ne serait réalisée pour l'année 2008 et entretenait la société MSTI dans un faux espoir ;

que néanmoins ce n'est que par un courriel du 19 mars 2008, que la société Montics a ainsi avisé la société MSTI en ces termes: "Selon l'avenant n° 001 prolongé jusqu'au 31 mars 2008, nous vous confirmons la non-reconduction du contrat. Le périmètre de nos activités ne nous permet plus de maintenir le contrat comme il se doit, il n'y aura pas de nouvelle consultation";

Considérant que si la société Montics était en droit de ne pas renouveler le contrat normalement arrivé à son terme et de mettre fin aux relations commerciales, en revanche, elle ne pouvait sans manquer à la loyauté qui doit régir les rapports commerciaux entretenir la société MSTI dans la croyance ou l'illusion d'une future consultation et du probable renouvellement du contrat, de sorte qu'elle a engagé sa responsabilité;

Sur la réparation du préjudice:

Considérant qu'en laissant croire à la société MSTI, pendant plus de cinq mois jusqu'au 19 mars 2008, à une prochaine consultation et un éventuel renouvellement du contrat, alors qu'elle avait d'ores et déjà contracté avec un autre prestataire depuis le mois d'octobre 2007, la société Montics, actuellement dénommée IBM Delivery Services, a nécessairement causé à la société MSTI un préjudice, fût-il un trouble commercial lié notamment à la gestion de ses commandes et du stock des imprimantes confiées en réparation, ainsi qu'il résulte d'un échange de mails en date du 2 avril 2008;

que ce préjudice sera entièrement réparé par l'allocation d'une indemnité de 50 000 euro;

Sur le paiement de factures:

Considérant que la société MSTI sollicite paiement de la somme de 1 341,91 euro au titre de factures dues par la société Montics ;

que la société IBM Delivery Services, nouvelle dénomination de la société Montics, fait valoir qu'elle a réglé toutes les factures dues et n'est plus redevable d'aucune somme;

Considérant que force est de constater que la demande de la société MSTI n'est aucunement étayée, de sorte que la décision déférée, qui a rejeté cette prétention, sera confirmée;

Sur les autres demandes:

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société IBM Delivery Services ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'en revanche, l'équité commande de la condamner, sur ce même fondement, à verser à la société MSTI une indemnité de 10 000 euro;

Considérant que l'exécution provisoire du présent arrêt insusceptible de recours suspensif ne saurait être ordonnée;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par décision contradictoire, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société MSTI de sa demande en paiement de factures, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau: Condamne la société IBM Delivery Services, anciennement dénommée Montics, à payer à la société MSTI, Multi Services en Informatique, la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société IBM Delivery Services à payer à la société MSTI, Multi Services en Informatique, la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles, Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation, Condamne la société IBM Delivery Services aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.