CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 23 juin 2011, n° 10-01592
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arcal Antilles (SARL)
Défendeur :
Sapa Building System (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schmitt
Conseillers :
Mmes Durand, Verdeaux
Avoués :
SCP Ermeneux-Champly- Levaique, SCP Boissonnet-Rousseau
Avocats :
Mes Sebban, Itrac
Faits, procédure, prétentions des parties
La société Arcal Antilles exerçant à la Guadeloupe est une cliente de la société Sapa Building System qui lui a livré divers articles (profilés en aluminium, joints et accessoires), aucun contrat écrit ne concrétisant le contenu et l'étendue des accords des parties.
Celle-ci lui a réclamé en avril 2007 le paiement de factures d'un montant de 188 168,65 euro TTC.
La société Arcal Antilles a revendiqué la qualité de distributeur exclusif sur la Guadeloupe et s'est plainte de la rupture des relations commerciales résultant d'une note de juin 2007 lui annonçant une hausse des tarifs à compter de juillet 2007 pour certaines séries et l'arrêt de livraison pour d'autres séries.
Estimant que la hausse programmée était de 27 % et que l'arrêt de certaines séries équivalait à une décision de rompre les relations établies depuis 7 ans, la société Arcal Antilles, par exploit du 11 mars 2008 a fait assigner la société Sapa Building System devant le Tribunal de commerce de Fréjus en paiement de la somme de 825 934 euro au titre de la privation du préavis et celle de 557 132,40 euro au titre du stock aujourd'hui invendable.
Par jugement du 4 janvier 2010 la juridiction consulaire l'a déboutée de l'ensemble de ces demandes comme étant non fondé et l'a condamnée à régler à la société Sapa la somme de 188 168,65 euro au titre des factures impayées, outre intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2007, ainsi que celle de 8 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 5 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a rejeté la demande d'exécution provisoire.
Par acte du 25 janvier 2010 la SARL Arcal Antilles a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du magistrat de la mise en état du 1er juillet 2010 la société Sapa Building System a été déboutée de sa demande d'exécution provisoire de la condamnation de la société Arcal au paiement de la somme de 188 168,65 euro.
Par conclusions récapitulatives déposées et notifiées le 22 avril 2011, tenues pour intégralement reprises, la société appelante demande à la cour de :
Vu les relations contractuelles existantes,
Vu les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,
Infirmer le jugement,
En conséquence,
Dire que la société Sapa a rompu de manière brutale les relations commerciales existant depuis 8 ans avec la société Arcal Antilles,
Dire que cette rupture brutale doit donner lieu, outre à la reprise des produits devenus invendables, à réparation du préjudice subi,
La condamner au paiement de la somme de 825 934 euro au titre de privation du préavis et celle de 557 132,40 euro au titre du stock devenu invendable,
Faire sommation à la société Sapa de communiquer l'accusé de réception de la lettre transmise par Sompal le 28 avril 2008,
Dire que la société Sapa supportera les frais de rapatriement du stock vers la destination qu'il lui plaira,
Dire que ce stock devra être retiré de ses locaux dans les 8 jours de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euro par jour de retard,
Dire que la société Arcal Antilles ne conteste pas devoir la somme de 188 168,65 euro au titre des factures en souffrance,
Ordonner la compensation entre les deux créances,
Condamner la société Sapa au paiement de la somme de 25 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions récapitulatives déposées et notifiées le 6 mai 2011, tenues pour intégralement reprises, la société Sapa Building System demande à la cour de :
Vu les articles 1134 et suivants, 1153 et 1154, 1583, 1356 du Code civil,
Vu l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce,
Débouter la société appelante de ses demandes, fins et conclusions,
Rejeter les demandes et prétentions nouvelles de la société Arcal Antilles comme étant irrecevables en application de l'article 564 du Code de procédure civile,
Constater qu'il n'y a jamais eu de contrat écrit ni verbal permettant à la société Arcal Antilles d'invoquer la notion de stockiste ou de distributeur des produits de la société Sapa Building sur les départements d'Outre-Mer en Guadeloupe,
La débouter de toutes demandes de ce chef,
Dire et juger que la société Sapa n'a pas rompu les relations commerciales existant entre les parties,
Débouter en conséquence la société Arcal Antilles de ses demandes de dommages et intérêts pour non-respect du préavis et indemnisation de la valeur du stock non vendu qui n'est pas justifiée,
Débouter la société Arcal Antilles de sa demande de reprise du stock,
Reconventionnellement,
La condamner au paiement de la somme de 188 168,65 euro au titre des factures en souffrance, outre intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2007 date de la mise en demeure, en application de l'article 1153 du Code civil, avec capitalisation en application de l'article 1154 du Code civil,
La condamner au paiement de la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire, ainsi que celle de 20 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'affaire a été clôturée en l'état en dernier lieu d'accord des parties le 11 mai 2011.
Motifs
Sur la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau des demandes présentées par l'appelante :
Attendu que les demandes présentées par la société Arcal en appel sont identiques à celles qu'elle avait présentées devant les juges de première instance, ainsi au surplus que les moyens invoqués à leur soutien, tirés de la qualité de distributeur stockiste bénéficiant d'une exclusivité de distribution ;
Attendu que la fin de non-recevoir opposée par l'intimée sera en conséquence écartée ;
Sur les relations entres les parties :
Attendu qu'il résulte de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 13 septembre 2004 par le conseil de la société SNC Sapa Building System auprès du doyen des juges d'instruction près le TGI de Pointe-à-Pitre pour contrefaçon à l'encontre d'une société tierce, que la société Arcal Antilles y était désignée comme le distributeur exclusif sur les Antilles de pièces et systèmes d'ouvertures et fermetures de menuiseries aluminium Intexalu Systèmes dont la plaignante détenait la propriété du brevet d'invention ;
Attendu que la société Sapa n'établit pas avoir été dans l'obligation de qualifier de la sorte ses relations commerciales avec la société Arcal Antilles pour des raisons procédurales, comme elle le soutient ;
Attendu que cette qualité, reprise par la société Arcal dans divers courriers adressés à la société Sapa en 2007 et 2008, dans lesquels elle lui rappelle être chargée de la commercialisation de la Gamme Sapa sur le département de la Guadeloupe, auprès d'une clientèle composée d'ateliers de menuiseries, dans une fonction de distributeur, ne lui a alors jamais été contestée ;
Attendu qu'il résulte de courriel du 25 juin 2010 émanant de Monsieur Page, " crédit manager " de Sapa, que la société Arcal Antilles était le seul client de la société Sapa en Guadeloupe ;
Attendu par ailleurs que la société Arcal Antilles bénéficiait d'un mode de tarification particulier comme le démontrent les pièces qu'elle produit aux débats mentionnant " votre tarif quantitatif ", " votre nouvelle tarification ", " votre contrat sur la tarification ", qui était régulièrement négocié entre les parties ;
Attendu que l'existence des relations contractuelles entre les parties, en qualité de distributeur exclusif des produits Sapa pour Arcal Antilles, est ainsi établie, nonobstant l'absence de contrat écrit déterminant en bonne et due forme les conditions desdites relations, qui sont en conséquence régies, s'agissant de commerçants, par les conditions générales de vente, ainsi que par les courriers échangés entre les parties les amendant ou les précisant ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que ces deux sociétés étaient en relations commerciales régulières depuis 2000 ;
Sur la rupture des relations
Attendu qu'aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel de rompre brutalement même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectent la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels..." ;
Attendu que la société Arcal a été avisée par message en date du 2 juin 2007 de son mandant Monsieur Benesville, ayant négocié le contrat de tarification arrivant à terme au 31 mars 2007, et par courrier simple de la société Sapa en date du 19 juin 2007, dont une copie lui a été faxée le 18 juin, que les conditions de tarification de certaines séries de produits listés étaient modifiées à compter du 1er juillet 2007 ; des remises étant prévues sur le tarif en vigueur de 60 % pour les achats sur stock " diffu " et de 25 % pour les accessoires, sauf éventualité du tarif quantitatif suivant les quantités commandées ;
Attendu par ailleurs il lui était annoncé dans la même note du 19 juin 2007 l'arrêt des séries 70N, 70R, multifonction, 5G, securit 45 et série 12, à compter de la fin juillet 2007 ;
En ce qui concerne l'arrêt de commercialisation des " séries froides ":
Attendu que l'arrêt au 1er septembre 2007 de la commercialisation des séries 70N, 70R et 5G, dites " séries froides " avait été annoncé par la société Sapa à l'ensemble de ses clients par un courrier du 4 avril 2007 suite à la baisse importante des achats sur ces séries après la mise en application de la nouvelle norme " RT 2005 " sur le territoire métropolitain et le report des clients sur des séries thermiques ;
Attendu que ce courrier n'a pas été adressé en recommandé, n'intervenant pas dans un cadre litigieux, mais par lettre simple, selon l'usage des parties en relations depuis 2000 comme l'établissent d'autres messages reçus par lettre simple par Arcal, dont celui du 19 juin 2007 précité ;
Attendu qu'il n'est pas établi par contre que la société Arcal ait reçu la note du 7 mars 2006 par laquelle la société Sapa informait ses responsables de dépôt, commerciaux et diverses personnes dont Monsieur Benesville, de l'arrêt progressif entre 1 et 3 ans de diverses séries dont celles précitées, alors que Monsieur Benesville n'a été mandaté par Arcal pour la représenter auprès de Sapa dans la passation de ses commandes et de leur suivi qu'à compter du 10 janvier 2007 ;
Attendu qu'en tout état de cause la société Arcal a été avisée le 18 juin 2007, d'une part, de l'arrêt de la commercialisation par la société Sapa d'un nombre de " séries froides " bien plus important que celui indiqué en avril 2007 et, d'autre part, de l'avancée d'un mois de cet arrêt prévu en septembre à la fin du mois de juillet 2007 ;
Attendu qu'en réalité la société Sapa n'a plus commercialisé directement ses " séries froides " qui pouvaient toujours l'être dans les DOM TOM, la norme " RT 2005 " ne s'appliquant qu'en Métropole et a confié à partir d'octobre 2007 à la société Sompal, qui a démarré son activité à Mandelieu La Napoule le 20 juin 2007 et a pour cogérant l'ancien cogérant de la société Sapa qu'il avait quitté fin 2006, la distribution de ces séries par contrat de licence ;
Attendu que si la société Arcal a pu continuer à s'approvisionner en " séries froides " de la même marque Intexalu auprès de Sompal, elle précise n'avoir pu le faire aux mêmes conditions tarifaires antérieurement arrêtées avec la société Sapa ;
Attendu que la société Sapa a modifié le circuit de distribution de ces pièces en imposant de fait à sa cocontractante de s'approvisionner, non plus en direct auprès d'elle comme antérieurement, mais d'une société tierce non tenue par les engagements liant Sapa et Arcal ;
En ce qui concerne la hausse tarifaire :
Attendu que la société Sapa a avisé sa cocontractante d'une hausse tarifaire par rapport aux tarifs pratiqués jusqu'en mars 2007, variant pour certains postes de 7 % à 10 %, les prix étant identiques pour deux laquages et d'une modification des remises tarifaires passant de 51 % à 60 % sur le tarif public " 39 " pour les " diffus " bruts, celles portant sur les accessoires de 25 % demeurant inchangées ;
Attendu cependant que pour bénéficier de ces tarifs particuliers la société Arcal devait commander 500 Kg de métal par poste et non plus 300 Kg comme auparavant, les achats en stock diffus se faisant sur le tarif en vigueur, avec remise de 60 % ;
Attendu que l'augmentation des commandes imposée à Arcal Antilles de 67 % des quantités imposées par commande ne compensait pas la hausse des remises consenties sur les " diffus " bruts ;
Attendu que ces modifications substantielles des conditions tarifaires et de vente, ainsi que la suppression de la commercialisation en direct par Sapa des "séries froides" constituent une modification essentielle du contrat liant les parties et s'analysent en une rupture des relations commerciales établies entre elles depuis sept ans, qui doit être précédée d'un préavis ;
Qu'en effet ces modifications entraînent pour la société Arcal, la nécessité de réadapter son organisation notamment financière ;
Attendu que le préavis nécessaire à cette réorganisation pour le distributeur exclusif sur la Guadeloupe qu'était Arcal peut être fixé à 6 mois ;
Sur le préjudice de la société Arcal Antilles:
Attendu que celui-ci ne peut résulter que du caractère brutal de la rupture et non de la rupture elle-même ;
Attendu qu'il doit être apprécié en fonction de la marge bénéficiaire brute que la société appelante aurait pu réaliser en l'absence de rupture immédiate et sans préavis des relations commerciales et sera calculé sur la moyenne des chiffres d'affaires réalisés par la société Arcal Antilles pour les quatre derniers exercices ;
Attendu qu'eu égard à la marge réalisée au regard des différents bilans produits la société Sapa pour les exercices 2004, 2005, 2006 et 2007, le préjudice subi par la société Arcal sera fixé à la somme de 245 000 euro ;
Sur le stock :
Attendu que la société Arcal Antilles sollicite la condamnation de la société Sapa, d'une part, au paiement d'une somme de 557 132,40 euro représentant la valeur d'un stock qui serait devenu invendable et, d'autre part, à reprendre ledit stock, sous astreinte ;
Attendu cependant que le constat d'huissier du 19 février 2008 produit aux débats, dressé à la requête de la société Arcal Antilles, qui ne détaille ni ne liste les éléments stockés à cette date dans le local de la société, ne saurait démontrer la consistance et la valeur de ce stock ;
Attendu en outre qu'à défaut de pièce contemporaine des débats produite devant la cour, la société Arcal Antilles n'établit pas être toujours en possession dudit stock ;
Attendu en conséquence qu'elle sera déboutée de ces chefs de demandes ;
Sur la créance de la société Sapa :
Attendu que la société Arcal Antilles ne conteste pas devoir la somme de 188 168,65 euro au titre des factures en souffrance ;
Attendu que la société Arcal Antilles doit le paiement de cette somme à la société Sapa, outre intérêts au taux légal ayant couru à compter du 23 mars 2009, date de l'audience du tribunal de commerce lors de laquelle la demande en paiement a été formulée, et non du 17 décembre 2007, la mise en demeure ne portant pas sur cette somme ;
Attendu qu'il sera fait droit à la demande de capitalisation présentée par l'intimée le 6 mai 2011;
Sur la compensation :
Attendu que les deux créances étant connexes, leur paiement par compensation sera ordonné en application des dispositions des articles 1289 et 1290 du Code civil ;
Sur les demandes de dommages et intérêts :
Attendu que la société Arcal Antilles n'ayant pas abusé du droit d'ester en justice la société Sapa sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts présentée de ce chef et le jugement infirmé de ce chef ;
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la société Sapa Building sera condamnée aux entiers dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière commerciale, Ecarte la fin de non-recevoir opposée par la société Sapa Building System, Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Arcal Antilles à payer à la société Sapa la somme de 188 168,65 euro au titre des factures impayées, Le réforme pour le surplus, Statuant à nouveau sur les points réformés, Dit que la société Sapa a rompu brutalement sans préavis écrit les relations commerciales établies avec la société Arcal Antilles, Condamne la société Sapa Building System à verser à la société Arcal Antilles une somme de 245 000 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société Arcal Antilles à régler à la société Sapa la somme de 188 168,65 euro au titre des factures impayées, outre intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2009, date de l'audience du tribunal de commerce lors de laquelle la demande en paiement a été formulée, Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière se capitaliseront conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil à compter de la demande présentée par la société Sapa le 6 mai 2011, Ordonne la compensation judiciaire de ces deux créances connexes à due concurrence de leurs quotités respectives, Déboute la société Arcal Antilles du surplus de ses demandes, fin et conclusions, Déboute la société Sapa Building System de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Sapa Building System aux entiers dépens, ceux d'appel étant distraits au profit de la SCP Ermeneux, Champly-Levaique, avoué sur son affirmation d'en avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.