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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 19 avril 2011, n° 09-04982

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Graines d'Oc (SARL)

Défendeur :

Sanrival Jardin (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

MM. Roger, Delmotte

T. com. Toulouse, du 7 sept. 2009

7 septembre 2009

Exposé des faits:

La SAS Sanrival Jardin exerce l'activité de l'agriculture et de la polyculture. La SARL Graines d'Oc est négociante en gros de graines et semences; les parties interviennent dans le même secteur d'activité et sont en concurrence.

Les relations entre les parties se sont détériorées à partir de 2004.

Par acte du 30 octobre 2007, la SAS Sanrival Jardin a assigné la SARL Graines d'Oc pour concurrence déloyale et notamment par débauchage de salarié, par désorganisation de sa société, par agissements parasitaires et pour violation de la clause de non-concurrence de Monsieur D..

Par jugement en date du 7 septembre 2009, le Tribunal de commerce de Toulouse a condamné la SARL Graines d'Oc à payer à la SAS Sanrival Jardin la somme de 38 000 euro à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence et 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, a débouté les parties de leurs autres demandes et a condamné la SARL Graines d'Oc aux dépens.

Par déclaration en date du 14 octobre 2009, la SARL Graines d'Oc a relevé appel du jugement.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 avril 2011.

Moyens des parties

Par conclusions notifiées le 12 avril 2011 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SARL Graines d'Oc demande d'infirmer le jugement, de débouter la société Sanrival Jardin de l'ensemble de ses demandes pour concurrence déloyale, de condamner la société Sanrival Jardin à lui verser 15 000 euro sur sa responsabilité délictuelle et 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et d'ordonner la cessation des actes de concurrence déloyale accomplis la société Sanrival Jardin.

Elle demande de confirmer les motifs du jugement sur les griefs non retenus par le tribunal.

En revanche, la clause de non concurrence de M. D., elle rappelle que la Chambre commerciale de la Cour de Cassation par arrêt du 29 janvier 2008 (n°06-16654) a jugé que le juge commercial ne peut condamner la société pour concurrence déloyale au motif que le salarié qu'elle a embauché n'avait pas respecté sa clause de non-concurrence. En outre, la clause de non-concurrence non limitée dans l'espace et sans contrepartie pécuniaire est nulle ; il ne peut exister de débauchage prohibé et de concurrence déloyale en présence d'une clause de non-concurrence illicite. Enfin, sur le préjudice, le lien de causalité entre la faute et le préjudice n'est pas rapporté.

Elle demande, à titre reconventionnel, 15 000 euro de dommages-intérêts pour concurrence déloyale. Elle dénonce la concurrence déloyale de Sanrival par dénigrement par salariés, par menaces de la société Sanrival fondées sur des affirmations inexactes (concernant le débauchage de M. D., la clause de non-concurrence de M. D. qui est en réalité nulle, menaces de poursuites juridictionnelles non suivies d'effet),par harcèlement des salariés à l'égard de M. D. pour le déstabiliser; par technique d'annulation de commandes auprès de Graines d'Oc par une future salariée transfuge...etc.

Par conclusions notifiées le 7 avril 2011 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la société Sanrival Jardin demande de confirmer le jugement sauf à condamner la société Graines d'Oc à lui verser en plus 32 000 euro de dommages-intérêts pour le préjudice subi, en toutes hypothèses d'ordonner la cessation des actes déloyaux accomplis solidairement par M. D. et la société Graines d'Oc ou encore par M. D. et la société Graines d'Oc et les agissements parasitaires de la société Graines d'Oc ainsi que 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que les premiers juges ont statué sur la validité de la clause de non-concurrence en dépit de sa rédaction maladroite et contrairement aux affirmations de l'appelante.

Elle indique que la complicité de violation de la clause de non concurrence est sanctionnable. Le nouvel employeur commet une faute délictuelle à l'égard de l'ancien employeur (cf.Cour de Cass. Com. du 22 février 2000 n° 97-18728).

Sur les agissements déloyaux de la SARL Graines d'Oc, elle insiste sur un type de concurrence déloyale : "ceux qui tentent de discréditer par des allusions ou allégations mensongères ou exagérées ou par dénigrement les produits ou service d'une entreprise aux yeux du public."

M.D. n'avait pas encore été délié de sa clause de non-concurrence lorsqu'il a été engagé par la SARL Graines d'Oc qui s'est abstenue de toute vérification. Elle dénonce également les actions de déstabilisation et agissements fautifs incitation des deux nouveaux salariés à débaucher d'autres salariés du concurrent avec détournement de la clientèle, dénigrement des produits de la SAS Sanrival Jardin.

Sur le préjudice, elle a effectivement perdu des clients du fait des agissements de ses anciens salariés ce qui a constitué un trouble commercial et un préjudice certain. Une année de perte de marge est insuffisant. Elle sollicite 70 000 euro de préjudice.

Enfin, elle considère infondée la demande reconventionnelle de la SARL Graines d'Oc.

Motifs de la décision :

Sur la concurrence déloyale dénoncée par la SAS Sanrival Jardin :

En cause d'appel, la SAS Sanrival Jardin fonde son action sur la validité de la clause de non-concurrence, sur la complicité de l'employeur dans la violation de la clause de non-concurrence de M. D. et sur les actions de déstabilisation par débauchage de salarié et par dénigrement de ses produits.

La cour relève comme les premiers juges que les faits de débauchage à l'origine de la désorganisation de la SAS Sanrival Jardin ne sont pas établis. En effet, Thierry D. n'était pas tenu par une clause de non-concurrence après son licenciement comme l'a expressément précisé son employeur dans sa lettre de licenciement du 6 novembre 2006. Et le seul fait qu'il ait été effectivement licencié le 9 novembre et embauché dès le 10 novembre par la société concurrente, alors que de nombreux griefs lui étaient reprochés depuis plusieurs mois par son employeur comme l'indiquait la SAS Sanrival Jardin dans le courrier qu'elle lui a adressé le 19 octobre 2006, n'établit pas à lui seul un fait de débauchage anticoncurrentiel alors qu'il savait qu'il était libéré de toute clause de non-concurrence dès le 6 novembre.

Par ailleurs, comme le relèvent à bon droit les premiers juges, le débauchage de M. D. n'est pas davantage établi dans la mesure où son départ ne pouvait à lui seul désorganiser la SAS Sanrival Jardin alors qu'elle employait 20 salariés et disposait d'autres directeurs régionaux qui, selon le contrat de travail de F. D., doivent pouvoir exercer leur travail sur tout le territoire national, sans qu'ils puissent réclamer une quelconque indemnité liée à ce changement de secteur géographique. En tous les cas, la société SAS Sanrival Jardin ne justifie pas de la désorganisation ayant découlé du départ de F. D.. Les faits de débauchage à l'origine de la concurrence déloyale dénoncée ne sont donc pas établis.

Sur les faits de complicité de la SARL Graines d'Oc en violation de la clause de non-concurrence mentionnée dans le contrat de travail de F. D., à défaut d'avoir saisi la juridiction naturelle pour statuer sur la validité de cette dernière à l'occasion d'un litige entre le salarié et son employeur, la SAS Sanrival Jardin impose à la cour d'analyser la validité de ladite clause pour pouvoir se prononcer, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, sur les faits de complicité reprochés la SARL Graines d'Oc, employeur concurrent du dit salarié prétendument soumis à la clause de non-concurrence.

La cour constate comme les premiers juges que la clause est mal rédigée puisqu'elle n'est guère compréhensible mais surtout elle ne répond pas aux critères posés par la jurisprudence pour assurer de sa validité. En effet, il résulte des stipulations de l'article 11 intitulé "clause de non-concurrence": "en cas de rupture du présent contrat et pour quelques cause que ce soit Monsieur Franck D. s'interdit de s'intéresser ou de participer directement ou indirectement à toutes les affaires similaires à la société Sanrival Jardin dans tous les secteurs où il aura exercé ses fonctions et ce pendant un an à dater du jour de son départ de la société Sanrival sous peine de dommages-intérêts etc...". Or, si la clause est précise sur sa durée, un an, elle ne l'est pas sur le secteur géographique où elle s'applique puisque l'article 3 du contrat stipulait que "de convention expresse entre les parties, il n'est pas reconnu à Monsieur Franck D. de secteur géographique même s'il doit travailler sur la région Nord, Nord Pas de Calais et la Normandie en général afin de créer et développer son secteur... tout changement dans l'organisation commerciale de la société Sanrival Jardin modifiant les zones de travail de Monsieur D. ne saurait en aucun cas s'analyser comme une rupture et devrait être accepté sans restriction par Monsieur Franck D. Etc..." Dès lors, le secteur géographique d'intervention de F. D. n'était pas précisément défini et la limitation géographique de la clause de non-concurrence l'était d'autant moins qu'elle renvoyait au secteur géographique d'exercice de ses fonctions ; elle était donc par définition imprécise sauf à analyser dans les détails toutes les interventions effectuées par Franck D. depuis son embauche soit durant plusieurs années. Mais surtout la clause de non-concurrence prévoyait au dernier alinéa de l'article 11 une indemnité en renvoyant à l'alinéa 3 de l'article mais avec cette particularité que l'alinéa 3 ne définit pas l'indemnité due au salarié, mais au contraire, la clause pénale due par ce dernier en cas de non-respect de la clause de non-concurrence et sans qu'aucun autre alinéa ne précise le montant de la dite indemnité. Dans ces conditions, la cour ne peut que constater la non-validité de la clause de non-concurrence de Franck D. et dire, par conséquent, les faits de complicité reprochés à la SARL Graines d'Oc non établis. Il convient d'infirmer le jugement de ce chef.

Sur les autres faits reprochés et notamment les actions de déstabilisation par débauchage de salarié de la SAS Sanrival Jardin et par dénigrement de ses produits, la cour confirme les motifs pertinents des premiers juges qu'elle adopte.

En effet, les attestations de salariés de la société Sanrival Jardin tels que MM L., B., et M. ou encore Samuel M. en appel ne peuvent présenter une quelconque force probante alors qu'ils étaient soumis à une dépendance salariale d'autant plus forte que la concurrence entre les parties était exacerbée; de même que la cour ne saurait retenir comme suffisamment probantes, à l'appui des moyens de la SARL Graines d'Oc, les attestations de Franck D. et de Jean-Michel V., salariés de la SARL Graines d'Oc.

En outre, la concurrence déloyale par dénigrement ne saurait être retenue comme faute d'une partie alors que les dénigrements sont réciproques; les attestations de tiers tels que M. M., ou encore Mlle Boulay en appel et la lettre de Christian M., gérant indépendant d'un COOP, adressée à la SARL Graines d'Oc en décembre 2006 confirment l'existence d'un dénigrement réciproque de la société concurrente par des salariés de chaque partie allant jusqu'à dénier l'existence du concurrent.

Par ailleurs, la preuve de tentative de débauchage de nombreux salariés de la SAS Sanrival Jardin n'est pas rapportée.

Enfin, sur les agissements parasitaires et notamment le démarchage d'anciens clients par MM D. et D., le grief ne peut être retenu à défaut de l'existence de clause de non-concurrence applicable à ses deux ex-salariés et alors même que les deux parties interviennent sur le même secteur commercial, dans un contexte de concurrence exacerbée et notamment celui étroit des supermarchés.

Il convient de débouter la SAS Sanrival Jardin de ses demandes.

Sur la demande reconventionnelle de la SARL Graines d'Oc en concurrence déloyale:

La cour constate que cette demande est formulée pour la première fois en cause d'appel et porte sur des faits remontant à 2006.

Les faits de dénigrement par salariés de la SAS Sanrival Jardin de nature à caractériser une concurrence déloyale ne sont pas suffisamment établis et ce d'autant plus qu'ils ont été réciproques comme mentionné précédemment et comme cela ressort des attestations et de courriers de tiers.

Concernant les menaces de la société Sanrival Jardin fondées sur des affirmations inexactes relatives au débauchage de M. D., à sa clause de non-concurrence en réalité non valide, aux poursuites juridictionnelles non suivies d'effet, la cour fait observer que si ces faits se sont révélés a posteriori inexacts, pour donner lieu à condamnation pour concurrence déloyale, encore faut-il qu'ils aient causé un préjudice déterminé. Or, en l'espèce, la SARL Graines d'Oc ne rapporte pas la preuve d'un tel préjudice.

Concernant les faits de harcèlement des salariés à l'égard de M. D. pour le déstabiliser, la cour constate que ce dernier a certes porté plainte après avoir déposé une main courante, mais les faits de harcèlement téléphonique ne sont pas suffisamment établis par la production de ces deux seules pièces.

Enfin, concernant l'annulation de commandes auprès de Graines d'Oc par une ex-salariée, Sandrine B., dont la période d'essai n'a pas abouti à une embauche définitive au-delà du 21 novembre 2006 après 3 mois d'essai et qui est devenue salariée de la SAS Sanrival Jardin en qualité de responsable régional dès le 1er décembre 2006, ne permet pas d'établir avec certitude que l'annulation des commandes de Graines d'Oc aurait été initiée par son concurrent la SAS Sanrival Jardin en fin de période d'essai de Sandrine B., la lettre de Christian M. adressée à la SARL Graines d'Oc le 15 décembre 2006 relatant des propos tenus par Sandrine B. le 12 décembre 2006, soit après son embauche chez Sanrival Jardin.

La SARL Graines d'Oc sera déboutée de sa demande reconventionnelle.

A défaut d'avoir établi les actes de concurrence déloyale dénoncés, la cour déboutera donc chaque partie de sa demande de cessation d'actes de concurrence déloyale de l'autre partie.

Sur les demandes annexes :

Les parties se partageront la charge des dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs: LA COUR, - infirme le jugement mais uniquement en ce qu'il a condamné la SARL Graines d'Oc à verser à la SAS Sanrival Jardin des dommages-intérêts et des indemnités en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à prendre en charge les dépens de première instance, et, statuant à nouveau, - déboute la SAS Sanrival Jardin de ses demandes, - déboute la SARL Graines d'Oc de ses demandes reconventionnelles, - condamne les parties à prendre en charge chacune pour moitié les dépens de première instance et d'appel, - autorise les avoués en la cause à recouvrer directement les dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, - rejette les demandes formées par les parties.