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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 15 juin 2011, n° 2009-15047

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nemiroff Intellectual Property Establishement (Sté), Nemiroff Ukrainian Vodka Company (Sté), Euro Export (SARL)

Défendeur :

Spirits International BV (Sté), SPI Spirits Cyprus Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avoués :

SCP Fanet Serra, SCP Duboscq, Pellerin, Huyghe

Avocats :

Mes Proust, Neri, Herbert Smith, Devot, Roux-Vaillard, de Dampierre, Hogan Lovells

TGI Paris, du 20 fév. 2009

20 février 2009

Vu le jugement contradictoire du 20 février 2009 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 2 juillet 2009 par les sociétés Nemiroff Intellectual Property Establishement, Nemiroff Ukrainian Vodka Company, de droit étranger, et la société Euro Export,

Vu l'ordonnance sur incident du 6 avril 2010,

Vu les dernières conclusions du 16 décembre 2010 des sociétés Nemiroff Intellectual Property Establishement, Nemiroff Ukrainian Vodka Company, ci après dites sociétés Nemiroff, appelantes,

Vu les dernières conclusions du 29 mars 2011 de la société Euro Export, appelante,

Vu les dernières conclusions du 1er mars 2011 de la société Spirits International BV, de droit néerlandais, et de la société Spi Spirits (Cyprus) Limited, ci-après dite Spirits Cyprus, de droit chypriote, intimées,

Vu l'ordonnance de clôture du 26 avril 2011,

Sur ce, LA COUR,

Considérant que le recours, dont la cour est saisie, porte en fait sur les seules dispositions du jugement susvisé relatives aux actes de concurrence déloyale et parasitaire objet de l'instance introduite les 31 octobre et 2 novembre 2006 par la société Spirits International à l'encontre des sociétés Nemiroff et Euro Export devant le Tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre 2ème section), dont serait victime la société Spirits Cyprus, intervenue volontairement à l'instance le 13 septembre 2007, en sa qualité de licenciée et distributeur des vodkas Spirits ;

Considérant qu'il sera rappelé que les sociétés Spirits reprochent aux sociétés Nemiroff et Euro Export de reproduire quasi servilement la présentation de leurs vodkas "Stolichnaya" et "Moskovskaya", notamment vendues en France, en créant une gamme de deux vodkas "Nemirovskaya", dont la variété "Osobaya", imitant, selon elles, celle constituée par leurs deux produits, profitant de leur notoriété et tentant de capter les parts de marché y afférentes ;

Que les premiers juges ont retenu " qu'en commercialisant une gamme de vodkas présentées dans des bouteilles revêtues d'étiquettes par ailleurs déposées le 31 mars 2003 par la société Nemiroff Intellectual Property, à titre de marques internationales semi-figuratives visant la France, sous le n° 802 091 et le n° 802 092, les sociétés Nemiroff, Nemiroff Intellectual Property et Euro Export se sont rendues coupables d'actes de parasitisme au préjudice de la société Spirits Cyprus " ;

Qu'ils ont, en conséquence, interdit la poursuite de ces agissements sous astreinte, condamné in solidum les sociétés Nemiroff et Euro Export à payer à la société Spirits Cyprus 100 000 euro, outre 10 000 euro au titre des frais irrépétibles, et autorisé une mesure de publication judiciaire ;

Considérant que les sociétés Nemiroff, qui commercialisent sous leurs marques de la vodka fabriquée en Ukraine, notamment les variétés "Nemirovskaya" et "Nemirovskaya Osobaya", reprochent à la décision entreprise d'avoir méconnu leur droit de propriété sur les marques internationales semi figuratives "Nemirovskaya" n° 802 091 et "Nemirovskaya Osobaya" n° 802 092, ainsi que l'absence d'effet de gamme ou de risque de confusion, résultant de l'exploitation des étiquettes ou des bouteilles de leurs vodkas ;

Que la société française Euro Export, qui a revendu ces vodkas ukrainiennes en France, fait valoir qu'elle est de bonne foi, qu'elle n'est pas l'auteur des faits reprochés, et qu'elle s'adresse à un public averti ;

Que la société Spirits Cyprus, qui commercialise en France des vodkas produites en Russie, dans des bouteilles revêtues d'étiquettes reproduisant, en couleur, les marques semi figurative françaises déposées, en noir et blanc, par la société Spirits International en 1975 et 1976, invoque un comportement déloyal dans la mise en œuvre du droit de propriété des sociétés Nemiroff, reprochant une imitation des éléments caractéristiques de ses étiquettes et de l'habillage de ses bouteilles de vodka, une reprise de sa gamme de vodkas "Stolichnaya" et "Moskovskaya", ainsi qu' une volonté de tirer abusivement avantage des investissements mis en œuvre pour assurer la renommée internationale de ses vodkas, ajoutant qu'en commercialisant en France les produits critiqués le grossiste Euro Export participe aux actes reprochés ;

Considérant qu'il convient de rechercher si la commercialisation reprochée est, ou non, fautive, et partant d'examiner les bouteilles en cause, lesquelles se présentent respectivement, pour chacune des deux variétés, ainsi :

Qu'il doit être admis, dès lors que l'infirmation du rejet de l'action en contrefaçon formée à l'encontre des marques en couleur, déposées en 2003 par la société Nemiroff Intellectual Property, n'est pas poursuivie, que les marques en litige sont différentes ; qu'en particulier, ainsi que retenu par le tribunal, les formes rectangulaires des étiquettes apposées sur les vodkas russes Spirits (figurées à gauche des reproductions ci-dessus) sont distinctes des contours fantaisistes adoptés pour les vodkas ukrainiennes Nemiroff (figurées à droite), que les éléments verbaux diffèrent, que les décorations sont distinctes et placées différemment et que les différences observées excluent tout risque de confusion ;

Qu'il est certes établi qu'antérieurement à la commercialisation critiquée la société Spirits Cyprus vendait en France des bouteilles comportant une étiquette principale en couleur (reproduisant les marques déposées en noir et blanc par la société Spirits International) à dominante rouge ou verte, selon la spécialité, avec des couleurs blanc et or ; qu'il ressort également de l'examen auquel la cour s'est livrée, que les étiquettes centrales des bouteilles incriminées, comportent, comme celles de la société Spirits Cyprus, en particulier :

- en partie haute, le nom de la vodka en lettre majuscules bâton de couleur blanche, sur fond rouge ou vert selon la variété et, en partie basse, une bande de même couleur,

- des sceaux et bordures de couleurs or et pour les étiquettes à dominante rouge des lettres cursives dorées en diagonale en avant d'un motif architectural gris et blanc en perspective sur fond blanc,

- pour les étiquettes à dominante verte, le rappel du nom de la vodka, avec une majuscule et des lettres minuscules de couleur noire entourée de vert sur un fond blanc en partie centrale et une partie inférieure à fond vert ;

Que cependant l'étiquette des bouteilles incriminées correspond aux marques en couleur déposées antérieurement par la société Nemiroff Intellectual et il résulte de la comparaison à laquelle la cour a procédé des bouteilles en cause que nonobstant les similitudes de certains éléments graphiques de l'étiquette centrale ou de couleur relevées ou de la reprise d'une même couleur de bouchon des bouteilles à dominante verte, elles conservent visuellement une forme générale manifestement différente ; qu'elles indiquent clairement, au lieu et place de la mention d'une vodka russe, celle d'un produit Nemiroff, mentionnent de manière apparente qu'il s'agit d'un produit ukrainien et reproduisent largement le logo distinctif (formé d'un "N" majuscule) de ce produit, conférant une impression globale d'ensemble et de provenance distincte ;

Que, par ailleurs, les deux bouteilles de vodka russe sont de forme banale, et comprennent une étiquette supplémentaire, ou collerette, à la base du goulot, inexistante dans les deux bouteilles incriminées, qui présentent à cette hauteur des marquages gravés dans le verre et une forme particulière (col à double étranglement) leur conférant une allure globale plus trapue, même si elles ont également une section ronde ; qu'en outre le bouchon (ou capsule) des bouteilles à dominante rouge (peu significative pour des vodkas) est visiblement différent (la capsule de la vodka russe étant dorée et non rouge, et plus longue que celle de la vodka ukrainienne) ;

Que, dans ces conditions, le consommateur de vodkas moyennement avisé ne saurait être trompé sur le produit commercialisé ni être incité à croire que les entreprises diffusant les vodkas en cause, de marque et d'origine différentes, peuvent être économiquement liées ; qu'aucun risque de confusion ne s'avère ainsi caractérisé ;

Qu'il ne peut pas plus être admis que la commercialisation reprochée s'inscrit dans un effet de gamme, même si seules les bouteilles litigieuses présentent une section circulaire et reprennent des dominantes rouge ou verte, selon qu'il s'agit d'un vodka classique ou spéciale, alors qu'il n'est pas dénié que d'autres vodkas sont commercialisées sous la marque Nemiroff et que, contrairement aux deux spécialités russes revendiquées, elles ne sont pas vendues sous des appellations totalement différentes, qui n'incitent pas nécessairement à les associer (à la différence de variantes aromatisées, qui ne sont pas en cause, déclinant la dénomination "Stolichnaya") ;

Qu'en réalité il existe un apport significatif de différences entre les produits, compte tenu en particulier de la forme particulière et de la gravure des bouteilles de vodka ukrainienne, immédiatement reconnaissables par leur dénomination commune propre, distinctive, "Nemiroff", et il n'est pas démontré, alors que l'origine ukrainienne est mentionnée, que leur exploitation puisse se situer dans le sillage d'une marque russe connue ou reprendre la valeur économique de cette dernière, étant précisé qu'il n'est pas sérieusement contesté qu'ils disposent d'un positionnement distinct s'adressant essentiellement à des initiés, habitués d'épiceries spécialisées, alors que les vodkas russes revendiquées sont distribuées dans des réseaux plus importants (grands cavistes ou grande distribution) ;

Considérant, en définitive, qu'il n'est pas établi que la commercialisation litigieuse soit constitutive d'un agissement fautif de nature à altérer le comportement économique du consommateur ni d'un abus d'exploitation de marques ; qu'en conséquence les demandes de ce chef seront rejetées et la décision entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions relatives à l'action en concurrence déloyale et parasitaire, en ce compris celles ayant ordonné des meures d'interdiction et de publication ;

Que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties, tant pour les frais de première instance que pour ceux d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives à l'action en concurrence déloyale et parasitaire, à l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ; Et statuant à nouveau sur ces chefs, Déboute la société SPI Spirits (Cyprus) Limited de son action en concurrence déloyale et parasitaire ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne les sociétés Spirits International BV et SPI Spirits (Cyprus) Limited aux dépens de première instance et d'appel qui, pour ces derniers, pourront être recouvrés par les SCP Serra Fanet et Duboscq Pellerin, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.