CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 23 juin 2011, n° 10-00557
CAEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Bigot
Défendeur :
SNCV France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calle
Conseillers :
Mmes Boissel Dombreval, Vallansan
Avoués :
SCP Grandsard Delcourt, SCP Grammagnac Ygouf Balavoine, Levasseur
Avocats :
SCP Dubos, Mes Gringore, Foussat
La société SNCV France a conclu avec Mme Michèle Bigot un contrat d'agent commercial avec effet au 9 juillet 2005, régularisé par écrit le 8 octobre 2007. Suite à sa résiliation le 14 mai 2008, Mme Bigot réclame à la société SNCV France des rappels de commissions et différentes indemnités.
Par jugement du 10 février 2010, le Tribunal de commerce de Caen a, après s'être déclaré compétent:
- dit que les documents produits suffisent à l'appréciation de l'ensemble du litige et constaté que Mme Bigot a de ce chef satisfait à l'injonction qui lui a été faite,
- condamné la société SNCV France à payer à Mme Bigot les sommes de 175,22 euro et 754,07 euro à titre de commissions, avec intérêts de droit à compter de l'assignation,
- débouté Mme Bigot de sa demande de commissions de 847,16 euro,
- dit que la rupture du contrat est la conséquence des manquements de Mme Bigot à ses obligations,
- débouté en conséquence Mme Bigot de ses demandes indemnitaires,
- débouté Mme Bigot de sa demande de dommages et intérêts pour transgression de l'exclusivité de secteur et de l'occultation de commissions,
- condamné Mme Bigot à payer à la société SNCV France une indemnité de 4 000 euro pour préjudice subi,
- condamné la société SNCV France à payer à Mme Bigot la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société SNCV France aux dépens;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Mme Bigot est appelante de cette décision.
Par conclusions du 1er juillet 2010, elle demande:
- de réformer ce jugement, sauf sur sa compétence territoriale et sur le rappel des commissions alloué,
- de constater l'absence de toute faute grave,
- en conséquence, de condamner la société SNCV France à lui payer:
* au titre des commissions sur affaires occultées: 929,29 euro
* au titre des commissions d'avril-mai 2008: 1 390,23 euro
* à titre d'indemnité de préavis: 2 965,07 euro
* à titre d'indemnité compensatrice: 17 000 euro
* à titre de dommages et intérêts pour prospection sur secteur exclusif: 4 000 euro
- de rejeter toute demande reconventionnelle de la société SNCV France,
- de condamner cette dernière à lui payer la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- de la condamner en tous les dépens, de première instance et d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par conclusions du 6 avril 2011, la société SNCV France demande:
- de confirmer le jugement entrepris sur la faute grave de Mme Bigot et ses conséquences, sauf à fixer les dommages et intérêts à 15 000 euro,
- d'infirmer le jugement sur le rappel de commissions et débouter Mme Bigot de ses demandes de ce chef,
- d'infirmer le jugement sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner Mme Bigot à lui payer de ce chef une somme de 4 000 euro,
- de condamner Mme Bigot aux entiers dépens, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, la cour fait référence à leurs dernières écritures respectives.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 11 mai 2011.
Sur ce,
La compétence territoriale du Tribunal de commerce de Caen n'est pas discutée.
I - Sur les rappels de commissions
Il résulte des dispositions du contrat d'agent commercial signé le 8 octobre 2007 que, d'une part Mme Bigot se voit attribuer le secteur géographique constitué par les départements 14, 22, 27, 29, 35, 44, 49, 50, 76, 85, d'autre part qu'elle bénéficie d'une exclusivité territoriale sur le secteur d'activité qui lui est attribué, "à savoir les boutiques de détail: boutiques de décoration et d'articles pour la maison, les torréfacteurs, les épiceries fines", enfin qu'elle s'interdit toute action en dehors de ce secteur.
Si l'article L. 134-6 alinéa 2 du Code de commerce précise que, lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe, il ressort cependant des dispositions de l'article L. 134-16 du même Code que cet alinéa de l'article L. 134-6 ne fait pas partie de ceux contre lesquels toute clause ou convention contraire, ou y dérogeant au détriment de l'agent commercial, serait réputée non écrite.
En l'espèce, le contrat précise que les commissions sont calculées sur le montant hors taxes des ventes " réalisées grâce à l'intervention de l'agent commercial ", et ce de quelque façon que la commande soit parvenue au mandant.
Ainsi, outre le fait que les établissements de restauration, comme c'est le cas du Château d'Audrieu ici concerné, ne fassent pas partie de l'exclusivité de secteur d'activité contractuel, force est de constater que la vente à cet établissement n'a pas été réalisée par Mme Bigot, de sorte qu'il ne lui est pas due de commission de ce chef. Le jugement dont appel sera en conséquence infirmé en ce qu'il a alloué de ce chef à Mme Bigot une somme de 175,22 euro outre intérêts.
Relativement aux autres commissions relevant de ce secteur, elles sont dues jusqu'à la résiliation du contrat du 14 mai 2008.
Ce contrat prévoit que les commissions sont payables mensuellement, au plus tard le dernier jour du mois suivant le paiement complet et définitif par le client des opérations ayant généré lesdites commissions et après réception des factures de l'agent correspondantes aux dites opérations.
Or, le 27 août 2008, la société SNCV France a fait parvenir à Mme Bigot un chèque de 1 035,76 euro valant solde de tout compte au titre des commissions dues.
Mme Bigot ne démontre aucunement que d'autres opérations ayant donné lieu à paiement complet seraient susceptibles d'ouvrir droit à commissions.
En conséquence, le jugement mérite infirmation en ce qu'il a alloué la somme de 754,07 euro outre intérêts de ce chef et confirmation en ce qu'il a débouté Mme Bigot de sa demande complémentaire de commissions.
II - Sur la résiliation
Il résulte des dispositions contractuelles que Mme Bigot s'est engagée à ne pas représenter une entreprise concurrente de la société SNCV France.
Or, les pièces produites aux débats démontrent à suffire que Mme Bigot représentait plusieurs entreprises concurrentes de la société SNCV France, sans qu'il soit prouvé qu'elle en ait informé ce mandant.
En effet, diverses entreprises pour lesquelles travaillait Mme Bigot vendant des produits, non pas seulement complémentaires, mais réellement concurrents, comme par exemple les confits d'oignons ou de poivrons, la sauce tomate, l'extrait de vanille, le pesto, la sauce tomate, les tomates séchées, le risotto aux asperges, etc... qui se retrouvent sur les catalogues des sociétés Le Comptoir, [...], Castelli, etc....
La seule origine étrangère de certains de ces produits est insuffisante à en faire de simples produits complémentaires, alors qu'ils se présentent comme des produits directement concurrents.
Sans qu'il y ait lieu de rechercher si d'autres fautes ont été commises par Mme Bigot, cette seule violation de la clause contractuelle susvisée est une faute grave qui, comme l'a justement retenu le premier juge, l'empêche de bénéficier d'indemnités suite à la résiliation de son contrat, laquelle a été donc faite à ses torts.
Le fait allégué par Mme Bigot, selon lequel d'autres agents commerciaux de la société SNCV France seraient également multicartes, est ici sans conséquence.
Mme Bigot doit ainsi être déboutée de ses demandes indemnitaires et le jugement confirmé de ce chef.
III - Sur les dommages et intérêts
Il se déduit de ce qui précède au titre des rappels de commissions réclamés par Mme Bigot, que celle-ci doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts. Le jugement sera infirmé de ce chef.
En revanche, la société SNCV France a subi un préjudice du fait de la représentation par Mme Bigot d'entreprises concurrentes. Cette violation délibérée des dispositions contractuelles justifie une indemnisation, que le premier juge a justement appréciée à 4 000 euro. La société SNCV France ne justifie pas d'un préjudice plus important. Le jugement mérite confirmation de ce chef.
IV - Sur les frais irrépétibles et les dépens
Déboutée, Mme Bigot doit conserver la charge des entiers dépens, de première instance et d'appel.
Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société SNCV France, qui a exposé des frais à l'occasion de la présente procédure, et ce pour un montant qu'il est équitable de fixer à 3 000 euro.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 10 février 2010 par le Tribunal de commerce de Caen en ce qu'il a condamné la société SNCV France à verser à Mme Michèle Bigot des rappels de commissions et une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que sur les dépens; Le confirme en ses autres dispositions; Déboute Mme Michèle Bigot de toutes ses demandes; Condamne Mme Michèle Bigot à verser à la société SNCV France la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne Mme Michèle Bigot aux entiers dépens, de première instance et d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.