CA Douai, 2e ch. sect. 2, 16 juin 2011, n° 10/07909
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Karmez Belgium BVBA (Sté)
Défendeur :
Fantaisie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Olivier
Conseillers :
Mmes Nève de Mevergnies, Valay-Brière
Avocats :
Mes Lepoutre-Moulin-Delehelle, Doller
La société de droit belge Karmez Belgium BVBA fournissait régulièrement de la viande à la SARL Fantaisie depuis la création de cette dernière en 1988, la SARL Fantaisie distribuant quant à elle ses produits auprès de restaurateurs "Kebab" dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme. Devant le défaut de paiement de plusieurs factures et ayant appris que la SARL Fantaisie distribuait sans distinction ses produits avec d'autres de qualité inférieure, la société Karmez Belgium BVBA a cessé ses livraisons et assigné sa cliente en paiement des factures ; cette instance a donné lieu à un arrêt aujourd'hui définitif de la Cour d'appel d'Anvers (Belgique).
Parallèlement, la SARL Fantaisie a saisi le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing d'une demande tendant à la réparation de son préjudice pour rupture abusive d'une relation commerciale établie.
Par jugement du 10 septembre 2008, le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a, notamment, déclaré recevable l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Karmez Belgium BVBA mais l'en a déboutée et s'est, par conséquent, déclaré compétent pour connaître de la demande en invitant les parties à conclure sur le fond.
Sur contredit à cette décision formé par la société Karmez Belgium BVBA, la Cour d'appel de Douai a, par arrêt du 5 mars 2009, accueilli le contredit de compétence et, par conséquent, dit que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing n'est pas compétent pour connaître de la présente instance et a renvoyé la SARL Fantaisie à mieux se pourvoir, dès lors que la juridiction susceptible d'être compétente est une juridiction étrangère ; la cour a fondé sa décision sur l'application de l'article 5, 3) du règlement (CE) du 22 décembre 2000 s'agissant d'un litige fondé sur la responsabilité délictuelle de la société Karmez pour lequel les conditions générales de vente de cette société ne sont pas applicables.
Par arrêt du 8 juillet 2010, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 5 mars 2009 en renvoyant les parties devant la Cour d'appel de Douai autrement composée, au motif qu'en statuant sur le fondement de l' article 5-3 du règlement (CE) du 22 décembre 2000, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur cette disposition qu'elles n'avaient pas invoquée dans leurs conclusions, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile.
Par déclaration reçue le 16 novembre 2010, la société Karmez Belgium BVBA a saisi la Cour d'appel de Douai du renvoi de l'affaire pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit. Dans ses dernières conclusions déposées le 30 mars 2011, elle demande que l'exception d'incompétence soit déclarée fondée au regard des dispositions de l'article 23 du règlement CE du 22 décembre 2000 c'est-à-dire de l'existence d'une clause attributive de juridiction au profit des juridictions d'Anvers (Belgique) figurant dans ses conditions générales de vente que la Cour d'appel d'Anvers a déjà jugée opposable à la SARL Fantaisie, et qui est bien, selon elle, applicable en l'espèce. Elle fait valoir notamment, sur ce point, que la SARL Fantaisie invoque, à l'appui de sa demande, le refus par elle d'honorer une commande ce qui rattache bien le litige à une vente conclue entre les parties.
Elle demande encore condamnation de la SARL Fantaisie à lui payer la somme 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et de contredit.
La SARL Fantaisie, dans ses dernières conclusions reçues au Greffe le 7 avril 2011, demande la confirmation du jugement déféré et le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Roubaix avec injonction à la SPRL Karmez Belgium de conclure sur le fond.
Elle demande encore condamnation de la SPRL Karmez Belgium à lui payer la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur l'application, en l'espèce, de la clause attributive de juridiction
L'action engagée par la SARL Fantaisie contre la société Karmez Belgium BVBA devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing par assignation du 16 février 2007 est fondée sur le refus, par cette dernière d'honorer une commande adressée par télécopie du 24 juin 2006, ce qui constitue selon elle une rupture unilatérale et abusive de relations commerciales établies. Elle fait valoir, sur ce dernier point, qu'elle se fait fournir, depuis sa création en 1998, des produits de la marque " Karmez " pour les revendre auprès de différents restaurateurs " Kebab ". Elle s'appuie, en cela, sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce particulièrement le 5° de ce texte, qui sanctionne la rupture brutale et sans préavis écrit, d'une relation commerciale établie.
Il est de jurisprudence constante que l'action en cause, fondée sur le texte ci-dessus rappelé, tend à voir mettre en œuvre la responsabilité délictuelle de l'auteur des faits, cette responsabilité, reposant sur un fait fautif, naissant ainsi en dehors de tout cadre contractuel. Il n'en est autrement que si les relations commerciales établies entre les parties s'inscrivent dans le cadre d'un contrat général existant entre elles et définissant précisément ce cadre, dénommé généralement 'contrat-cadre'.
En l'espèce, il ressort des explications concordantes des parties sur ce point, qu'il n'a existé aucun accord écrit entre elles, de nature à régir leurs relations commerciales. Certes, en matière commerciale la preuve d'un contrat peut être rapportée par tous moyens et la forme écrite n'est donc pas indispensable pour qu'un contrat existe ; encore faut-il que le dit contrat existe bel et bien. En l'espèce, certes la SARL Fantaisie invoquait en son assignation l'existence d'un " accord de distribution " où elle prétendait bénéficier d'une exclusivité pour distribuer les produits de marque " Karmez " dans un certain secteur géographique. Pour autant, les éléments fournis par elle à l'appui de l'allégation de l'existence d'un tel accord pouvant constituer une convention, étaient et sont toujours constituées uniquement par l'existence de ventes répétées entre les parties depuis de nombreuses années ; or la simple existence objective de ces ventes, fussent-elles nombreuses, répétées et perdurant pendant plusieurs années, si elles peuvent établir l'existence d'une relation commerciale établie, n'en démontrent pas, pour autant, que cette relation se soit déroulée dans le cadre d'une convention générale ou " contrat-cadre ", sauf à voir reconnaître systématiquement l'existence d'un tel contrat lorsque des relations commerciales établies sont caractérisées, ce qui n'est pas l'objet de la disposition législative codifiée au 5° de l'article L. 442-6. En l'absence d'autres éléments en l'espèce, l'existence d'un tel contrat n'est pas démontrée.
La société Karmez Belgium BVBA, quant à elle, se prévaut d'une jurisprudence qui fait découler, de la longueur des relations commerciales entre deux personnes, la présomption de la connaissance et de l'acceptation, par l'une, des conditions générales de vente de l'autre contenues et rappelées dans les documents échangés entre elles (notamment les factures émanant du vendeur) ; mais cette jurisprudence n'a précisément d'effet que sur la connaissance et l'acceptation implicite de l'application des dites conditions générales à une relation contractuelle s'établissant entre elles ; encore faut-il qu'une relation contractuelle soit précisément établie, ce qui reste à prouver en l'espèce. En effet, en dehors de tout contrat-cadre dont l'existence n'est pas alléguée et la preuve a fortiori n'est pas rapportée en l'espèce, la relation contractuelle ne s'est nouée entre les parties que vente par vente, par l'acceptation par le vendeur de la commande de l'acheteur. Or, précisément, ce que la SARL Fantaisie reproche à la société Karmez Belgium BVBA en l'espèce, c'est de n'avoir pas honoré une de ses commandes à réception de celle-ci, ce qui induit que la relation contractuelle, pour cette commande-ci, ne s'est pas nouée à défaut de consentement du vendeur.
Il en résulte que la clause attributive de compétence contenue dans les conditions générales de vente de la société Karmez Belgium BVBA ne peut régir la compétence de la juridiction saisie en l'espèce où le litige ne repose pas sur l'exécution d'une convention ; cela n'entre pas en contradiction avec les décisions de justice rendues par la Cour d'appel d'Anvers (Belgique) en dates des 3 avril 2007 et 20 mars 2008 et invoquées dans ses conclusions par la société Karmez Belgium BVBA, lesquelles certes ont été rendues entre les deux sociétés parties à la présente instance mais dans le cadre, à chaque fois, d'une vente effective de marchandises dont la société Karmez Belgium BVBA réclamait le prix ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Sur l'application des règles Communautaires
Le tribunal a, dans le jugement déféré, fait application de " l'article 5 b) ", - en réalité 5, 1), b) - du Règlement 44-2001 du 22 décembre 2000 sur la compétence judiciaire entre deux personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre de l'Union Européenne, ce que sont bien la Belgique et la France, lieux respectifs de domicile des sociétés Karmez et Fantaisie. Cependant, cette partie de l'article ne pouvait recevoir application puisqu'elle concerne uniquement la " matière contractuelle ".
En l'espèce, il convient donc d'appliquer le 3) - et non pas le 1) de cet article -, qui concerne la matière délictuelle et qui édicte qu'"une personne domiciliée (...) dans un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, (...) devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ". En l'espèce, le fait dommageable reproché à la société Karmez BVBA consiste dans la décision de ne pas honorer la commande émise par la SARL Fantaisie, décision prise, à défaut d'autres éléments, au siège social de la société Karmez soit sur le territoire de la commune d'Anvers (Belgique). Il en résulte que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing n'était pas compétent pour connaître de la demande et, par conséquent, le jugement déféré doit être infirmé dans son intégralité.
En application de l'article 96 du Code de procédure civile, la présente cour estimant que la juridiction compétente est une juridiction étrangère, ne peut qu'inviter la SARL Fantaisie à mieux se pourvoir.
Sur les demandes accessoires
La SARL Fantaisie, succombant en sa position, devra supporter les dépens de première instance et de contredit en application de l'article 696 du Code de procédure civile. Pour les mêmes motifs, il n'est pas possible de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en sa faveur.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Karmez Belgium BVBA tout ou partie des frais exposés dans le cadre de la présente et de l'instance devant le premier juge et non compris dans les dépens ; il y a donc lieu de lui allouer la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré. Statuant à nouveau : Dit que le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing n'est pas compétent territorialement pour connaître de la demande. Condamne la SARL Fantaisie à payer à la société Karmez Belgium BVBA la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes les autres demandes. Condamne la SARL Fantaisie aux dépens de première instance et de contredit.