CA Rennes, 2e ch. com., 21 juin 2011, n° 10-03680
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Doux Elevage (SNC)
Défendeur :
Fermiers de Janzé (SC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
M. Christien, Mme Cocchiello
Avoués :
SCP Bazille, SCP Guillou Renaudin
Avocats :
Mes Léger, Mercier
Exposé du litige
La société Coopérative des fermiers de Janzé (la Coopérative), qui regroupe des éleveurs de volailles, commercialise depuis le milieu des années 1980 la majeure partie de sa production auprès de la société Galina, devenue Doux élevage (la société Doux).
En 2007, les parties ont engagé des pourparlers en vue de la revalorisation du prix d'achat des volailles, mais, en l'absence d'accord, la Coopérative informait le 21 septembre 2007 la société Doux de sa décision d'augmenter ses prix afin de répercuter la hausse du cours des céréales servant à l'alimentation des volailles.
Estimant que la Coopérative ne respectait pas ses obligations [de] livrer au prix convenu, la société Doux n'a pas procédé à l'enlèvement des volailles programmé chez les éleveurs le 22 octobre 2007, si bien que la Coopérative lui notifia par courrier du 23 octobre 2007 la rupture de leurs relations d'affaires et commercialise depuis lors sa production auprès d'un groupe concurrent.
Par arrêt du 29 novembre 2007, la Cour d'appel de Rennes a confirmé les dispositions de l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de grande instance de Rennes en date du 2 novembre 2007 ayant rejeté la demande de reprise des livraisons au tarif applicable jusqu'au 21 septembre 2007, à l'exception de celles écartant le rétablissement des relations contractuelles pour les chapons, et a rejeté la demande de provision pour factures impayées formée par la Coopérative.
Puis, par acte du 29 janvier 2008, la Coopérative fit assigner au fond la société Doux devant le Tribunal de grande instance de Rennes en paiement du solde du prix de vente des volailles livrées, en responsabilité contractuelle pour inexécution de l'obligation d'enlèvement de volailles, en pratiques restrictives de concurrence par rupture brutale de relations commerciales établies, menace de rupture de relations commerciales et abus de dépendance économique, et en concurrence déloyale par dénigrement, utilisation des signes de reconnaissance de ses produits et débauchage de ses adhérents, la défenderesse agissant reconventionnellement en responsabilité contractuelle pour non-respect des engagements tarifaires et inexécution des commandes en cours ainsi qu'en rupture brutale de relations commerciales établies.
Par jugement du 11 février 2010, les premiers juges ont statué en ces termes :
" Condamne la société Doux à régler à la Coopérative la somme de 98 573,06 euro au titre du solde des factures relatives aux prélèvements de volailles postérieurs au 21 septembre 2007 et dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter des conclusions signifiées devant la Cour d'appel de Rennes le 20 novembre 2007 ;
Déclare la société Doux responsable de la rupture abusive des relations commerciales établies avec la Coopérative et tenue de réparer le préjudice en résultant pour celle-ci ;
En conséquence, condamne la société Doux à payer à la Coopérative en réparation du préjudice résultant de la rupture la somme totale de 156 205 euro décomposée ainsi qu'il suit :
136 205 euro au titre du préjudice d'exploitation,
10 000 euro au titre du préjudice d'image à l'égard des consommateurs,
10 000 euro au titre du préjudice moral ;
Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
Condamne en outre la société Doux à verser à la Coopérative la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes ;
Condamne la société Doux aux dépens de l'instance, lesquels pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ".
La société Doux a relevé appel de cette décision en demandant à la cour de :
Constater que la société Doux n'a jamais accepté les augmentations tarifaires unilatéralement décidées par la Coopérative;
Constater que la Coopérative a rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la société Doux en modifiant sans préavis et de manière rétroactive les conditions tarifaires applicables à ces relations, en supprimant l'exclusivité dont bénéficiait la société Doux et en transférant la totalité de sa production à la société concurrente LDC ;
Constater que la Coopérative a manqué à ses obligations contractuelles en exigeant la modification des prix applicables à des commandes fermes et en n'exécutant pas les commandes fermes à livrer entre le 22 octobre 2007 et le 22 février 2008 ;
Constater que la Coopérative et la société Doux ne sont pas en situation de concurrence ;
Constater que les faits de dénigrement et de désorganisation allégués par la Coopérative ne sont pas établis ;
En conséquence, réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société Doux à payer un solde de factures correspondant à des augmentations tarifaires non acceptées ;
Réformer le jugement en ce qu'il a jugé que la rupture abusive des relations commerciales est imputable à la société Doux et en ce qu'il a condamné cette dernière à payer des dommages et intérêts à la Coopérative ;
Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'ensemble des autres demandes formées par la Coopérative ;
Dire et juger que la Coopérative a engagé sa responsabilité délictuelle au titre de la rupture abusive des relations commerciales établies ;
Dire et juger que la Coopérative a engagé sa responsabilité contractuelle au titre de ses différents manquements aux obligations nées des commandes fermes ;
Condamner la Coopérative à payer à la société Doux la somme de 1 163 000 euro en réparation du préjudice subi par la société Doux au titre de son manque à gagner ;
Condamner la Coopérative à payer à la société Doux la somme de 450 000 euro en réparation du préjudice subi par la société Doux au titre des frais générés par la rupture ;
Condamner la Coopérative à payer à la société Doux la somme de 340 000 euro en remboursement des investissements réalisés en pure perte par la société Doux ;
Condamner la Coopérative à payer à la société Doux la somme de 150 000 euro en réparation du préjudice subi par la société Doux au titre de l'atteinte à son image ;
À titre subsidiaire, constater que la Coopérative est seule la cause des préjudices qu'elle allègue ;
Constater que la perte d'exploitation alléguée ne constitue nullement un préjudice certain et qu'en tout état de cause, la preuve de son quantum n'est nullement rapportée ;
Constater qu'aucun préjudice d'image n'est prouvé par la Coopérative ;
En tout état de cause, rejeter l'ensemble des demandes formées par la Coopérative ;
Condamner la Coopérative à payer à la société Doux la somme de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ".
La Coopérative conclut quant à elle en ces termes :
" Condamner la société Doux à régler à la Coopérative la somme de 98 573,06 euro au titre des factures partiellement réglées, avec intérêts au taux légal à compter des conclusions de la Coopérative devant la Cour d'appel de Rennes, soit à compter du 20 novembre 2007 ;
En outre, dire et juger que la société Doux a gravement inexécuté ses obligations contractuelles en ne prélevant pas les poulets et pintades dans la nuit du 21 au 22 octobre 2007 ;
Dire et juger que la société Doux a rompu brutalement et sans préavis des relations commerciales établies alors qu'elle aurait dû respecter un délai de préavis d'au moins deux années ;
Dire et juger que la société Doux a menacé de rompre des relations commerciales établies en vue d'obtenir des conditions commerciales injustifiées ;
Dire et juger que la société Doux a tenté d'abuser de sa position dominante en vue d'obtenir des conditions commerciales injustifiées;
En conséquence, condamner la société Doux à régler à la Coopérative la somme de 523 450,23 euro correspondant au préjudice d'exploitation découlant de l'insuffisance de préavis, avec intérêts de droit à compter du jugement du 11 février 2010 ;
Condamner la société Doux à régler à la Coopérative la somme de 141 294 euro au titre du préjudice subi à l'égard des consommateurs à la suite de l'absence de volailles dans les rayons de supermarché, avec intérêts de droit à compter du jugement du 11 février 2010 ;
Condamner la société Doux à régler à la Coopérative la somme de 10 000 euro au titre du préjudice d'image subi à l'égard des éleveurs, avec intérêts de droit à compter du jugement du 11 février 2010 ;
Condamner la société Doux à régler à la Coopérative la somme de 10 000 euro au titre du préjudice moral subi à la suite de la rupture et du comportement déloyal de la société Doux, avec intérêts de droit à compter du jugement du 11 février 2010 ;
Enfin, dire et juger que la société Doux a commis de graves fautes de concurrence déloyale en dénigrant et en tentant de déstabiliser la coopérative par le débauchage de ses éleveurs coopérateurs ;
Condamner la société Doux à régler à la Coopérative la somme de 300 000 euro au titre du préjudice subi à la suite des fautes de concurrence déloyale, à compter du jugement du 11 février 2010 ;
Ordonner à la société Doux de cesser tout nouvel acte de dénigrement ou de débauchage et plus largement tout nouvel acte de concurrence déloyale ;
Assortir cette condamnation d'une astreinte de 15 000 euro par nouveau manquement constaté ;
Dire et juger que la société Doux a utilisé sans droit ni titre les signes de reconnaissance du poulet de Janzé commercialisé par la Coopérative ;
Condamner la société Doux à régler à la Coopérative la somme de 50 000 euro au titre du préjudice subi à la suite de l'utilisation sans droit ni titre des signes de reconnaissance du poulet de Janzé, avec intérêts de droit à compter du jugement du 11 février 2010 ;
Confirmer la condamnation de la société Doux intervenue en première instance au paiement de la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société Doux au paiement de la somme de 6 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ".
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Doux le 7 avril 2011, et pour la Coopérative le 25 novembre 2010.
Exposé des motifs
Sur le paiement du solde du prix des volailles livrées
La Coopérative expose qu'elle a, en vertu de la clause dite " catalogue " du contrat d'approvisionnement du 26 octobre 2004, notifié le 21 septembre 2007 à la société Doux une augmentation de son tarif de reprise des volailles applicable aux livraisons intervenues depuis le 3 septembre précédent mais que la société Doux a payé le prix de ces volailles livrées postérieurement au 3 septembre 2007 sans tenir compte de l'augmentation, de sorte qu'il en est résulté un solde de facturation impayé de 166 195,32 euro.
Devant la cour, elle admet toutefois que son augmentation de tarif ne pouvait avoir d'effet rétroactif sur les livraisons déjà intervenues, en sorte qu'elle sollicite la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Doux au paiement d'une somme de 98 573,06 euro correspondant à l'application de l'augmentation de prix aux livraisons intervenues à compter du 21 septembre 2007.
Cependant, il est constant que le contrat dit " de production " du 26 octobre 2004, sur les dispositions duquel la Coopérative fonde son droit d'appliquer sa modification tarifaire aux reprises de volailles postérieures à la décision d'augmentation, n'a jamais été signé par la société Doux.
À cet égard, la Coopérative soutient à tort que la société Doux en aurait néanmoins admis la valeur contractuelle en l'invoquant à son profit devant le juge des référés, alors que l'assignation en référé se borne à énoncer que la société Doux "entend soumettre au conseil d'administration de l'Association du poulet de Janzé (le différend relatif à l'augmentation de prix) conformément au processus de règlement amiable prévu à l'article 8 du contrat du 26 avril 2004", mais que, d'une part, rien n'indique que cette procédure de règlement amiable ait été effectivement mise en œuvre et que, d'autre part, la société Doux n'a à aucun moment opposé à la Coopérative la fin de non-recevoir tirée de ce préalable de conciliation.
Dès lors, en se bornant à évoquer cette procédure au détour de l'argumentation développée devant le juge des référés sans l'invoquer pour justifier une prétention ou comme moyen de défense, la société Doux ne s'est jamais contredite au détriment de la Coopérative.
En outre, le seul fait d'évoquer, fût-ce par voie de conclusions, la possibilité, non suivie d'effet, de mettre en œuvre une procédure de règlement amiable des différends prévue dans un contrat qui n'a jamais été régularisé ne saurait caractériser l'aveu judiciaire non équivoque du caractère contractuel de la clause de fixation de prix, alors que cette question était précisément la cause du différend opposant les parties.
Les premiers juges ne pouvaient davantage considérer que la poursuite des enlèvements de volailles par la société Doux témoignait de son acceptation tacite de l'augmentation tarifaire unilatéralement décidée par la Coopérative, alors que ces enlèvements correspondent à l'exécution de commandes fermes passées antérieurement à la notification d'augmentation du 21 septembre 2007 et qu'elle n'a au demeurant réglé les factures qu'à due concurrence de ce qu'elle estimait devoir par application des accords tarifaires antérieurs.
Il en résulte qu'à défaut de dispositions contractuelles contraires opposables à la société Doux, les reprises de volailles facturées en septembre et octobre 2007 ont nécessairement été réalisées sur la base du prix connu par la société Doux au moment de ses confirmations de commande, celles-ci s'analysant comme autant de ventes parfaites au sujet desquelles les parties s'étaient accordées sur la chose vendue et sur le prix.
Or, selon les explications de l'appelante non réfutées par la Coopérative, les factures litigieuses, émises aux mois de septembre et d'octobre 2007, correspondent à des commandes passées entre mai et juillet 2007 et ont été réglées à due concurrence du prix alors convenu entre les parties.
La Coopérative sera donc déboutée de sa demande en paiement de solde de prix, le jugement attaqué étant réformé en ce sens.
Sur les pratiques restrictives de concurrence
Il est constant que la rupture des relations commerciales est intervenue au terme de négociations engagées à la demande de la Coopérative sur la revalorisation du prix de reprise des volailles.
Ainsi, par échange de courriers des 21 et 25 septembre 2007, la Coopérative notifiait sa décision unilatérale d'augmentation tarifaire motivée par la nécessité de répercuter la hausse notable du cours des céréales utilisées pour l'engraissement des volailles (135 euro par tonne de vif sur les poulets blancs ; 102 euro par tonne sur les poulet jaunes et 140 euro par tonne sur les pintades) et la société Doux lui répondait qu'elle refusait cette augmentation qu'elle prétendait être dans l'impossibilité de répercuter sur la grande distribution, convoquant toutefois les deux parties à une réunion du 18 octobre 2007 au cours de laquelle chacune des parties prétend que l'autre aurait annoncé son intention de rompre les relations d'affaires dès le 22 octobre suivant.
C'est dans ce contexte que, le 19 octobre 2007, le conseil de la Coopérative faisait grief à la société Doux d'user de menaces de ruptures pour imposer un maintien des conditions tarifaires à un niveau insupportable économiquement pour les éleveurs et que la société Doux adressait par fax aux éleveurs une note annonçant que la reprise des lots de volailles devant être livrées à l'abattoir le 22 octobre 2007 n'était " pas prévue ", puis que le 25 octobre suivant un groupe concurrent informait la société Doux que la Coopérative venait de lui confier la reprise, l'abattage et la commercialisation de ses volailles.
La Coopérative tire de ces événements la conclusion qu'en tentant d'imposer son refus d'une augmentation tarifaire, pourtant légitime, par la menace d'une suspension des reprises de volailles, puis en s'abstenant effectivement de procéder à la reprise programmée le 22 octobre 2007, la société Doux se serait rendue coupable des pratiques restrictives de concurrence d'abus de dépendance économique et d'obtention de conditions de prix abusives par menace de rupture de relations commerciales, puis de rupture brutale de relations commerciales établies.
La société Doux prétend quant à elle qu'en modifiant substantiellement ses conditions d'approvisionnement par une augmentation abusive de prix et un retrait de l'exclusivité qui lui avait été jusqu'alors consentie, puis en rompant les relations d'affaires pour se rapprocher aussitôt d'un groupe concurrent, la Coopérative est à l'initiative de la rupture des relations commerciales établies entre les deux parties.
Si la menace de rupture ou la rupture brutale de relations commerciales sont susceptibles d'engager la responsabilité de leur auteur en application de l'article L. 442-6-4° et -5° du Code de commerce, c'est, en l'absence de notification explicite de rupture sans préavis ou de mise en œuvre de conditions commerciales abusives sous peine de rupture, lorsque les circonstances entourant les négociations commerciales ou la cessation des relations d'affaires dénotent la volonté de l'un des partenaires commerciaux de rompre avec brutalité ou d'utiliser la menace de rupture comme moyen de pression à l'effet d'imposer des conditions tarifaires abusives.
Or, la Coopérative ne démontre pas que la société Doux ait, au cours des négociations ou lors de la cessation des relations d'affaires entre les parties, manifesté l'intention de rompre les relations commerciales.
Il résulte en effet de l'ensemble des pièces produites que, si elle s'opposait à l'augmentation du prix de reprise des volailles réclamée par la Coopérative, la société Doux n'a jamais envisagé de renoncer à s'approvisionner en volailles auprès de celle-ci, revendiquant même des conditions d'exclusivité et ayant de surcroît saisi, postérieurement à la rupture, le juge des référés à l'effet d'obtenir la reprise des livraisons.
Le refus, annoncé, de procéder à la reprise des volailles programmée le 22 octobre 2007 ne s'analyse ni en une menace de rupture, ni en une rupture brutale de relations commerciales, mais comme une suspension par la société Doux de ses obligations contractuelles qui, bien qu'elle soit fautive ainsi que la cour l'observera ci-après, ne traduisait nullement l'intention de l'appelante de rompre ou de menacer de rompre, même partiellement, les relations d'affaires nouées avec la Coopérative, mais seulement d'exercer des pressions, au demeurant inadmissibles, afin de contraindre cette dernière à renoncer à son augmentation de prix.
Par ailleurs, l'abus de dépendance économique dans lequel un industriel ou un commerçant tient un producteur en le soumettant à des conditions commerciales injustifiées suppose que soit établie l'absence de solutions alternatives plaçant le producteur dans l'impossibilité de trouver d'autres débouchés sur un marché concurrentiel.
Or, il est en l'espèce acquis que la Coopérative s'est, en quelques jours, rapprochée d'un groupe concurrent de la société Doux pour faire abattre et commercialiser sa production de volailles, ce dont il résulte qu'elle ne se trouvait pas placée sous la dépendance économique ou la puissance d'achat de son partenaire commercial et que, partant, l'article L. 442-6-2°-b du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 4 août 2008 n'est pas applicable.
Il convient donc de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a accueilli les demandes de la Coopérative sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Mais, pour autant, la société Doux n'est pas davantage fondée à faire grief à la Coopérative d'avoir rompu sans préavis les relations commerciales, alors que, si la cessation des livraisons postérieurement au 22 octobre 2007 et le courrier d'un groupe concurrent de la société Doux annonçant la reprise de la clientèle de la Coopérative attestent que cette dernière est bien à l'initiative de la rupture, la cause en réside exclusivement dans la suspension fautive des reprises de volailles par la société Doux.
Aux termes de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, les dispositions relatives à l'interdiction de rompre brutalement une relation commerciale établie ne font en effet pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations.
Or, en annonçant par un courriel adressé aux éleveurs le 19 octobre 2007 que la reprise de volailles programmée le 22 octobre suivant n'aurait pas lieu, sans même faire état d'une nouvelle date d'enlèvement, la société Doux a manqué délibérément à son obligation essentielle de reprise des volailles.
L'échec des négociations relatives à l'augmentation tarifaire ne pouvait autoriser la société Doux à suspendre l'exécution de ses propres obligations contractuelles, alors qu'elle refusait ainsi de prendre livraison de volailles dont elle avait confirmé la commande et que l'augmentation tarifaire pratiquée par la Coopérative ne présentait pas de caractère abusif.
En effet, il ressort des pièces produites que l'augmentation de prix à laquelle la Coopérative voulait procéder n'avait pour objet que de répercuter la hausse du cours des céréales utilisées pour l'alimentation des volailles, la circonstance que ce cours ait baissé à compter du mois d'octobre 2007 n'enlevant rien au fait que la hausse continue observée durant les mois précédents, au cours desquels les éleveurs se sont approvisionnés, avait provoqué une majoration notable de leurs coûts de production.
Il en résulte que, dans le contexte de relations commerciales d'approvisionnement établies depuis de nombreuses années, la Coopérative pouvait légitimement modifier ses conditions tarifaires en procédant à une hausse exempte d'abus, et que, si la société Doux pouvait tout aussi légitimement considérer que la poursuite des relations à ces nouvelles conditions était économiquement inopportune, il lui appartenait de rompre en respectant un délai de préavis tenant compte de la durée des relations, mais elle n'était nullement en droit de tenter d'imposer à son partenaire commercial un maintien du tarif antérieur en procédant, par mesure de rétorsion, au report sine die d'une opérations de reprise de volailles dûment programmée.
En outre, le différend opposant les parties sur la date d'application de la nouvelle tarification justifiait que la société Doux suspende son obligation de paiement intégral du prix en ne réglant les factures afférentes aux commandes antérieures au 21 septembre 2007 qu'à due concurrence du prix applicable au moment de ces commandes, mais en aucun cas qu'elle exerce des pressions sur son cocontractant en s'abstenant d'exécuter son obligation de reprise des volailles afin de la contraindre à renoncer à une augmentation de prix ne présentant pas de caractère abusif.
D'autre part, la société Doux ne peut sérieusement soutenir que la Coopérative aurait cherché à provoquer la rupture dès le 21 septembre 2007 en augmentant substantiellement ses prix, alors qu'il vient d'être précisément observé que cette augmentation ne revêtait pas de caractère abusif.
Elle prétend par ailleurs, sans en rapporter la preuve convaincante, que la Coopérative aurait rompu les relations commerciales le 18 octobre 2007 dans le seul but de confier l'abattage et la commercialisation de sa production à un groupe concurrent.
En effet, si diverses pièces attestent de l'intention de la Coopérative, économiquement pertinente et juridiquement légitime, de diversifier son circuit de commercialisation, notamment en raison des tensions survenues avec la société Doux sur la fixation du prix de reprise des volailles, rien ne démontre qu'elle aurait ainsi enfreint un engagement d'exclusivité consenti à la société Doux puisque l'existence même de cet engagement n'est pas établie.
D'autre part, il n'est pas davantage démontré que, si la Coopérative avait été effectivement amenée à rompre, même partiellement, les relations établies avec la société Doux pour nouer un nouveau partenariat avec un groupe concurrent, elle se serait affranchie de son obligation de respecter un préavis d'une durée tenant compte de la durée de la relation commerciale.
En toute hypothèse, l'analyse des pièces produites et de la chronologie des événements ayant conduit à la rupture révèle que celle-ci est bien survenue après le 22 octobre 2007 à cause de l'inexécution par la société Doux de son obligation de reprises des volailles, et non en raison d'une décision antérieure de la Coopérative de rompre sans préavis dès le 18 octobre 2007.
Ainsi que les juridictions des référés l'ont à juste titre souligné, la teneur des échanges intervenus au cours de la réunion du 18 octobre 2007 ne peut être établie avec certitude, chacune des parties ayant une version différente des propos tenus et s'appuyant sur des attestations contraires ne présentant pas de garanties suffisantes de sincérité.
Le procès-verbal dressé par la Coopérative peut certes servir de moyen de preuve contre cette dernière, mais, contrairement à ce que soutient la société Doux, il ne peut s'en déduire que l'intimée avait, dès ce jour là, manifesté son intention de rompre pour nouer de nouveaux liens d'affaires avec un groupe concurrent.
En effet, si le dirigeant de la Coopérative fait, au terme de cette réunion de négociation tarifaire manifestement houleuse, le constat que " nous ne pouvons pas continuer dans ces conditions, nous allons chercher des solutions alternatives ", il ne s'en évince pas nécessairement que ces solutions alternatives étaient déjà trouvées et que la Coopérative avait pour intention de rompre immédiatement et sans préavis les relations établies avec la société Doux.
Le fait que, sur une provocation manifeste du dirigeant de la société Doux, le dirigeant de la Coopérative ait confirmé que cette recherche de nouveau partenaire commercial commencerait dès le lundi suivant, c'est-à-dire dès le 22 octobre 2007, ne démontre pas que, sans le report par la société Doux de la reprise de volailles programmée ce jour là, la Coopérative aurait rompu immédiatement et sans préavis.
Au contraire, connaissance prise du message du 19 octobre 2007 que la société Doux a adressé aux éleveurs pour les informer que l'enlèvement du 22 octobre suivant n'aurait pas lieu, la Coopérative a confirmé le jour même son intention de maintenir cette livraison.
Sur la responsabilité contractuelle
Il n'est pas douteux que, malgré l'absence de régularisation du contrat écrit de " production " du 26 octobre 2004, les parties, l'une et l'autre adhérentes à l'association du poulet de Janzé qui a établi un cahier des charges définissant les conditions de sélection des poussins, d'élevage, de transport, d'abattage, de conditionnement et de mise sur le marché des volailles de Janzé, étaient contractuellement liées par des accords verbaux d'approvisionnement appliqués de façon continue depuis que la société Doux a succédé à la société Galina.
Il a par ailleurs été précédemment relevé qu'en reportant sine die l'opération de reprise de volailles programmée le 22 octobre 2007 dans le but d'exercer des pressions sur la Coopérative et de l'amener à renoncer à une hausse du prix de vente de ses volailles, la société Doux a manqué délibérément à l'une de ses obligations essentielles.
Il a aussi été précédemment relevé que la société Doux n'était pas fondée à opposer à la Coopérative l'exception d'inexécution pour justifier son manquement contractuel, dès lors que l'augmentation du prix de reprise des volailles ne présentait pas de caractère abusif et que l'intention de la coopérative de diversifier le circuit de distribution de ses produits n'enfreignait pas d'engagement d'exclusivité avéré.
Il en résulte que la Coopérative n'a pas manqué à ses obligations contractuelles, mais que la société Doux a au contraire commis une faute de nature à engager sa responsabilité dans la rupture des relations contractuelles.
En effet, si le report d'une opération de reprise de volailles n'était pas, en soi, une faute d'une gravité justifiant la résiliation immédiate des relations contractuelles aux torts de la société Doux, il en va ici différemment dans la mesure où ce report, sine die, a été accompli de façon délibérée et déloyale dans le but évident d'exercer des pressions sur le cocontractant dans le contexte de négociations tarifaires difficiles, rendant ainsi le maintien du lien contractuel impossible.
Il s'en évince que la Coopérative était fondée à rompre unilatéralement et immédiatement les accords d'approvisionnement la liant à la société Doux, aux torts de cette dernière.
Cette rupture, imputable à la société Doux, a causé à la Coopérative un préjudice d'exploitation découlant de ce que le groupe LDC avec lequel elle a noué de nouveaux liens d'affaires pour abattre et commercialiser sa production auprès de la grande distribution n'a pas absorbé la totalité de la quantité de volailles qu'elle aurait pu produire si les relations s'étaient poursuivies avec la société Doux.
Ainsi, il résulte du rapport d'audit de l'association Quali-Ouest et du calcul de taux de marge contrôlé par le commissaire aux comptes de la Coopérative que cette dernière a, au cours des 52 semaines ayant suivi la rupture, subi, par comparaison avec la production des 52 semaines précédant la rupture, un déficit de production de 471 998 poulets et de 103 149 pintades, de sorte que, compte tenu des taux de marge brute respectivement réalisées sur les poulets (36,30 %) et sur les pintades (32,23 %), le gain manqué s'établit à 204 214 euro (171 163 + 33 251).
Si rien ne démontre que la poursuite des pertes d'exploitation plus d'un an après la rupture soit en lien causal certain avec la rupture imputable à la société Doux, il est suffisamment établi que la recherche dans l'urgence d'un nouveau partenaire commercial pour écouler la production des éleveurs adhérents à la Coopérative n'a pu que créer des perturbations s'étant traduites par une impossibilité d'écouler, au cours des semaines ayant suivi la rupture, la totalité de la quantité de volailles qui auraient dû être reprises par la société Doux.
C'est pourquoi la société Doux, tenue de réparer l'entier préjudice résultant de la faute ayant conduit à la rupture des relations contractuelles, sera condamnée au paiement d'une somme de 204 214 euro.
Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du jugement du 11 février 2010, la cour entendant ainsi, malgré la réformation, user du pouvoir de dérogation que lui confère l'article 1153 alinéa 2 du Code civil.
En revanche, la rapidité avec laquelle la Coopérative a rétabli un nouveau circuit de commercialisation de ses volailles a de toute évidence évité leur disparition des étals des distributeurs et a pu efficacement pallier l'inquiétude des adhérents, de sorte que le déficit d'image allégué est, à l'égard des consommateurs comme des éleveurs, inexistant.
Enfin, il n'existe aucun préjudice moral avéré.
Sur la concurrence déloyale
La Coopérative fait par ailleurs grief à la société Doux d'avoir commis à son égard des actes de concurrence déloyale en la dénigrant auprès des salariés de celle-ci et en la désorganisant par des tentatives d'intimidation de ses adhérents.
Les premiers juges ont toutefois à juste titre relevé que les propos prétendument dénigrants ne faisaient état que de la position que la société Doux exprimait sans outrance sur le différend l'opposant à la Coopérative et que, surtout, ceux-ci ne figuraient que dans une note interne à l'entreprise et, partant, n'avaient pu avoir d'effets anti-concurrentiels.
De même, les efforts accomplis par la société Doux pour faire connaître [aux] éleveurs sa position dans le conflit l'opposant à la Coopérative n'étaient pas, par eux-mêmes, fautifs, dès lors qu'ils n'étaient ni outranciers, ni dénigrants.
En outre, il n'est pas suffisamment établi que l'appelante se soit livrée à des agissements déloyaux dans le but de provoquer la déstabilisation de la Coopérative par le départ de ses éleveurs, rien ne démontrant que les quelques dénonciations d'adhésion invoquées soient liées à des interventions de la société Doux alors, au surplus, que la Coopérative admet elle-même que ces prétendues tentatives de débauchage d'adhérents n'ont pas abouti.
Enfin, la Coopérative réclame réparation à hauteur de 50 000 euro du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de l'utilisation sans autorisation des " signes de reconnaissance " du poulet de Janzé sur son calendrier 2008.
L'intimée ne prétendant pas être elle-même titulaire de droits intellectuels sur ces signes, la cour en déduit que sa demande est fondée sur une allégation de concurrence déloyale par imitation d'un signe de ralliement ou de parasitisme économique.
Cependant, la Coopérative ne caractérise pas en quoi la reprise de ce signe dans un calendrier, dont les modalités de diffusion sont ignorées, était susceptible de provoquer une confusion dans l'esprit de la clientèle ou de lui permettre de tirer profit de sa notoriété.
Les premiers juges ont donc pertinemment rejeté l'action en concurrence déloyale.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société Doux, qui a pris l'initiative de l'appel et doit être regardée comme la partie principalement succombante, supportera seule les dépens de second degré.
Il serait enfin inéquitable de laisser à sa charge l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une indemnité complémentaire de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu le 11 février 2010 par le Tribunal de grande instance de Rennes en ce qu'il a : débouté la Coopérative des fermiers de Janzé de son action en concurrence déloyale, condamné la société Doux Élevage à lui payer une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, condamné la société Doux Élevage aux dépens ; Infirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ; Déboute la Coopérative des fermiers de Janzé de sa demande en paiement du solde du prix de vente des volailles livrées ; Déboute la Coopérative des fermiers de Janzé et la société Doux Élevage de leurs actions réciproques en pratiques restrictives de concurrence ; Dit que la Coopérative n'a pas manqué à ses obligations contractuelles et déboute la société Doux Élevage de son action en responsabilité contractuelle ; Dit que société Doux Élevage a commis une faute justifiant la révocation immédiate par la Coopérative des fermiers de Janzé des relations contractuelles ; Condamne la société Doux Élevage à payer à la Coopérative des fermiers de Janzé une somme de 204 214 euro en réparation du préjudice commercial en résultant, avec intérêts au taux légal à compter du 11 février 2010 ; Déboute la Coopérative des fermiers de Janzé de ses autres demandes de réparation ; Condamne la société Doux Élevage à payer à la Coopérative des fermiers de Janzé une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Doux Élevage aux dépens d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle Guillou et Renaudin, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.