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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 5 juillet 2011, n° 11-02310

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vins du Monde (SA)

Défendeur :

Gilois, Pion (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

M. Christien, Mme Cocchiello

Avocats :

Mes Jouclard, Bacrie, Wagner

T. com. Saint-Nazaire, du 16 mars 2011

16 mars 2011

Exposé du litige

La société anonyme Vins du Monde, ayant pour activité l'importation et la commercialisation de vins et d'alcools d'origine étrangère, a eu pour président de son conseil d'administration Claude Gilois jusqu'à l'assemblée générale ordinaire du 31 mars 2010 au cours de laquelle les sociétés du groupe Lavinia, actionnaires majoritaires, décidèrent de ne pas renouveler son mandat social.

Prétendant que monsieur Gilois se livrait depuis lors à des actes de concurrence déloyale par dénigrement, débauchage de collaborateurs, captation de clientèle et de fournisseurs, et de parasitisme destinés à favoriser la société Pion avec laquelle il voulait collaborer, la société Vins du Monde obtint, selon ordonnance du président du Tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 22 juillet 2010, la désignation d'un huissier afin de rechercher tous documents et toutes correspondances en rapport avec les faits litigieux et de placer sous séquestre des copies de ces documents ainsi que le matériel et les supports informatiques susceptibles d'être saisis.

Par ordonnance du 12 octobre 2010 confirmée pour l'essentiel par arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 18 janvier 2001, le juge des référés du Tribunal de commerce de Saint-Nazaire a débouté monsieur Gilois de sa demande reconventionnelle en rétractation de l'ordonnance du 22 juillet 2010 fondée notamment sur l'incompétence de la juridiction commerciale pour ordonner la mesure conservatoire litigieuse, et ordonné la communication à la société Vins du Monde des documents séquestrés entre les mains de l'huissier.

Corrélativement, la société Vins du Monde a, par acte du 27 août 2010, fait assigner en concurrence déloyale et parasitaire monsieur Gilois ainsi que la société Pion devant le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire, lequel a, par jugement du 16 mars 2011, statué sur l'exception d'incompétence matérielle de la juridiction commerciale soulevée par monsieur Gilois en se déclarant incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Saint-Nazaire, condamnant en outre la société Vins du Monde au paiement d'une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La société Vins du Monde a formé contredit à l'encontre de cette décision en faisant grief aux premiers juges d'avoir insuffisamment motivé leur décision, d'avoir méconnu l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 18 janvier 2011 et en arguant que monsieur Gilois aurait, en lui faisant une concurrence déloyale, accompli des actes de commerce dont l'examen ressortirait à la compétence du tribunal de commerce.

Elle demande à la cour d'annuler le jugement attaqué pour défaut de motifs, de rejeter l'exception d'incompétence et d'évoquer le fond du litige.

Monsieur Gilois conclut à la confirmation de la décision attaquée et demande à la cour de rejeter la demande d'évocation et de condamner la société Vins du Monde au paiement d'une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Pion s'en remet à la sagesse de la cour tant en ce qui concerne la désignation de la juridiction compétente que sur la demande d'évocation.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'au contredit et aux observations déposées par les parties et reprises oralement à l'audience.

Exposé des motifs

La société Vins du Monde sollicite l'annulation du jugement attaqué en faisant grief aux premiers juges d'avoir repris sur plusieurs pages les seules conclusions de monsieur Gilois, relayant ainsi des allégations mensongères et partiales sans répondre à son argumentation.

Il sera cependant observé qu'après avoir rappelé les dispositions de l' article L. 721-3 du Code de commerce relatives à la compétence des tribunaux de commerce, les premiers juges ont motivé leur décision rejetant la compétence commerciale en relevant que monsieur Gilois n'est pas inscrit au registre du commerce et des sociétés, que le litige n'est pas en lien avec une contestation entre une société et ses associés et que la société Vins du Monde n'apportait pas la preuve que le défendeur ait effectué des opérations d'achat avant revente de vins ou que les contacts pris avec des producteurs étrangers afin de rapprocher deux parties pour les amener à contracter puissent s'analyser en un acte de commerce.

Ils ont donc suffisamment motivé leur décision au regard des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile en répondant aux moyens de la société Vins du Monde qui ne peut se plaindre de ne pas avoir été suivie dans le détail de son argumentation.

En outre, la demanderesse au contredit n'a pas produit devant la cour les observations écrites présentées par la partie adverse devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire, de sorte qu'il n'est nullement démontré que le jugement se soit borné, au titre de sa motivation, à reproduire sur tous les points en litige, à l'exception de quelques adaptations de style, les conclusions de monsieur Gilois et, partant, il n'est pas établi que cette décision ne comportait qu'une apparence de motivation susceptible de faire peser un doute sur l'impartialité de la juridiction.

Il n'y a donc pas lieu à annulation de la décision attaquée.

La société Vins du Monde ne peut davantage prétendre qu'en déniant sa compétence, le tribunal de commerce ait méconnu l'autorité de chose jugée attachée à l' arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 18 janvier 2011, alors que cette décision a été rendue en matière de référé et que, selon l' article 488 du Code de procédure civile, elle n'a donc pas, au principal, l'autorité de la chose jugée.

Au surplus, l'arrêt du 18 janvier 2011 n'énonce nullement que la juridiction commerciale serait, par principe, compétente pour statuer sur une action en concurrence déloyale et parasitaire, mais se borne à relever que le président du tribunal de commerce était bien compétent pour ordonner des mesures conservatoires ayant pour objet de rechercher et de conserver la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige opposant les sociétés Vins du Monde et Pion sur des faits supposés de concurrence déloyale commis accessoirement à l'exercice d'une activité exclusivement commerciale d'achats et de ventes de vins, peu important que ces mesures aient fait grief à la personne physique non commerçante chez laquelle elles devaient être exécutées.

Selon les termes de son assignation introductive d'instance, la société Vins du Monde demande au tribunal de commerce de constater, au visa de l'article 1382 du Code civil, " la commission d'actes de concurrence déloyale, de parasitisme et de dénigrement par Claude Gilois et la société Pion ", les circonstances de fait invoquées révélant en outre que ces actes ont, à les supposer établis, été commis postérieurement à la cessation de son mandat de président du conseil d'administration de la société Vins du Monde.

Cette action n'a donc pas pour objet de rechercher la responsabilité de monsieur Gilois pour une faute de gestion commise au cours de son mandat social, ni même pour un supposé manquement à ses obligations d'actionnaire minoritaire de la société Vins du Monde, les circonstances qu'il ait été l'ancien dirigeant de la société demanderesse et qu'il demeure actionnaire minoritaire de celle-ci ne constituant que des éléments d'appréciation des fautes délictuelles qui lui sont reprochées sans pour autant que le litige affecte la vie ou l'intérêt social de la société Vins du Monde.

Il en résulte que la présente procédure n'est pas afférente à une contestation relative aux sociétés commerciales relevant, en application de l'article L. 721-3-2° du Code de commerce, de la compétence des tribunaux de commerce.

La présente action en concurrence déloyale obéit en effet aux règles générales de compétence édictées par l'article L. 731-1-1° du Code de commerce, de sorte que, ayant une nature délictuelle, elle ressortit à la compétence des tribunaux de commerce lorsque les actes invoqués ont été commis par un commerçant pour les besoins de son commerce.

À cet égard, la société Vins du Monde, qui ne conteste pas que monsieur Gilois n'est pas inscrit au registre du commerce et des sociétés, soutient que celui-ci se serait néanmoins comporté en commerçant au sens de l'article L. 110-1 du Code de commerce en accomplissant, dans des circonstances précisément déloyales, des actes de commerce en vue de la création d'un fonds de commerce.

Elle admet pourtant expressément dans ses écritures que monsieur Gilois 'n'a pas exercé directement l'activité de négoce en vins mais a placé des intermédiaires, les sociétés Pion et Valade & Transandine'.

Au demeurant, les pièces proposées comme moyen de preuve des actes de concurrence déloyale litigieux ne permettent pas de caractériser l'accomplissement d'actes de commerce en vue de la création d'un fonds de négoce de vins.

En effet, les courriers circulaires adressés aux partenaires de monsieur Gilois évoquent certes l'intention de celui-ci de " rester actif dans le domaine de la distribution de vins étrangers " et de " poursuivre son travail dans un autre cadre que celui de la société Vins du Monde dont on l'avait évincé ", mais en envisageant de " s'associer avec la société Pion pour continuer (leur) promotion ", laquelle 'lui a proposé un poste de consultant' afin de créer une " cellule vins du monde à l'intérieur de la structure Pion ".

De même, la prétendue captation du réseau commercial de la société Vins du Monde n'avait nullement pour objet de composer l'équipe commerciale opérationnelle d'un nouveau fonds de commerce créé par monsieur Gilois, puisque, selon les explications et les pièces produites par la société Vins du Monde, ces collaborateurs devaient, comme lui-même, être recrutés et rémunérés par la société Pion.

Enfin, rien n'indique que les fournisseurs dont la clientèle a été prétendument détournée aient vendu leur production à monsieur Gilois ou à son fonds de commerce en cours de création, l'un d'eux évoquant au contraire son désir de nouer des relations d'affaires avec " ses nouveaux partenaires Pion Wines " et un autre informant la société Vins du Monde que " Pion-Valade & Transandine sera (son) agent exclusif pour la France ".

Il en résulte que, à les supposer établis, les actes de concurrence déloyale reprochés à monsieur Gilois n'ont pas été réalisés en accomplissant des actes de commerce en vue de la création d'un fonds de négoce de vins, mais au cours de l'exécution d'une prestation de service intellectuelle, d'un travail salarié ou d'un mandat d'intérêt commun au nom et pour le compte de la société Pion.

Il s'en déduit que le tribunal de grande instance est seul compétent pour statuer sur l'action en concurrence déloyale exercée contre monsieur Gilois.

En outre, les faits reprochés à la société Pion sont les mêmes, de sorte qu'il existe entre les demandes formées contre chacun des défendeurs des liens si étroits qu'il est nécessaire de les juger ensemble.

Le tribunal de commerce s'est donc à juste titre déclaré incompétent en renvoyant l'entier litige devant le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire sans disjoindre l'action exercée contre la société Pion de celle exercée contre monsieur Gilois, la cour n'apercevant pas en quoi une telle décision, qui s'impose à la juridiction de renvoi, serait inéquitable.

Le jugement attaqué sera donc confirmé, sauf en ce qu'il a condamné la société Vins du Monde à payer à monsieur Gilois une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter la charge des dépens.

Il appartiendra en effet à la juridiction de renvoi de statuer sur ces demandes qui seront, en l'état, réservées.

Il n'y a enfin matière, ni à évocation du fond du litige, ni à application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles du contredit.

Par ces motifs, LA COUR : Rejette la demande d'annulation du jugement rendu le 16 mars 2011 par le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Vins du Monde à payer à monsieur Gilois une indemnité de 2 000 euro en application de l' article 700 du Code de procédure civile et à supporter la charge des dépens ; Réserve ces chefs de demande ; Dit n'y avoir lieu à évocation ; Dit n'y avoir lieu à application de l' article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles du contredit ; Condamne la société Vins du Monde aux dépens du contredit ;