CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 juin 2011, n° 09-17477
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gelscom (SAS)
Défendeur :
Implants & Technologie Médicales (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Fèvre
Conseillers :
MM. Roche, Vert
Avoués :
SCP Bolling Durand Lallement, SCP Ribaut
Avocats :
Mes Cerqueira de la Vega, Cabre-Hamache
LA COUR,
Vu le jugement du 25 juin 2009 du Tribunal de commerce de Paris qui, dans un litige entre la SAS Gelscom, titulaire d'une licence d'exploitation et de fabrication d'un dispositif médical dénommé Discogel, et la SARL Implants et Technologies Médicales, ci-après Item avec laquelle Gelscom avait conclu le 11 février 2008 un contrat de distribution exclusive dudit produit en France et dans plusieurs autres pays européens, auquel il a été mis fin en novembre 2008, a prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Gelscom, l'a condamnée à payer à Item 250 000 euro de dommages-intérêts, 50 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, l'a condamnée à reprendre les stocks invendus, a enjoint à Item sous astreinte de modifier son site Internet pour ne plus y faire figurer le produit Discogel et a ordonné l'exécution provisoire pour le prononcé de la rupture du contrat, l'injonction relative au site Internet d'Item et la condamnation à la reprise des lots invendus ;
Vu l'appel de la société Gelscom et ses conclusions du 5 avril 2011 par lesquelles elle demande à la cour de réformer le jugement, dire que les agissements de la société Item et le non-respect de ses obligations constituent des fautes contractuelles qui ont justifié la mise en demeure adressée le 9 décembre 2008 et la demande de résiliation judiciaire du contrat, condamner Item à lui payer à titre de dommages-intérêts les sommes de 685 000 euro pour préjudice financier, 150 000 euro pour préjudice d'image, 300 000 euro pour " attitude déloyale et démarchages injustifiés ", 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ordonner la production par Item des noms des clients auxquels elle a revendu une partie du stock non restitué, la débouter de toutes ses demandes ;
Vu les conclusions d'appel incident du 20 avril 2011 de la société Item qui demande à la cour de débouter la société Gelscom de ses demandes, constater que la mise en jeu de la clause résolutoire par Gelscom est dépourvue d'effet, dire que Gelscom a gravement manqué à ses obligations contractuelles, résilié le contrat de manière brutale et abusive, prononcer sa résiliation aux torts exclusifs de Gelscom, la condamner à lui payer 1 124 600 euro de dommages-intérêts, 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à lui rembourser la somme de 60 000 euro payés au titre de la commande du 1er août (2008) pour les lots de Discogel qui n'ont jamais été livrés ;
Considérant sur la procédure que la société Gelscom a fait signifier des conclusions le 3 mai 2011, jour de la clôture ; que la société Item en demande le rejet ; qu'elle fait valoir que les conclusions du 3 mai ont été " complètement remaniées " par rapport aux précédentes et que le dispositif a été modifié ; que la société Gelscom, en déposant ses conclusions n'avait pas, de manière peu compréhensible, demandé le report de la clôture ; que la société Item n'a pas été à même de répondre utilement ; qu'en application de l'article 16 du Code de procédure civile, la cour doit écarter des débats les conclusions du 3 mai; que les conclusions susvisées d'avril 2011 des deux parties sont tout à fait suffisantes pour permettre à la cour de trancher le litige en l'état ;
Considérant que le contrat concernait la distribution d'un nouveau produit qui n'avait pas été encore mis sur le marché ; qu'il avait été conclu pour une durée de 10 ans ; que le contrat comportait une clause d'objectif prévoyant la vente minimale d'un certain nombre de " kits " incluant le produit et le matériel pour l'administrer, objectif défini de manière progressive ; que 2 000 kits devaient être vendus la première année ; qu'il est constant que l'objectif n'a pas été atteint ; que Gelscom le reproche à Item ;
Mais considérant que le défaut d'obtention de l'objectif ne peut être un manquement grave justifiant la résiliation anticipée d'un contrat à durée déterminée que si l'objectif est raisonnable et son atteinte plausible avec des diligences normales ; qu'en l'espèce l'objectif a été fixé à partir de prévisions, s'agissant d'un produit entièrement nouveau ; qu'il n'était utilisable que pour des actes médicaux très spécifiques et limités relatifs au traitement des hernies discales ; que les prévisions étaient manifestement exagérément optimistes et déraisonnables ; qu'en effet, après que Gelscom eût résilié le contrat et repris directement en charge la distribution, elle n'a pu selon l'attestation de son propre expert comptable, effectuer que 1 248 ventes du 1er janvier au 16 novembre 2009, y compris à l'exportation, alors que l'année 2009 était la 2e année de distribution du produit et que l'objectif qui avait été prévu par le contrat était de 4 000 kits pour la deuxième année ; ceci alors même que, comme le remarque Item, elle avait la possibilité en l'absence d'intermédiaire distributeur, de vendre à un moindre prix qu'Item ;
Considérant qu'en outre, l'attitude de Gelscom a contribué à la faiblesse des ventes au cours la courte durée du contrat ; qu'eu égard aux difficultés d'exécution du contrat en termes de vente des produits, la demande faite par Item d'étaler en trois mois la livraison de 600 kits prévue pour le 31 août 2008 n'était pas fautive ; que dès le 10 octobre 2008, alors que le produit était encore en phase de lancement, même si le contrat l'avait imprudemment et de manière irréaliste évaluée à 6 mois, Gelscom écrivait à Item de manière acrimonieuse en menaçant de faire jouer la clause résolutoire " si vous n'entendez pas accepter les lots livrés le 15 octobre " ; que dans sa lettre de rupture du 12 novembre 2008, Gelscom reproche à Item un refus de livraison que rien n'établit ; qu'il apparaît que c'est elle qui a cessé de livrer, rendant l'exécution du contrat impossible ;
Considérant quant au défaut d'obtention de codification pour l'acte d'injection du produit qu'Item invoque l'article 1135 du Code civil ; qu'en l'absence de stipulation contraire c'était au fabricant ayant décidé la mise sur le marché d'accomplir les formalités nécessaires ; qu'il n'est toutefois pas établi que le défaut de codification ait eu une influence, autre que marginale, sur la vente du produit, d'autant moins que cette difficulté, d'ordre administratif, ne concerne que les ventes en France et que selon les prévisions des parties, ces ventes ne devaient représenter que 20 % de l'ensemble ; que Gelscom déclare que la procédure est longue et aléatoire et que Discotel est actuellement vendue sur le marché français alors qu'aucune codification n'est encore intervenue ;
Considérant que le tribunal a répondu de manière particulièrement précise et circonstanciée par des motifs que la cour adopte, sur les reproches de Gelscom relatifs à l'étude clinique prospective et les " autres griefs " ; qu'il n'est d'ailleurs pas établi que même si ces manquements étaient démontrés, ils auraient été de nature à affecter sensiblement le volume des ventes ;
Considérant que Gelscom ne fait pas plus devant la cour qu'elle ne l'a fait devant le tribunal la preuve de la nécessité, pour la " traçabilité " ou autre but légitime, d'obtenir les noms des clients auxquels Item a revendu une partie du stock ;
Considérant qu'après avoir menacé dès le 10 octobre 2010, de mettre fin au contrat pour un motif alors futur et éventuel qui ne s'est jamais concrétisé, Gelscom a pris l'initiative de rompre le contrat, par lettre du 12 novembre 2008 mettant en demeure Item de cesser toute promotion et distribution et d'informer " vos distributeurs (intermédiaires) de la rupture de notre contrat et de l'interdiction qui vous est faite de vendre le produit "; qu'en réalité, s'abstenant de livrer, elle avait décidé d'y mettre fin depuis plusieurs mois, alors qu'elle s'était imprudemment engagée pour 10 ans et en définissant des objectifs irréalistes, sans essayer sérieusement de maintenir le partenariat en améliorant les conditions de fonctionnement du contrat ;
Considérant toutefois que dans sa lettre du 10 octobre 2008 précitée, Gelscom reprochait à Item de vendre 895 euro HT le Discogel qu'elle-même le lui vendait 250 euro HT ; que dans la lettre de rupture du 12 novembre 2008 Gelscom déclarait " votre politique de prix exagéré a tué le produit dans l'œuf "; que la société Item n'a jamais tenté de justifier un tel prix, qui apparaît manifestement excessif, notamment dans sa réponse du 9 décembre 2008 ; que dans ses conclusions susvisées Gelscom reproche à Item l'échec de sa politique commerciale en déclarant qu'elle était libre de sa stratégie commerciale consistant à vendre " à un prix très élevé ", malgré la pression des clients ; que lesdits clients, un public médical averti, était peu susceptible d'être impressionné par des actions " promotionnelles " ou " publicitaires ", mais en revanche, pouvait apprécier la valeur réelle du produit ; que le prix excessif a eu nécessairement un impact sur les ventes;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la résiliation du contrat doit être prononcée aux torts partagés des deux parties ;
Considérant que la société Gelscom, qui continue l'exploitation du produit pour son compte et qui a pris l'initiative de la rupture, estimant apparemment plus rentable l'exploitation sans intermédiaire, ne fait la preuve ni du principe d'un quelconque préjudice, ni du montant allégué pour lequel elle ne fournit aucun élément de calcul utile; qu'elle a réalisé un chiffre d'affaires net de 467 676 euro avec un bénéfice de 123 766 euro en 2009 et un chiffre d'affaires de 615 728 euro avec un bénéfice de 135 001 euro et de 211 837 euro de résultat positif d'exploitation en 2010, selon le compte de résultants versé aux débats;
Considérant que la cour fait sienne l'évaluation faite par le tribunal du préjudice de la société Item ; que celle-ci ne peut sérieusement calculer son manque à gagner sur des prévisions contractuelles qu'elle n'a pas pu respecter et qui n'étaient pas raisonnables ; qu'Item ayant participé à son préjudice par sa politique de prix excessivement élevés, dans une proportion que la cour évalue à la moitié, le montant de l'indemnité à titre de dommages-intérêts à son profit sera réduite de moitié ;
Considérant que la cour se réfère pour le surplus aux motifs non contraires du tribunal;
Considérant que chaque partie triomphant et succombant partiellement devant la cour, il est équitable de laisser à considérant chacune d'elles la charge des frais irrépétibles et dépens d'appel qu'elle a engagés ;
Par ces motifs, LA COUR, Ecarte des débats les conclusions du 3 mai 2011 de la société Gelscom. Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Gelscom et sur le montant de l'indemnité accordée la société Item à titre de dommages-intérêts ; Dit que la résiliation est aux torts partagés des sociétés Gelscom et Item. Déduit à 125 000 euro le montant des dommages-intérêts au profit de la société Item. Déboute les parties de leurs autres demandes. Laisse à chacune d'elles la charge des dépens d'appel qu'elle a engagés.