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Décisions

CA Versailles, 6e ch., 7 juin 2011, n° 09-03063

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Total Raffinage Marketing (SA)

Défendeur :

Auboeuf (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dauge

Conseillers :

Mmes Luxardo, Fournier

Avocats :

Mes Regnault, Jourdan

Cons. prud'h. Nanterre, sect. com., du 2…

26 juin 2009

Par jugement rendu en départage le 26 juin 2009, le Conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- ordonné la jonction des affaires de Mesdames Nicolle et Cécile Auboeuf

- reconnu l'application des dispositions de l'article L. 781-1 2° du Code du travail à Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf dans le cadre du contrat de location-gérance signé avec la société Total France pour l'exploitation de la station-service de Colomars entre le 28 décembre 1998 et le 30 juin 2005

- reconnu à Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf l'application à leur activité du coefficient 230 de la convention collective nationale de l'industrie du pétrole

- condamné la société Total France à justifier auprès de Mesdames Auboeuf Nicole et Cécile de leur immatriculation au régime général de Sécurité sociale pour la période du 11 septembre 2001 jusqu'au 30 juin 2005

Avant dire droit au fond, sur les conséquences devant être tirées de ce statut :

- ordonné une mesure d'instruction confiée à Monsieur Yves Poissonnier, expert agréé auprès de la Cour de cassation, avec pour mission de :

- déterminer les avantages de toute nature résultant de la nature commerciale des contrats conclus entre la société Total France et la société ANC dont Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf ont pu bénéficier, notamment les rémunérations avec la date de leur versement et leur montant

- déterminer pour chacune des demanderesses, et pour la période du 11 septembre 2001 jusqu'au 30 juin 2005, le nombre d'heures de travail normal et supplémentaire et repos compensateurs consacrés à l'activité de la station-service, ainsi que le nombre des congés hebdomadaires et la durée des congés annuels d'après les horaires et les congés des salariés embauchés par la société ANC

- établir si Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf se sont ou non, du fait des conditions de travail qui leur étaient imposées, trouvées privées des repos annuels et hebdomadaires et dans l'affirmative, donner des éléments d'appréciation du préjudice subi par référence aux règles de calcul de congés payés

- calculer l'indemnité légale des congés payés

- calculer les droits de Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf à la participation aux résultats de la société Total France en qualité de salariées du 28 décembre 1998 jusqu'au 30 juin 2005

- calculer l'incidence fiscale du versement à Mesdames Auboeuf Nicole et Cécile des sommes susceptibles d'être revendiquées après le calcul des droits revendiqués,

- ordonné le renvoi de l'affaire à l'audience du lundi 30 novembre 2009

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire

- condamné la société Total France à verser à Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour est régulièrement saisie par un appel formé par la société Total Raffinage Marketing contre cette décision.

La mesure d'instruction n'a pas été mise en œuvre, l'exécution provisoire n'ayant pas été ordonnée.

En cours de procédure d'appel, les parties ont respectivement soumis à la cour une question prioritaire de constitutionnalité.

Par arrêt du 31 août 2010, la cour a déclaré non susceptible de transmission à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mesdames Auboeuf.

Par arrêt du 19 octobre 2010, la cour a pris acte de la renonciation de la société Total Raffinage Marketing à soutenir la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait présentée.

Les faits :

Un contrat de location-gérance a été conclu le 28 décembre 1998 entre la société Elf Antar France, aux droits de laquelle s'est trouvée la société Total France, elle-même devenue société Total Raffinage Marketing, et la société ANC relatif au fonds de commerce de station-service essence de Colomars (06), pour une durée de trois ans à compter du 4 janvier 1999.

Ce contrat a été prorogé puis renouvelé jusqu'au 30 juin 2005.

Mesdames Nicole Auboeuf et Cécile Auboeuf, cogérantes de la société ANC, ont saisi la juridiction prud'homale en vue de revendiquer le bénéfice des dispositions de l'article L. 7321-2 du Code du travail (ancien article L. 781-1 alinéa 2).

La société Total Raffinage Marketing emploie au moins onze salariés et est dotée d'institutions représentatives du personnel.

La convention collective dont l'application est revendiquée est celle de l'industrie du pétrole.

Mesdames Nicole Auboeuf et Cécile Auboeuf étaient respectivement âgées de 60 ans et 29 ans au terme du contrat de location-gérance.

Demandes et moyens de la société Total

La société Total Raffinage Marketing demande à la cour par conclusions visées par le greffier et soutenues oralement de:

Déclarer recevable l'appel de la société Total Raffinage Marketing,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 6 avril 2009 du Conseil de prud'hommes de Nanterre;

Débouter Madame Cécile Auboeuf et Madame Nicole Auboeuf de l'ensemble de leurs fins, demandes et conclusions;

Dire et juger irrecevables les demandes de Madame Cécile Auboeuf et Madame Nicole Auboeuf en raison de l'inconventionnalité des dispositions des articles L. 7321 et suivants du Code du travail et en tout état de cause, de l'absence de preuve de l'existence d'un lien entre la société Total Raffinage Marketing et Mesdames Auboeuf;

A titre subsidiaire, dire et juger prescrites toute demande relative à des salaires au titre des heures normales et supplémentaires, à des congés payés, à des repos compensateurs et au titre de la participation au fruit de l'expansion correspondant à une période antérieure au 18 septembre 2001;

A titre très subsidiaire, dire et juger non-applicables les dispositions de l'article L. 781-1 2° du Code du travail, seule la condition relative à la fourniture du local étant en l'espèce remplie;

A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où les dispositions de l'article L. 781-1 2° du Code du travail seraient jugées applicables:

- dire que les revenus perçus de l'exploitation de la station-service par Madame Cécile Auboeuf et Madame Nicole Auboeuf, soit la somme de 283 077,50 euro, devront être déduits des sommes qui pourraient leur être dues en application de l'article L. 781-1 2° du Code du travail,

- dire, en tout état de cause, que les équivalents salaires devront être calculés sur le fondement de la Convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile du cycle et du motocycle ainsi que des activités connexes et du contrôle technique automobile au coefficient de 180;

- débouter Madame Cécile Auboeuf et Madame Nicole Auboeuf de leurs demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés et des repos compensateurs en vertu des dispositions de l'article L. 781-1 2° alinéa 2;

- débouter Madame Cécile Auboeuf et Madame Nicole Auboeuf de leurs demandes d'inscription au régime général de la Sécurité sociale;

- débouter Madame Cécile Auboeuf et Madame Nicole Auboeuf de toutes autres demandes, fins et conclusions et notamment de leurs demandes de dommages et intérêts;

- dans l'hypothèse où la mesure d'expertise serait confirmée, dire et juger que la consignation à valoir sur les frais de l'expert sera à la charge de Madame Cécile Auboeuf et Madame Nicole Auboeuf en leur qualité de demandeurs;

Condamner Madame Cécile Auboeuf et Madame Nicole Auboeuf à payer la somme de 3 500 euro à la société Total RM.

Demandes et moyens des consorts Auboeuf

Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf demandent à la cour par conclusions visées par le greffier et soutenues oralement, de:

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:

- Ordonné la jonction des affaires

- Déclaré recevables les actions de Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf

- Reconnu à ces personnes le bénéfice des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail pour la période du 4 janvier 1999 au 30 juin 2005

- Reconnu le bénéfice du coefficient 230 de la Convention Nationale de l'Industrie du Pétrole

- Reconnu l'application du livre II du Code du travail

- Reconnu le droit à la participation aux fruits de l'expansion pour toute la période

- Reconnu le principe d'une incidence fiscale susceptible d'être revendiquée après le calcul des droits

En tant que de besoin le confirmer sur le principe de l'expertise avec une mission conforme aux débats devant la cour, ladite expertise étant ordonnée aux frais de la société Total.

Compléter le jugement du conseil de prud'hommes en fixant le nombre d'heures d'activité devant être rémunérées par Total à:

- 54 heures par semaine pour Cécile Auboeuf

- 79 heures 10 mn par semaine pour Nicole Auboeuf

Dire que Total devra calculer les rémunérations dues sur cette base en heures normales, supplémentaires, congés payés, prime d'ancienneté, heures de dimanches et jours fériés et les cotisations sociales correspondantes.

Accorder les intérêts de droit sur les sommes dues par Total à compter de la saisine avec anatocisme.

Dire que Total devra immatriculer Mesdames Auboeuf à tous les régimes sociaux dont dépendent les salariés de la société Total et ce pour l'ensemble de la période du 4 janvier 1999 au 30 juin 2005.

Dire que la société Total ne saurait compenser les sommes qu'elle doit à Mesdames Auboeuf avec les rémunérations de gérante perçues de la SARL ANC et justifiées par les responsabilités prises ès qualités.

Condamner Total de ces chefs à payer à titre de dommages intérêts:

à Madame Cécile Auboeuf pour:

- Non-respect des congés annuels: 8 700 euro

- Non-respect du temps de travail hebdomadaire: 115 049 euro

- Non-respect des repos compensateurs: 13 6145 euro

- Exposition à des substances dangereuses: 10 500 euro

à Madame Nicole Auboeuf pour:

- Non-respect des congés annuels: 7 629 euro

- Non-respect des repos hebdomadaires: 33 100 euro

- Non-respect du temps de travail hebdomadaire: 413 695 euro

- Non-respect des repos compensateurs: 407 888 euro

- Exposition à des substances dangereuses: 10 500 euro

Accorder les intérêts de droit sur ces sommes à compter de l'arrêt à intervenir.

Dire que Mesdames Auboeuf ont droit à la participation aux fruits de l'expansion pour les années 1999 à 2005, à charge pour Total de communiquer à l'Expert qui sera désigné à ses frais, les éléments et documents suivants, entre autres:

- Accords de participation pour chacune des années

- Attestations des commissaires aux comptes ou du service des impôts des capitaux propres et du résultat fiscal

- Déclarations n° 2065 signées par le Président

- La liste du personnel ayant droit à la participation et les éléments d'informations sur leur ancienneté à l'intérieur de l'entreprise

- Les DADS

Dire que la société Total n'a pas respecté les règles d'ordre public en matière de rupture des relations avec Mesdames Auboeuf et la condamner en conséquence à payer à chacune d'elle:

- au titre du non-respect de la procédure de licenciement: 1 mois de la rémunération qui leur· sera reconnue (non cumulable)

- au titre du préavis: 2 mois de cette rémunération

- une indemnité conventionnelle de licenciement calculée selon les dispositions de l'article 311 de la Convention Collective Nationale de l'Industrie du Pétrole

- au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse: une indemnité égale à 6 mois de la rémunération

Dire que, comme le soutient la société Total, la décision sur le statut est constitutive des droits de Mesdames Auboeuf

Dire et juger que la prescription quinquennale afférente aux rémunérations ne peut courir qu'à compter de la décision définitive reconnaissant ledit statut.

Condamner la société Total en réparation des préjudices subis du fait de la violation délibérée de ses obligations par Mesdames Auboeuf, à payer à chacune les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts:

- pour Cécile Auboeuf: 450 000 euro

- pour Nicole Auboeuf: 650 000 euro

Désigner un Expert aux frais avancés de la société Total pour vérifier et compléter les calculs fournis.

Confirmer le jugement du chef de l'article 700 et condamner Total à payer une somme supplémentaire de 10 000 euro devant la cour.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.

Motifs de la décision

Sur l'exception d' "inconventionnalité" soulevée par la société Total Raffinage Marketing

La société Total RM n'ignore pas avoir précédemment, dans des contentieux identiques, soulevé par trois fois, depuis l'entrée en vigueur le 1er mars 2010 de cette possibilité, devant d'autres juridictions du fond et devant la Cour de cassation elle-même, une question prioritaire de constitutionnalité;

Par deux arrêts du 28 septembre 2010 et un arrêt du 30 novembre 2010, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel les questions libellées respectivement dans les termes suivants:

-"L'article L. 7321-2 du Code du travail en tant qu'il utilise le terme de "presque exclusivité" porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen en ses articles 2, 4, 6, 16 et 17, et à la Constitution en ses articles 34 et 37 en l'occurrence au principe d'égalité, de la liberté contractuelle et du droit de propriété" (même question posée à deux reprises) ?

- L'article L. 7321-2 du Code du travail est-il conforme aux articles 2, 4, 6 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen ?"

en retenant dans les trois cas:

"que la question n'a pas de caractère sérieux dès lors que les termes "presque exclusivement" contenus dans l'article L. 7321-2 du Code du travail, tels qu'interprétés à de nombreuses reprises par la Cour de cassation, ne sont ni imprécis ni équivoques et ne peuvent porter atteinte aux objectifs à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ni, en conséquence, aux droits et libertés visés dans la question";

La société Total RM soutient cependant que l'exception soulevée dans le présent litige est distincte, reposant sur un fondement différent, afférent à l'application de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et aux principes généraux du droit de l'Union européenne; les articles du Code du travail incriminés leur seraient contraires, dès lors que la condition de "presque exclusivité" de fourniture des choses vendues n'y est pas définie, est appréciée rétroactivement à l'issue des relations contractuelles et dépend des choix de gestion futurs de l'une des parties au contrat; il appartiendrait en conséquence au juge judiciaire de les écarter;

Elle fait ainsi état d'une situation d'imprévisibilité, d'impossibilité pour le fournisseur de connaître au jour de la signature du contrat si le droit du travail sera ou non applicable à l'issue des relations contractuelles, de rétroactivité subséquente de la loi, ainsi que d'une application éventuelle subordonnée aux seuls choix du distributeur de privilégier les activités liées à la vente des fournitures ou bien d'autres activités "de diversification";

Toutefois le fournisseur ne peut se prévaloir de l'ignorance de dispositions du Code du travail à caractère d'ordre public, et plus particulièrement de celles de son article L. 7321-2 qui se rapportent expressément à l'activité de fourniture; elles incluent une assimilation de la fourniture exclusive et de celle "presque exclusive" des marchandises et produits visés; il revient à ce fournisseur de prendre toutes mesures pour être pleinement informé des modalités envisagées par son cocontractant pour la revente active des fournitures, et notamment de tout éventuel projet relatif à d'autres activités distinctes, comme à leur ampleur; il ne saurait se prévaloir d'une abstention volontaire de prise en compte de la situation effective;

Moins encore peut-il se retrancher derrière un prétendu choix d'activités du distributeur de ses produits lorsqu'il lui impose des conditions de rentabilité telles qu'elles ne peuvent à l'évidence être compatibles avec un volume significatif d'autres activités; la quasi-exclusivité se détermine en fonction de ses propres exigences; la condition posée par l'article L. 7321-2 incriminé est claire et dépourvue d'ambiguïté, et la situation de fait peut être dès l'origine appréhendée;

Au surplus, il est péremptoire d'affirmer que cette situation ne se mesure qu'après rupture des relations contractuelles; rien ne fait obstacle à ce que le professionnel en charge de la distribution prenne pendant l'exécution du contrat la décision de se prévaloir des dispositions protectrices dont s'agit; il lui appartient en tout état de cause de démontrer en fait qu'il peut y prétendre, et il n'y a pas insécurité juridique à ce que les juridictions judiciaires apprécient dans chaque cas particulier l'importance, prépondérante ou non, de l'activité consacrée au service du fournisseur;

Le contrôle juridictionnel constitue au contraire une garantie de sécurité pour le fournisseur; en dépit des assertions de la société Total RM, il peut s'opérer le cas échéant selon des critères différents, dont elle reconnaît d'ailleurs qu'ils ne sont nullement toujours favorables au revendeur; si en effet les relations contractuelles entre le fournisseur et lui sont de nature juridique a priori identiques, le contexte dans lequel elles sont mises en œuvre peut varier;

Il n'y a pas insécurité du fait de la loi lorsqu'elle autorise la prise en compte in concreto de situations diverses;

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'exception soulevée par la société Total RM est en tous points mal fondée, dès lors qu'elle tend en réalité à mettre en cause un pouvoir juridictionnel d'application de la loi et les moyens pour y parvenir, qui ne dépendent pas du texte, précis et non équivoque, mais d'éléments factuels dont elle voudrait qu'ils soient toujours identiquement déterminés, ce qu'il lui revient de rechercher par toutes démonstrations appropriées, sauf à rappeler l'ensemble des décisions de la Cour de cassation qui ont jugé inopérantes les références de juges du fond aux montants des commissions perçues pour la vente des carburants et lubrifiants comparés à ceux des recettes de ventes d'autres produits;

Le jugement, qui a rejeté cette exception, sera confirmé;

Sur l'application aux rapports des parties des articles L. 7321 (L. 781-1 ancien) et suivants du Code du travail

Selon le premier alinéa de l'article L. 781-1 ancien du Code du travail, en vigueur au moment de l'introduction de l'instance, devenu articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail, les dispositions qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs, sont applicables aux personnes dont la profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises ou denrée de toute nature, des titres, des volumes, publications, billets de toute sorte qui leur sont fournis exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par elle, ainsi qualifiées par la loi de "gérants de succursales";

Il importe, dès lors, de déterminer si ces dispositions sont applicables aux deux intimées;

Les textes en cause bénéficient en effet, sous les conditions qu'ils posent, à toute personne dont l'activité professionnelle exercée en fait et personnellement s'inscrit dans l'exploitation effective d'un fonds de commerce destiné à mettre en œuvre l'activité de l'entreprise industrielle ou commerciale;

Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf étaient gérantes de la SARL ANC et associées à parts égales dans un premier temps, puis porteurs de 125 parts chacune, Madame Fabienne Auboeuf étant titulaire de 250 parts;

La société Total Raffinage Marketing soutient qu'il n'y aurait pas lieu à appliquer l'article L. 781 ancien du Code du travail au motif qu'il n'est pas démontré que la SARL ANC serait fictive et qu'il n'y a de contrat qu'entre elle et cette dernière;

Il ne résulte nullement des dispositions susvisées du Code du travail qu'un contrat doive exister entre le fournisseur de la marchandise et les personnes physiques exerçant l'activité, le texte définissant l'établissement concerné comme une succursale du fournisseur dès lors qu'il est démontré que l'activité s'y déroule dans les conditions décrites par le texte. Le lien entre les personnes physiques et le fournisseur se trouve ainsi nécessairement et suffisamment caractérisé, nonobstant le contrat entre la société constituée pour exécuter l'activité et le fournisseur dont il n'est pas utile de déterminer s'il est fictif ou non;

Au cas particulier, outre le fait qu'elles consacraient toute leur activité au fonctionnement de l'établissement, conformément aux horaires dictés par le fournisseur, en respectant l'ensemble des directives quant au prix, aux quantités, aux livraisons, à la comptabilité, le lien entre la société Total Raffinage Marketing et les intimées était manifesté plus encore par le fait qu'elles étaient cautions vis-à-vis de celle-ci des dettes de la SARL à hauteur de 85 000 euro;

Les conditions posées par l'article L. 781-1 ancien du Code du travail sont:

- que la marchandise vendue provienne exclusivement ou quasi exclusivement du même fournisseur,

- que l'activité se déroule dans un locale appartenant au fournisseur et enfin,

- que les prix de vente soit imposé par celui-ci;

Au cas particulier la cour retiendra que:

- l'établissement avait pour vocation première la distribution de carburants, de gaz, graisses, mélanges et de lubrifiants, tous produits obligatoirement fournis par Total et vendus sous sa marque,

- le régime juridique de la vente de carburant était le mandat de vente "au nom et pour le compte" de la société Total Raffinage Marketing ainsi qu'il est rappelé au contrat de location-gérance,

- les prix des carburants étaient imposés, et pour les autres produits pétroliers un prix maximum était conseillé,

- les produits non exclusifs devaient, sauf exceptions dûment justifiées, provenir de fournisseurs agréés par Total Raffinage Marketing,

- les bâtiments, le matériel et les vêtements de travail devaient porter la marque du distributeur,

- la destination première des locaux, appartenant à Total Raffinage Marketing était la distribution de carburant, et leur agencement, imposé par Total, obligations rappelées dans le contrat de location-gérance, article 11,

- le chiffre d'affaire du carburants constituait selon les années de 97 à 98 % de l'ensemble, ce qui même après déduction des 75 % de taxes mentionnées par l'appelant, constituait l'essentiel des ventes,

- la mise en vente de produits accessoires n'était, dans ces conditions, pas de nature à porter préjudice aux produits de la marque,

La dépendance économique des consorts Auboeuf à l'égard de la société Total Raffinage Marketing, conséquence directe et manifestation de la quasi exclusivité consentie dans le contrat entre la SARL et le distributeur, était définitivement acquise par le déficit permanent du compte d'exploitation, contrôlé par ce dernier, compensé pour l'essentiel, quoique jamais en totalité, par une subvention dénommée AIP, négociée entre les compagnies pétrolières et les représentants des exploitants, et enfin l'obligation pour les gérantes de se porter cautions personnelles des dettes de la SARL à l'égard de Total;

L'emprise de Total se manifestait encore par un contrôle permanent des recettes, des stocks, d'un façon générale de la comptabilité, et par ailleurs l'obligation, depuis 2002, d'ouvrir tous les jours, 16 heures par jour, ce qui rendait impossible l'exercice pour l'une ou l'autre d'un autre activité, même en employant des salariés;

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les conditions fixées à l'article L. 7321-2 du Code du travail pour définir le "gérant de succursale", reprises de l'article L. 781-1, 2°, ancien, sont réunies et qu'il y a lieu de faire application du dit article qui stipule que les dispositions du Code du travail sont applicables à ceux-ci "dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre";

Le jugement de première instance sera confirmé;

Sur la convention collective

Dès lors que l'article L. 7321-2 (L. 781-1 ancien) du Code du travail est applicable, Mesdames Auboeuf qui assuraient personnellement l'exploitation de la station-service dans le cadre d'un contrat agréé par la société Total RM, sont bien fondées à demander le bénéfice de la convention collective des industries du pétrole du 3 septembre 1985 étendue, à laquelle se trouve soumise cette société, notamment en ce qui concerne la détermination de leur rémunération;

La société Total RM ne peut en effet sérieusement vouloir renvoyer à l'application de la convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle qui lui est étrangère; la relation directe reconnue entre Mesdames Auboeuf et elle-même implique l'application de la convention à laquelle sa propre activité se rapporte;

Il appartient à la cour de déterminer le coefficient et la classification applicable à chacun des intimés selon la convention des industries du pétrole;

Selon les dispositions III A 5 de cette convention collective, l'agent chargé de prendre des commandes suivant les instructions reçues fait l'objet d'un classement en agent de vente confirmé 2e degré selon le coefficient de rémunération K 230 selon le degré d'initiative et d'autonomie laissé à l'intéressé;

Même en l'absence d'encadrement d'autres salariés, Mesdames Auboeuf effectuaient un travail répondant aux conditions du bénéfice du coefficient K 230; elles participaient toutes les deux à la gestion et à l'animation de la station-service, à la vente de carburants et lubrifiants dans les conditions prévues par la société Total RM et selon ses directives; si elles passaient, dans cette même limite des directives, les commandes nécessaires, dans le cadre d'une autonomie de fixation de leurs tâches respectives dont elles déterminaient entre elles deux les modalités, elles ne jouissaient d'aucune indépendance, puisqu'elles ne pouvaient se faire remplacer, ni céder la gestion à quiconque;

Ces fonctions correspondent à celles d'agent de vente 2e degré selon le coefficient de rémunération K 230; en conséquence Mesdames Auboeuf, chacune pour sa part, sont en droit de prétendre au coefficient K 230, sans qu'il y ait matière à faire une distinction entre elles, qui, en tant que mère et fille, ont consacré en commun leurs ressources intellectuelles et physiques respectives au devenir de la station-service; l'application du dit coefficient leur sera reconnue; le jugement sera confirmé sur ce point;

Sur la prescription quinquennale des demandes de nature salariale

En application des articles L. 3245-1 du Code du travail et 2277 du Code civil, en sa rédaction applicable à la cause, le paiement des salaires se prescrit par cinq ans; ce délai est expiré pour toute réclamation portant sur l'activité de Mesdames Auboeuf antérieurement au 18 septembre 2001;

Elles soutiennent cependant qu'il n'existe aucune disposition prévoyant que ces textes s'appliquent au cas des bénéficiaires des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail, alors en vigueur; à ce moment porteurs d'une créance non salariale, non déterminée, elles estiment s'être trouvées dans l'impossibilité d'agir, ignorant leurs droits, qui dépendaient de la reconnaissance judiciaire de ce que leurs relations contractuelles leur permettaient de revendiquer le statut professionnel particulier issu du texte;

Selon elles, leur action a eu pour objet le paiement de sommes dont le caractère salarial était incertain; seule la date de la décision judiciaire leur reconnaissant le bénéfice du texte en cause, constitutive pour elles de droits, serait à prendre en compte pour point de départ de la prescription quinquennale;

En décider autrement reviendrait à exonérer la société Total RM de sa méconnaissance volontaire d'une protection d'ordre public, et à les rendre victimes de la désinformation dont elles ont été l'objet de sa part;

Mesdames Auboeuf n'ignorent pas en premier lieu qu'une question prioritaire de constitutionnalité a été posée par d'autres exploitants de station-service devant la Cour d'appel de Besançon, faisant état de moyens strictement identiques, et que par arrêt en date du 25 juin 2010, la Cour de cassation a refusé sa transmission au Conseil constitutionnel, retenant que:

"la question posée, relative à la durée de la prescription des actions en paiement des salaires, au demeurant conforme au droit commun, ne présente pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués;"

Au surplus, elles font inexactement valoir que la société Total RM elle-même invoquerait le caractère constitutif de droits pour elles de la décision judiciaire; elle soutient expressément le contraire dans ses écritures; rien ne permet en effet de qualifier de constitutif de droits la décision judiciaire qui fait seulement application à l'espèce particulière, au regard de circonstances de fait, d'un texte de loi; elle est déclarative, entraînant reconnaissance rétroactive d'un statut, déjà prise en compte dans l'analyse du moyen d'"inconventionnalité"; faute de quoi, les intéressés ne pourraient rien réclamer pour le passé;

Les bénéficiaires du texte ont la possibilité absolue d'exercer un recours effectif, au demeurant, comme déjà souligné, en cours d'exécution du contrat de commission, et ne sont en rien privés d'un procès équitable au sens des dispositions de divers articles de la Convention européenne des Droits de l'Homme; leur action est fondée sur les dispositions du Code du travail, et ils doivent se soumettre également à celles de son article L. 3245-1, dont ils ne peuvent exclure l'application; il régit également les relations de la société Total RM avec ses salariés et il n'y a pas discrimination;

Il n'y a pas non plus, spécialement en l'espèce, conséquences excessives en ce que les intéressées seraient privées de tout aboutissement concret de leur recours; elles sont seulement limitées dans l'ampleur de leur réclamation; il n'y a pas non plus violation de l'article 1 du protocole 1 de la Convention européenne motif pris d'une entorse à la protection d'un droit de propriété, faute d'en permettre la jouissance légitime, dès lors que la prescription quinquennale ne concerne qu'une créance salariale, tandis que d'autres créances résultant du bénéfice des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail, recodifié sous les n° L. 7321-1 à L. 7321-4, peuvent prospérer, faute d'être soumises au délai de cinq ans pour en formuler la revendication;

Il n'y a pas enfin discrimination au regard de l'article 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme entre deux catégories de personnels, les uns, salariés, bénéficiant de la protection du droit du travail et les autres devant d'abord faire reconnaître leur subordination économique; en effet, tout comme pour le salarié, la prescription sera calculée à partir de la saisine de la juridiction du premier degré et non au terme d'un "parcours judiciaire considérable..." comme allégué par les appelantes;

En définitive, Mesdames Auboeuf ne se sont pas trouvées dans une impossibilité d'agir suspendant la prescription; l'exclusion apparente, résultant du type de contrats passés entre elles et la société Total RM, de leur droit à bénéficier des dispositions de l'article précité, ne les a pas placées dans l'impossibilité de contester cette situation devant la juridiction prud'homale;

La prescription s'applique, et le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point;

Sur la prescription des autres demandes

Mesdames Auboeuf revendiquent la prescription trentenaire de leurs demandes concernant:

- le préjudice subi du fait de n'avoir pu demander à bénéficier des repos compensateurs, s'agissant d'un préjudice distinct, donnant droit à des dommages intérêts,

- la participation aux fruits de l'expansion, qui est une créance distincte de la créance salariale et n'est pas soumise à la prescription réduite,

- les demandes de dommages-intérêts pour le non-respect des repos hebdomadaires et des congés annuels, et pour le non-respect de la durée hebdomadaire du travail, qui sont fondées sur l'article 1382 du Code civil et n'obéissent pas non plus à la prescription quinquennale,

- l'inscription au régime général de Sécurité sociale et aux autres organismes, ainsi qu'il a été déjà jugé par la Cour de cassation;

Il sera répondu sur ces points ci-après lors de l'examen au fond des demandes;

Sur la rémunération, les heures supplémentaires et accessoires

Pour pouvoir prétendre au paiement d'heures supplémentaires et accessoires, Mesdames Auboeuf doivent démontrer, par application de l'article L. 7321-3 du Code du travail, que leur est applicable l'ancien Livre II du Code du travail, devenu dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés, et de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail;

Elles ne sont donc en droit de revendiquer les dispositions sus visées relatives à la durée du travail, aux heures supplémentaires, aux repos hebdomadaires, et aux indemnités de congés payés, que si elles établissent que les conditions de travail, d'hygiène et de sécurité du travail dans la station-service étaient fixées par la société Total RM;

La SARL ANC avait le pouvoir d'embaucher, ce qu'elle a fait;

Les nombreuses obligations posées par la société Total RM quant aux tâches à accomplir, que ce soit par l'une ou par l'autre, ont précédemment été rappelées telles qu'elles ressortent des stipulations des contrats successifs des 28 décembre 1998 et 26 juin 2002;

La société Total RM ne conteste pas les horaires d'ouverture de la station-service tels que susvisés; elle ne disconvient pas que le montant des commissions versées était déterminé en fonction des jours et heures d'ouverture; les intimés ne pouvaient dès lors s'y soustraire; elle fixait, selon l'article 8.2.3 (contrat du 28 décembre 1998) des conditions particulières du contrat de commission, un objectif de volume minimum annuel de vente de carburant, en lien avec le temps de travail;

Elle décidait encore seule des quantités de produits livrés, devant être réceptionnés à n'importe quel moment; elle avait ainsi la maîtrise des conditions de travail communes des deux intéressés, qui ne pouvaient que répartir;

Par ailleurs, le respect des règlements en matière de sécurité, de prévention des incendies à raison de la nature inflammable des produits et de pollution a conduit la société Total RM à dresser un manuel et des règles techniques relatives à ses matériels de distribution, dont elle conservait la maîtrise, en imposant ses propres réparateurs (articles 10 et 17 du contrat de commission); les intimées étaient engagées au respect du manuel (articles 7 et 16), notamment quant au contrôle de qualité des produits;

La société Total RM était entièrement en charge de la conformité de l'infrastructure; elle n'allègue d'ailleurs, ni ne démontre que cette conformité était en l'espèce respectée quant à la réglementation incendie et à la réglementation concernant la pollution des eaux, ni qu'elle ait eu à reprocher aux intimées un défaut de diligence en matière de mise en conformité;

Propriétaire des dites installations classées, selon mention explicite du contrat de commission, elle était responsable personnellement du respect des règlements, sauf délégation de pouvoir à Mesdames Auboeuf; la seule remise de la documentation nécessaire à la connaissance des obligations de sécurité ne caractérise pas une délégation de pouvoir les investissant de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement au respects des dispositions ayant une incidence directe sur la sécurité des travailleurs sur le site;

Il s'ensuit que sont applicables à Mesdames Auboeuf les dispositions du livre Ier de la 3e et celles de la 4e partie du Code du travail relatives aux heures supplémentaires et autres réglementations du temps de travail, de l'hygiène et de la sécurité;

Il résulte de l'article L. 3171-4 du Code du travail que le salarié doit fournir préalablement au juge les éléments de nature à étayer sa demande et que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties; en conséquence le juge ne peut, pour rejeter une demande en paiement d'heures supplémentaires, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié, et doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et que l'employeur est tenu de lui fournir;

Mesdames Auboeuf ont étayé leur demande par la démonstration de l'obligation d'ouverture sept jours sur sept, pendant 16 heures par jour et le nombre d'opérations réalisées par heures;

Madame Cécile Auboeuf déclare avoir travaillé 54 heures par semaine à la station-service, 5 jours par semaine; Madame Nicole Auboeuf déclare avoir travaillé 79 heures 10 minutes, dont 3 heures le samedi et le dimanche;

Elles ont calculé sur la base du coefficient retenu, les salaires que Total RM aurait dû leur verser jusqu'en juin 2005;

Les décomptes présentés par Mesdames Auboeuf font état d'un nombre d'heures supplémentaires dont la société Total RM nie l'existence, observant que la SARL employait de deux à trois salariés selon les époques, que les horaires n'étaient donc pas ceux allégués par les intimées et que celles-ci prenaient des vacances d'été;

La cour ordonnera une expertise qui déterminera, depuis le 18 septembre 2001, en fonctions des horaires des salariés, et des heures d'ouverture, les heures travaillées par Mesdames Auboeuf et, le cas échéant le nombre d'heures supplémentaires faites par chacune et leur montant;

L'expert devra également dire si les intimées ont bénéficié de congés annuels et hebdomadaires et le cas échéant, ont eu droit à des repos compensateurs. Il devra calculer les primes d'ancienneté;

S'agissant de sommes payables à terme périodique, ces sommes seront, le cas échéant, soumises à la prescription quinquennale de l'ancien article 2277 du Code civil;

Sur les demandes de dommages-intérêts liées au temps de travail (non-respect des dispositions sur les repos hebdomadaires, congés annuels, jours fériés, temps de travail hebdomadaire):

Mesdames Auboeuf forment des demandes chiffrées de dommages-intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire, pour les congés annuels et pour le non-respect de la durée du travail hebdomadaire;

Sont visées les dispositions de l'article "L. 221-2" du Code du travail, celles de l'article "L. 223-1" et celles de l'article "L. 221-1" du même Code; l'article 415 de la convention collective applicable n'est pas ici visé de nouveau;

S'agissant des divers dommages-intérêts réclamés, à supposer qu'ils ne fassent pas double emploi, il convient en tout état de cause de connaître l'avis de l'expert sur le temps de travail total de chaque intéressée, pour mesurer l'incidence des irrégularités alléguées; il y a lieu de confirmer le jugement qui a sursis à statuer dans l'attente des conclusions de l'expert;

Il en sera de même sur les demandes de dommages et intérêts concernant les repos compensateurs dont l'existence et le montant dépendront des heures supplémentaires reconnues, que l'expert aura mission de déterminer;

Sur la rupture des relations contractuelles

Mesdames Auboeuf, pour la première fois en cause d'appel demandent les indemnités de rupture, considérant qu'elles auraient être licenciées par Total RM dans les formes du licenciement pour cause personnelle. Elles réclament ainsi, sans les chiffrer, les indemnités compensatrices de préavis, pour non-respect de la procédure, indemnité conventionnelle de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Il était toutefois précisé au contrat de location-gérance du 23 juin 2002, annexe 10, que celui-ci était prévu pour trois ans, jusqu'au 30 juin 2005. Il n'est donc établi ni que la relation contractuelle était à durée indéterminée ni que la volonté d'y mettre fin soit celle de Total RM. Ainsi la rupture des relations entre les parties au 30 juin 2005 ne saurait-elle être assimilée à la rupture d'un contrat à durée indéterminée;

Sur les dommages-intérêts pour exposition à des substances dangereuses

Pour la première fois en cause d'appel, Mesdames Auboeuf forment une demande au titre de l'exposition aux substances dangereuses. En opposant à Mesdames Auboeuf un statut commercial, la société Total RM a éludé ses obligations en matière d'hygiène et sécurité, notamment les obligations des articles 330 et 601 de la convention collective applicable, qui organisent des dispositifs de prévention et de dépistage de maladie ou atteinte à la santé des travailleurs exposés à des produits nocifs et pétroliers;

Toutefois, il est encore prématuré d'évaluer le préjudice né du risque, même sans preuve de développement d'une pathologie, en l'absence de connaissance précise des temps éventuels d'exposition à substances dangereuses; les éléments sur le temps de travail, dont ses diverses composantes d'activité, ressortant du rapport d'expertise, seront susceptibles de permettre une appréciation;

Sur la demande d'immatriculation au régime général de Sécurité sociale, et "autres caisses"

Le jugement a accueilli la demande et ordonné l'inscription de Mesdames Auboeuf au régime général de la Sécurité sociale pour la période du 11 septembre 2001 au 30 juin 2006; les intimées ne précisant pas à quelles "autres caisses" Total RM devrait les affilier, il conviendra uniquement de rechercher quelles caisses de retraite complémentaires obligatoires sont prévues par la convention collective;

Il résulte de l'article R. 312-3 du Code de la sécurité sociale que l'immatriculation au régime général de la Sécurité sociale s'effectue à la diligence de l'employeur, dans le délai de huitaine qui suit l'embauchage de toute personne non encore immatriculée à ce régime et remplissant les conditions d'immatriculation; il s'ensuit que les gérants de stations-service doivent être obligatoirement affiliés au régime général de la Sécurité sociale dès lors que leur activité entre, comme en l'espèce, dans les prévisions des articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail; le fait que Mesdames Auboeuf ont été gérants salariées de la SARL et produisent des bulletin de salaire d'octobre 2004 à juin 2005 et affiliées à différents régimes ne saurait les priver des avantages supplémentaires que leur auraient conféré d'être salarié de Total au coefficient retenu ci-dessus;

En application de ce texte, il incombait à la société Total RM d'accomplir dès le début de l'activité en janvier 1999, les formalités obligatoires auprès de l'organisme de Sécurité sociale compétent en ce qui concerne les deux intimées; la prescription salariale n'a pas lieu de s'appliquer en l'espèce, le fait que les cotisations soient assises sur les salaires est sans effet sur le droit au bénéfice de la Sécurité sociale qui naît avec le statut de salarié;

Toutefois, la condamnation de la société Total RM ne peut, pour les régimes plus avant retenus, être prononcée en l'état, faute de connaissance des montants de cotisations qu'il lui incomberait de déclarer et acquitter;

Au surplus, pour le cas où une régularisation rétroactive ne serait pas possible en tout ou partie, l'expertise peut permettre d'établir l'éventuel préjudice; l'expert recherchera les éléments constitutifs du préjudice subi par les intimées au regard des divers risques assurés par le régime de Sécurité sociale et des régimes complémentaires applicables dans l'entreprise; le jugement sera infirmé en ce qu'il a reconnu le droit à l'affiliation à compter de septembre 2001, alors que ce droit est concomitant au début de l'activité des intimées et a ordonné l'affiliation immédiate;

Sur la participation aux fruits de l'expansion

Le jugement a accueilli la demande, faisant remontant le droits des intimées à la date du contrat soit le 28 décembre 2008;

Les travailleurs visés à l'article L. 7321-2 du Code du travail bénéficient en vertu de ce texte des avantages accordés par ce Code aux salariés, et notamment du droit de participer aux fruits de l'expansion de l'entreprise, codifié désormais au Livre III de la troisième partie de ce Code;

Mesdames Auboeuf sont en droit de participer aux fruits de l'expansion de la société Total RM, dont il n'est pas contesté qu'elle emploie plus de cinquante salariés; elle ne critique d'ailleurs pas expressément, subsidiairement, le principe de la demande, mais conteste que soit écartée la prescription quinquennale; or il y a lieu d'accueillir le moyen, la règle précédemment analysée pour les salaires s'applique encore à la participation aux fruits de l'expansion, qui constitue une créance salariale périodique;

Des investigations ne relevant pas d'une simple vérification du juge s'avèrent toutefois nécessaires pour déterminer les droits des intimées en matière de participation aux fruits de la croissance de la société Total RM, compte tenu des dispositions légales et, le cas échéant, conventionnelles applicables; il convient en conséquence d'étendre l'expertise à cette demande; le jugement sera dans cette mesure infirmé;

Sur la demande plus générale de dommages-intérêts

Cette demande encore nouvelle devant la cour poursuit en fait l'indemnisation des mêmes circonstances des relations contractuelles qui font déjà l'objet de diverses demandes en paiement, pour majeure part accueillies en leurs principes; l'allégation d'une application systématique par les juridictions judiciaires de toutes les dispositions du Code du travail revendiquées est au demeurant excessive, certaines d'entre elles étant d'ailleurs écartées par le présent arrêt;

Il convient de rejeter cette demande à caractère cumulatif mal fondé;

Sur la compensation

La société Total RM entend faire juger que toute dette de sa part envers les intimées devrait se compenser avec les sommes qu'elles ont déjà perçues dans le cadre de l'exercice de leur activité au profit de la société ANC;

La compensation implique cependant l'existence d'obligations réciproques entre les parties et la société Total RM n'était titulaire envers Mesdames Auboeuf d'aucune créance susceptible de se compenser avec sa propre dette de salaire;

Il convient de rejeter le moyen;

Sur la provision afférente à la mesure d'instruction et sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Il y a lieu de mettre la provision dont s'agit à la charge de la société Total RM, et de la condamner à ce stade à payer à Mesdames Auboeuf indivisément une indemnité de procédure de 10 000 euro au titre de l'instance d'appel telle qu'actuellement avancée, en la déboutant de sa demande du même chef;

Par ces motifs LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition et en dernier ressort, confirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 26 juin 2009 en ce qu'il a: - ordonné la jonction des affaires, - rejeté l'exception d'"inconventionnalité" soulevée par la société Total RM et le moyen tiré de l'absence de caractère fictif de la SARL ANC, - dit que les dispositions des articles L. 7321 (L. 781-1 ancien) et suivants du Code du travail s'appliquent en leur principe aux rapports des parties et bénéficient à Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf, - dit que les dispositions de la première partie, de la troisième partie en ses livres Ier et III, et de la quatrième partie de ce Code leur sont notamment applicables, - dit que la convention collective applicable est celle de l'industrie du pétrole et que le coefficient 230 s'applique à Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf, - dit que les demandes en paiement de créances de nature salariale présentées sont toutes soumises à la prescription quinquennale, - dit que la créance sur la participation aux fruits de l'expansion est soumises à la prescription de droit commun; - condamné Total RM à payer à Mesdames Auboeuf la somme de 20 000 euro (vingt mille euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - sursis à statuer sur toutes les demandes au fond formées par Mesdames Auboeuf et en particulier sur toutes leurs demandes en paiement définitif de sommes par la société Total RM, ainsi que sur les demandes de remises de documents, et en ce qu'il a ordonné une expertise qui sera toutefois redéfinie ci-après; l'infirme en ce qu'il a ordonné l'inscription immédiate de Mesdames Auboeuf au régime général de Sécurité sociale et dit qu'il y a lieu préalablement de faite calculer les salaires dus à Mesdames Auboeuf; dit que l'inscription au régime général était obligatoire dès le début de l'activité des intimées; Le complétant et y ajoutant, avant dire droit sur les demandes relatives: - au paiement de salaires pour heures dites "normales", heures supplémentaires, repos compensateur, congés payés, au paiement de primes d'ancienneté, - au paiement de dommages-intérêts liés au non-respect des repos hebdomadaires, à l'exécution d'un travail certains jours fériés, à l'absence de prise de congés annuels, au temps de travail hebdomadaire, - à l'injonction d'immatriculation au régime général de la Sécurité sociale et aux autres régimes particuliers de prévoyance de l'entreprise, - à la participation aux fruits de l'expansion, - aux conséquences d'une éventuelle exposition à des substances dangereuses; ordonne une expertise, commet pour y procéder: Monsieur Jean-Michel Matt, expert inscrit sur la liste de la Cour d'appel de Versailles, <coordonnées> avec la mission suivante de: - prendre connaissance de tous documents utiles à la solution du litige, notamment des documents comptables de la société Total RM et de la SARL ANC, ainsi que des procès-verbaux des séances du comité d'entreprise de la société Total RM relatifs aux droits des salariés de cette société en matière de participation aux fruits de l'expansion de l'entreprise pour la période du 18 septembre 2001 au 30 juin 2005, définir et évaluer les bénéfices éventuels de la société Total RM et le compte de leur distribution éventuelle à Messieurs Daniel Pontet et Thierry Pontet pour la même période; - déterminer mathématiquement le montant des salaires auxquels chacune d'elles apparaît en droit de prétendre au titre des articles L. 7321 et suivants du Code du travail, selon le coefficient de rémunération 230 de la convention collective susvisée, sur la base d'un temps de travail légal de 35 heures hebdomadaires entre le 18 septembre 2001 et le 30 juin 2005; - donner à la cour les éléments de nature à dénombrer et évaluer les heures supplémentaires effectuées par Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf, chacune pour sa part, les chiffrer en fonction des taux de majoration applicables selon les dispositions du Code du travail, en faire le compte, en évaluer les incidences en matière d'indemnité de congés payés, de repos compensateur et congés payés sur repos compensateur; - tenir compte, pour ce faire, de l'activité des salariés de la SARL, des débits de carburant et des autres tâches (boutique, services), du temps de travail total réel effectif, année après année, et des temps de repos et congés légaux et conventionnels qui auraient dû être respectés; - déterminer le montant de la réserve de participation pour la période considérée; - apporter à la cour les éléments lui permettant de déterminer, au vu des dispositions légales et conventionnelles applicables, le montant des sommes pouvant revenir à Mesdames Nicole et Cécile Auboeuf au titre de la participation aux fruits de l'expansion de la société Total RM; - communiquer tous autres éléments techniques et matériels susceptibles d'être utiles aux comptes à faire entre les parties au regard des demandes telles qu'analysées dans l'arrêt: dommages-intérêts pour perte du bénéfice des jours fériés, privation du repos hebdomadaire, des congés annuels, dépassement du temps de travail hebdomadaire; - rechercher d'une manière générale les éléments matériels et techniques permettant de fixer les préjudices allégués; - déterminer l'incidence fiscale du versement à Mesdames Auboeuf des sommes susceptibles d'être revendiquées; - déterminer le préjudice résultant, le cas échéant, de l'impossibilité d'assurer rétroactivement Mesdames Auboeuf au régime général de Sécurité sociale et de retraites complémentaires obligatoires; dit que la société Total RM devra consigner au greffe de la cour la somme de 10 000 euro (dix mille euro) à valoir sur la rémunération de l'expert, dans un délai de six semaines à compter du prononcé de la décision; dit que cette somme devra être versée au régisseur d'avances et de recettes de la Cour d'appel de Versailles <coordonnées>; désigne Monsieur Dauge, Président, pour suivre la procédure de contrôle des opérations d'expertise; dit que l'expert devra adresser tous ses courriers au service du contrôle des expertises du greffe social de la Cour d'appel de Versailles <coordonnées> ; dit que l'expert devra déposer son rapport à la cour au plus tard le 15 janvier 2012 en double exemplaire; dit que l'expert devra remettre à chaque partie un exemplaire de son rapport; rejette: - les demandes de Mesdames Auboeuf - fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse par la société Total RM, - de dommages-intérêts supplémentaires au visa des dispositions de l'article 1382 du Code civil, - la demande de la société Total RM tendant à une compensation de créances; Dit que l'affaire sera remise au rôle de la cour en tout état de cause à l'audience du: mardi 5 juin 2012 à 9 h 15, audience collégiale Salle n° 3 Porte H Rdc droite; Dit que la notification de la présente décision vaut convocation à cette audience; condamne la société Total RM à payer indivisément à Mesdames Auboeuf la somme de 4 000 euro (quatre mille euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais en appel exposés à ce jour; rejette sa demande du même chef et la condamne aux dépens exposés à ce jour.