Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 23 juin 2011, n° 10-01908

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fun Science (Sté)

Défendeur :

Savoir et Spectacle Bretagne (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mmes Durand, Verdeaux

Avoués :

SCP Cohen Guedj, SCP Maynard Simoni

Avocat :

Me Cavard

T. com. Marseille, du 10 nov. 2009

10 novembre 2009

La société Fun Science, société de droit espagnol, développe depuis 1996 en franchise un concept d'enseignement ludique des sciences à destination des enfants, à travers des ateliers animés par les exploitants franchisés.

Le 24 février 2006 la société Fun Science remet à M. Bohu un DIP.

Le 19 avril 2006, M. Bohu signe un contrat de franchise pour le compte de la société Savoir et Spectacle Bretagne et acquitte un droit d'entrée de 56 000 euro.

Se heurtant à plusieurs difficultés notamment pour pouvoir intervenir dans les écoles dont la clientèle était censée représenter près de 50 % de son chiffre d'affaires prévisionnel, et après avoir réalisé au 31 décembre 2006 un chiffre d'affaires de 4 070,97 euro, soit moins de 10 % du chiffre d'affaires prévisionnel annoncé par l'enseigne, la société Savoir et Spectacle Bretagne met un terme à son contrat de franchise par courrier en date du 4 septembre 2007.

Par jugement en date du 10 novembre 2009, le Tribunal de commerce de Marseille a notamment prononcé la nullité pour vice de consentement du contrat de franchise, condamné la société Fun Science à payer à la SARL Savoir et Spectacle la somme de 56 326 euro et 1 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.

Le 29 janvier 2010, la société Fun Science a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions déposées et notifiées le 20 mai 2010, elle demande à la cour de:

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille du 10 novembre 2009 en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de franchise signé le 10 avril 2006,

A titre subsidiaire:

- dire et juger que le contrat de franchise n'est pas résolu aux torts de la société Fun Science Ciencia Divertida.

L'appelante fait principalement valoir que:

- la société Fun Science dispose d'un savoir-faire éprouvé, transmis au franchisé par CD, résultant d'informations et de méthodes d'enseignement des sciences, qui a donné satisfaction aux franchisés ainsi qu'il résulte des écrits de M. et Mme Bohu,

- le document d'information précontractuelle (DIP) incluant le logiciel Excel d'élaboration du prévisionnel précise que les données chiffrées sont des exemples et ils n'engagent pas la société Fun Science,

- le logiciel fourni par la société Fun Science est un outil de travail qui permet au franchisé d'établir son propre compte prévisionnel et il incombait à la société Savoir et Spectacle Bretagne de réaliser son propre prévisionnel,

- le consentement du franchisé ne peut avoir été vicié dans la mesure où celui-ci n'a pas réalisé son propre prévisionnel,

- la société Fun Science n'est pas tenue d'une obligation de résultat mais d'une obligation de moyen dans l'établissement des prévisions d'activité de la franchisée,

- l'obtention d'un agrément n'était pas une condition nécessaire pour travailler dans les écoles et le franchiseur n'avait pas l'obligation d'installer un site pilote en France avant de franchiser,

- M. et Mme Bohu, dès la remise du DIP en février 2006, savaient que l'implantation de Fun Science était récente et qu'elle n'avait démarré en France qu'en 2005,

- le franchisé n'a exercé son activité qu'un an et ne peut donc invoquer la concurrence des associations alors qu'il n'a fourni lui-même aucun effort pour développer son activité sur le territoire,

- la société Fun Science a conclu le 30 avril 2005 un contrat de licence de marque,

- la société Fun Science a rempli ses obligations contractuelles et la résolution du contrat n'est pas justifiée.

Par conclusions signifiées et déposées le 30 août 2010, la société Savoir et Spectacle Bretagne, sollicite la confirmation du jugement entrepris.

Elle fait principalement valoir que:

- en 12 mois, le chiffre d'affaires de la société franchisée est de 21 000 euro, soit 30 % du prévisionnel annoncé par la société Fun Science à hauteur de 70 000 euro,

- la problématique posée par l'accès des franchisés au marché des établissements scolaires, qui était censé représenter plus de 50 % du chiffre d'affaires prévisionnel des exploitations franchisées, a été ignoré, l'accès aux écoles supposant au préalable l'obtention par les franchisés d'un agrément délivré par les services de l'éducation nationale,

- la concurrence des associations agréées n'a pas été prise en compte,

- les chiffres prévisionnels communiqués dans les DIP ne reposent sur aucune expérience antérieure et sont fantaisistes au regard des résultats du réseau français,

- le concept Fun Science a été transporté de l'Espagne à la France sans aucun test préalable, ni adaptation aux spécificités du marché français,

- la société Fun Science ne dispose d'aucun droit sur la marque Fun Science,

- à titre subsidiaire, la résolution du contrat sera prononcée, faute par la société Fun Science d'avoir respecté ses obligations de transmission de son "savoir-faire", d'assistance au franchisé, de promotion de l'enseigne.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 27 avril 2011.

Motifs:

Sur la procédure:

Attendu que par conclusions de procédure, la SARL Savoir et Spectacle Bretagne, demande que les conclusions et pièces déposées et notifiées le 27 avril 2011 par la société Fun Science, soit le jour du prononcé de la clôture, soient écartées des débats;

Attendu que par conclusions en réplique, la société Fun Science s'y oppose, faisant valoir que la société intimée a elle-même communiqué également le 27 avril, 10 nouvelles pièces et que les écritures incriminées ne comportent ni moyens, ni demandes nouvelles et n'appellent pas de réponse particulière;

Attendu que si pour l'essentiel, la société Fun Science développe les moyens précédemment signifiés par conclusions du 26 mai 2010, il n'en demeure pas moins qu'elle s'appuie sur 19 nouvelles pièces que la SARL Savoir et Spectacle Bretagne n'a pas été en mesure d'examiner;

Attendu en conséquence, qu'en déposant des conclusions et des pièces le jour de la clôture, l'appelante n'a pas mis l'intimée en mesure d'y répondre; qu'il en est de même en ce qui concerne les 10 pièces communiquées par l'intimée également le jour de la clôture;

Attendu qu'il y a lieu de rejeter des débats les pièces et conclusions communiquées par les deux parties le jour de la clôture;

Sur le fond:

Attendu qu'en application de l'article 330-3 du Code de commerce, il appartenait à la société Fun Science de remettre au franchisé un document d'information pré-contractuel lui permettant de s'engager en connaissance de cause en possédant suffisamment d'informations sur le réseau, le franchiseur et la rentabilité du concept;

Attendu qu'à défaut d'avoir reçu une information sincère complète et loyale, le franchisé ne peut donner un consentement éclairé lors de la signature du contrat; que le consentement de celui qui s'engage n'est pas valable si les éléments qui ont incité le partenaire à contracter sont erronés et ne reposent pas sur une analyse préalable sérieuse;

Attendu que le document d'information préalable remis à M. Bohu le 24 février 2006 confirmait le potentiel supposé d'une franchise Fun Science, Monsieur Farid Salhi en charge du réseau français ayant précisé aux époux Bohu que le réseau Fun Science n'avait aucun concurrent en France, qu'il se développait rapidement et qu'il existait des contacts avancés avec des clients dits "grands comptes" susceptibles de bénéficier à l'ensemble du réseau français;

Attendu que le document d'information précontractuel indiquait que l'activité, spécifiquement adaptée au système éducatif de chaque pays, devait générer une marge brute de 80 % et le compte d'exploitation prévisionnel annexé au DIP faisait ressortir un chiffre d'affaires annuel en première année d'exploitation de 70 000 euro HT, pour atteindre près de 130 000 euro HT en année deux, pour un territoire comptant environ 400 000 habitants;

Attendu qu'après six mois d'activité, la société Savoir et Spectacle a réalisé au 31 décembre 2006 un chiffre d'affaires de 4 070,97 euro, soit moins de 10 % du chiffre d'affaires prévisionnel annoncé, pour un déficit de 12 000 euro, et son chiffre d'affaires pour le premier semestre 2007 s'est élevé à 17 454,21 euro; qu'ainsi sur 12 mois, le chiffre d'affaires cumulé de la société franchisée a atteint 21 000 euro, soit 30 % du prévisionnel annoncé par la société Fun Science;

Attendu qu'aux termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce, la remise d'un compte d'exploitation prévisionnel ou de prévision d'un chiffre d'affaires ne figure pas dans la liste des informations devant être fournies par le franchiseur; que toutefois, lorsque le franchiseur décide de transmettre au franchisé un compte d'exploitation prévisionnel, il doit établir ce compte de façon sincère, sur des bases sérieuses;

Attendu que si le compte prévisionnel fourni au candidat franchisé n'était pas personnalisé et ne devait servir à celui-ci uniquement pour bâtir son propre prévisionnel, comme le soutient l'appelante, encore devait-il toutefois confirmer l'existence d'un modèle économique viable et réalisable, la société Fun Science n'était certes tenue qu'à une obligation de moyen et non de résultat dans l'établissement des prévisionnels, mais en l'absence d'expérience antérieure sur le territoire français, la première société franchisée Sciences et Attitudes, gérée par Mme Catherine Salhi, l'épouse de M. Farid Salhi en charge du réseau français, ayant été immatriculée le 6 décembre 2005, et en l'absence de toute analyse préalable des marchés, objet de l'activité des candidats, le chiffre d'affaires prévisionnel annoncé était exagérément optimiste et ne pouvait à l'évidence être réalisé; qu'il résulte des éléments du dossier qu'aucun des franchisés n'a jamais atteint un tel chiffre d'affaires, et qu'il n'est pas démontré que la SARL Savoir et Spectacle Bretagne soit responsable de l'échec de son exploitation, alors que les courriels échangés avec l'appelante témoignent au contraire de son investissement dans le développement de son activité;

Attendu que l'analyse comparée des prévisionnels versés aux débats strictement identiques démontre d'ailleurs que les chiffres fournis par la société Fun Science n'étaient fondés sur aucune étude sérieuse des marchés locaux, ni sur aucune expérience antérieure permettant d'accréditer le réalisme du business model; que le consentement du franchisé a donc été vicié en ce qu'il a été trompé par la perspective de gains chimériques;

Attendu qu'au regard des résultats du réseau français et des aléas révélés, la société Fun Science a d'ailleurs supprimé le prévisionnel de la dernière version de son DIP 2009 dans lequel elle ne communique plus aucun chiffre tout en donnant au nouveau candidat franchisé des éléments de présentation du marché;

Attendu en outre, que le document d'information précontractuel compte au nombre des clients potentiels les écoles et indique précisément que dans les écoles aussi, Fun Science ne peut attendre qu'une croissance continue et stable de la demande;

Attendu qu'il résulte du compte d'exploitation prévisionnel annexé au DIP que le marché de l'éducation nationale est censé représenter plus de 50 % du chiffre d'affaires des exploitations franchisées;

Attendu toutefois, que l'accès à la clientèle "éducation nationale" à quelques exceptions près, ne s'est pas révélée aussi aisé que prévue; qu'en effet, la société Savoir et Spectacle Bretagne qui s'était souciée le 3 juillet 2006 d'obtenir les agréments et autorisations permettant d'intervenir dans les écoles du département, s'est vue opposer une fin de non-recevoir de l'inspecteur d'Académie des Côtes d'Armor, dès le 12 juillet 2006;

Attendu que l'appelante n'est pas fondée à prétendre que ces agréments et autorisations n'étaient pas nécessaires en France pour accéder à la clientèle "Education Nationale", alors que les difficultés rencontrées par les franchisés, dont la SARL Savoir et Spectacles Bretagne, attestées par les courriels échangés entre eux, ont conduit la société Fun Science le 3 mai 2007 et le 29 juin 2007, non seulement à demander l'assistance des franchisés en vue de rechercher des experts du secteur de l'éducation en France pour mettre en place une stratégie au niveau national et entreprendre des actions avec l'éducation nationale, mais encore à envisager la possibilité de contourner l'obstacle représenté par les autorisations administratives, à travers la création d'associations plus facilement agréées par l'éducation nationale;

Attendu que ces difficultés révèlent donc que la problématique posée par l'accès des franchisés au marché des établissements scolaires n'a pas été prise en compte par Fun Science qui a procédé au lancement de son concept sur le marché français prématurément en transposant le concept Fun Science de l'Espagne à la France sans aucune adaptation aux spécificités du marché français; que dans un courriel en date du 2 mars 2007, M. Salhi reconnaît lui-même que le contenu des ateliers proposés par le réseau Fun Science n'est pas adapté aux spécificités du marché français;

Attendu qu'il est également établi que les sociétés franchisées se sont heurtées à la concurrence d'associations, agréées par l'éducation nationale et subventionnées, qui intervenaient dans les établissements scolaires et proposaient des prestations concurrentes de celles du réseau Fun Science, alors qu'aux termes des courriels en date des 14 et 26 février 2006, M. Salhi confirmait aux époux Bohu, qui avant de l'engager ont effectivement pris tous renseignements utiles, que le réseau Fun Science n'avait aucun concurrent en France, et alors que l'existence de cette concurrence n'était pas indiquée dans le DIP;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que la présentation par le franchiseur des potentialités de la société Fun Science et les informations financières données au franchisé en phase pré-contractuelle étaient entachées d'erreurs portant sur les qualités substantielles telles que le marché, l'absence de concurrence, le chiffre d'affaires prévisionnel, en considération desquelles la société Savoir et Spectacle Bretagne a contracté; qu'à cet égard, il est établi que les trois attestations produites par l'appelante à l'appui de son argumentation ont manifestement été rédigées à l'instigation de la société Fun Science ainsi qu'il résulte du courriel du 9 février 2009, aux termes duquel M. Theard, salarié de Fun Science dicte leur contenu aux franchisés; qu'il s'ensuit que ces informations ont vicié le consentement de la société intimée et qu'en conséquence, le contrat de franchise est nul et la somme de 56 326 euro doit lui être restituée;

Attendu qu'il convient de confirmer le jugement entrepris, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les moyens développés;

Attendu que si le compte de résultat, arrêté au 30 septembre 2007, établit que la société Savoir et Spectacle Bretagne a subi une perte nette comptable de 68 830 euro, toutefois le préjudice subi par la société intimée résulte davantage de la perte d'une chance de réaliser un gain qui peut être évaluée au vu des éléments de la cause à la somme de 20 000 euro, que de la perte résultant de l'exploitation du concept Fun Science dont la société Savoir et Spectacle Bretagne reconnaît elle-même le caractère inadapté au marché français ainsi que le manque de sérieux du prévisionnel;

Attendu que l'équité commande d'allouer à la société intimée la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du CPC et de débouter l'appelante de la demande qu'elle forme sur le même fondement;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort. Rejette les conclusions et pièces communiquées par les parties le jour de la clôture. Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Condamne la société Fun Science à payer à la SARL Savoir et Spectacle Bretagne la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du CPC. Déboute les parties de toutes autres ou plus amples demandes. Condamne la société Fun Science aux entiers dépens et autorise la SCP Maynard Simoni, titulaire d'un office d'avoués, à procéder à leur recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.