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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 29 juin 2011, n° 10-00557

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

VDI Group (SA)

Défendeur :

Energys (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme. Parenty

Conseillers :

MM. Deleneuville, Brunel

Avoués :

SCP Levasseur Castille Levasseur, Me Quignon

Avocats :

Me Talleux, SCP Helwaser

T. com. Dunkerque, du 18 janv. 2010

18 janvier 2010

Vu le jugement contradictoire du 18 janvier 2010 du Tribunal de commerce de Dunkerque ayant débouté la société VDI Group de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société Energys, débouté cette dernière de ses demandes reconventionnelles.

Vu l'appel interjeté le 26 janvier 2010 par la société VDI Group;

Vu les conclusions déposées le 7 avril 2011 pour la société Energys;

Vu les conclusions déposées le 6 mai 2011 pour la société VDI Group;

Vu l'ordonnance de clôture du 5 mai 2011;

La société VDI Group a interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée; elle demande à la cour de constater la formation et la mise en œuvre d'un contrat de franchise entre elle et la société Energys en janvier 2008 et sa rupture abusive en juin 2008 par Energys; à titre subsidiaire, elle demande à la cour de constater la rupture abusive des pourparlers et en tout état de cause de déclarer que la société Energys a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire, de la condamner à 100 000 euro de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial et moral, de lui ordonner de cesser sous astreinte toute utilisation du savoir-faire 1001 Piles Batteries et de tous signes distinctifs, et tout détournement de clientèle, de débouter la société Energys et de la condamner à 8 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'intimée sollicite la confirmation, l'octroi de 5 000 euro pour procédure abusive; à titre infiniment subsidiaire, elle réclame la réduction du montant des dommages et intérêts et en tout état de cause 5 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur Doutriaux est gérant d'une société 59 Energie immatriculée à Dunkerque qui a passé en septembre 2005 un contrat de franchise avec VDI Group en vue d'exploiter un commerce sous l'enseigne "1000 & 1 piles"; il a souhaité ouvrir un second magasin à Lille et a recontacté son franchiseur.

Après des pourparlers dont il ne nie pas la réalité, Monsieur Doutriaux leur a mis un terme en juin 2008 concernant le projet lillois et il a effectué un changement d'enseigne.

En mai 2009, la société VDI Group l'assignera.

La société VDI Group indique avoir apporté son soutien au projet, le magasin s'étant ouvert sous son enseigne en janvier 2008, puis réclamé à plusieurs reprises le retour du contrat signé; elle fait valoir que quoique ayant refusé de retourner le contrat signé, la société Energys n'en a pas moins continué à utiliser sans droit le savoir-faire, à entretenir la confusion en maintenant l'enseigne, en commercialisant ses produits; elle a considéré pour sa part qu'il y avait contrat et lui a notifié le 18 juillet 2008 la résiliation du contrat à ses torts.

Elle plaide que le contrat de franchise se prouve par tous moyens et peut trouver application même en l'absence de signature d'un contrat écrit entre les parties, qu'il s'agit d'un contrat consensuel, que les documents qu'elle verse indiquent suffisamment que ce contrat avait pris effet, que la société Energys a fait usage de son enseigne, reçu transmission de son savoir-faire, bénéficié de l'ensemble de ses services et de son assistance, eu accès à sa gamme à des taux préférentiels; elle s'oppose à l'argument relatif à l'absence de transmission de l'information pré-contractuelle dont Monsieur Doutriaux avait déjà bénéficié à Dunkerque et qui n'a pas vicié le consentement de ce dernier.

Elle ajoute que la clause de résiliation anticipée ne concerne que l'hypothèse d'une initiative du franchiseur, que le caractère fautif de la résiliation par le franchisé s'apprécie au regard du droit commun qui prévoit un accord entre les parties ou les manquements graves d'une partie, qu'au cas d'espèce aucun manquement grave n'a été constaté, la société Energys plaidant le durcissement des conditions générales de vente notamment en ce qui concerne la RFA qui pourtant n'a pas varié, la rupture des relations n'ayant en outre pas été accompagnée d'un préavis ni même d'une mise en demeure.

Subsidiairement, elle plaide la rupture abusive de pourparlers avancés puisque le contrat a été mis en application dès janvier pour être rompu sans raison le 9 juin 2008, et les agissements de concurrence déloyale et de parasitisme commis par son adversaire qui a utilisé le signe distinctif "1001 piles batteries", qui lui appartient et qui a été déposé comme marque, et a créé la confusion, même au-delà de son refus de signer le contrat de franchise comme en témoignent deux constats d'huissier, qui a usé de son savoir-faire, lequel existe, ne se réduit pas à la simple vente de piles mais correspond à un concept de distribution grand public dans le domaine de l'énergie autonome, matérialisé par différents supports (manuel, charte graphique, formation, intranet, réunions, assistance, expérience, savoir-faire secret); elle ajoute que la société Energys n'a jamais contesté son savoir-faire qu'elle a usurpé puisque Monsieur Doutriaux le connaissait parfaitement depuis 2 ans et demi.

Elle fait valoir qu'elle a subi un préjudice commercial issu de la perte des redevances escomptées pendant 5 ans, du détournement de clientèle, de l'usurpation de son savoir-faire, de la difficulté à replacer un franchisé à Lille et un préjudice moral.

La société Energys plaide l'absence de rencontre des consentements et donc l'absence de formation du contrat entre les parties, ce qu'admet la société VDI Group qui a assigné devant le Tribunal de commerce de Dunkerque sans tenir compte de la clause attributive de compétence contenue dans le contrat de franchise, que l'enseigne a été installée, comme le dit le tribunal de commerce, dans la phase de négociation précontractuelle, que la vente des produits ne peut lui être reprochée puisque VDI avait accepté de livrer et que les marchandises ont été payées. Pour elle, il n'y a ni préjudice ni savoir-faire exclusif.

Elle ajoute que la période précontractuelle est placée sous le signe de la liberté, chaque partie pouvant rompre si elle estime ne pas avoir intérêt à conclure le contrat projeté, qu'elle a clairement exprimé ses réserves dès un mail de mars 2008, qu'elle était en droit d'exiger une information détaillée avant de s'engager en vertu de l'article L. 330-3 du Code de commerce qu'elle n'a pas eue, notamment pas les bilans et comptes de résultat des deux derniers exercices, alors que la situation des franchisés est loin d'être idyllique.

Elle réplique à son adversaire qu'elle n'a utilisé l'enseigne que pendant la période de négociations, l'ôtant dès qu'elle a renoncé à adhérer, qu'elle a pris un nom bien distinct de sorte qu'aucune confusion n'est possible.

Elle plaide l'absence de préjudice, ce dernier né de l'abus de rompre des pourparlers ne pouvant consister que dans les frais vainement exposés, et non pas dans la perte de gains espérés, a fortiori que la société VDI ne justifie pas de l'importance du chiffre d'affaires manqué, et fait remarquer que la société VDI invoque un préjudice démesuré alors qu'elle a tiré profit de ventes réalisées pour 40 598,02 euro, qu'elle a laissé passer un an avant d'assigner, son action étant spéculative, comme l'illustre un mail de l'un de ses membres.

Elle indique que cette absence de préjudice est un obstacle à l'action en concurrence déloyale, la société VDI se contentant d'invoquer le maintien de l'enseigne qui n'est pas une faute, que la société VDI ne justifie d'aucun savoir-faire spécifique, ne démontre pas l'utilisation de l'enseigne par ses constats, est défaillante dans les approvisionnements ce qui démontre que l'accès à sa gamme n'est pas un avantage, ses prix n'étant pas par ailleurs préférentiels; elle souligne que son existence ne peut entraver la mise en place du réseau dans le Nord Pas de Calais, que la société VDI n'a pas souhaité reprendre son matériel. Elle conteste avoir reçu l'aide de VDI pour son installation et fait valoir qu'il ne lui était pas interdit d'exercer une activité analogue.

Elle conteste l'hypothèse du parasitisme; elle a largement dépensé pour son installation, elle n'a usurpé aucun savoir-faire puisque ses associés ont 10 et 15 ans d'expérience dans l'électronique marine, elle n'a aucune volonté de se placer dans le sillage de VDI ayant choisi un logo totalement différent, et cette société n'exploitant aucunement une méthode qui lui serait exclusive.

Sur ce,

Sur l'existence ou non d'un contrat

Contrairement à ce que soutient la société Energys, le contrat de franchise se prouve par tout moyen et peut trouver application même en l'absence de signature d'un contrat écrit entre les parties.

De surcroît, la méconnaissance des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce par le franchiseur ne peut entraîner la nullité de la convention qu'autant qu'elle a eu pour effet de vicier le consentement du co-contractant.

Sur le plan factuel, il n'est pas douteux ni même contesté que Monsieur Doutriaux était décidé à ouvrir son magasin de Lille le 22 janvier 2008 sous l'enseigne "1001 et 1 piles", ni même contesté, que les rapports commerciaux devaient s'inscrire dans le cadre de la relation de franchise, connue de Monsieur Doutriaux par le fait qu'il exploitait son magasin de Dunkerque sous cette formule; si le candidat franchisé est en droit d'exiger préalablement une information détaillée avant de s'engager, Monsieur Doutriaux n'est pas habilité à utiliser l'argument puisqu'il connaissait toutes les spécificités de cette franchise depuis 2005, et pouvait se faire communiquer les documents qu'il voulait consulter; c'est évidemment en connaissance de cause qu'il s'engageait puisqu'il était déjà dans le réseau et cette absence d'information prétendue n'est pas de nature à avoir vicié son consentement.

La société Energys plaide que la relation en était encore au stade des pourparlers, laissant le champ au principe que chacun est libre de ne pas contracter, mais son interlocutrice lui oppose qu'il a disposé pendant cette phase dite précontractuelle de tous ses services: la banderole, l'enseigne, la transmission du savoir-faire, des méthodes et du marketing, disposé de l'accès à l'intranet du réseau et du logiciel commercial, voire qu'il aurait continué au-delà de juin 2008.

Puis elle lui oppose l'argument de la rupture abusive de ces pourparlers mais cette notion recouvre l'existence d'une certaine mauvaise foi dont la démonstration n'existe pas ici; outre que le dirigeant d'Energys n'avait pas intérêt à fragiliser ses relations avec son franchiseur à Dunkerque, il apparaît clairement qu'il a en toute bonne foi ouvert un nouveau magasin à Lille avec la volonté de contracter à nouveau; sinon pourquoi se serait-il rapproché de son franchiseur, si ce n'est pour disposer de services dont il disposait déjà. "Ou alors doit-on le soupçonner d'avoir voulu utiliser une marque connue pour lancer son affaire".

De ces deux points de vue, seule l'analyse de la chronologie peut permettre de répondre:

- le magasin lillois a ouvert ses portes avec les caractéristiques de la franchise le 22 janvier 2008;

- dès le 17 mars 2008, la SARL Energys a par mail émis des réserves sur sa future signature du contrat au vu de ce qu'elle considère comme une évolution de l'application des conditions générales de vente confirmant la suppression de la RFA pour les produits achetés en partie en externe; par ce courrier, le dirigeant annonce clairement que faute d'assouplissement, il renoncerait à son appartenance pour le site de Lille;

- il ne recevra de réponse que le 25 avril 2008, lettre par laquelle le franchiseur considère que les conditions ne se sont pas rigidifiées;

- tel n'est pas l'avis de Monsieur Doutriaux qui indique vouloir formaliser l'arrêt de toute discussion sur le projet de contrat et propose le rachat des outils informatiques;

- le 11 juin 2008, le magasin change d'enseigne.

Pour rechercher si le lien contractuel était déjà scellé, la cour doit prendre en considération cette chronologie, le temps passé aux négociations et surtout le temps d'utilisation des marques, signes distinctifs et apports divers du franchiseur.

A cet égard, il est indéniable que durant la courte période de négociations, le franchisé, qui ne s'en défend pas, a utilisé les signes distinctifs du franchiseur; la société VDI Group a elle-même considéré la situation spécifique de son co-contractant puisqu'elle l'a exonéré du droit d'entrée, estimant sans doute que l'apport de ce nouveau contrat n'était que partiel, Monsieur Doutriaux disposant déjà de ses outils à travers l'exploitation du premier magasin dunkerquois; s'il a disposé des "services" du franchiseur, outre que cela n'a causé aucun préjudice à la société VDI Group, c'est surtout l'enseigne qui aurait pu constituer un avantage pour Energys pour lancer son commerce mais le dossier démontre suffisamment que la marque a été changée dès que l'intimée a exprimé son souhait de ne plus contracter. Par ailleurs, à un autre passage de ses conclusions pour se défendre du parasitisme, la société Energys fait la démonstration de ses propres investissements au départ de l'affaire qui, comme le souligne le tribunal, indiquent suffisamment que la société VDI n'a pas fourni d'aide à la société Energys lors de son installation.

En considération du court laps de temps qui s'est déroulé entre l'installation et la lettre de mars 2008 qui annonçait déjà le refus de contracter, la cour considère qu'il n'y a eu aucun consentement implicite au contrat, que celui-ci n'a en conséquence pas été formé, que les parties se situaient dans une phase de négociation, pendant laquelle chacun est libre de se retirer, la société Energys n'ayant commis aucun abus et ayant proposé à la société franchiseur de reprendre son matériel informatique. La société VDI Group en était convaincue, qui n'a pas appliqué la clause attributive de compétence; il ne peut donc y avoir eu rupture abusive, Monsieur Doutriaux pouvant considérer que les conditions générales de vente ne lui convenaient plus, avec le risque de fragiliser son commerce de Dunkerque, ce que l'avenir a révélé. Du point de vue, des pourparlers, comme il a été dit plus haut, la mauvaise foi de Monsieur Doutriaux n'est pas rapportée, qui n'a pas entretenu la relation sans volonté réelle de contracter, qui ne les a pas engagés dans le seul but d'obtenir avantage, qui n'a pas été brutal dans cette rupture annoncée dans les deux mois du début d'activité, période que le dirigeant même de "100 et 1 piles" considère comme le délai raisonnable du candidat à la franchise pour se lancer (cf. magazine de la franchise produit par l'appelante).

En conclusion sur ce point, la cour déboute la société appelante en ce qui concerne l'existence d'un contrat et sa rupture abusive.

Sur la concurrence déloyale

Certes, les deux sociétés vendent des piles, ce qui correspond à une activité concurrente mais qui reste libre; encore faut il qu'Energys ait commis une faute et la société appelante la voit dans le fait qu'Energys aurait continué après le mois de juin 2008 à utiliser ses signes distinctifs. Elle en veut pour preuve trois constats d'huissier dont le dernier est du mois de février 2009 qui établissent que le logo "1000 & 1 pile"s figure sur les pages jaunes en référence avec le magasin de Lille ou sur un site d'informations commerciales distinct du RCS; ceci s'explique par le fait que le magasin Dunkerquois portait bien l'enseigne "1000 & 1 piles" et que la société Energys regroupe les deux commerces; ce défaut de mise à jour, s'il est maladroit, ne caractérise pas l'usage reproché et un véritable maintien d'enseigne; le troisième constat est en référence avec un produit vendu qui n'est pas exclusivement réservé au réseau de l'appelante; il fait référence également au fait que la FNAC détiendrait des cartes portant la référence de la marque pour les deux magasins, ce qui se révèle exact mais ne révèle pas la date de remise des cartes dont il est question. A l'instar du tribunal, la cour considère ces éléments comme insuffisants à démontrer une confusion entre les deux entités commerciales ou un usage abusif de la marque.

Puis l'appelante accuse sa concurrente de parasitisme, de l'usurpation de son savoir-faire qui fait d'elle la spécialiste de l'énergie autonome par la proposition d'une gamme étendue de produits, la conception de magasins, les méthodes commerciales originales, la formation, les données informatiques. Cependant, la société Energys apporte des éléments contredisant cette affirmation, semant le doute sur la diversification de la gamme proposée, sur des tarifs décrits comme préférentiels et exclusifs, sachant que le parasitisme s'entend d'une société qui se situe dans le sillage d'une autre profitant d'elle sans bourse déliée, ce qui n'a pas été le cas; la cour s'interroge sur la réalité d'un savoir-faire spécifique en matière de vente de piles en dehors de méthodes commerciales, décrites comme originales sans que l'on sache ce que cette originalité peut recouvrir et constate que le magasin de Lille n'a en rien altéré le développement du réseau exploité par VDI Group, qui ne saurait reprocher à la société Energys d'avoir vendu les produits restés en stock dont elle a touché le prix; en tout état de cause, la société Energys n'a entretenu aucune confusion, changeant tout de suite d'enseigne sans copier celle de "1000 & 1 piles", et le préjudice pour la société franchiseur est inexistant.

Faute de préjudice et de faute avérés, l'action ne peut aboutir.

Il convient en conséquence de confirmer la décision, de débouter l'appelante de toutes ses demandes, de la condamner à payer 5 000 euro à la société Energys sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Energys, dans le dispositif de ses conclusion réclame sans aucunement l'argumenter 5 000 euro pour procédure abusive mais ne démontre pas en quoi cette procédure correspondrait à un abus d'ester en justice qui reste un droit absolu sauf mauvaise foi avérée, dont la preuve n'est pas rapportée; elle sera déboutée de cette demande.

Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Déboute la société VDI Group de l'ensemble de ses demandes; Déboute la société Energys de sa demande de dommages et intérêts; Condamne la société VDI group à payer 5 000 euro à la société Energys sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Quignon, avoué à la cour, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.