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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 19 juillet 2011, n° 09-04846

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hypromat France (SAS)

Défendeur :

Martinet (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Hoffbeck

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Litou-Wolff, Levy, Frick, Benoit

TGI Strasbourg, ch. com., du 10 sept. 20…

10 septembre 2009

Selon contrat de franchise en date du 16 octobre 2002, la société Hypromat France (Hypromat) a concédé à la société Martinet le droit d'exploiter sous l'enseigne "Hypromat" et "Eléphant bleu" un centre de lavage rapide de véhicules à Frontignan pour une durée de neuf ans.

Par courrier du 5 février 2007, la société Hypromat a résilié le contrat de franchise en reprochant à la société Martinet d'avoir, au mépris des stipulations contractuelles, acquis et exploité à Aurillac une station de lavage sous une enseigne concurrente.

Selon assignation du 21 février 2007, la société Hypromat a attrait la société Martinet devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour obtenir paiement de l'indemnité contractuelle de rupture et de dommages et intérêts complémentaires.

La société Martinet s'est opposée à cette demande en faisant valoir que la société Hypromat avait accepté l'exploitation litigieuse jusqu'à la vente du centre de Frontignan, qui était nécessaire au financement des travaux de transformation, et en dénonçant les pratiques discriminatoires du franchiseur.

Elle a reconventionnellement réclamé l'indemnisation de son préjudice consécutif à la résiliation du contrat de franchise.

Par jugement du 10 septembre 2009, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a:

- débouté la société Hypromat de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Hypromat à payer à la société Martinet une somme de 25 000 euro en réparation de son préjudice,

- condamné la société Hypromat à payer à la société Martinet une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Hypromat aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Les premiers juges ont principalement retenu:

- que la société Hypromat avait été régulièrement informée par la société Martinet de l'acquisition du centre d'Aurillac et de son projet de transformation en centre "Eléphant bleu";

- que le financement des travaux de transformation supposait la vente préalable du fonds de Frontignan;

- que la société Hypromat avait preuve de mauvaise foi en rompant le contrat de franchise à une époque où la vente du fonds de Frontignan était imminente;

- que la société Hypromat ne démontrait pas que la société Martinet avait violé ses obligations post-contractuelles relatives à la couleur du centre;

- que la société Martinet ne démontrant pas que la perte de la franchise avait minoré la valeur de son fonds, l'indemnisation de son préjudice devait être limitée à 25 000 euro.

Par déclaration reçue le 13 octobre 2009, la société Hypromat a interjeté appel de cette décision. La société Martinet a formé un appel incident.

Aux termes de ses conclusions déposées le 24 février 2011, la société Hypromat demande à la cour de:

- infirmer le jugement entrepris;

- condamner la société Martinet à payer à la société Hypromat la somme de 33 889,49 euro avec intérêts légaux à compter de l'assignation;

- condamner la société Martinet à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation du contrat de franchise et des manœuvres déloyales, avec intérêts légaux à compter de l'assignation;

- condamner la société Martinet à payer à la société Hypromat une astreinte de 1 524 euro par jour jusqu'à enlèvement des couleurs de la franchise;

- condamner la société Martinet à lui payer une somme de 533 400 euro à titre de liquidation provisoire de l'astreinte conventionnelle du 31 juillet 2007 au 30 août 2008;

- condamner la société Martinet aux dépens;

- condamner la société Martinet au paiement de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait valoir en substance:

- que l'article 12 de la convention interdit aux franchisés d'ouvrir des centres de lavage sous une enseigne concurrente;

- qu'elle n'a jamais acquiescé à l'exploitation d'une station concurrente;

- qu'elle justifie que la société Martinet continue d'utiliser les couleurs de la franchise au mépris de stipulations contractuelles;

- que le contrat de franchise ne pouvant être cédé, la résiliation n'a pu occasionner une décote du fonds cédé par l'intimée.

Selon conclusions remises le 18 janvier 2011, la société Martinet rétorque:

- que la société Hypromat était parfaitement informée de ce que la concluante n'était pas en mesure de financer la transformation du centre d'Aurillac tant que le centre de Frontignan n'était pas vendu et avait accepté la coexistence des deux stations;

- que le franchiseur l'a mise en demeure de transformer le centre dans les trois mois lorsqu'il a été avisé de l'imminence de la vente du fonds afin qu'il pût exercer son droit de préemption;

- que la clause de non-concurrence invoquée par le franchiseur ne portant pas sur l'activité de lavage de véhicules, aucune violation de cette clause ne peut être reprochée à la concluante;

- que la décision de la société Hypromat est discriminatoire dès lors que des cadres du franchiseur et des franchisés exploitent des centres concurrents;

- que la station d'Aurillac fonctionnant avec des rouleaux, aucun transfert de savoir-faire n'a pu avoir lieu;

- que la concluante n'a commis aucune faute au titre de ses obligations post-contractuelles.

En conséquence, elle prie la cour de:

sur appel principal,

- débouter la société Hypromat de ses prétentions;

- confirmer le jugement entrepris dans la limite de l'appel incident;

sur appel incident,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts accordés à la concluante en réparation de son préjudice subi à la somme de 25 000 euro;

- condamner la société Hypromat à lui verser une somme de 50 000 euro en réparation de son préjudice;

- subsidiairement, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Hypromat à lui verser une somme de 25 000 euro en réparation de son préjudice;

en tout état de cause,

- condamner la société Hypromat à lui verser une somme de 7 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

- condamner la société Hypromat aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 mars 2011.

Sur ce, LA COUR:

Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,

Attendu que la recevabilité de l'appel en la forme n'est pas discutée;

Attendu qu'il sera rappelé:

- que postérieurement à l'achat du centre de lavage litigieux d'Aurillac, la société Hypromat a établi un "devis estimatif de transformation d'un centre de lavage" en date du 11 octobre 2004;

- que selon courrier du 3 mai 2006, la société Martinet a informé le franchiseur de son projet de vente du centre de Frontignan à un dénommé Chambon et lui a demandé si ce centre l'"intéressait";

- que selon courrier recommandé reçu le 22 juillet 2006, la société Hypromat a mis en demeure la société Martinet de "transformer effectivement le centre concurrent ... (qu'elle avait) acquis en station Elephant bleu, ceci dans un délai de 3 mois", en la menaçant, à défaut, de prononcer la résiliation du contrat de franchise;

- que selon courrier du 5 février 2007, le franchiseur a avisé la société Martinet de la "résiliation du contrat de franchise à (ses) torts exclusifs en application de son article 11" à compter de la réception de ce courrier en lui reprochant de ne pas avoir donné suite au courrier du 22 juillet 2006 et d'avoir violé l'article 12 du contrat du franchise;

- que la société Martinet a cédé son fonds de commerce exploité à Frontignan le 19 septembre 2007;

Attendu que l'article 12 susvisé dispose:

"Pendant toute la durée du présent contrat, le franchisé s'interdit de créer, participer ou s'intéresser directement ou indirectement par lui-même ou par personne interposée, à toute entreprise ou société concurrente du franchiseur et du réseau Hypromat Eléphant bleu, dans le commerce de centre de lavage de véhicules, ou de tous produits liés à cette activité."

Attendu que cette clause interdit non seulement à un franchisé de commercialiser des centres de lavage ou des produits nécessaires à l'exploitation de tels centres mais encore d'exploiter un centre lavage qui ne dépendrait pas du réseau "Eléphant bleu", comme en atteste la référence aux entreprises et sociétés concurrentes du réseau; que cette interprétation est corroborée par l'article 11 qui sanctionne "l'ouverture d'autres centres point de vente ou succursale non agréés par le franchiseur" par la résiliation de plein droit du contrat de franchise;

Attendu que l'exploitation concomitante par la société Martinet d'un centre "Eléphant bleu" à Frontignan et d'un centre qui n'appartenait pas à ce réseau était contraire au contrat de franchise;

Attendu que la société Hypromat n'ignorait pas cette situation puisqu'elle avait soumis à l'intimée un devis estimatif de la transformation du centre existant; qu'elle a manifestement toléré cette situation en raison du projet de la société Martinet d'intégrer le centre d'Aurillac au réseau; que cependant, cette tolérance ne conférait pas au franchisé un droit acquis à poursuivre indéfiniment l'exploitation concurrente; que plus d'un an et demi après son acquisition, le centre litigieux n'était toujours pas exploité sous l'enseigne "Eléphant bleu" et le courrier de la société Martinet en date du 3 mai 2006 ne donnait aucune assurance quant à une date prévisible d'entrée dans le réseau; que l'absence d'évolution significative du projet de la société Martinet, qui se contentait de réaffirmer son intention de vendre le centre de Frontignan, rendait légitime la décision de la société Hypromat de faire cesser l'infraction; qu'au surplus, la réponse de la société Hypromat n'a pas été d'une brutalité extrême puisque, dans son courrier du 17 juillet 2006, elle laissait à la société Martinet un délai de trois mois pour régulariser sa situation et que la résiliation n'est effectivement intervenue que six mois plus tard; que la société Martinet aurait au moins pu durant cette période entamer des pourparlers sur l'intégration du centre litigieux;

Attendu que s'il n'est pas contestable que des cadres de la société Hypromat ou des franchisés ont simultanément exploité des centres "Eléphant bleu" et des centres concurrents, il n'est nullement démontré que ces situations anciennes perdureraient; qu'au contraire, l'appelante justifie avoir licencié certains de ses salariés (annexe n° 57) et avoir résilié les contrats de franchise des contrevenants (annexes 41 à 44, 69 à 75);

Attendu qu'il peut être observé qu'un groupement de franchisés (le Geplaf) s'était plaint auprès de l'Autorité de la concurrence de "différences de traitement entre les franchisés" et que ce grief n'a pas été retenu, après enquête, par cette autorité administrative (décision n° 10-D-12 du 15 avril 2010 - § 23, 24, 82);

Attendu que l'intimée ne démontre pas avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire de la part de la société Hypromat;

Attendu que confrontée à une violation persistante de la clause de non-concurrence, la société Hypromat était autorisée par l'article 11.2 du contrat de franchise à résilier le contrat par l'envoi d'une "nouvelle lettre commandée avec accusé de réception"; que corrélativement, la société appelante n'est pas fondée à se plaindre d'une rupture brutale et abusive du contrat de franchise;

Attendu que la société Martinet doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts;

Attendu qu'il n'est pas contesté que la résiliation du contrat aux torts du franchisé autorise la société Hypromat à réclamer:

- le paiement d'une "somme calculée sur le manque à gagner en redevances du franchiseur, par rapport aux années à courir jusqu'à l'arrivée du terme du contrat", soit 15 373,67 euro TTC (article 11.3 alinéa 1)

- le paiement de 18 233,02 euro TTC au titre de l'"indemnité forfaitaire" prévue par l'article 11.3 alinéa 2;

Attendu que la société Hypromat ne démontre pas que l'infraction sanctionnée par la résiliation du contrat de franchise lui a occasionné un préjudice que ne réparent pas les indemnités contractuelles précitées;

Attendu que les photographies d'installations produites par la société Hypromat, prises à des dates indéterminées, sont insuffisantes pour établir que le centre de Frontignan a continué à arborer les couleurs bleue et blanche, spécifiques au réseau "Eléphant bleu", postérieurement au 31 juillet 2007; que l'appelante sera en conséquence déboutée de ses demandes présentées sur le fondement de l'article 14 du contrat de franchise, tendant tant au paiement d'une astreinte journalière de 1 524 euro qu'à celui d'une somme de 533 400 euro;

Attendu qu'en conclusion, la créance de la société Hypromat ressort à 33 606,69 euro, outre intérêts au taux légal à compter du 21 février 2007, date de l'assignation;

Attendu que le caractère excessif du dernier chef de demande examiné commande, compte tenu du mode de calcul des dépens applicable en Alsace, de faire masse des dépens de première instance et d'appel et de les répartir entre les parties; qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la société Hypromat la charge de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris; Condamne la société Martinet à payer la société Hypromat une somme de 33 606,69 euro (trente trois mille six cent six euros soixante neuf centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 21 février 2007; Déboute la société Martinet de sa demande de dommages et intérêts; Déboute la société Hypromat de ses prétentions plus amples ou contraires; Fait masse des dépens de première instance et d'appel et condamne chaque partie à en supporter la moitié.