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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 28 juin 2011, n° 10-04997

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Agri Moderne (SARL), Claas (SAS)

Défendeur :

Limongi Agriculture (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

M. Prouzat, Mme Olive

Avoués :

SCP Garrigue, SCP Jougla, Me Rouquette

Avocats :

Mes Martinet, Gauclère, de Marion-Gaja, Bourgeon

T. com. Carcassonne, du 14 juin 2010

14 juin 2010

Faits et procédure - Moyens et prétentions des parties

La société Claas France qui importe et commercialise des machines agricoles de la marque Claas, a confié à la société Limongi Agriculture, par contrat du 1er décembre 1993, la distribution exclusive des matériels automoteurs (moissonneuses-batteuses et ensileuses) pour les départements de l'Aude et des Pyrénées-Orientales et pour différents cantons du Tarn, de la Haute-Garonne et de l'Ariège, ainsi qu'un droit de vente des matériels tractés de la même marque.

En avril 1994, la société Renault Agriculture a confié à la société Limongi Agriculture la distribution exclusive des tracteurs agricoles Renault.

Le 1er octobre 2004, la société Renault Agriculture a conclu avec la société Claas France un contrat de location-gérance portant sur l'exploitation du fonds de commerce de commercialisation des tracteurs Renault et des pièces de rechange. La société Claas France a alors proposé à la société Limongi Agriculture, comme à tous les distributeurs de ses produits, un contrat de distribution portant sur l'ensemble des machines de marque Claas et des tracteurs (ex-Renault) avec une option, soit la distribution sélective dans le cadre d'un contrat annuel ou la distribution exclusive dans le cadre d'un contrat de 3 à 5 ans soumis à plusieurs conditions, tenant notamment à des quotas d'investissements et de capitaux propres s'élevant a minima à 10 % du chiffre d'affaires.

En novembre 2004, la société Claas France a conclu avec les distributeurs du réseau, dont la société Limongi Agriculture, des contrats de distribution sélective d'une durée de un an.

Dans un courrier du 12 septembre 2007 en réponse aux interrogations de la société Limongi, la société Claas France a notamment rappelé à celle-ci "qu'elle était pleinement concessionnaire Claas, son statut étant dénué de toute ambiguïté (...) qu'elle recevait régulièrement des candidatures d'entreprises intéressées par la distribution de ses produits et que dans les secteurs non exclusifs tels que celui de la société Limongi, elle se devait d'étudier les projets sérieux garantissant le développement de la marque et la pérennité de l'exploitation, étant précisé que la zone d'affectation de cette société suscitait l'intérêt des entrepreneurs, ce qui expliquait sans doute les rumeurs dont elle faisait état dans le courrier du 24 août 2007."

Fin 2007, la société Agri Moderne, distributeur Claas sur la région d'Albi, a fait part à la société Claas France de son souhait d'étendre son secteur de distribution et lui a adressé, au cours du premier semestre 2008, un projet d'agrandissement et de développement de son activité couvrant, notamment, le secteur géographique de la société Limongi.

Le 6 mars 2008, la société Limongi Agriculture a adressé à la société Claas France un projet de développement reçu le 26 mars 2008, auquel celle-ci a ainsi répondu: "je ne vous cache pas (j'ai d'ailleurs eu l'occasion de vous l'écrire l'an dernier) que le secteur sur lequel vous intervenez suscite l'intérêt de plusieurs candidats extérieurs ou déjà membres du réseau, et qu'il nous appartiendra le moment venu de choisir celui qui présentera les meilleures garanties de pérennité. Je vous indique que notre décision sera prise au plus tard à mi-mai 2008, c'est-à-dire dans des délais compatibles avec la saison 2008-2009 et la prise d'effet des nouveaux contrats sélectifs. Dans ce contexte, dont je reconnais qu'il peut générer pour vous une part d'incertitude, je ne peux que vous inviter à ne pas engager, à court terme, d'investissement important au bénéfice spécifique du panneau Claas (...)".

Par lettre du 28 mai 2008, la société Claas a informé la société Limongi qu'elle avait pris la décision de ne pas lui soumettre un nouveau contrat de distribution à effet du 1er octobre 2008, à l'expiration du dernier contrat renouvelé à effet du 1er octobre 2007, en ajoutant que, par suite, le projet de développement soumis le 6 mars 2008 n'avait pas été retenu et que les relations seraient néanmoins maintenues dans leur intégralité jusqu'au 31 décembre 2008, afin de faciliter le redéploiement de ses activités.

En réponse, le 21 juin 2008, la société Limongi a fait toutes réserves sur le préavis de rupture des relations commerciales, au regard de l'ancienneté et de l'exclusivité de celles-ci, en faisant valoir qu'il aurait dû être fixé à 24 mois.

Entre fin juillet et fin août 2008, 8 salariés sur 9 du personnel commercial et technique, embauchés sur le site de Castelnaudary de la société Limongi Agriculture, ont démissionné et ont été, courant octobre 2008, embauchés par la société Agri Moderne, qui a conclu, le 21 octobre 2008, avec la société Claas France un contrat de distribution exclusive des gammes de machines agricoles et tracteurs Claas/Renault sur les départements de l'Aude, de la Haute-Garonne et de l'Hérault, pour une durée de 2 ans et 9 mois et qui a ouvert un nouvel établissement à Saint-Félix du Lauragais, exploité à compter du 1er novembre 2008.

Par courrier du 26 septembre 2008, la société Limongi a informé la société Claas qu'elle était contrainte de prendre acte de la cessation des relations commerciales pour l'échéance du 30 septembre 2008, du fait de l'impossibilité de mettre en œuvre une campagne de vente en l'état de la démission de la totalité des effectifs de la force commerciale, dont elle avait toute raison de penser qu'ils rejoindraient le nouveau concessionnaire exclusif, la société Agri Moderne.

La société Castel Agri, concessionnaire de machines agricoles de marque Case, a conclu, suivant acte sous seing privé du 14 octobre 2008, une promesse de cession de son fonds de commerce à la société Limongi Agriculture sous diverses conditions suspensives dont l'obtention de l'agrément de la société Case sur le transfert du contrat de concession, cession qui est intervenue le 24 novembre 2008, avec effet rétroactif au 1er novembre 2008.

Invoquant une rupture brutale des relations commerciales par la société Claas France, au sens des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce et une concurrence déloyale de la société Agri Moderne, la société Limongi Agriculture, a fait assigner ces deux sociétés devant le Tribunal de commerce de Carcassonne, par actes d'huissier en date du 14 juin 2005, en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 14 juin 2010 le tribunal a notamment:

- dit que la société Claas France a rompu brutalement la relation commerciale qu'elle avait poursuivie avec la société Limongi Agriculture depuis décembre 1993;

- dit que la société Agri Moderne s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'égard de la société Limongi Agriculture par débauchage ciblé et massif de son personnel;

- dit que la société Claas France et la société Agri Moderne ont, par leurs agissements conjoints, privé la société Limongi Agriculture d'une partie de son préavis de rupture effectif;

- condamné solidairement la société Claas France et la société Agri Moderne à payer à la société Limongi Agriculture la somme de 1 205 190 euro, à titre de dommages et intérêts;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement;

- condamné solidairement la société Claas France et la société Agri Moderne à payer à la société Limongi Agriculture la somme de 5 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés Agri Moderne et Claas France ont régulièrement interjeté appel par déclarations au greffe de la cour en date des 29 juin et 1er juillet 2010, ce qui a donné lieu à un double enrôlement, dont il est résulté une ordonnance de jonction des deux procédures rendue le 15 juillet 2010.

Par ordonnance du délégataire du premier président de la cour de ce siège en date du 18 août 2010, l'exécution provisoire du jugement a été suspendue au seul profit de la société Agri Moderne, en raison d'un risque de conséquences manifestement excessives au regard de sa situation de trésorerie.

La société Claas France a conclu à l'infirmation du jugement, en demandant à la cour de débouter, à titre principal la société Limongi de l'ensemble de ses demandes, en raison, d'une rupture non brutale des relations commerciales ou, à titre subsidiaire, de l'absence de préjudice suite à une reconversion assurée avant la fin du préavis. A titre plus subsidiaire, elle demande que le préavis effectif de 7 mois soit pris en compte, étant observé que les méthodes comptables retenues par la société Limongi Agriculture ne sont pas opérantes. En tout état de cause, elle sollicite une somme de 10 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient essentiellement que:

- le préavis de rupture accordé à la société Limongi devait expirer le 31 décembre 2008 et aucune ambiguïté sur les modalités de celui-ci ne peut utilement être invoquée, en l'état de la teneur des courriers explicites qu'elle lui a adressés en juillet et septembre 2008;

- c'est donc un préavis de 7 mois qui a été accordé à la société intimée qui a décidé de l'écourter en invoquant la démission du personnel de la force commerciale, dont elle n'est nullement responsable;

- en fait, la société Limongi a refusé de poursuivre les relations commerciales jusqu'au 31 décembre 2008 dans la mesure où elle a retrouvé rapidement un panneau concurrent (Case) par l'achat de la concession de la société Castel Agri, dont elle a repris l'intégralité du personnel;

- les motifs du refus de la proposition de poursuivre les relations commerciales jusqu'au 31 décembre 2008 lui sont donc étrangers;

- en toute hypothèse, un préavis de 7 mois était suffisant en l'état de l'ancienneté des relations commerciales (15 ans), de la vente spécifique de matériel agricole particulièrement concurrentielle et au vu des délais résultant de la jurisprudence; le délai de 7 mois permettait d'opérer un redéploiement et une reconversion, qui ont d'ailleurs eu lieu, au cours du préavis qu'elle avait accordé à la société Limongi;

- l'engagement d'exclusivité que cette société a contracté à compter du 1er novembre 2009 avec la société Case ne lui permettait plus de commercialiser les matériels agricoles Claas, ce qui l'a contrainte à anticiper la rupture; la démission massive du personnel qu'elle a invoquée n'est donc pas la véritable raison de cette anticipation;

- la brutalité alléguée n'est pas constituée, au regard des courriers échangés entre parties courant 2007 rappelant à la société Limongi l'existence de candidats sérieux dans le cadre de la distribution des matériels dans le secteur géographique dans lequel elle intervenait;

- la société Limongi Agriculture ne bénéficiait d'aucune exclusivité puisque, depuis 2003, la relation relevait de la distribution sélective, ce qui exclut toute dépendance économique; elle était libre de représenter et de distribuer tout autre marque de matériel agricole, fût-elle concurrente de Claas, et le taux d'approvisionnement qui doit être fixé à 50,3 % et non à 85,9 % résulte d'un choix et non de contraintes que la société Claas France aurait imposées;

- il n'est nullement justifié d'une quelconque entente entre elle-même et la société Agri Moderne relativement au prétendu débauchage des salariés de la société Limongi, qui aurait eu pour effet de priver celle-ci de tout préavis utile de reconversion; quand la société Limongi a interrompu le préavis en cours, elle était engagée depuis au moins un mois dans des négociations de reprise de la concession Case dont l'exclusivité ne permettait plus la commercialisation des produits Claas;

- la démission des salariés est en lien avec la prise du panneau Case, ce qui explique que la société Limongi ait accepté leur départ anticipé au 10 ou 17 octobre 2008;

- elle a agi dans le respect des règles de la concurrence loyale en informant la société Agri Moderne qu'elle entendait lui confier sa représentation exclusive à compter du 1er janvier 2009, soit à l'expiration du préavis initial accordé à la société Limongi et elle n'a nullement fait une promesse d'attribution de secteur avant le 28 mai 2008; le fait que la société Agri Moderne ait déposé fin 2007 une demande de permis de construire sur la zone de Saint-Félix du Lauragais est inopérant dans la mesure où tout membre du réseau Claas, distributeur sélectif, pouvait implanter tout site de distribution sur le secteur de la société Limongi, sans autorisation du concédant;

- seul le préjudice effectivement subi doit être indemnisé;

- la société Limongi n'a subi aucun préjudice puisqu'en devenant concessionnaire exclusif des matériels de marque Case sur un secteur géographique trois fois plus important que celui qu'elle couvrait sous panneau Claas (44 cantons au lieu de 13), elle a bénéficié du maintien de la rentabilité financière et la perte de marge a été immédiatement compensée par la marge réalisée sur les produits Case;

- toute indemnisation éventuelle doit prendre en compte la durée du préavis de 7 mois qui devra être déduite de la durée de préavis retenue;

- les méthodes de chiffrage présentées par l'intimée sont erronées et comportent de graves incohérences;

- seul le préjudice effectif doit être pris en considération, la marge perdue pendant la durée de préavis doit tenir compte de celle effectivement réalisée pendant la même période.

La société Agri Moderne a conclu à l'infirmation du jugement, demandant à la cour de débouter la société Limongi Agriculture des demandes faites à son encontre, outre l'allocation de la somme de 3 000 euro, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle réplique en substance que :

- les premiers juges ayant considéré qu'elle était solidairement responsable avec la société Claas France de l'insuffisance alléguée du préavis de rupture, elle est contrainte de commenter les conditions de cette rupture, bien qu'elle soit tiers;

- en sa qualité de concessionnaire des machines agricoles de la marque Claas, elle n'est pas à l'origine de la décision de cette société de ne pas poursuivre ses relations commerciales avec la société Limongi Agriculture et encore moins des modalités de cette rupture et de la durée du préavis;

- si la thèse retenue par le jugement critiqué selon laquelle elle aurait participé du fait de l'embauche des ex-salariés de la société Limongi au raccourcissement du préavis en empêchant celle-ci de l'exécuter jusqu'au 31 décembre 2008 est confirmée, elle ne pourrait être responsable que des conséquences d'une telle réduction égale à deux mois;

- ce grief n'est pas fondé dans la mesure où dans la sommation interpellative que la société Limongi lui a fait délivrer le 3 septembre 2008, il est précisé que les relations commerciales avec la société Claas vont cesser le 30 septembre 2008; or les salariés démissionnaires ont été embauchés par elle postérieurement, soit en octobre 2008;

- la rupture n'a pas été brutale dans la mesure où elle a été annoncée et pressentie depuis septembre 2007; la société Limongi a, dans un premier temps, proposé une extension de son secteur sur celui d'un concurrent puis en l'état de la teneur des courriers adressés par la société Claas en septembre 2007 et mars 2008, elle a entamé concomitamment des pourparlers avec le responsable développement réseau France de la marque Case dans le cadre d'un projet de reprise de cette marque qui a abouti en octobre 2008;

- la société Limongi ne bénéficiait d'aucune exclusivité sur le secteur et, avant la fin du préavis accordé par la société Claas, elle a signé un contrat de distribution lui permettant d'exploiter, dès la saison 2009, une activité concurrente avec le panneau Case dans un secteur plus important et avec un statut de concessionnaire exclusif, ce qui caractérise une reconversion rentable;

- elle n'a commis aucun acte de débauchage fautif dans la mesure où elle pouvait embaucher les anciens salariés de son concurrent qui ont démissionné et qui se sont présentés spontanément, car ils souhaitaient continuer à travailler sur des matériels Claas, suite au changement de panneau envisagé par la société Limongi; il s'agit d'une pratique courante qu'elle a elle-même subie en 2005 quand elle est devenue concessionnaire de la marque Claas et qu'une grande partie de son personnel habitué à travailler sur des produits Massey Fergusson a quitté l'entreprise pour rejoindre un nouveau concessionnaire de cette marque dans le secteur;

- elle était libre d'embaucher les anciens salariés de la société Limongi sans encourir le moindre grief, à défaut de démontrer des manœuvres frauduleuses, c'est-à-dire des pressions ou promesses d'avantages matériels ou de rémunération, à l'origine d'un débauchage massif ou systématique;

- de plus, les ex-salariés de la société Limongi étaient libres de toute obligation vis-à-vis de celle-ci et n'étaient tenus à aucune obligation de non-concurrence;

- il n'existe aucun lien de causalité entre les faits de débauchage indûment reprochés et le droit au maintien durant deux ans de la relation contractuelle avec la société Claas France;

- le préjudice invoqué n'est pas justifié et l'analyse comptable présentée par la société Limongi n'est pas probante.

La société Limongi a conclu à la confirmation du jugement sauf à augmenter le quantum des dommages et intérêts en les fixant à la somme de 1 606 000 euro, à titre principal, ou à 1 468 000 euro, à titre subsidiaire. Elle sollicite la condamnation solidaire des appelantes à lui payer la somme de 15 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle réplique que:

- le courrier du 28 mai 2008 ne fixe pas, sans ambiguïté, les modalités du préavis de rupture prenant effet le 31 décembre 2008, au regard des clauses contenues dans le contrat de distribution concernant sa capacité effective de commercialiser les produits Claas, ce qui l'a amenée à solliciter des précisions dans un courrier du 21 juin 2008 qui ont été données de manière floue dans la réponse du 8 juillet 2008 et de manière claire dans un courrier du 9 septembre 2008;

- une telle incertitude aggravant le devenir hypothétique de l'entreprise du fait de la brutalité de la rupture a eu pour effet de déstabiliser le personnel qui a démissionné;

- la société Claas France l'a donc mise dans l'impossibilité de bénéficier de la prorogation de relation commerciale de trois mois, à compter du 30 septembre 2008, en tout état de cause largement insuffisante, au regard de l'ancienneté des relations commerciales (1993 à 2008), de sa situation de dépendance économique et d'une absence de reconversion anticipée;

- si dans le courrier du 24 août 2007, elle a interrogé la société Claas France sur les rumeurs de nomination d'un autre concessionnaire dans son secteur d'intervention, la réponse du 12 septembre 2007 est un démenti, et la lettre du 26 mars 2008 accusant réception de son projet de développement n'est pas plus explicite sur les véritables intentions de la société Claas; elle ne pouvait donc pas pressentir une rupture des relations à brève échéance;

- compte tenu d'une ancienneté de 15 ans et d'un taux de dépendance de 85,9 % (en achats de produits neufs) et de 95 % en marge brute, un préavis de 24 mois aurait dû être respecté, et ce, même si le taux de dépendance de 50,3 % invoqué par la société Claas est retenu par la cour;

- la substitution à partir d'octobre 2004 des contrats de distribution sélective aux contrats de distribution exclusive, présentée comme une étape de transition pour intégrer l'ensemble des distributeurs (Renault et Claas) dans le même réseau n'a pas modifié les modalités de distribution imposées par la société Claas comportant une obligation de non-concurrence et une exclusivité de fait;

- se trouvant en septembre 2008 dans une situation de précarité du fait de la rupture brutale des relations commerciales avec la société Claas et de la démission de son personnel, son gérant a été contacté, le 1er septembre 2008, par le dirigeant de la société Castel Agri qui souhaitait vendre la concession de la marque Case; aucune négociation de reconversion antérieure au premier septembre 2008 n'a eu lieu, comme cela est prétendu, dans une attestation de complaisance d'un ancien salarié, M. Mora, qui a participé activement au débauchage orchestré par la société Agri Moderne et est apparenté avec le dirigeant de cette société;

- l'acquisition du fonds de commerce de la société Castel Agri n'a pas été une opportunité mais un pis aller pour éviter un dépôt de bilan; d'un côté, elle s'est vu retirer du fait de la rupture brutale l'activité exclusive Claas lui permettant de réaliser, avec un effectif de 9 personnes, un chiffre d'affaires de 6 millions d'euro et de l'autre, elle a dû financer, dans l'urgence, l'achat d'un fonds réalisant un chiffre d'affaires de 20 % inférieur, ne dégageant aucun résultat, reprendre un effectif de 16 personnes ainsi que des stocks atteignant 500 000 euro s'ajoutant aux 1 600 000 euro de stocks liés à l'activité antérieure de concessionnaire Claas;

- le secteur confié par la société Case n'est pas plus étendu que l'ancien puisqu'il se compose de 44 cantons contre non pas 13 mais 113 pour les matériels auto-moteurs;

- le débauchage ciblé et massif de son personnel organisé par son concurrent, la société Agri Moderne, à la veille de la saison de vente de matériels agricoles 2008-2009 a occasionné une désorganisation totale, alors que cette société a ouvert son site de Saint-Laurent de Lauragais dont la construction représentant un coût de plus d'un million d'euro, a démarré début 2008 et s'est appropriée ainsi la clientèle locale et le parc des machines et tracteurs développés par Limongi depuis 15 ans;

- les manœuvres de M. Mora tendant au débauchage sont attestées par un mécanicien de l'entreprise et les bulletins de paie révèlent une augmentation significative des rémunérations (6 à 23 %) au sein de la société Agri Moderne;

- en agissant ainsi, la société Agri Moderne a engagé sa responsabilité délictuelle au titre d'actes caractérisés de concurrence déloyale;

- il est manifeste que la société Claas France a donné à la société Agri Moderne, dès le deuxième semestre 2007, des assurances d'obtention d'une exclusivité de distribution sous réserve qu'elle construise un nouveau site à Saint-Laurent de Lauragais, ce qu'elle lui a dissimulé, créant ainsi les conditions de sa déstabilisation devant la perspective de la perte à court terme de son activité au profit d'un concurrent, la société Agri Moderne, étant parfaitement préparée à s'emparer du secteur;

- les fautes conjointes des appelantes ont contribué à l'entier dommage résultant de la privation d'un préavis de rupture d'au moins 2 ans et justifient une condamnation solidaire à l'indemnisation du préjudice prenant en compte la perte de marge semi-brute (calculée de manière cohérente par son expert comptable) qu'elle aurait dû retirer de la poursuite de son activité Claas pendant un préavis suffisant pour organiser sa reconversion, ainsi que les pertes et coûts supportés du fait d'une obligation d'acquérir, en urgence, un fonds de commerce de substitution, faute d'avoir disposé d'un délai suffisant pour reconvertir l'activité développée pendant 15 ans sous l'enseigne Claas; elle n'a pas pu préserver une situation économique équivalente.

La société Claas a déposé le 12 mai 2011, une requête en communication de pièces (justification des aides au démarrage consenties par la société Case et lettre d'intention de cette société au groupe Limongi).

Dans des conclusions déposées les 16 et 23 mai 2011, la société Limongi a conclu au rejet de cet incident et également au rejet des conclusions et pièces nouvelles déposées par la société Claas et par la société Agri Moderne les 13 et 10 mai 2011, sur le fondement des articles 15, 16 et 135 du Code de procédure civile.

Les sociétés Claas et Agri Moderne ont déposé des conclusions en réponse sur incident les 19 et 23 mai 2011.

C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 19 mai 2011.

Motifs de la décision

Sur l'incident de communication tardive

La société Claas France a déposé le 13 mai 2011 des conclusions en réponse à celles notifiées par la société Limongi le 16 février 2011 ainsi que 13 pièces nouvelles.

Si ces écritures déposées 6 jours avant la clôture et transmises au conseil de la société Limongi avec les pièces nouvelles 9 jours avant celle-ci, développent des moyens similaires à ceux exposés dans les conclusions précédentes du 26 octobre 2010, il s'avère, toutefois, que l'analyse comptable des comptes de la société Limongi clos au 31 mars 2010 communiqués le 16 février 2011, réalisée le 14 avril 2011 et les arguments développés, sur ce point, constituent des éléments nouveaux qui nécessitaient un délai plus important pour y répondre.

En revanche, la communication des pièces complémentaires n° 10 à 20 qui sont produites au soutien des moyens et arguments déjà développés auparavant a été faite en temps utile et n'a pas porté atteinte aux droits de la société Limongi de se défendre contradictoirement, étant précisé que celle-ci y a répondu par avance.

En conséquence, et en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire, les conclusions récapitulatives déposées le 13 mai 2011 par la société Claas seront écartées des débats ainsi que les pièces n° 21 et 22 du bordereau de communication.

La société Agri Moderne a déposé des conclusions le 10 mai 2011 accompagnées de 8 pièces dont une analyse critique de la valeur du fonds de commerce de la société Limongi Agriculture, qui nécessitait un délai supérieur à 9 jours pour répondre utilement. Dès lors, ces conclusions seront rejetées ainsi que la pièce n° 12 exclusivement.

Sur l'incident de communication de pièces

La requête aux fins de communication de pièces présentée par la société Claas au conseiller de la mise en état le 12 mai 2011, alors que l'affaire au fond était fixée au 24 mai 2011 et la clôture prévue le 19 mai 2011, apparaît tardive, étant observé que le bilan au 31 mars 2010 et les informations sur le personnel ont été transmises le 21 février 2011 et que la justification des "aides au démarrage" outre la production d'une lettre d'intention de la société Case, dont l'utilité aux débats est contestée, aurait pu être sollicitée bien avant le 12 mai 2011.

Sur la rupture des relations commerciales

Il résulte de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce "qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout commerçant, de rompre brutalement même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit, tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels".

Il est constant, en l'espèce, que la société Claas et la société Limongi entretenaient, depuis décembre 1993, des relations commerciales stables et suivies, et par suite établies, ce dont il résulte qu'au 28 mai 2008, date à laquelle la société Limongi a été informée que le contrat de distribution sélective ne serait pas reconduit au terme du 30 septembre 2008, la durée de ces relations avoisinait les quinze années.

La société Claas estime que le préavis de 7 mois accordé à la société Limongi était suffisant pour permettre un redéploiement de ses activités.

Il convient donc de déterminer si un tel préavis est raisonnable au regard des circonstances de fait entourant la relation commerciale et s'il a été effectif.

Il s'avère que du 30 juin 1995 au 30 septembre 2004, les deux parties étaient liées par un contrat de concession et de vente exclusif au titre des matériels automoteurs, tels les moissonneuses-batteuses et les ensileuses, les matériels tractés ne bénéficiant pas de cette exclusivité.

Suite à la reprise de l'activité commerciale de Renault Agriculture, la société Claas a soumis à l'ensemble de ses distributeurs un contrat de distribution sélective en faisant valoir que la réorganisation qui impliquait l'intégration des anciens distributeurs Renault, nécessitait un audit des établissements au cours de la saison 2004-2005, avant d'envisager le retour à un éventuel statut exclusif.

C'est ainsi que la société Limongi a, dans un courrier du 9 novembre 2005, rappelé à la société Claas que, d'une part, elle remplissait les conditions émises par celle-ci pour retrouver un statut exclusif, notamment en termes de pourcentage de capitaux propres et de niveaux d'investissement et que, d'autre part, son activité Claas représentait 80 % de son chiffre d'affaires.

La société Limongi Motoculture exerçant son activité dans le secteur de Carcassonne, qui détient 97,59 % du capital de la société Limongi Agriculture, est concessionnaire Claas dans le cadre d'une distribution exclusive, en vertu d'un contrat entré en vigueur le 1er octobre 2006 pour une durée de trois ans, dans lequel il est stipulé que la société Limongi Motoculture "s'interdit directement ou indirectement de distribuer, fabriquer, acheter ou vendre des produits neufs venant en concurrence avec ceux du panneau Claas". Dans un courrier du 13 mars 2009, la société Claas a considéré que la prise par la société Limongi Agriculture d'un panneau concurrent (Case), constituait une violation indirecte de l'obligation de non-concurrence, ce qui justifiait le non-renouvellement du statut d'exclusivité.

La part moyenne du chiffre d'affaires réalisé par la société Limongi sur les produits Claas, comprenant les matériels neufs, les pièces détachées mais également les véhicules d'occasion de la marque Claas, (que la société Claas omet, à tort, de prendre en compte) représente un pourcentage de 79,80 % durant la période de 2006 à 2008.

Par ailleurs, la teneur du courrier du 12 septembre 2007 adressé à la société Limongi, en réponse à ses interrogations formulées dans une lettre du 24 août 2007 relativement à une omission la concernant dans la liste des concessionnaires Claas ayant participé à un salon et aux rumeurs sur son remplacement par un nouveau distributeur, est plutôt rassurante quant à la poursuite de la collaboration commerciale liant les deux sociétés puisqu'il y est précisé que l'omission résulte d'un oubli matériel et que la société Limongi est pleinement concessionnaire Claas. Les observations émises quant aux chances d'obtenir, à l'avenir, un statut d'exclusivité en l'état de candidatures présentées par des entrepreneurs ou des investisseurs, ne remettaient pas en cause la reconduction du contrat sélectif au 1er octobre 2008.

La société Limongi a pris acte de l'oubli involontaire de sa participation au salon de septembre 2007 et a également indiqué qu'une transmission de l'entreprise envisagée à moyen terme au profit de certains membres du personnel, et notamment M. David Mora, nécessitait quelques assurances quant à la pérennité de leurs relations.

Dans cette optique, la société Limongi Agriculture a adressé le 6 mars 2008 à la société Claas, un projet de développement dans le cadre d'un statut exclusif intégrant un autre distributeur couvrant de nouveaux cantons (Ets Bonnafous) ainsi qu'un plan de transmission au profit de certains membre du personnel de l'entreprise (5 à 8 personnes).

La lettre du 26 mars 2008 adressée par la société Claas à la société Limongi accuse réception de ce projet en précisant qu'il sera étudié au regard de la politique de distribution envisagée pour l'avenir, à l'instar d'autres projets présentés par des candidats extérieurs ou membres du réseau.

Il est établi qu'une réunion a eu lieu le 1er avril 2008 au cours de laquelle les représentants des deux sociétés ont discuté des modalités du plan proposé par la société Limongi. M. Bouguet, consultant du cabinet Sisife ayant participé à l'établissement de ce plan, atteste que les discussions laissaient espérer une issue favorable.

Ces courriers révèlent que la société Limongi Agriculture espérait obtenir un contrat de distribution exclusif au 1er octobre 2008 et que les réponses apportées par la société Claas s'inscrivaient dans un tel contexte et ne laissaient pas présager que le contrat de distribution sélective d'octobre 2004, jusque-là reconduit, ne serait pas poursuivi, le cas échéant, avec d'autres modalités. Sur ce point, il convient d'observer que la lettre du 28 mai 2008 stipule qu'en raison de la non-reconduction du contrat de distribution sélective, le plan de développement soumis en mars 2008 n'a pas été retenu ni validé. Aucune annonce de rupture des relations commerciales n'est donc antérieure au 28 mai 2008.

Quant au préavis accordé jusqu'au 31 décembre 2008, il n'apparaît pas, comme il est prétendu, qu'il ait été ambigu puisque la société Claas a clairement précisé que l'ensemble des modalités du contrat seraient maintenues jusqu'au 31 décembre 2008, ce qu'elle a confirmé dans des courriers subséquents des 8 juillet et 9 septembre 2008, en indiquant que les commandes correspondant à une vente effective à client final identifié du secteur affecté contractuellement à la société Limongi, en portefeuille au 31 décembre 2008, seraient honorées. Dans la mesure où la poursuite du contrat jusqu'à cette date est expressément stipulée, l'article A.5.2.1 ne pouvait pas recevoir application, au titre des commandes à livrer faites avant cette date.

L'impact de la cessation des relations commerciales sur les primes escomptées sur le chiffre d'affaires annuel n'a aucun effet sur le caractère effectif du préavis accordé.

Quant au départ des salariés, il n'est nullement établi que la société Claas ait incité d'une quelconque manière ces derniers à quitter la société Limongi pour rejoindre la société Agri Moderne, la seule décision prise par les salariés de démissionner ne saurait établir une telle incitation, d'autant qu'en juillet et août 2008, la société Claas considérait qu'elle était liée avec la société Limongi jusqu'au 30 décembre 2008, en vertu du préavis qu'elle avait consenti dans le courrier du 28 mai 2008.

Le fait que la société Limongi Agriculture ait pu reprendre en octobre 2008 la représentation à titre exclusif du panneau Case, devenu disponible, du fait de la cession à son profit du fonds de commerce de la société Castel Agri, effective à compter du 1er novembre 2008, pour assurer la pérennité de son entreprise, est sans incidence sur le caractère brutal que revêt la cessation de relations commerciales au regard de leur ancienneté et des circonstances ci-dessus énoncées caractérisant notamment une dépendance économique, et ce, nonobstant la demande de prise d'effet au 30 septembre 2008 faite par la société Limongi. De plus, la venue d'un préposé de la société Case dans le courant du premier trimestre 2008 dans les locaux de la société Limongi ne démontre nullement la réalité de pourparlers dans le cadre d'une concession exclusive de ce panneau, alors même que les négociations relatives à la vente du fonds de commerce de la société Castel Agri ont débuté le 1er septembre 2008 (cf. attestation de M. Bonnemort, gérant de la société Castel Agri)

Tenant tous ces éléments mais également le caractère concurrentiel du secteur d'activité concerné, il convient de fixer à 20 mois le délai du préavis que la société Claas aurait dû respecter. Le préavis donné par elle étant de 7 mois, il est insuffisant de 13 mois.

Sur la concurrence déloyale

En préliminaire, et en l'état des pièces versées aux débats, les supputations de la société Limongi selon lesquelles la société Claas aurait assuré la société Agri Moderne, distributeur concurrent, de l'obtention d'un statut d'exclusivité dès la fin de l'année 2007 ne sont pas justifiées. En effet, la mise en concurrence des distributeurs du réseau incités à présenter des projets de développement permettant une augmentation des parts de marché du panneau Claas, n'a pas été occultée par la société Claas. La société Limongi a d'ailleurs elle-même présenté en mars 2008, un projet portant sur une extension intégrant un autre établissement et une transmission de l'entreprise aux membres du personnel, en sachant que d'autres candidats étaient intéressés par sa zone d'affectation. Le seul fait que la société Agri Moderne ait fait acte de candidature et ait été choisie par la société Claas pour bénéficier d'un contrat de distribution exclusive conclu le 21 octobre 2008 avec effet au 1er janvier 2009 pour une durée de 2 ans et 9 mois, ne saurait démontrer qu'une telle décision était prise depuis fin 2007. Si la construction de locaux d'exploitation à Saint-Laurent de Lauragais courant 2008, après obtention d'un permis de construire en avril 2008, a été un des critères qui a amené la société Claas à choisir la société Agri Moderne, parmi les autres candidats, pour bénéficier de l'exclusivité, une telle circonstance est sans incidence puisque les distributeurs du réseau étaient en concurrence et que la société Limongi n'ignorait pas que son propre projet était confronté à ceux présentés par les autres candidats.

Il est constant que le simple embauchage, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en lui-même fautif, mais l'embauchage devient déloyal s'il est intervenu dans des circonstances particulières, caractérisant la faute du nouvel employeur et causant un préjudice à l'employeur précédent: ainsi, le fait d'un départ massif de salariés créant une désorganisation de l'entreprise.

Il est établi que 8 salariés de la société Limongi ont adressé à celle-ci entre le 29 juillet et le 30 août 2008 des lettres de démission et ont concomitamment présenté des demandes d'embauche à la société Agri Moderne, qui ont été accueillies courant octobre 2008 avec prise d'effet au 1er novembre 2008. Parmi ces salariés figuraient trois commerciaux (MM. Mora, Turies et Piques), le responsable magasinier (M. David), le responsable atelier (M. Gelis) et trois mécaniciens (MM. Rives, Faguet et Bigazzi). Il ne s'agit donc pas de toute la force commerciale de la société Limongi.

La démission de ses salariés est en lien direct avec, d'une part, la connaissance par ceux-ci de la non-reconduction par la société Claas du contrat de distribution de ses produits par la société Limongi et, d'autre part, l'abandon du projet de transmission de l'entreprise à leur profit, envisagé depuis au moins l'année 2007 et formalisé dans le plan de développement établi en mars 2008, duquel il résulte que cette transmission se déroulerait avec certains membres du personnel, 2 à 3 commerciaux dont M. Mora, 1 à deux magasiniers, 2 responsables atelier et le responsable administratif.

Il est donc inexact de prétendre que ces démissions ont pour origine les propositions avantageuses de la société concurrente, étant observé, sur ce point que les augmentations de salaires concernant 4 salariés seulement ne sont pas conséquentes et sont en rapport avec le poste occupé, M. Mora étant devenu responsable d'agence.

De plus, le fait que le chef magasinier, le responsable atelier et les trois mécaniciens habitués aux produits et machines agricoles de marque Claas ainsi que les commerciaux aient préféré intégrer l'entreprise ayant conservé ce panneau avec un statut d'exclusivité, est tout à fait en adéquation avec leurs aspirations et, en tout état de cause, avec la liberté du travail.

Il n'est pas établi que la société Agri Moderne, avisée par la société Limongi, dès le 3 septembre 2008, du non-renouvellement du contrat de distribution au 30 septembre 2008, ait commis des agissements de nature à inciter les salariés susvisés à démissionner et à quitter leur entreprise. Le fait que M. Mora ait tenté de convaincre un salarié de le rejoindre au sein de la société Agri Moderne courant septembre 2008 ne démontre pas une quelconque collusion avec celle-ci.

Il convient de rechercher si le départ de ces salariés, dans un tel contexte, n'était pas prévisible et s'il était susceptible de désorganiser le fonctionnement de la société Limongi.

Dans la mesure où la société Limongi n'était plus en mesure de concrétiser le projet de transmission de l'entreprise aux salariés susvisés, elle pouvait prévoir que ceux-ci partiraient chez un autre distributeur du réseau Claas, d'autant qu'en juillet et août 2008, ils ignoraient si la société Limongi serait en mesure de réaliser un redéploiement assurant la pérennité de leurs emplois.

Cette société affirme que du fait de la décision notifiée par la société Claas le 28 mai 2008 de ne pas reconduire le contrat de distribution le 1er octobre 2008 avec effet au 31 décembre 2008, elle s'est trouvée dans une situation difficile proche du dépôt de bilan qui l'a contrainte, en urgence, à trouver des solutions de reconversion. Dans ces conditions, et alors qu'elle a entamé des pourparlers de négociation d'achat du fonds de commerce du concessionnaire exclusif des machines et matériels agricole de la marque Case, le 1er septembre 2008, que le contrat de distribution exclusive avec la société Case a été signé le 28 octobre 2008, qu'elle a exploité le fonds de commerce acquis à compter du 1er novembre 2008 avec les 16 salariés repris dans le cadre de la cession du fonds, et que certains salariés démissionnaires ont accepté de prolonger le délai de préavis jusqu'à mi octobre 2008, il n'est pas démontré que ces départs ont entraîné une véritable désorganisation du fonctionnement de l'entreprise et non une simple perturbation et ont eu une incidence mesurable sur l'activité de la société Limongi.

Il s'ensuit que l'embauche des salariés de la société Limongi par la société Agri Moderne ne constitue pas un acte de concurrence déloyale susceptible d'ouvrir droit à réparation et d'entraîner, par suite, sa condamnation solidaire avec la société Claas, au paiement de l'indemnité réparant le préjudice résultant de l'insuffisance de préavis.

Les demandes faites à l'encontre de cette société doivent être rejetées et le jugement, réformé de ces chefs.

Sur le montant du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales

Seul le dommage créé par la brutalité de la rupture et non les effets de la non-reconduction du contrat de distribution sélective doit donner lieu à indemnisation, observation étant faite que si la reconversion de la société Limongi est un fait acquis, elle a été concrétisée dans l'urgence et a nécessité des investissements financés par des nouveaux emprunts qui ont eu notamment pour effet de diminuer le chiffre d'affaires jusque-là enregistré avec le panneau Claas.

Les divers documents comptables versés aux débats permettent à la cour d'évaluer le préjudice qui est résulté de l'insuffisance du préavis. Son montant sera fixé à hauteur de la marge semi-brute que la société Limongi retirait du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la société Claas tant au titre des matériels neufs qu'au titre des matériels d'occasion et des pièces détachées. La note du 11 février 2011 établie par la société d'expertise comptable Polygone sur la base des bilans de la société Limongi, qui prend en compte les observations de la société Claas contenues dans les conclusions déposées le 25 octobre 2010 quant à l'intégration dans les frais des charges afférentes aux salaires du personnel commercial, établit une moyenne annuelle pondérée de 726 752 euro soit 60 562,66 euro par mois. L'indemnité due au titre du préavis s'élève donc à 60 562,66 euro x 13 soit 787 314,58 euro.

La société Claas sera condamnée à payer cette somme à la société Limongi, à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera réformé en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée.

Sur les autres demandes

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société Claas sera condamnée à payer à la société Limongi la somme de 2 500 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, verra sa demande, de ce chef rejetée et supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Agri Moderne.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Rejette les conclusions de la société Agri Moderne déposées le 10 mai 2011 ainsi que la pièce n° 12 portée au bordereau de communication de pièces; Rejette les conclusions récapitulatives de la société Claas France déposées le 13 mai 2011 ainsi que les pièces n° 21 et 22 du bordereau de communication de pièces; Rejette l'incident de communication de pièces formalisé par la société Claas le 12 mai 2011; Confirme le jugement entrepris seulement en ce qu'il a dit que la société Claas France avait engagé sa responsabilité délictuelle en rompant brutalement sa relation commerciale avec la société Limongi Agriculture et en ce qu'il a condamné la société Claas France à payer à celle-ci la somme de 5 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; L'infirme pour le surplus; Et statuant à nouveau; Dit que la société Agri Moderne n'a pas commis des actes de concurrence déloyale vis-à-vis de la société Limongi Agriculture; Déboute, en conséquence, la société Limongi Agriculture de toutes les demandes faites à l'encontre de la société Agri Moderne; Fixe le préjudice subi par la société Limongi Agriculture du fait de la rupture brutale des relations commerciales avec la société Claas France, à la somme de 787 314,58 euro; Condamne la société Claas France à payer à la société Limongi Agriculture la somme de 787 314,58 euro, à titre de dommages et intérêts; Condamne la société Claas France à payer à la société Limongi Agriculture la somme de 2 500 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Déboute les sociétés Claas France et Agri Moderne de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Claas France aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.