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Décisions

CA Montpellier, 4e ch. soc., 29 juin 2011, n° 10-10094

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Euroservices Courtage (SARL)

Défendeur :

Miscat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. d'Hervé

Conseillers :

MM. Belletti, de Guardia

Avocats :

SCP Vial-Pech de Laclause-Escale-Knoepffler, SCP Guiraud-Lafon-Portes

Cons. prudh. Narbonne, du 15 nov. 2010

15 novembre 2010

Faits et procédure

Le 2 février 2006, la SARL Euroservices Courtage et Hervé Miscat ont signé un "contrat d'agent commercial" pour une durée indéterminée à compter du 1er janvier 2006; ce contrat contient en son article 4 une clause d' "obligation de non-concurrence au cours de l'exécution du contrat"; l'article 1 de la convention stipule que "le mandant confie à l'agent commercial, le mandat permanent pour la durée des présentes de négocier et vendre les bateaux d'occasion en courtage auprès des clients potentiels communiqués par le mandant".

Par courrier daté du 20 avril 2009, Monsieur Miscat a écrit à la dite société, en invoquant un certain nombre de "fautes graves (l') empêchant d'exercer (son) travail correctement" le conduisant à "rompre le contrat qui nous lie" et à considérer "la clause de non-concurrence nulle du fait de son imprécision", ajoutant in fine : "Je ne souhaiterai pas effectuer le préavis dans sa totalité et quitter votre entreprise au plus tard le 15 mai 2009".

Par lettre datée du 11 mai 2009, la société a écrit à Monsieur Miscat en lui indiquant qu'il ne respectait pas son préavis depuis sa lettre de démission, refusait de ce fait son départ au 15 mai 2009, en notant que sur le contrat d'agent commercial, le préavis est de trois mois.

Par lettre datée du 16 juin 2009, la société a reproché à Monsieur Miscat de ne pas respecter sa clause de non-concurrence et de se livrer à des actes de concurrence déloyale.

Monsieur Miscat a été immatriculé au registre spécial des agents commerciaux à compter du 27 février 2006, puis radié le 3 septembre 2009 à compter du 31 août 2009.

Par requête reçue le 1er décembre 2009, Monsieur Miscat a saisi le Conseil de prud'hommes de Narbonne pour voir juger qu'il a exercé son activité dans des conditions caractérisant l'existence d'un contrat de travail et avoir paiement de diverses sommes.

Par jugement du 15 novembre 2010, la juridiction saisie a dit et jugé qu'il y a contrat de travail liant Hervé Miscat à la SARL Euroservices Courtage, et s'est déclaré compétente pour connaître du litige opposant les parties dans le cadre de leur relation de travail.

La société Euroservices Courtage a formé contredit motivé à l'encontre de ce jugement, par courrier recommandé daté du 16 novembre 2010 reçu le 26 novembre suivant au greffe du Conseil de prud'hommes de Narbonne demandant l'infirmation du jugement déféré, invoquant la compétence du tribunal de grande instance pour trancher le litige l'opposant à Hervé Miscat et ce au motif que la preuve d'un contrat de travail n'est pas rapportée.

Prétentions et moyens des parties

La demanderesse au contredit sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement déféré, déboute Monsieur Miscat de l'ensemble de ses prétentions, déclare la juridiction prud'homale incompétente au profit du Tribunal de grande instance de Perpignan et condamne Hervé Miscat à lui payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle fait valoir en substance :

- que l'article L. 8221-6 I du Code du travail prévoit une présomption de non salariat pour les personnes physiques inscrites au registre des agents commerciaux et qu'il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence ;

- que Monsieur Miscat ne rapporte pas cette preuve, que ce dernier n'a jamais contesté la nature juridique du contrat d'agent commercial conclu entre les parties et appliqué le contrat pendant toute sa durée sans le dénoncer ;

- que le contrat fait référence aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce et qu'aucune clause ne laisse imaginer l'existence d'une quelconque relation de travail ;

- que pour exercer son activité d'agent commercial, Monsieur Miscat s'est fait immatriculer au registre spécial des agents commerciaux, et a préparé et déposé un dossier d'aide à la création d'entreprise, les formulaires qu'il a rempli à cette occasion mentionnant une enseigne commerciale "Easy Marine" ;

- que l'intéressé ne travaillait pas exclusivement pour Euroservices Courtage, mais également pour la société Sillage Cap d'Agde afin de représenter les bateaux de la gamme Dufour; qu'il n'était pas "affecté" à l'agence de Gruissan, utilisant le local de la société (souvent fermé) et l'ordinateur du local pour vendre ses propres bateaux et se livrer à sa propre activité ou son travail personnel; qu'il ne lui a jamais été fixé un quelconque horaire et bénéficiait d'une totale autonomie, n'ayant aucun compte à rendre ni de rapport d'activités à remettre à la société;

- que le fait qu'il utilisait le matériel informatique de la société et le bureau mis à sa disposition n'est pas un élément probant d'une relation salariale ;

- que l'existence d'une clause de non-concurrence dans un contrat d'agent commercial ne suffit pas à requalifier ce contrat en contrat de travail ;

- que s'agissant des secteurs géographiques, l'organisation interne à la société n'a eu aucune incidence sur les droits à commission de l'intéressé et qu'il s'agissait d'une simple coordination du travail effectué dans l'intérêt de la société ;

- qu'il ne peut lui être reproché d'avoir demandé à Monsieur Miscat de respecter un certain nombre de règles dans l'exercice de son travail, soit pour respecter la réglementation attachée à l'activité, soit pour éviter de voir la responsabilité de la société engagée ;

- qu'il n'a pas été interdit à l'intéressé de se rendre au salon du bateau à Paris ;

- que les attestations produites ne sont pas conformes et ont été établies pour les besoins de la cause ;

- que si des réunions ont été organisées à partir de 2008, c'est en raison de la détérioration des relations entre les parties et ne caractérisent pas l'existence d'un contrat de travail ;

- que contrairement à ce que soutient Monsieur Miscat, ce n'est pas la société qui modifiait le barème des commissions mais l'intéressé lui même lequel n'est pas fondé à prétendre que la société avait un pouvoir de sanction à son encontre ; qu'à cet égard, le constat d'huissier produit par le défendeur doit être écarté des débats, en ce qu'il n'est pas contradictoire et porte sur un matériel appartenant à l'entreprise qui a été enlevé sans autorisation.

Hervé Miscat demande pour sa part à la cour de confirmer le jugement déféré sollicitant la condamnation de la partie adverse à lui payer la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il fait valoir pour l'essentiel :

- que nonobstant les stipulations de son contrat d'agent commercial, il rapporte la preuve qu'il était intégré dans un service organisé placé sous la direction de l'employeur qui fixait les directives générales et pour le compte duquel il travaillait de façon exclusive de telle sorte qu'il était placé sous sa dépendance;

- que la société dispose de trois agences situés à Saint-Cyprien, Canet et Gruissan; qu'il était affecté à celle de Gruissan, constituée par un local loué et équipé (meubles, matériels informatiques, téléphone, etc..) par l'employeur; qu'il devait tenir seul ce local ce qui le contraignait à une obligation de présence permanente, ses absences ponctuelles étant justifiées par la nécessité de faire visiter les bateaux; que cette obligation de présence suffit à exclure la qualité d'agent commercial, étant observé qu'il n'avait pas la libre disposition de ce local.

- que cette obligation avait pour effet de le conduire à travailler exclusivement pour la société Euroservices Courtage, et ce malgré le dossier ACRE initialement déposé, n'ayant jamais exercé d'activité pour d'autres "mandants" pendant la période considérée ; que le contrat de représentation avec la société Sillage Cap d'Agde en février 2008 pour la vente de bateaux neufs de la marque Dufour n'a pu recevoir exécution en raison notamment de l'impossibilité pour lui de participer aux salons ;

- qu'il ne pouvait librement exercer son activité, l'employeur fixant unilatéralement les zones géographiques attribuées aux différents agents ; qu'aucune possibilité de discussion ne lui était laissée et il devait obéir aux ordres de la société ;

- que lui et sa collègue étaient tenus d'assister à des réunions de travail ; l'employeur imposait des règles quant à l'affichage des annonces sur les vitrines des différentes agences, imposait les conditions auxquelles étaient soumises les signatures de compromis et s'arrogeait le droit de modifier seul le barème des commissions ;

- qu'il se trouvait dans un état de totale dépendance économique, ses moyens matériels de travail appartenant à la société et ayant réalisé, pendant la période de février 2006 à avril 2009, l'intégralité de son chiffre d'affaires avec cette société sans réaliser de vente pour le compte d'un tiers ;

- qu'enfin le gérant de l'entreprise disposait d'un véritable pouvoir de sanction envers lui et sa collègue; que les bateaux pour lesquels il obtenait un mandat de vente étaient affichés sur le site Internet de la société auquel il était relié par un système intranet; que ce site était le seul moyen pour lui d'entrer en contact avec des acquéreurs potentiels et donc d'exercer son activité; qu'en mars 2009, après qu'il ait refusé de signer un avenant ayant pour objet de modifier le barème des commissions, la société lui a interdit l'accès à ce site, ce qui ne lui permettait plus d'afficher les bateaux qu'il avait à la vente, ainsi qu'il en ressort d'un procès-verbal de constat d'huissier du 18 mars 2009.

Pour un exposé complet des moyens et arguments des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites reprises oralement à l'audience.

Motifs de la décision

Il résulte des dispositions de l'article L. 8221-6 I du Code du travail que les personnes physiques immatriculées au registre des agents commerciaux sont présumés ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation.

Le contrat conclu entre les parties à la date du 2 février 2006 vise les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce et l'article 1er de la loi du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants.

En l'espèce, il est établi que Monsieur Miscat, peu de temps après la signature du contrat d'agent commercial conclu avec la société Euroservices Courtage, s'est immatriculé au registre spécial des agents commerciaux tenu au greffe du Tribunal de commerce de Narbonne.

La présomption de non-salariat prévue par les dispositions sus visées du Code du travail trouve donc à s'appliquer en l'espèce; s'agissant d'une présomption simple, il appartient à Monsieur Miscat de la renverser, en rapportant la preuve de l'existence d'un lien de subordination dans ses rapports avec la société Euroservices Courtage, lien de subordination se caractérisant par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, étant rappelé que l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à la convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle et que le travail au sein d'un sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

En premier lieu, il est constant comme admis par les deux parties que la société dispose d'une agence à Canet en Roussillon où se trouve son siège social, d'une agence à Saint-Cyprien et d'une agence à Gruissan.

Les pièces produites aux débats, notamment les courriers électroniques adressés par le gérant de la société à Monsieur Miscat établissent que ce dernier exerçait son activité au sein de l'agence de Gruissan où la société disposait de locaux qu'elle avait meublés et équipés en matériel informatique et téléphonique; que dans un courrier électronique du (mercredi), 22 octobre 2008, le gérant de la société indique à Monsieur Miscat qu'il sera à Gruissan jeudi, passera toute la journée au bureau et demande à l'intéressé de s'organiser pour avoir le bureau à sa disposition; qu'il est produit par ailleurs diverses attestations qu'il n'y a pas lieu d'écarter, émanant de plusieurs commerçants exploitant à proximité immédiate de l'agence de Gruissan selon lesquelles Monsieur Miscat était présent tous les jours au sein de l'agence ; ces attestations ne sont pas utilement contredites par celles produites par la société Euroservices Courtage, lesquelles sont peu précises et émanent de personnes effectuant des déplacements occasionnels sur Gruissan.

En second lieu, alors que le contrat conclu le 2 février 2006 stipulait en son article 3 que "l'agent commercial pourra conclure des contrat de ventes de bateaux d'occasion sans limite géographique", il est établi que la société Euroservices Courtage, fixait les zones géographiques d'intervention pour les différentes agences; ainsi, par courrier électronique en date du 21 février 2008, le gérant de la société a écrit : "à compter de ce jour le 21 février 2008, les zones géographiques sont les suivantes:

Saint-Cyprien : St-Cyprien, Argelès, Port Vendres, Espagne ou autre zone

Canet : Cante en Roussillon, Barcares, Port leucate, Espagne ou autre zone

Gruissan : Gruissan, Narbonnne, canal du midi, Serignan, Cap d'Agde, Espagne ou autre zone.

... chacun doit respecter sa zone".

Par ailleurs, il est justifié que Monsieur Miscat et sa collègue de l'agence de St-Cyprien devaient participer à des réunions de travail, avec "présence indispensable", ainsi qu'il en ressort de plusieurs courriers électroniques envoyés par le gérant de la société fixant la date, l'heure, le lieu (siège de la société) et l'ordre du jour de ces réunions.

En outre, il est établi que la société pouvait modifier le taux de commission prévu à l'article 9 de la convention conclue le 2 février 2006, ainsi qu'il en ressort d'un courrier électronique du gérant en date du 22 octobre 2008 et d'un avenant daté du 24 avril 2007.

Il est également démontré que le gérant donnait des ordres et des directives concernant notamment les conditions de validation des bateaux mis en vente sur Internet et de signature des compromis de vente (courriels des 27 novembre 2008, 6 mars et 16 avril 2009) ou de mise en vitrine des agences (attestation de Laure Gasc), le gérant indiquant lui même dans un courrier électronique du 3 février 2009 que c'était lui qui prenait les décisions et était en charge de les faire appliquer; que Monsieur Miscat devait rendre des comptes à l'occasion des réunions de travail ou lors de la venue du gérant à l'agence de Gruissan.

Enfin, il est établi que la société a exercé un pouvoir de sanction à l'égard de Monsieur Miscat en ne permettant plus à ce dernier d'accéder au site Internet de la société ce que cette dernière ne conteste pas véritablement, indiquant dans ces écritures (notamment de première instance) que les modifications demandées à son informaticien font suite au fait qu'elle ne pouvait obtenir aucun élément fiable de la part de Monsieur Miscat quant à la signature des compromis et que ce dernier s'affranchissait des règles en la matière; le fait que le constat d'huissier produit par Monsieur Miscat ne soit pas contradictoire ne saurait justifier qu'il soit écarté des débats; par ailleurs, le fait que le constat ait été établi sur du matériel de l'entreprise sans autorisation de la société ne peut être retenu dans la mesure où ce matériel avait été mis à la disposition de Monsieur Miscat et que le constat a été établi alors que la relation de travail entre les parties n'avait pas été rompue.

Par suite, il résulte de l'ensemble de ces éléments, l'existence d'un lien de subordination, caractérisant un contrat de travail, ce que le premier juge a justement retenu, de sorte que le jugement déféré sera confirmé.

Les dépens de la présente instance seront mis à la charge de la société Euroservices Courtage sans qu'il y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit Hervé Miscat lié à la SARL Euroservices Courtage par un contrat de travail, et s'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant les parties dans le cadre leur relation de travail, Renvoie la cause et les parties devant le Conseil de prud'hommes de Narbonne pour qu'il soit statué au fond, Dit n'y avoir lieu dans le cadre de la présence instance à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Euroservices Courtage aux dépens de la présente instance sur contredit.