CA Grenoble, ch. com., 21 juillet 2011, n° 09-01884
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Transports Fatton (SA)
Défendeur :
Sodimas (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Muller
Conseillers :
Mmes Combes, Pages
Avoués :
Selarl Dauphin & Mihajlovic, SCP Pougnand
Avocats :
Mes Deygas, Perrachon, Barthélémy
La société Sodimas, spécialisée dans l'ingénierie, a confié habituellement et depuis plus de 20 ans le transport de ses marchandises à la société Fatton.
Après des discussions entamées au début de l'année 2003, la société Sodimas a confirmé à son transporteur l'arrêt de ses relations commerciales par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 décembre 2003.
Après cessation effective de toute activité de transport pour le compte de la société Sodimas, la société Fatton a mis cette dernière en demeure de lui payer la somme de 767 272,26 euro à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture, puis l'a assignée en paiement de cette somme, portée à hauteur de la somme de 940 983,27 euro en cours d'instance.
Par jugement du 15 février 2006 le Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère, a débouté la société de transports Fatton de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Sodimas la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Fatton a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 28 novembre 2007, la Cour d'appel de Grenoble a infirmé ce jugement et dit que la SA Sodimas a rompu brutalement sans préavis la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la SA transports Fatton, a fixé à une année la durée du préavis dont la SA Transports Fatton a été privée et, avant dire droit sur la demande indemnitaire, a invité la SA Transports Fatton à produire aux débats et à communiquer ses comptes annuels (bilans, comptes de résultat) au titre des exercices 2001, 2002, 2003 et 2004 et a ordonné la réouverture des débats à cette fin.
Par arrêt du 18 décembre 2008 la Cour d'appel de Grenoble a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer de la société Sodimas sur la fixation du préjudice et a ordonné la réouverture des débats afin de permettre à la société Sodimas de présenter ses observations sur le préjudice tel que chiffré par la société Fatton.
Par arrêt du 7 avril 2009, la Cour de cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 28 novembre 2007 et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Grenoble autrement composée.
Vu les conclusions signifiées le 2 juillet 2010 par la société Fatton, laquelle demande à la cour de réformer le jugement entrepris, de dire et juger que la société Sodimas a fautivement rompu les relations contractuelles établies avec la société Fatton depuis 25 ans, en ne respectant pas de délai de préavis raisonnable porté à la connaissance du cocontractant et notifiée par écrit, de condamner en conséquence la société Sodimas à lui verser la somme en principal de 631 796,95 euro outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 avril 2004 et la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. La société Sodimas sollicite en outre la capitalisation des intérêts à chaque date anniversaire de leur point de départ.
Vu les conclusions signifiées le 28 avril 2010 par la société Sodimas, laquelle demande à la cour de constater qu'elle a respecté un délai de prévenance suffisant dans la rupture des relations commerciales avec la société Fatton, en conséquence, de confirmer la décision entreprise et, y ajoutant, de condamner la société Fatton à lui payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Motifs
Les différents courriers échangés entre la société Fatton et SA Sodimas, les factures établies par la société Fatton, les comptes de cette dernière, de nombreuses attestations de chauffeurs de cette société de transport produites aux débats démontrent, nonobstant l'absence de contrat écrit, l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, et ce depuis le début de l'année 1977, ce qui n'est au demeurant pas contesté par la SA Sodimas.
Il n'est pas davantage contestable que la rupture des relations commerciales est intervenue à l'initiative de la société Sodimas, alors qu'elle indique elle-même qu'elle souhaitait "réorganiser son entreprise", et sans qu'elle puisse invoquer a posteriori l'augmentation "importante" des tarifs de la société Fatton, alors qu'elle n'a émis aucune protestation lorsque la société Fatton a augmenté ses tarifs en début d'année 2003 et qu'elle a réglé les factures éditées au nouveau tarif sans en discuter le principe ou le montant.
Si chaque partie dispose de la faculté de mettre fin à cette relation commerciale, elle doit respecter à cette fin un délai de préavis dont la durée doit s'apprécier en fonction de l'ancienneté de la relation commerciale et l'effectuer par écrit.
En l'espèce, les parties se sont rencontrées le 11 avril 2003, réunion au cours de laquelle la société Sodimas a évoqué "la possibilité de créer une structure transports ayant pour objectif d'assurer les besoins de Sodimas dans ce domaine".
Les parties se sont à nouveau rencontrées le 6 mai 2003 et, rappelant le contenu des entretiens rappelés ci-dessus, la société Fatton a écrit le 12 mai 2003 qu'il était "clair qu'à l'issue de notre rendez-vous, il n'y avait plus la moindre ambiguïté sur la réalisation de vos projets, qui sont selon vos dires, validés à plus de 70 % et qui devraient l'être à 100 % d'ici un mois".
Le 24 juin 2003, la société Fatton a adressé un courriel à un responsable de la société Sodimas, l'interrogeant sur "le devenir de la collaboration entre Fatton et Sodimas".
Le 25 juin 2003 la société Sodimas répondait, "également par courriel, dans les termes suivants" : " "Monsieur, je vous confirme l'avancement de notre projet de création de société de transport qui doit être opérationnelle pour le mois de décembre" ; nous montons actuellement le dossier de financement mais d'ores et déjà la viabilité du projet est confirmée".
Il se déduit de cette réponse que la société Sodimas avait dépassé le stade du simple projet et qu'elle confirmait ainsi sans ambiguïté, dès le 25 juin 2003, la rupture définitive et irrévocable de la relation commerciale pour le mois de décembre suivant, rupture confirmée par courrier du 24 décembre 2003, ce que la société Fatton ne pouvait ignorer compte tenu des discussions qu'elle avait entretenues précédemment avec la société Sodimas.
Compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale (25 ans), de l'importance du chiffre d'affaires généré par ce client, et à défaut pour la société Sodimas de faire état d'un accord interprofessionnel fixant la durée du préavis d'usage, il convient de considérer qu'il était dû à la société Fatton un délai de prévenance d'une année, qui était seul de nature à permettre la reconstitution du chiffre d'affaires perdu.
Il convient dès lors de retenir que le délai de préavis de six mois (entre le 25 juin 2003 et 24 décembre 2003) n'était pas suffisant et qu'il convient d'indemniser la société Fatton de la perte de marge brute pendant le temps de préavis dont elle avait été injustement privée, soit pour une durée de six mois.
La société Fatton produit une attestation comptable relative à la marge brute annuelle moyenne des prestations de transport réalisées au profit de la société Sodimas pour les années 2001, 2002 et 2003, données qui ne sont pas contestées par la société Sodimas.
Il convient par voie de conséquence alors que la marge brute annuelle moyenne sur les trois années est de 631 796,95 euro de condamner la société Sodimas au paiement de la somme de 315 898 euro outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision compte tenu de la nature de l'indemnisation.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Fatton partie des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer et il convient de lui allouer à ce titre la somme de 3 000 euro.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère en date du 15 février 2006. Statuant à nouveau, Condamne la SA Sodimas à payer à la SA Transports Fatton la somme de 315 898 euro à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision. Ordonne la capitalisation des intérêts. Condamne la SA Sodimas à payer à la SA Transports Fatton la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SA Sodimas aux entiers dépens de première instance et des deux procédures en appel et autorise la Selarl Dauphin et Mihajlovic à les recouvrer directement.