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Décisions

TUE, 4e ch., 15 septembre 2011, n° T-216/06

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lucite International Ltd, Lucite International UK Ltd

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Forwood

Juges :

Mme Labucka (rapporteur), M. O'Higgins

Avocats :

MM. Thompson, QC, Rose, Chandler

TUE n° T-216/06

15 septembre 2011

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

Antécédents du litige

1. Par décision C (2006) 2098 final de la Commission, du 31 mai 2006, relative à une procédure d'application de l'article 81 CE et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/F/38.645 - Méthacrylates) (ci-après la " décision attaquée "), la Commission a notamment constaté qu'un certain nombre d'entreprises avaient enfreint l'article 81 CE et l'article 53 de l'accord sur l'Espace économique européen en participant, au cours de diverses périodes comprises entre le 23 janvier 1997 et le 12 septembre 2002, à un ensemble d'accords et de pratiques concertées anticoncurrentiels dans le secteur des méthacrylates, couvrant l'ensemble du territoire de l'EEE (article 1er de la décision attaquée).

2. Selon la décision attaquée, il s'agissait d'une infraction unique et continue, portant sur les trois produits de polyméthacrylate de méthyle (PMMA) suivants : les composants de moulage, les plaques massives et les plaques sanitaires. L'infraction a consisté en des discussions sur les prix ainsi qu'en la conclusion, la mise en œuvre et la surveillance d'accords sur les prix prévoyant soit des augmentations, soit, à tout le moins, une stabilisation du niveau de prix existant, en l'examen de la répercussion du coût des services supplémentaires sur les acheteurs, en l'échange d'informations commercialement importantes et confidentielles sur les marchés et/ou les entreprises, de même qu'en la participation à des réunions régulières et d'autres contacts destinés à faciliter l'infraction (article 1er et considérants 1 à 3 de la décision attaquée).

3. La décision attaquée a été adressée à Degussa AG, à Röhm GmbH & Co. KG et à Para-Chemie GmbH (ci-après dénommées ensemble " Degussa "), à Total SA, à Elf Aquitaine SA, à Arkema SA (anciennement Atofina SA), à Altuglas International SA et à Altumax Europe SAS (ci-après dénommées ensemble " Atofina "), à Quinn Barlo Ltd, à Quinn Plastics NV et à Quinn Plastics GmbH (ci-après dénommées ensemble " Barlo "), à ICI plc, ainsi qu'aux requérantes.

4. La première requérante, Lucite International, anciennement (jusqu'en avril 2002) Ineos Acrylics Ltd, est la société holding et faîtière d'un groupe d'une trentaine de producteurs de produits acryliques dans le monde. La seconde requérante, Lucite International UK Ltd, anciennement Ineos Acrylics UK Trader Ltd, est une filiale à 100 % de Lucite International et le principal producteur de méthacrylates au sein du groupe dirigé par cette dernière (considérants 32 à 34 de la décision attaquée) (ci-après, prises ensemble, les " requérantes " ou " Lucite ").

5. L'enquête qui a abouti à l'adoption de la décision attaquée a été engagée à la suite de l'introduction par Degussa, le 20 décembre 2002, d'une demande d'immunité au titre de la communication de la Commission du 19 février 2002 sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 45, p. 3, ci-après la " communication sur la coopération ").

6. Les 25 et 26 mars 2003, la Commission a procédé à des inspections dans les locaux d'Atofina, de Barlo, de Degussa et de Lucite.

7. Le 11 juillet 2003, Lucite a présenté une demande d'immunité ou de réduction du montant de l'amende au titre de la communication sur la coopération (considérant 66 de la décision attaquée).

8. Le 17 août 2005, la Commission a adopté une communication des griefs relative à une infraction dans le secteur des méthacrylates et l'a adressée, notamment, aux requérantes (considérant 85 de la décision attaquée).

9. La réponse des requérantes à la communication des griefs est datée du 2 novembre 2005.

10. Une audition s'est tenue les 15 et 16 décembre 2005, et les requérantes y ont assisté (considérant 87 de la décision attaquée).

11. Le 31 mai 2006, la Commission a adopté la décision attaquée.

12. L'article 1er, sous j) et k), de la décision attaquée dispose que les requérantes ont participé à l'infraction décrite au point 1 ci-dessus, du 2 novembre 1999 au 12 septembre 2002.

13. L'article 2, sous d), de la décision attaquée inflige aux requérantes une amende de 25,025 millions d'euro, dont elles sont tenues solidairement responsables.

14. En ce qui concerne le début de la période infractionnelle de Lucite, il s'agit, selon la décision attaquée, de la date du transfert de propriété de l'unité commerciale ICI Acrylics, qui a été rachetée par le groupe Lucite à ICI. ICI Acrylics était responsable, au sein du groupe ICI, de la production et de la vente des produits à base de PMMA, et a participé directement à l'infraction en cause à partir du 23 janvier 1997. La Commission retient donc la date du 2 novembre 1999 pour partager les responsabilités entre ICI et Lucite (considérants 28, 34, 291, 292 et 296 de la décision attaquée).

15. En ce qui concerne le calcul de l'amende, en premier lieu, la Commission a examiné la gravité de l'infraction et constaté, d'abord, que, au vu de la nature de l'infraction et du fait qu'elle couvrait l'ensemble du territoire de l'EEE, il s'agissait d'une infraction très grave au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les " lignes directrices ") (considérants 319 à 331 de la décision attaquée). Ensuite, la Commission a appliqué un traitement différencié aux entreprises participant à l'infraction, plaçant Lucite, eu égard à son chiffre d'affaires dans l'EEE pour les trois produits en PMMA, dans la deuxième catégorie. Sur cette base, elle a retenu, à son égard, un montant de départ de 32,5 millions d'euro (considérants 332 à 336 de la décision attaquée).

16. En deuxième lieu, la Commission a examiné la durée de l'infraction et a constaté que Lucite avait participé à l'infraction pendant deux ans et dix mois. Elle a indiqué, toutefois, que, puisque les preuves apportées par Lucite lui avaient permis de prouver que l'infraction avait eu une durée plus longue que celle qu'elle avait établie avant sa contribution (il s'agit de la période allant du 1er mars 2001 au 12 septembre 2002), ces éléments ne seraient pas pris en compte lors de la détermination du montant de l'amende, conformément au point 23 de la communication sur la coopération. Ainsi, le montant de départ de l'amende infligée à Lucite a-t-il été augmenté de 10 % (au lieu de 25), le montant de base s'élevant donc à 35,75 millions d'euro (considérants 351 à 354 et 422, et note en bas de page n° 236 de la décision attaquée).

17. En troisième lieu, la Commission n'a retenu aucune circonstance aggravante ni atténuante à l'égard de Lucite (considérants 355 à 397 de la décision attaquée).

18. En quatrième et dernier lieu, la Commission a procédé à l'application de la communication sur la coopération et a décidé, en application du point 23, sous b), deuxième tiret, de celle-ci, de réduire de 30 % le montant de l'amende qui, à défaut, aurait été infligée à Lucite (considérants 411 à 413 de la décision attaquée). Ainsi, le montant final de l'amende a-t-il été fixé à 25,025 millions d'euro.

Procédure et conclusions des parties

19. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 août 2006, les requérantes ont introduit le présent recours.

20. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, d'inviter les parties à répondre à certaines questions et à produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

21. Un membre de la chambre étant empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné, en application de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, un autre juge pour compléter la chambre.

22. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience du 7 juillet 2010.

23. La Commission a, pour sa part, formulé une nouvelle demande visant à ce que le Tribunal augmente le montant de l'amende infligée aux requérantes.

24. Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler l'article 2, sous d), de la décision attaquée, en ce que le montant de l'amende qui leur est infligée y est fixé à 25,025 millions d'euro, et réduire, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le montant de ladite amende à 18 268 750 euro ou à un montant inférieur que le Tribunal jugera approprié ;

- condamner la Commission aux dépens.

25. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme étant non fondé ;

- augmenter le montant de l'amende infligée aux requérantes ;

- condamner les requérantes aux dépens.

En droit

1. Sur la demande visant à l'annulation de l'article 2, sous d), de la décision attaquée et à la réduction, dans le cadre de la compétence de pleine juridiction du Tribunal, du montant de l'amende infligée en vertu de cette disposition

26. À l'appui de leur demande, les requérantes soulèvent un moyen unique, dans le cadre duquel elles font valoir que l'amende qui leur a été infligée est trop élevée, du fait de l'absence de prise en compte par la Commission des circonstances particulières relatives à Lucite, constitutive d'une violation de l'obligation de motivation, d'une violation des lignes directrices et d'une violation des principes de protection de la confiance légitime et d'égalité de traitement. Par conséquent, les requérantes demandent une réduction de cette amende d'au moins 25 %.

27. Les requérantes admettent qu'elles sont responsables des actes qui ont été effectués au nom de Lucite International UK Ltd par d'anciens employés d'ICI qui ont continué à participer à des discussions anticoncurrentielles après la cession effective d'ICI Acrylics, le 2 novembre 1999, et ce jusqu'au 12 septembre 2002. Elles soutiennent, toutefois, que leur situation a été particulière compte tenu du fait, en substance, que, par l'achat de l'unité commerciale ICI Acrylics, le 2 novembre 1999, Lucite aurait " hérité d'une entente secrète ", à laquelle cette entité avait participé depuis le 23 janvier 1997, et qu'elle aurait mis en place une stratégie commerciale contraire à la raison d'être de l'entente, qui aurait joué un rôle décisif dans le démantèlement de celle-ci.

28. Ainsi, elles estiment que, dans la détermination du montant de l'amende, la Commission aurait dû tenir compte des circonstances suivantes :

- l'absence d'implication, dans l'entente, des actionnaires, de la direction ainsi que des employés nouvellement recrutés au plus haut niveau, et le fait que la participation de Lucite à l'infraction avait été limitée à la participation d'anciens employés d'ICI au niveau de l'unité commerciale ou à un niveau moindre ;

- le fait que la politique commerciale mise en œuvre par Lucite après l'acquisition de l'activité acrylique d'ICI avait été déterminante dans le démantèlement de l'entente et, donc, que le rôle de Lucite était nettement différent de celui des principaux participants à l'entente, c'est-à-dire Atofina, Degussa et ICI.

29. Selon les requérantes, en application des lignes directrices, ces circonstances étaient pertinentes pour la détermination du montant de départ de l'amende (première branche du moyen). Faute de leur prise en considération à ce stade, elles auraient dû, à tout le moins, être prises en considération au moment de l'appréciation des circonstances atténuantes applicables à Lucite (seconde branche du moyen).

Sur la première branche du moyen unique, concernant la détermination du montant de départ de l'amende

Arguments des parties

30. Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte, dans la détermination du montant de départ de l'amende, et notamment dans l'application du traitement différencié (considérants 332 à 336 de la décision attaquée), des circonstances invoquées dans la réponse à la communication des griefs, visées, en substance, au point 28 ci-dessus.

31. En premier lieu, les requérantes font valoir que l'omission de tenir compte de ces éléments, en ce qui concerne le montant de départ de l'amende, constitue un défaut de motivation entachant la décision attaquée.

32. En deuxième lieu, cette omission constituerait une violation des lignes directrices.

33. À cet égard, les requérantes soulignent que la Commission doit se conformer aux termes de ses propres lignes directrices en fixant le montant des amendes. Or, d'une part, les lignes directrices auraient prévu qu'à l'intérieur de chacune des trois catégories d'infractions (peu graves, graves, très graves), l'échelle des sanctions retenues permettrait de différencier le traitement qu'il convient d'appliquer aux entreprises selon la " nature des infractions commises ". D'autre part, les lignes directrices disposeraient que, " [d]ans le cas d'infractions impliquant plusieurs entreprises (type 'cartel'), il pourra[it] convenir de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l'intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence ".

34. En l'espèce, la Commission aurait réparti les participants à l'entente en différentes catégories en se fondant uniquement sur leur chiffre d'affaires, sauf dans le cas de Barlo, qui aurait bénéficié d'une réduction de 25 % du montant de départ de l'amende en raison de la connaissance limitée qu'elle avait du mécanisme global de ladite entente.

35. La décision attaquée serait donc erronée au motif que la Commission y aurait omis d'examiner la " nature de l'infraction commise ", le " rôle joué " ou le " poids spécifique, et donc [...] l'impact réel, du comportement infractionnel " dans l'examen de la gravité de l'infraction commise par Lucite ou bien au motif qu'elle n'aurait attaché aucune importance aux facteurs identifiés par Lucite.

36. Par ailleurs, les requérantes rejettent les arguments de la Commission selon lesquels les circonstances qu'elles invoquent pouvaient seulement être pris en compte au stade de l'appréciation des circonstances atténuantes. En effet, ces circonstances, et notamment les arguments relatifs à l'affaiblissement de l'entente du fait de la concurrence agressive par les prix, concerneraient directement l'impact réel du comportement infractionnel de Lucite, pertinent lors de la détermination du montant de départ de l'amende.

37. En tout état de cause, les requérantes considèrent que, même si la Commission n'était pas juridiquement tenue de prendre en compte les facteurs relatifs à la situation individuelle d'une entreprise au stade de la détermination du montant de départ, elle était clairement en droit de le faire. Elles relèvent, en effet, que la Commission a tenu compte de facteurs individuels pour la détermination du montant de départ de l'amende de Barlo, en lui appliquant 25 % de réduction (considérants 335 et 336 de la décision attaquée).

38. Enfin, la communication des griefs aurait retenu la même approche en indiquant, au point 311, que, " [l]orsqu'une sanction d[eva]it être déterminée, la Commission tiendra[it] pleinement compte du rôle joué par chacun des participants et de la taille du marché pour le produit spécifique concerné " et, au point 392, que, pour déterminer l'amende qui devait être infligée à chacune des entreprises, la Commission tiendrait compte notamment " [d]u rôle joué par chacune des entreprises tel que décrit dans le rappel des faits contenu dans la présente communication des griefs ".

39. En troisième lieu, l'omission de tenir compte des éléments susvisés lors de la détermination du montant de départ de l'amende constituerait une violation des principes de protection de la confiance légitime et d'égalité de traitement. Cette violation découle, selon les requérantes, de la violation des lignes directrices ainsi que des termes de la communication des griefs, qui indiquait que la Commission tiendrait compte des rôles spécifiques joués par chacune des entreprises dans la fixation du niveau de l'amende. En outre, la Commission aurait violé ces principes en n'adoptant pas, vis-à-vis des facteurs invoqués par Lucite, une position semblable à celle qu'elle avait adoptée à l'égard de Barlo.

40. La Commission conteste l'argumentation des requérantes.

Appréciation du Tribunal

41. Tout d'abord, il convient d'écarter les arguments des requérantes tirés du libellé de la communication des griefs, dans la mesure où ils sont fondés sur une lecture erronée de celle-ci.

42. En effet, les points 311 et 392 de la communication des griefs énoncent que, dans le cadre de la détermination du montant de l'amende à imposer à chaque entreprise, la Commission tiendra compte du rôle joué par chacun des participants. Toutefois, ils n'indiquent aucunement que cette prise en compte doit être effectuée spécifiquement au stade de la détermination du montant de départ de l'amende, qui constitue l'objet de la présente branche du moyen unique des requérantes.

43. Ensuite, il y a lieu d'examiner le grief tiré de la violation des lignes directrices.

44. Le point 1 A des lignes directrices, invoqué par les requérantes, est consacré à l'appréciation de la gravité de l'infraction. Il prévoit ce qui suit :

" L'évaluation du caractère de gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné.

Les infractions seront ainsi classées en trois catégories permettant de distinguer les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves.

[...]

À l'intérieur de chacune de ces catégories, et notamment pour les catégories dites graves et très graves, l'échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu'il convient d'appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises.

Il sera en outre nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

De manière générale, il pourra également être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps de connaissances et des infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence.

Dans le cas d'infractions impliquant plusieurs entreprises (type 'cartel'), il pourra convenir de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l'intérieur de chacune des trois catégories retenues ci-dessus afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature.

Ainsi le principe d'égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l'exigent, à l'application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différenciation n'obéisse à un calcul arithmétique. "

45. À cet égard, il convient de rappeler que la méthodologie que les lignes directrices exposent pour la détermination du montant de l'amende obéit au schéma qui repose sur la fixation d'un montant de base, en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, auquel s'appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes.

46. En outre, il ressort de la jurisprudence que, dans le cadre de l'application des lignes directrices, il y a lieu de distinguer entre l'appréciation de la gravité de l'infraction, qui sert à déterminer le niveau de départ de l'amende, d'une part, et l'appréciation de la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune des entreprises concernées, qui doit être examinée dans le cadre de l'éventuelle application de circonstances aggravantes ou atténuantes, d'autre part (arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, T-73-04, Rec. p. II-2661, point 100 ; voir également, en ce sens, arrêts du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T-220-00, Rec. p. II-2473, point 189, et du 30 avril 2009, CD-Contact Data/Commission, T-18/03, Rec. p. II-1021, point 95).

47. En particulier, dans le contexte de la détermination du montant de départ de l'amende, la Commission n'est pas tenue d'apprécier les effets du comportement propre aux requérantes. En effet, il est de jurisprudence constante que les effets à prendre en considération pour fixer le niveau général des amendes ne sont pas ceux résultant du comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise, mais ceux résultant de l'ensemble de l'infraction à laquelle elle a participé (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 153, et du 12 novembre 2009, Carbone-Lorraine/Commission, C-554-08 P, non encore publié au Recueil, points 21 et 24).

48. En l'espèce, les requérantes ne contestent pas la gravité de l'infraction, en tant que telle, à laquelle elles ont participé avec d'autres entreprises, ni le fait que cette infraction leur est pleinement imputable. En revanche, les circonstances qu'elles invoquent à l'appui de leur demande de réduction de l'amende ont toutes trait aux caractéristiques de leur propre comportement.

49. Or, il ressort de ce qui précède que, dans le cadre de l'application des lignes directrices, de tels éléments sont à prendre en compte, le cas échéant, au stade de l'appréciation des circonstances aggravantes et atténuantes (points 2 et 3 des lignes directrices), afin de moduler le niveau du montant de base de l'amende déterminé notamment en fonction de la gravité de l'infraction à laquelle elles ont participé.

50. Cette conclusion n'est pas remise en cause par les arguments tirés du libellé du point 1 A des lignes directrices.

51. Certes, comme les requérantes le soutiennent, le sixième alinéa de ce point prévoit la possibilité de différenciation des montants de départ à appliquer aux entreprises impliquées dans la même infraction " afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature ".

52. Toutefois, outre le fait que cette disposition n'énonce pas une règle impérative (" il pourra convenir de pondérer, dans certains cas "), il convient de constater qu'elle concerne la prise en considération non pas du comportement propre à chacune des entreprises participant à une infraction donnée, mais des différences objectives qui peuvent exister entre elles, telles que, notamment, une disparité considérable de leur dimension.

53. En effet, le fait que les lignes directrices mentionnent, parmi les circonstances aggravantes, le rôle de meneur ou d'incitateur, ou les mesures de rétorsion sur d'autres entreprises et, parmi les circonstances atténuantes, le rôle exclusivement passif ou suiviste dans la réalisation de l'infraction, l'absence d'application effective des accords ou pratiques infractionnelles, ou les infractions commises par négligence, témoigne de ce que le comportement infractionnel de chaque entreprise est à apprécier, le cas échéant, à ce stade (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T-38-02, Rec. p. II-4407, point 383).

54. Par ailleurs, en l'espèce, c'est en tenant compte d'une telle différence objective, à savoir du poids relatif de chaque entreprise en fonction de son chiffre d'affaires concernant la vente de produits en PMMA en 2000, que la Commission a appliqué un traitement différencié aux entreprises concernées, en plaçant Lucite dans la deuxième catégorie (considérants 333, 334 et 336 de la décision attaquée).

55. L'argument tiré du libellé du point 1 A, troisième aliéna, des lignes directrices, selon lequel, " [à] l'intérieur de chacune de ces [trois] catégories, et notamment pour les catégories dites graves et très graves, l'échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu'il convient d'appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises ", doit également être rejeté. En effet, la notion de " nature de l'infraction " doit nécessairement avoir la même signification que celle employée au premier alinéa du même point des lignes directrices. Par conséquent, dans l'hypothèse d'une infraction impliquant plusieurs entreprises, il ne s'agit pas de la nature du comportement infractionnel propre à chacune desdites entreprises, mais de la nature de l'infraction dans son ensemble. Ainsi, cette disposition concerne simplement une différenciation des niveaux de sanctions entre différentes infractions appartenant à la même catégorie.

56. Il convient donc de constater que, en omettant de tenir compte des circonstances invoquées par les requérantes en l'espèce lors de la détermination du montant de départ de l'amende, la Commission n'a pas méconnu les lignes directrices.

57. Par ailleurs, les requérantes ne peuvent utilement invoquer la réduction du montant de départ de l'amende accordée à Barlo, au motif qu'" il n'[était] pas évident de savoir si elle a[vait] pris ou non part à des contacts collusoires concernant les [...] composants de moulage ou les [...] plaques sanitaires " et qu'" il sembl[ait, par conséquent,] qu['elle] n'avait pas connaissance ou ne pouvait pas avoir eu nécessairement connaissance du projet global d'arrangements anticoncurrentiels " (considérant 335 de la décision attaquée).

58. D'une part, sans qu'il soit nécessaire d'analyser ce traitement au regard des dispositions des lignes directrices, Barlo ayant intenté son propre recours à l'égard de la décision attaquée (affaire T-208-06), il suffit de rappeler que le traitement réservé aux requérantes est compatible avec la méthodologie qu'énoncent lesdites lignes directrices, ainsi qu'il résulte de ce qui précède.

59. D'autre part, s'agissant du grief tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement, il convient de rappeler que le principe d'égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 11 septembre 2007, Lindorfer/Conseil, C-227-04 P, Rec. p. I-6767, point 63, et la jurisprudence citée). Or, la situation des requérantes n'est manifestement pas comparable à celle qui a motivé la réduction du montant de départ accordée à Barlo au considérant 335 de la décision attaquée. En effet, les agissements anticoncurrentiels imputés aux requérantes, dont elles acceptent d'ailleurs la responsabilité (voir points 27 et 48 ci-dessus), portaient sur l'ensemble des produits concernés par l'infraction litigieuse.

60. De même, il convient de rejeter les griefs tirés, d'une part, d'une violation de l'obligation de motivation et, d'autre part, d'une violation du principe de protection de la confiance légitime.

61. D'une part, il y a lieu de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence constante que, en ce qui concerne la fixation d'amendes au titre de violations du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu'elle indique, dans sa décision, les éléments d'appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l'infraction commise, sans être tenue d'y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul du montant de l'amende (voir arrêt du Tribunal du 30 avril 2009, Itochu/Commission, T-12-03, Rec. p. II-883, point 147, et la jurisprudence citée). Par ailleurs, les lignes directrices contiennent des règles indicatives sur les éléments d'appréciation dont la Commission tient compte pour mesurer la gravité et la durée de l'infraction. Dans ces conditions, les exigences de la formalité substantielle que constitue l'obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d'appréciation dont elle a tenu compte en application de ses lignes directrices et qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l'infraction aux fins du calcul du montant de l'amende (voir arrêt du Tribunal du 28 avril 2010, Oxley Threads/Commission, T-448-05, non publié au Recueil, point 91, et la jurisprudence citée).

62. Ainsi qu'il ressort de ce qui précède, les facteurs invoqués par les requérantes ne sont pas pertinents pour la détermination du montant de départ de l'amende. Par conséquent, la circonstance que la Commission ne les ait pas analysés dans cette partie de la décision attaquée ne saurait constituer une quelconque violation de l'obligation de motivation. Par ailleurs, comme la Commission le soutient à juste titre, la décision attaquée expose tous les éléments pertinents, au regard des lignes directrices, pour apprécier la gravité de l'infraction (considérants 319 à 331) et explique, en particulier, comment l'importance relative des participants à l'infraction a été prise en compte dans le calcul de leur amende respective, conformément aux lignes directrices (considérants 332 à 336).

63. D'autre part, le grief concernant la violation du principe de protection de la confiance légitime repose entièrement sur la prémisse selon laquelle, lors de la détermination du montant de départ de l'amende à imposer aux requérantes, la Commission ne s'est pas conformée aux lignes directrices et au libellé de la communication des griefs. Or, il ressort de ce qui précède que cette prémisse est erronée.

64. Enfin, s'agissant de la demande visant à ce que le Tribunal réduise l'amende dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, pour les motifs indiqués aux points 47 et 48 ci-dessus ainsi qu'au point 88 ci-après, l'argumentation des requérantes sera examinée par la suite, dans le cadre de l'analyse des circonstances atténuantes.

65. Par conséquent, il convient de rejeter la première branche du moyen dans sa totalité.

Sur la seconde branche du moyen unique, concernant l'appréciation des circonstances atténuantes

Arguments des parties

66. Les requérantes considèrent que la décision attaquée est également irrégulière au motif que la Commission n'a pas tenu compte, dans son appréciation des circonstances atténuantes (considérants 372 à 396 de la décision attaquée), des arguments soulevés par Lucite dans sa réponse à la communication des griefs, repris, en substance, au point 28 ci-dessus. Cette omission constituerait, premièrement, un défaut de motivation en ce qui concerne les circonstances atténuantes, deuxièmement, une violation des lignes directrices et, troisièmement, une violation des principes de protection de la confiance légitime et d'égalité de traitement.

67. En premier lieu, elles relèvent que les raisons pour lesquelles les actionnaires et la direction générale de Lucite n'ont jamais eu connaissance des activités anticoncurrentielles en question ont été exposées en détail dans la réponse à la communication des griefs. Les requérantes soutiennent, en outre, qu'il ressort clairement des termes de la communication des griefs que les employés de Lucite impliqués dans l'entente étaient tous des cadres moyens d'ICI, qui avaient participé à des activités illégales bien avant la cession de l'activité à Lucite et dont la participation à ces activités devenait de plus en plus difficile au fur et à mesure que la stratégie commerciale de Lucite s'imposait.

68. En second lieu, les requérantes indiquent qu'elles ont spécifiquement attiré l'attention de la Commission sur les arguments liés au rôle de leur stratégie commerciale dans le démantèlement de l'entente, dans la réponse à la communication des griefs et lors de l'audition.

69. Cette stratégie aurait consisté, en substance, en l'expansion des capacités de production et l'utilisation maximale de ces capacités, pour pouvoir être le producteur aux coûts unitaires les plus bas et conquérir ainsi des parts de marché. Son introduction aurait mené à une politique agressive de prix et à une augmentation des ventes ainsi que de la part de marché de Lucite. Une telle stratégie aurait donc été clairement incompatible avec le fait de s'entendre avec ses concurrents pour restreindre la production ou la concurrence sur les prix.

70. Les requérantes indiquent que les éléments de preuve figurant au dossier confirment que Lucite a mis en œuvre avec succès cette stratégie, d'une manière qui a été reconnue par ses concurrents, et qu'elle a rendu la poursuite de l'entente impossible.

71. Premièrement, les requérantes s'appuient sur la déposition d'Atofina, faite dans le cadre de sa demande d'immunité ou de réduction du montant de l'amende, qui aurait indiqué que, au début de l'année 2000, lorsque Lucite (agissant sous le nom d'Ineos) a repris l'activité acrylique d'ICI, l'entente pour l'ensemble du marché des plaques en PMMA a " volé en éclats ".

72. Par ailleurs, elles relèvent que l'entente est restée complètement inactive pendant plus d'un an, entre le 19 juillet 2001 et le 12 août 2002, dès lors que ni la communication des griefs ni la décision attaquée n'ont invoqué d'activités anticoncurrentielles pendant cette période.

73. Deuxièmement, les requérantes invoquent certains passages de la communication des griefs, qui auraient reconnu l'impact de la stratégie commerciale de Lucite sur l'entente. Ainsi, au point 273 de la communication des griefs, relatif à une réunion s'étant tenue au mois de septembre 2000, la Commission aurait reconnu que Degussa et Atofina avaient ressenti les effets de la stratégie commerciale (politique de prix agressive) adoptée par Lucite à compter de l'année 2000. De même, plusieurs points de la communication des griefs feraient référence à des plaintes de Degussa et d'Atofina, fondées sur des documents de l'époque, relatives aux difficultés que leur causait la politique agressive de prix menée par Lucite sur le marché des plaques sanitaires et des plaques massives en PMMA.

74. Troisièmement, les requérantes s'appuient sur l'intervention des représentants d'Atofina lors de l'audition, qui aurait confirmé l'effet de la stratégie commerciale de Lucite sur le niveau de prix du marché. En outre, les requérantes relèvent que, lors de l'audition, la Commission a elle-même fait référence au fait que Lucite prenait du volume sur le marché avec une politique de prix reposant sur des marges plus faibles.

75. À leur avis, si la Commission avait tenu correctement compte des facteurs qu'elles ont invoqués, elle leur aurait appliqué une réduction de l'amende, dès lors qu'elles démontrent l'effet significatif qu'a eu le comportement de Lucite dans le démantèlement de l'entente.

76. Par ailleurs, les requérantes soulignent que la Commission ne peut valablement contester l'exactitude des éléments factuels exposés ci-dessus, comme elle semblerait le faire par l'emploi de l'adverbe " prétendument " dans le mémoire en défense. Elles font valoir que ces faits sont étayés par des témoignages sous serment non récusés, émanant de personnes ayant une connaissance directe des faits (en particulier la déclaration de M. L. figurant à l'annexe 2 de la réponse à la communication des griefs), qui n'ont pas été remis en cause par la Commission lors de la procédure administrative. Les requérantes soulignent que la charge de la preuve, dans les affaires de cartel, est supportée par la Commission et que celle-ci n'a pas le pouvoir discrétionnaire d'ignorer ou de rejeter un élément de preuve pertinent sans en évaluer au préalable la valeur ou le poids.

77. À cet égard, les requérantes rappellent qu'il ressort de la jurisprudence que le caractère adéquat d'une éventuelle réduction de l'amende au titre des circonstances atténuantes doit être apprécié d'un point de vue global, en tenant compte de l'ensemble des circonstances pertinentes. Selon les requérantes, une telle appréciation d'un point de vue global n'a pas été possible en l'espèce, car la Commission a totalement ignoré les facteurs exposés dans la deuxième partie de la requête lors de sa prise de décision. Dans ces conditions, les arguments de la Commission fondés sur son pouvoir discrétionnaire de mesurer l'importance qui doit être accordée aux circonstances atténuantes particulières seraient inopérants.

78. Interrogées, lors de l'audience, sur la question de savoir quelle était la catégorie de circonstances atténuantes qu'elles entendaient invoquer, parmi celles mentionnées au point 3 des lignes directrices, les requérantes ont indiqué que la catégorie la plus pertinente serait celle relative à l'absence d'application effective des accords ou pratiques infractionnelles, visée au deuxième tiret de cette disposition. Néanmoins, elles ont insisté sur le caractère inhabituel de leur argumentation, étant donné qu'elle se fonderait sur un comportement positif visant à démanteler le cartel, allant au-delà de la simple non-application de l'entente.

79. Par ailleurs, dans leurs écritures, les requérantes ont également rappelé que les lignes directrices prévoient la catégorie " autres ". Quant à la thèse de la Commission, selon laquelle cette catégorie serait destinée à couvrir des situations très limitées et spécifiques, telles que celle dans laquelle une entreprise connaît de très graves difficultés financières, les requérantes soutiennent qu'elle n'est pas étayée. En tout état de cause, selon les requérantes, ces facteurs sont vraiment exceptionnels et auraient donc dû être pris en compte par la Commission.

80. Enfin, contrairement à ce que la Commission affirme, il n'y aurait aucune contradiction entre, d'une part, l'aveu de Lucite portant sur le fait que ses employés ont continué à participer à des discussions anticoncurrentielles entre le 2 novembre 1999 et le 12 septembre 2002 et, d'autre part, les arguments relatifs au fait que Lucite a perturbé les activités de l'entente pendant une partie de cette période et l'affirmation selon laquelle l'entente est demeurée inactive entre le mois de juillet 2001 et le mois d'août 2002.

81. La Commission conteste cette argumentation.

82. Elle considère que les arguments des requérantes sont dénués de pertinence pour l'appréciation des circonstances atténuantes. Par conséquent, la question de l'exactitude des faits allégués par les requérantes serait également dénuée de pertinence pour la présente affaire.

83. S'agissant de l'affirmation des requérantes selon laquelle elles ont sapé les activités de l'entente, la Commission fait valoir qu'il ressort de la jurisprudence que, même s'il était vrai que les requérantes n'aient pas respecté, en tout ou en partie, les accords conclus au sein de l'entente, la Commission ne serait pas obligée d'en tenir compte en tant que circonstance atténuante aux fins du calcul de l'amende.

84. En tout état de cause, la Commission avance que, selon la jurisprudence, la prise en considération de l'absence d'application, en pratique, des accords conclus au sein de l'entente comme circonstance atténuante n'est justifiée que si l'entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu'elle s'est clairement et de manière considérable opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d'avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci, et qu'elle n'a pas adhéré à l'accord en apparence et, de ce fait, incité d'autres entreprises à mettre en œuvre l'entente en cause. Or, en l'espèce, les requérantes n'auraient prouvé l'existence d'aucune de ces conditions.

85. La Commission souligne également que, conformément à la jurisprudence, elle n'est pas tenue de répondre aux arguments qui ne sont pas fondés et qui ne sont donc pas pertinents. Elle considère qu'elle a correctement tenu compte de toutes les circonstances atténuantes possibles dans la présente affaire et renvoie, à cet égard, aux considérants 383 et 393 de la décision attaquée, qui examinent la cessation précoce de l'infraction et la coopération de Lucite en dehors de la communication sur la coopération.

86. Enfin, la Commission conteste avoir enfreint les principes de protection de la confiance légitime et d'égalité de traitement. Elle affirme avoir appliqué les dispositions du point 3 (Circonstances atténuantes) des lignes directrices de la même manière à tous les participants à l'entente, tout en prenant en considération leurs arguments respectifs.

Appréciation du Tribunal

87. À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d'examiner la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune d'entre elles (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 47 supra, point 150, et la jurisprudence citée), afin de déterminer s'il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes (arrêt du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, point 46 supra, point 190).

88. Cette conclusion constitue la conséquence logique du principe d'individualité des peines et des sanctions en vertu duquel une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en vertu des règles communautaires de concurrence (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T-224-00, Rec. p. II-2597, point 261).

89. Les points 2 et 3 des lignes directrices prévoient une modulation du montant de base de l'amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes, lesquelles sont propres à chaque entreprise concernée. En particulier, le point 3 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances atténuantes, une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent amener à une diminution du montant de base de l'amende. Ainsi est-il fait référence au rôle passif d'une entreprise, à la non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles, à la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, à l'existence d'un doute raisonnable de l'entreprise sur le caractère infractionnel du comportement poursuivi, au fait que l'infraction a été commise par négligence ainsi qu'à la collaboration effective de l'entreprise à la procédure en dehors du champ d'application de la communication sur la coopération.

90. Or, il est de jurisprudence constante que, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu'elle compte appliquer dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu'il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu'elle s'est imposées (voir arrêt du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, point 46 supra, point 192, et la jurisprudence citée).

91. Pour autant, l'autolimitation du pouvoir d'appréciation de la Commission résultant de l'adoption des lignes directrices n'est pas incompatible avec le maintien à son profit d'une marge d'appréciation substantielle. Les lignes directrices contiennent en effet différents éléments de flexibilité, qui permettent à la Commission d'exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les dispositions du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1)], telles qu'interprétées par la Cour (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 mai 2009, Wieland-Werke/Commission, T-116-04, Rec. p. II-1087, point 31, et du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T-161-05, Rec. p. II-3555, point 129).

92. Ainsi, en l'absence d'indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes pouvant être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge pour apprécier de manière globale l'importance d'une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes.

93. Toutefois, comme les requérantes le soulèvent, cette reconnaissance de la marge d'appréciation dont bénéficie la Commission ne saurait signifier qu'elle est en droit d'ignorer purement et simplement des circonstances pertinentes pour l'appréciation de la gravité relative de la participation de l'entreprise concernée à l'infraction, et notamment celles qui sont prévues par les lignes directrices (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 88 supra, points 266 et 267, et du 15 mars 2006, Daiichi Pharmaceutical/Commission, T-26-02, Rec. p. II-713, points 104 à 106). En revanche, elle signifie que l'octroi d'une diminution du montant de base de l'amende n'est pas automatique, parce qu'il est nécessairement lié aux circonstances de l'espèce, qui peuvent amener la Commission à ne pas l'accorder à une entreprise partie à un accord illicite (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C-511-06 P, Rec. p. I-5843, points 102 à 104).

94. C'est dans le cadre de ces considérations qu'il convient d'examiner les arguments invoqués par les requérantes.

- Sur les arguments tirés de l'absence d'implication de la direction dans l'entente et du fait que la participation de Lucite à l'infraction était limitée à la participation d'anciens employés d'ICI au niveau de l'unité commerciale

95. Tout d'abord, il convient de rappeler que l'application de l'article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003, qui autorise la Commission à infliger aux entreprises et aux associations d'entreprises des amendes lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles ont commis des infractions aux règles de la concurrence, ne suppose pas une action ou même une connaissance des associés ou des gérants principaux de l'entreprise concernée, mais l'action d'une personne qui est autorisée à agir pour le compte de l'entreprise (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, point 97).

96. En l'espèce, les requérantes admettent explicitement qu'elles sont " responsables des actes [anticoncurrentiels en question] qui ont été effectués au nom de Lucite [International] UK par d'anciens employés d'ICI [...] entre le 2 novembre 1999 et le 12 septembre 2002 ". Elles considèrent néanmoins que l'absence d'implication dans l'entente des actionnaires, de la direction et du personnel nouvellement recruté devrait être prise en compte lors de la détermination du montant de l'amende.

97. Force est toutefois de constater que les requérantes n'indiquent pas en quoi ces éléments seraient, en tant que tels, de nature à atténuer la gravité de l'infraction commise par Lucite, déterminée aux considérants 319 à 336 de la décision attaquée, qui a justifié l'imposition du montant de base de l'amende. Dans la mesure où l'argumentation des requérantes repose, en réalité, sur l'incidence de ces éléments sur le comportement adopté par Lucite sur le marché, lui-même constituant une circonstance atténuante, il convient de renvoyer à l'analyse des arguments relatifs à ce comportement (voir points 107 et suivants ci-après).

98. ar ailleurs, il y a lieu de souligner que, ainsi qu'il ressort de la réponse à la communication des griefs, l'argument relatif à l'absence d'implication de la direction de Lucite dans l'activité anticoncurrentielle concerne principalement des personnes qui avaient déjà occupé des postes de direction au sein d'ICI Acrylics, avant son acquisition par Lucite. En particulier, le directeur général d'ICI Acrylics, M. D., a été maintenu dans ses fonctions par Lucite, et ce pendant toute la période infractionnelle. Il a été remplacé en 2003 par M. L., qui occupait auparavant le poste de directeur des finances et de la planification stratégique d'ICI Acylics, et qui a également été maintenu dans ses fonctions par Lucite. Par conséquent, il ne s'agit pas, en réalité, d'un argument propre à la " situation particulière " de Lucite ni au fait que celle-ci aurait " hérité d'une entente secrète " conclue par une autre entreprise.

99. De plus, même si la Commission n'a pas allégué qu'il y avait eu implication de l'échelon directorial de l'activité acrylique dans l'entente, il n'en reste pas moins que les personnes participant aux réunions anticoncurrentielles avaient des responsabilités importantes au sein de Lucite, ainsi qu'il ressort de la réponse à la communication des griefs.

100. En tout état de cause, il convient de souligner que l'argumentation des requérantes repose, en substance, sur l'identité et les fonctions des personnes mentionnées dans la décision attaquée en tant que participants, au nom de Lucite, à des réunions anticoncurrentielles. Or, le fait qu'il s'agisse seulement de " cadres moyens employés antérieurement par ICI " ne saurait constituer une circonstance atténuante pertinente dans le cadre de la détermination du niveau de l'amende.

101. Il en est de même s'agissant des allégations relatives à l'absence de connaissance des activités anticoncurrentielles de Lucite par ses propriétaires et sa direction, à supposer qu'elles puissent être établies. Par ailleurs, ces allégations sont uniquement fondées sur les déclarations des personnes intéressées et sur le fait que la Commission n'a pas allégué le contraire dans la décision attaquée. Cependant, il ne saurait être soutenu que, à défaut d'établir la connaissance de l'infraction par les dirigeants ou propriétaires d'une entreprise, la Commission est tenue d'octroyer une réduction de l'amende infligée à cette entreprise. Par conséquent, le fait qu'elle n'a pas cherché à remettre en cause la déclaration de M. L. (voir point 76 ci-dessus) n'est pas pertinent pour fixer le niveau de l'amende.

102. Il s'ensuit que la Commission n'a pas violé les lignes directrices en ne retenant pas les arguments des requérantes en tant que circonstance atténuante. D'une part, ces arguments ne relèvent d'aucune des circonstances expressément prévues au point 3 des lignes directrices. D'autre part, ainsi qu'il ressort de ce qui précède, ces arguments ne sauraient non plus conduire à la conclusion que la situation de Lucite relevait de la catégorie " autres ", visée au point 3, septième tiret, des lignes directrices.

103. Il en résulte également que le fait que la Commission n'ait pas abordé ces arguments de manière explicite dans la décision attaquée n'est pas constitutif d'une violation de l'obligation de motivation. Dès lors qu'il s'agissait d'arguments qui n'étaient pas pertinents pour l'appréciation des circonstances atténuantes, la Commission n'était pas tenue de leur apporter une réponse, ni même de les aborder dans sa décision. En effet, il ressort de la jurisprudence qu'il n'est pas exigé, en vertu de l'article 253 CE, que la Commission discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé au cours de la procédure administrative (arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, 240-82 à 242-82, 261-82, 262-82, 268-82 et 269-82, Rec. p. 3831, point 88, et arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Atochem/Commission, T-3-89, Rec. p. II-1177, point 222).

104. De même, il convient de rejeter les griefs concernant une violation des principes de protection de la confiance légitime et d'égalité de traitement, qui se déduisent simplement de celui tiré de la violation des lignes directrices. En particulier, les requérantes n'expliquent pas en quoi, en n'ayant pas retenu les arguments en question en tant que circonstance atténuante, la Commission aurait violé le principe d'égalité de traitement.

105. Enfin, pour les motifs indiqués aux points 97 à 101 ci-dessus, les arguments tirés de l'absence d'implication de la direction dans l'entente et du fait que la participation de Lucite à l'infraction était limitée à la participation d'anciens employés d'ICI au niveau de l'unité commerciale ne sauraient, non plus, être pris en compte aux fins de la réduction de l'amende dans le cadre de l'exercice du pourvoir de pleine juridiction du Tribunal.

106. Partant, ces arguments doivent être rejetés.

- Sur l'argumentation tirée de ce que la stratégie commerciale adoptée par Lucite à la suite du rachat de l'activité acrylique d'ICI était en contradiction directe avec les discussions anticoncurrentielles et s'est avérée déterminante dans le démantèlement de l'entente.

107. Tout d'abord, il convient de rappeler que, dans la réponse à la communication des griefs, les requérantes ont soutenu que, dans la mesure où cet élément ne serait pas pris en compte lors de la détermination du montant de départ de l'amende, l'impact de leur politique commerciale sur l'entente devrait être pris en compte en tant que circonstance atténuante afin de réduire le montant de l'amende qui devait leur être infligée. Si elles n'y ont pas indiqué la catégorie des circonstances atténuantes dont elles souhaitaient bénéficier, parmi celles mentionnées au point 3 des lignes directrices, elles ont néanmoins développé l'argumentation relative à leur politique commerciale de manière très explicite et celle-ci y occupe une place importante.

108. Comme cela a été exposé aux points 45 à 56 ci-dessus, l'argumentation en question n'était pas pertinente aux fins de la détermination du montant de départ de l'amende. Cependant, cette même conclusion ne vaut pas pour l'appréciation des circonstances atténuantes.

109. À cet égard, il convient de rappeler notamment que, selon la jurisprudence, aux fins de l'octroi du bénéfice de la circonstance atténuante relative à la " non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles ", visé au point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, il convient de vérifier si les circonstances avancées par l'entreprise concernée sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s'est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ou, à tout le moins, qu'elle a clairement et de manière considérable enfreint les obligations visant à mettre en œuvre cette entente, au point d'avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci (arrêts Daiichi Pharmaceutical/Commission, point 93 supra, point 113 ; du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, point 46 supra, point 196, et Oxley Threads/Commission, point 61 supra, point 111).

110. Force est donc de constater que l'argumentation des requérantes, qui consiste à dire que leur politique commerciale était en contradiction directe avec la coordination des prix entre concurrents et s'est avérée déterminante dans le démantèlement de l'entente, relève, en substance, de l'hypothèse visée par cette jurisprudence.

111. Ensuite, il convient de relever qu'il ressort de la décision attaquée que, aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application de la méthode exposée dans les lignes directrices et a examiné la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune des entreprises concernées.

112. À cet égard, le considérant 317 de la décision attaquée est explicite, puisqu'il y est précisé que " le rôle joué par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction [était] apprécié cas par cas " et que " la Commission d[eva]it tenir notamment compte, pour déterminer le montant des amendes, des éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes dans chaque cas ". Dans sa conclusion sur les circonstances aggravantes et atténuantes, au considérant 397 de la décision attaquée, la Commission a procédé, " [e]n raison des circonstances aggravantes et atténuantes retenues ", à des majorations et à une minoration du montant de base de l'amende, s'agissant des autres entreprises impliquées dans l'infraction. Dès lors que le nom de Lucite n'y est pas mentionné, cela signifie que, sur la base des résultats de son enquête et de la réponse des requérantes à la communication des griefs, la Commission a estimé que les requérantes ne pouvaient bénéficier d'aucune des circonstances atténuantes mentionnées au point 3 des lignes directrices, telles que, notamment, l'absence d'application effective des accords ou des pratiques infractionnelles.

113. Toutefois, ainsi que les requérantes le font valoir, la partie de la décision attaquée consacrée à l'appréciation des circonstances atténuantes (considérants 372 à 396) ne mentionne pas spécifiquement l'argumentation de Lucite. Tel est notamment le cas de l'appréciation de la Commission s'agissant de la catégorie " non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles " (considérants 375 à 381 de la décision attaquée) et " autres facteurs " (considérant 394 de la décision attaquée), qui vise pourtant de façon explicite les différents arguments soulevés par les autres entreprises concernées (Atofina, ICI et Barlo).

114. Certes, l'appréciation des arguments d'Atofina, de Barlo et d'ICI est parfois suffisamment générale pour qu'elle puisse être comprise comme visant également les arguments de Lucite.

115. Ainsi, au considérant 378 de la décision attaquée, la Commission affirme ce qui suit :

" Le fait qu'une entreprise qui a participé à une infraction ou à certaines de ses composantes avec ses concurrentes n'ait pas toujours calqué son comportement sur le marché sur celui [dont] elles [étaient] convenu[es] entre elles n'est pas nécessairement un élément à prendre en considération en tant que circonstance atténuante pour la fixation du montant de l'amende. En effet, une entreprise qui, malgré la concertation avec ses concurrents, poursuit une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit [...] Le simple fait d'avoir triché aux dépens des autres membres de l'entente ne saurait donc être admis comme circonstance atténuante. "

116. Au considérant 379 de la décision attaquée, la Commission énonce qu'" [i]l incomberait à chaque entreprise de démontrer qu'elle s'est abstenue de façon systématique et explicite d'appliquer les accords restrictifs [...] En l'espèce, aucune des entreprises n'a explicitement annoncé qu'elle s'abstiendrait d'appliquer les accords et adopterait donc un comportement véritablement concurrentiel, ni même produit de preuve concluante à cet effet ". De même, au considérant 380 de la décision attaquée, en réponse à un argument d'Atofina, la Commission affirme qu'aucun des éléments qu'elle a pris en compte dans le cadre de certaines décisions antérieures pour accorder une réduction de l'amende ne s'applique en l'espèce à Atofina ou " aux autres entreprises impliquées ".

117. Toutefois, aucune réponse spécifique n'est apportée à l'argument relatif au prétendu rôle joué par Lucite dans le démantèlement de l'entente, qui constitue pourtant son argument central. En particulier, il ne peut être déduit de la décision attaquée, avec certitude, si, comme les requérantes l'allèguent, la Commission a refusé d'accorder une quelconque pertinence à cet argument (voir points 82 et 83 ci-dessus et considérant 378 de la décision attaquée, repris au point 115 ci-dessus) ou bien si elle avait estimé, et pour quelles raisons, que les requérantes n'avaient pas produit de preuve concluante au soutien de leurs arguments (voir point 84 ci-dessus et considérant 379 de la décision attaquée, mentionné au point 116 ci-dessus).

118. Force est donc de constater que le libellé de la décision attaquée ne permet pas de comprendre, avec certitude, pour quels motifs l'argumentation des requérantes n'a pas été retenue au titre des circonstances atténuantes. Par conséquent, c'est à juste titre que les requérantes critiquent l'omission de la part de la Commission d'apporter des précisions sur ce point. Cependant, bien que cette omission soit regrettable, compte tenu notamment de l'importance de l'argumentation des requérantes dans l'économie de la réponse à la communication des griefs, elle ne permet pas d'affirmer, à elle seule, que la Commission a omis d'apprécier l'ensemble des circonstances atténuantes pertinentes ou que son appréciation a été erronée, comme les requérantes l'allèguent (voir point 66 ci-dessus). Par ailleurs, ainsi qu'il ressort des points 111 et 112 ci-dessus, le libellé de la décision attaquée permet néanmoins de comprendre l'appréciation globale de la Commission en ce qui concerne la gravité relative de leur participation à l'infraction. Par conséquent, l'omission susmentionnée ne saurait justifier, à elle seule, l'annulation de l'article 2, sous d), de la décision attaquée ni la réduction de l'amende sollicitée.

119. En effet, il reste encore à vérifier si la Commission a pu considérer, à bon droit, que les requérantes ne pouvaient bénéficier d'aucune circonstance atténuante, comme il ressort du considérant 397 de la décision attaquée (voir point 112 ci-dessus).

120. En outre, il est rappelé que le Tribunal dispose en l'espèce, en vertu de l'article 31 du règlement n° 1-2003, d'une compétence de pleine juridiction au sens de l'article 261 TFUE. Celle-ci l'habilite à réformer l'acte attaqué, même en l'absence d'annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de faits, afin de modifier, par exemple, le montant de l'amende infligée (arrêts de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238-99 P, C-244-99 P, C-245-99 P, C-247-99 P, C-250-99 P à C-252-99 P et C-254-99 P, Rec. p. I-8375, point 692, et du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C-534-07 P, Rec. p. I-7415, point 86). Par ailleurs, la marge d'appréciation de la Commission et les limites qu'elle y a apportées n'empêchent pas, en principe, l'exercice de cette compétence par le juge de l'Union (arrêts du Tribunal Wieland-Werke/Commission, point 91 supra, point 33, et du 6 mai 2009, Outokumpu et Luvata/Commission, T-122-04, Rec. p. II-1135, point 36).

121. Il convient de rappeler que, au soutien de la demande de réduction de l'amende, les requérantes s'appuient principalement, d'une part, sur certaines déclarations d'Atofina et, d'autre part, sur le libellé de plusieurs points de la communication des griefs.

122. Ainsi, d'une part, le témoignage de M. C., d'Atofina, déposé dans le cadre de la demande de celle-ci tendant à bénéficier de la communication sur la coopération, énonce ce qui suit :

" 'Tout va' bien jusqu'[au] début [de l'année] 2000 : Lucite [...] va alors attaquer le marché sanitaire (prend beaucoup de volumes et casse le marché). [Lucite] a cédé son activité plaques 'extrudées' à Barlo et vend seulement des plaques coulées. Elle perd ainsi des clients dans les plaques massives et doit donc vendre plus de plaques sanitaires pour maintenir ses volumes. L'entente pour l'ensemble des plaques a volé en éclats à ce moment-là. Ato a perdu des parts de marché au profit [de Lucite]. "

123. En outre, M. C. a indiqué, à propos d'une réunion intervenue en septembre 2000, que, à cette époque-là, Atofina et Degussa avaient souffert de la politique agressive de prix de Lucite et de la perte de clients conséquente qui en était résultée. Ainsi, Atofina aurait annoncé à Lucite qu'elle réagirait et baisserait ses propres prix afin de regagner les parts de marché. Selon M. C., c'est ce qui s'est passé en 2001 et Atofina a pu regagner certains clients. Cette réunion a été décrite au point 273 de la communication des griefs et Lucite a affirmé, dans sa réponse, qu'elle ne s'en souvenait pas. Elle n'a pas été reprise dans la décision attaquée.

124. Par ailleurs, les requérantes invoquent également l'intervention d'Atofina lors de l'audition, qui va aussi dans le même sens :

" Le graphique que vous voyez sur l'écran illustre l'évolution de la part de marché des différents producteurs d'articles sanitaires en PMMA. Il montre une variation sensible dans la position sur le marché des différents producteurs pendant la période étudiée, révélant le caractère concurrentiel de ce marché. Le tableau montre en particulier une concurrence féroce entre Arkema et Lucite : on voit aussi qu'à partir de 2000, Lucite a augmenté son avance sur Arkema en raison de la forte croissance de sa part de marché. "

125. D'autre part, s'agissant de plusieurs points de la communication des griefs (points 251, 274, 275 et 277) sur lesquels s'appuient les requérantes, leur contenu a été repris, en substance, par les considérants 173, 191, 192 et 194 de la décision attaquée.

126. Le considérant 191 de la décision attaquée (point 274 de la communication des griefs) concerne la réunion du 19 mars 2001 entre le représentant de Lucite, M. R. et le représentant de Degussa au sujet des plaques sanitaires en PMMA. Le représentant de Degussa " a mis en garde M. [R.] contre la politique de prix agressive poursuivie par Lucite " et lui a indiqué que Degussa allait devoir supprimer des postes, qu'elle détenait d'importants stocks de produits et que ses clients étaient en train de déstocker. Le représentant de Degussa a proposé à Lucite un certain nombre de solutions lui permettant de racheter son comportement. M. R. n'a pas accepté de mettre en œuvre ses propositions.

127. Le considérant 192 de la décision attaquée (point 275 de la communication des griefs) est relatif à une réunion du 8 mai 2001, entre Lucite et Atofina, au sujet des plaques sanitaires en PMMA. Au cours de cette réunion, le représentant d'Atofina s'est montré critique à l'égard de la stratégie de Lucite concernant un produit sanitaire simplifié, fabriqué à bas coût par Lucite, et des clients que Lucite avait pris à Atofina grâce à ses prix.

128. Le considérant 173 de la décision attaquée (point 251 de la communication des griefs) contient la description d'une réunion en date du 21 juin 2001, au cours de laquelle les discussions ont porté tant sur les plaques massives en PMMA que sur les plaques sanitaires en PMMA. Il énonce qu'il ressort des notes manuscrites prises par le représentant de Lucite, M. R., que les représentants de Degussa et d'Atofina avaient pris contact avec lui " pour le persuader que Lucite ne [devait] pas absorber de volume plus important sur le marché en raison de sa politique tarifaire caractérisée par des marges peu élevées ". Ils ont également évoqué, en ce qui concerne les plaques extrudées, un exemple des prix bas pratiqués pour un client donné pour illustrer la politique de prix agressive menée par Lucite. La note manuscrite contient également une mention " Ineos [devenu Lucite] à l'extérieur ", qui signifie, selon M. R., que les représentants de Degussa et d'Atofina pensaient que Lucite était en dehors du " club ", en raison de sa politique de prix agressive. Y figure également une mention " contrôler distributeurs ", qui est comprise par M. R. comme un encouragement adressé à Lucite pour que ses distributeurs cessent de proposer des prix peu élevés. En outre, cette note contenait des indications du volume qu'Atofina et Degussa auraient toutes deux reconnu avoir perdu au cours des quatre mois précédents et une mention qui signifierait qu'Atofina avait fermé en mai ses usines et envisageait de les fermer en juillet et en août. La fin de ce point indique que M. R. n'a pas approuvé de mesure précise, mais cherchait à calmer les préoccupations des représentants de Degussa et d'Atofina en déclarant qu'il n'était pas dans les intentions de Lucite d'être perçue comme un acteur agressif sur le marché.

129. Le considérant 194 de la décision attaquée (point 277 de la communication des griefs) concerne une réunion du 19 juillet 2001, s'étant tenue entre M. R. (Lucite) et un représentant de Degussa. Il y est indiqué que Lucite a fait l'objet de pressions pour qu'elle mette fin à sa politique tarifaire agressive sur le marché, qui portait préjudice à un fabricant indépendant de plaques coulées, lequel avait des relations étroites avec Degussa.

130. Il ressort de ces considérants que, lors des réunions qui se sont tenues les 19 mars, 8 mai, 21 juin et 19 juillet 2001, les concurrents de Lucite - Degussa et Atofina - se sont plaints d'une politique agressive de prix pratiquée par celle-ci. Ces plaintes ont un caractère concret, dans la mesure où ces entreprises évoquent les volumes qu'elles auraient perdus en raison de la politique de prix de Lucite, fournissent des exemples et proposent des mesures concrètes qu'elles souhaitaient voir mises en œuvre par Lucite afin de corriger son comportement (voir, en particulier, considérants 173 et 191 de la décision attaquée).

131. En outre, le libellé de ces considérants donne quelques idées de l'ampleur du " dommage " causé aux concurrents par la politique de prix de Lucite. Ainsi, selon le considérant 173 de la décision attaquée, la référence manuscrite " 1000 chacune au cours des quatre derniers mois " est une indication du volume qu'Atofina et Degussa ont toutes deux perdu au cours des quatre mois précédant la réunion du 21 juin 2001. Ce considérant indique également qu'Atofina avait dû fermer des usines au mois de mai et envisageait des fermetures en juillet/août. En outre, le considérant 191 de la décision attaquée fait état des solutions proposées à Lucite pour lui permettre de " racheter son comportement " et, notamment, d'une proposition de Degussa que " Lucite compense l'augmentation de sa part de marché en rachetant le contrat de revente de 400 tonnes à ParaChimie ".

132. Ainsi, le contenu de ces considérants corrobore les déclarations d'Atofina quant au comportement adopté par Lucite sur le marché. Toutefois, l'importance éventuelle de ce comportement aux fins de l'octroi d'une réduction du montant de base de l'amende doit être appréciée au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et, notamment, de la participation globale de Lucite à l'entente (voir point 93 ci-dessus).

133. À cet égard, il est rappelé que, selon la décision attaquée, Lucite a participé, du 2 novembre 1999 au 12 septembre 2002, à une infraction unique et continue, couvrant l'ensemble du territoire de l'EEE, et portant sur trois produits en PMMA : les composants de moulage, les plaques massives et les plaques sanitaires. L'infraction a consisté en des discussions sur les prix ainsi qu'en la conclusion, en la mise en œuvre et en la surveillance d'accords sur les prix prévoyant soit des augmentations, soit, à tout le moins, une stabilisation du niveau de prix existant, en l'examen de la répercussion du coût des services supplémentaires sur les acheteurs, en l'échange d'informations commercialement importantes et confidentielles sur les marchés et/ou les entreprises, de même qu'en la participation à des réunions régulières et d'autres contacts destinés à faciliter l'infraction (article 1er et considérants 1 à 3 de la décision attaquée). Par ailleurs, les requérantes ne nient pas l'étendue de leur responsabilité concernant l'entente.

134. En premier lieu, il convient de relever que les arguments des requérantes concernent seulement le volet de l'infraction portant sur la mise en œuvre des accords sur les prix. En particulier, elles n'allèguent même pas ne pas avoir appliqué le volet de l'infraction relatif à l'échange d'informations commercialement importantes et confidentielles sur les marchés et/ou les entreprises concernées.

135. Par ailleurs, la décision attaquée fournit de nombreux exemples de tels échanges impliquant Lucite, et ce jusqu'au 12 septembre 2002 (voir, par exemple, considérants 127, 128, 132, 167, 172, 188 et 196). La note en bas de page n° 37, relative au considérant 106 de la décision attaquée, indique même que " Lucite [...] pense que [les] discussions [entre Atofina, Degussa et Lucite] se sont poursuivies jusqu['au] début [de l'année] 2003 ".

136. En outre, même le libellé des considérants invoqués par les requérantes démontre que son comportement était ambigu. Ainsi, la fin du considérant 191 de la décision attaquée indique que, lors de la réunion du 19 mars 2001, le représentant de Lucite, M. R., a transmis des renseignements en matière de volume et de prix au représentant de Degussa et qu'il a pris note des détails fournis concernant les clients, car il s'agissait d'informations utiles. Le considérant 173 de la décision attaquée, relatif à la réunion du 21 juin 2001, indique que Lucite ne voulait pas être perçue comme un acteur agressif sur le marché. Selon le considérant 194 de la décision attaquée, relatif à la réunion du 19 juillet 2001, au sujet des plaques sanitaires, " les besoins de Lucite en volume ont été divulgués et les prix d'achat négociés ".

137. Il apparaît donc que, même lorsque Lucite était critiquée pour la violation de l'accord sur les prix, elle participait néanmoins aux discussions sur les prix et appliquait bien le volet de l'accord concernant l'échange d'informations commercialement importantes.

138. En deuxième lieu, il ressort du dossier que Lucite ne s'est pas complètement abstenue de l'application du volet de l'entente concernant la fixation des prix.

139. En effet, ainsi que la Commission l'a fait remarquer dans le mémoire en défense, sans être contredite par les requérantes, la décision attaquée fournit des exemples de hausses de prix effectivement mises en œuvre par Lucite au cours du second semestre de l'année 2000. Ainsi, les considérants 168 et 189 de la décision attaquée font état d'annonces de hausses de prix des plaques massives et des plaques sanitaires, lors de la réunion du 21 août 2000. Dans ce contexte, la note en bas de page n° 151 fait mention d'une lettre de Lucite du 23 octobre 2000, annonçant à un client une hausse de prix de 6 % à compter du 1er janvier 2001 (plaques sanitaires). Le considérant 169 de la décision attaquée fait état d'annonces de hausses de prix faites par Lucite au cours de la 38e semaine de l'année 2000 (plaques massives).

140. Dans ce contexte, il y a lieu de souligner également que la première réunion visée dans la décision attaquée, qui fait état des critiques des concurrentes à l'égard de la politique de prix de Lucite, a eu lieu le 19 mars 2001 (considérant 191 de la décision attaquée). Or, les représentants de Lucite étaient également présents à plusieurs réunions s'étant tenues entre le 7 décembre 1999 et le 9 février 2001, s'agissant de tous les produits concernés (voir, en suivant l'ordre chronologique, considérants 188, 127, 128, 167, 129, 133, 168, 189, 130, 132 et 172 de la décision attaquée). De même, postérieurement à la dernière des réunions invoquées par les requérantes (celle du 19 juillet 2001, visée au considérant 194), la décision attaquée fait état des réunions du 12 août 2002 (considérant 195, s'agissant des plaques sanitaires) et du 12 septembre 2002 (considérants 134 et 196, s'agissant des composants de moulage et des plaques sanitaires), qui évoquent les hausses de prix décidées par Lucite.

141. En troisième lieu, les éléments avancés par les requérantes ne permettent pas de constater que la politique commerciale alléguée ait été appliquée à l'égard de tous les produits concernés. En effet, les éléments concrets avancés par les requérantes concernent seulement les plaques sanitaires en PMMA.

142. Interrogées sur cette question par le Tribunal, les requérantes ont affirmé que leur stratégie commerciale avait été appliquée spécifiquement aux composants de moulage en PMMA et aux plaques sanitaires en PMMA, dont la production demeurait sous le contrôle de Lucite. En ce qui concerne les plaques massives en PMMA, la capacité de production s'y rapportant aurait été vendue à Barlo à compter du 6 décembre 1999. Par conséquent, si les requérantes continuaient à offrir ce produit, en s'approvisionnant auprès de Barlo, elles n'étaient pas en mesure d'appliquer leur stratégie de production à ce produit.

143. Il convient toutefois de souligner que les déclarations d'Atofina évoquent seulement le marché sanitaire. De même, les réunions au cours desquelles des critiques ont été exprimées à l'égard de la politique de prix de Lucite (voir point 130 ci-dessus) concernaient toutes les plaques sanitaires en PMMA, à la seule exception de la réunion visée au considérant 173 de la décision attaquée, qui concernait également les plaques massives en PMMA.

144. La même conclusion s'impose au vu des documents fournis par les requérantes en réponse aux questions écrites du Tribunal.

145. Ainsi, dans la réponse de Degussa à la communication des griefs, il est, certes, affirmé que " Lucite comme market leader et Atofina comme deuxième fabricant le plus important menaient une sérieuse guerre des prix en 2001 " et que, " [a]u cours des premiers mois de 2001, en fait, Degussa a perdu des quantités considérables de livraisons en Europe au bénéfice de ses deux concurrents Lucite et Atofina ". Cependant, ces affirmations concernent seulement les plaques sanitaires en PMMA. Par ailleurs, Degussa affirme explicitement que " [l]a politique agressive de prix pratiquée prétendument par Lucite et les gains prétendus réalisés par Ineos seraient davantage applicables aux plaques pour application de produits sanitaires que pour les plaques massives ".

146. En outre, dans leur réponse à la demande de renseignements de la Commission du 28 août 2003, les requérantes ont produit des graphiques visant à démontrer la relation entre les coûts dans l'obtention du méthacrylate de méthyle (matière première pour le PMMA) et les " prix moyens obtenus par Lucite sur le marché " en Europe pour les produits en PMMA concernés. Or, seul le graphique concernant les plaques sanitaires en PMMA permet de constater une nette tendance de baisse de prix pendant la période considérée, tant en termes absolus que par rapport aux coûts dans l'obtention du méthacrylate de méthyle. Force est donc de constater que même les graphiques réalisés par les requérantes elles-mêmes, à partir de leurs propres données quant aux prix pratiqués, ne permettent pas d'étayer leurs affirmations en ce qui concerne leur politique commerciale s'agissant des autres produits en PMMA.

147. Par ailleurs, les autres éléments avancés par les requérantes ne sont pas non plus déterminants.

148. Premièrement, pour étayer leurs affirmations quant au succès de leur stratégie commerciale, les requérantes ont renvoyé aux tableaux reprenant les volumes et les parts de marchés pour les trois produits concernés, figurant dans la réponse à la communication des griefs. Cependant, étant donné que ces tableaux comparent les années 1998, 2000 et 2002, ils ne permettent pas d'apprécier l'impact de la politique commerciale adoptée à la suite de l'acquisition d'ICI Acrylics, le 2 novembre 1999.

149. En réponse à une question écrite du Tribunal, les requérantes ont produit des tableaux plus détaillés, qui avaient été fournis à la Commission le 8 mars 2006 et donc postérieurement au dépôt de la réponse à la communication des griefs. Ces tableaux contiennent leurs " meilleures estimations " quant à l'évolution annuelle des parts de marchés des entreprises concernées entre 1998 et 2002, s'agissant des trois produits concernés.

150. Toutefois, ces estimations pourraient tout au plus étayer les allégations des requérantes en ce qui concerne les plaques sanitaires en PMMA. En effet, s'agissant de ce produit, il est possible d'observer une augmentation constante des volumes de vente et de la part de marché de Lucite pendant la période allant de 1999 à 2002. En revanche, s'agissant des plaques massives en PMMA, tant les volumes de vente que la part de marché ont baissé pendant cette période.

151. S'agissant des composants de moulage en PMMA, le volume de vente a, certes, augmenté substantiellement entre 1999 et 2000. Toutefois, cette augmentation est due, pour la plus grande partie, au rachat d'une facilité de production à Barlo, ainsi que les requérantes l'admettent elles-mêmes. Par ailleurs, il ressort du dossier qu'elle ne s'est pas accompagnée de prix moins élevés. En effet, le graphique produit par Lucite en réponse à la demande de renseignements de la Commission du 28 août 2003 montre une augmentation des prix facturés par Lucite pour ce produit à partir du quatrième trimestre de l'année 1999, et ce pendant toute l'année 2000. En outre, aucune tendance claire ne peut être décelée s'agissant du reste de la période considérée (2000 à 2002).

152. Par ailleurs, il convient de souligner qu'il ressort de ces estimations que les autres entreprises concernées ont également connu des évolutions semblables de leurs volumes de vente et de leurs parts de marché. À titre d'exemple, pendant la période allant de 2000 à 2002, Degussa aurait connu une augmentation de sa part de marché concernant les plaques sanitaires en PMMA comparable à celle de Lucite.

153. Deuxièmement, dans la demande d'immunité ou de réduction du montant de l'amende et dans la réponse à la communication des griefs, les requérantes ont fourni une description de la stratégie commerciale de Lucite. Toutefois, cette description ne saurait avoir, à elle seule, un caractère probant.

154. Par ailleurs, elle n'est pas suffisamment étayée par l'extrait d'une présentation effectuée en octobre 1999, qui évoque la stratégie proposée pour Ineos Acrylics. Outre le fait qu'il s'agit d'une simple copie, qui n'est ni datée ni signée, ce document pourrait attester, tout au plus, des intentions de Lucite avant l'acquisition effective d'ICI Acrylics, qui ne préjugeraient en rien le comportement effectif adopté ensuite sur le marché. Il en est de même s'agissant des affirmations selon lesquelles, en 2000, les requérantes ont augmenté substantiellement la capacité de production de deux de leurs usines. Même à les supposer avérées, elles ne seraient pas déterminantes s'il n'est pas établi que cet élément s'est traduit par un comportement donné sur le marché.

155. Troisièmement, les requérantes s'appuient sur le témoignage de M. L., en date du 2 novembre 2005, annexé à la réponse à la communication des griefs. Toutefois, ce témoignage ne contient pas beaucoup d'éléments qui pourraient étayer les affirmations des requérantes quant à leur comportement sur le marché. En tout état de cause, M. L. est le directeur général de Lucite International. Par conséquent, ce témoignage ne pourrait être accueilli que s'il était corroboré par des éléments documentaires objectifs émanant du dossier (voir, en ce sens, arrêt du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, point 46 supra, point 205).

156. Par ailleurs, M. L., qui, il faut le rappeler, est un ancien employé d'ICI (voir point 98 ci-dessus), affirme que les principes de la nouvelle stratégie commerciale " s'inscrivaient dans la continuité de la pensée précédente, mais étaient appliqués plus rapidement, plus clairement et soutenus au moyen d'un investissement financier ". Or, cette constatation est loin d'attester un changement radical de la stratégie commerciale d'ICI Acrylics après son acquisition par Lucite, contrairement à ce que les requérantes suggèrent.

157. Quatrièmement, les requérantes s'appuient également sur une intervention de Lucite et l'intervention d'un fonctionnaire de la Commission lors de l'audition. Toutefois, ces interventions se limitent à évoquer les éléments analysés ci-dessus.

158. Compte tenu de l'ensemble des éléments analysés ci-dessus, il convient de conclure que les affirmations des requérantes selon lesquelles leur stratégie commerciale aurait été " mise en œuvre avec succès ", en menant à une " augmentation des ventes et de la part de marché de Lucite " (voir points 69 et 70 ci-dessus) et à une " politique agressive de prix ", concernent, en réalité, seulement les plaques sanitaires en PMMA.

159. Ce constat permet également de relativiser les allégations des requérantes quant au rôle qu'aurait joué cette stratégie dans le démantèlement de l'entente.

160. En effet, il ressort clairement du dossier que, parmi les trois produits concernés, les plaques sanitaires en PMMA constituent, de loin, le plus petit marché. Selon les données fournies par les requérantes dans la réponse à la communication des griefs, les plaques sanitaires en PMMA représentaient environ 11 % du total du volume commercial des trois produits en PMMA (voir considérant 6 de la décision attaquée). Par ailleurs, cette proportion reste d'ordre comparable lorsque la valeur de ces produits est prise en compte, ainsi que cela ressort des estimations produites par les requérantes en réponse à la demande de renseignements de la Commission du 17 février 2006.

161. Étant donné qu'il s'agissait du marché le plus petit, tout gain de volume par Lucite devait être davantage perceptible par ses concurrents, ce qui pourrait expliquer les critiques qu'ils ont soulevées à plusieurs reprises. Toutefois, l'impact d'une telle politique commerciale sur l'ensemble des produits en PMMA devait être assez limité. À titre d'exemple, les pertes de volume de Degussa et d'Atofina évoquées au considérant 173 de la décision attaquée ne sont pas significatives si elles sont comparées au volume total des trois produits en PMMA.

162. Par ailleurs, les pièces du dossier font également apparaître que, alors que Lucite était le leader sur le marché des plaques sanitaires en PMMA, sa position, s'agissant des deux autres produits, en termes de volume et de chiffre d'affaires généré, était au moins comparable.

163. En outre, certaines parties de la décision attaquée font également douter du bien-fondé des arguments de Lucite quant à son propre rôle dans le démantèlement de l'entente.

164. En effet, il ressort de la décision attaquée que, s'agissant des composants de moulage en PMMA, Degussa s'est plainte, à plusieurs reprises, du non-respect par Atofina des accords sur les hausses de prix convenues entre producteurs (voir considérants 123, 128, 129 et 133). Ainsi, la décision attaquée évoque un " conflit important " (considérant 133) et une " grave rupture de confiance " (considérant 129) entre Degussa et Atofina. De surcroît, aux termes du considérant 129 de la décision attaquée, concernant la réunion du 27 juin 2000, " Degussa [...] en a conclu que la poursuite des contacts entre concurrents n'avait aucun sens ".

165. De même, s'agissant des plaques massives en PMMA, selon la description de la réunion du 19 septembre 2000 qui est faite au considérant 170 de la décision attaquée, celle-ci avait pour objectif de " rétablir la confiance entre les participants afin qu'ils soient en mesure d'augmenter les prix ". Dès lors que Lucite n'a pas été présente à cette réunion, il est possible de supposer qu'il s'agissait du " rétablissement de la confiance " entre Degussa et Atofina.

166. Ainsi, il apparaît du dossier que, au cours de certaines périodes, l'entente dans son ensemble n'était pas pleinement efficace, les participants, y compris les requérantes, s'écartant des accords passés (voir point 152 ci-dessus), s'exposant ainsi aux critiques de leurs concurrents. Cela est d'ailleurs reconnu explicitement dans la décision attaquée (voir, par exemple, considérant 329). Cependant, il n'est pas établi que le comportement adopté par Lucite sur le marché ait été sensiblement différent de celui de ses concurrents et, notamment, que c'est ce comportement qui ait joué un rôle déterminant dans le démantèlement de l'entente, comme l'allèguent les requérantes.

167. Or, s'agissant d'une caractéristique propre au fonctionnement du cartel en tant que tel, elle ne saurait être prise en compte au titre des circonstances atténuantes, mais, tout au plus, dans le cadre de l'analyse de la gravité de l'infraction en tant que telle, laquelle, d'ailleurs, n'est pas contestée par les requérantes. À cet égard, il convient de souligner que, dans le cadre de la détermination du montant de départ de l'amende, la Commission a examiné des arguments ayant trait au caractère inefficace de l'entente (considérants 321 à 329 de la décision attaquée), y compris un argument tiré de la politique de prix offensive de Lucite (voir considérant 325 de la décision attaquée). En dépit de ces arguments, la Commission a estimé que l'infraction pouvait être qualifiée de très grave. Cependant, elle a également affirmé explicitement qu'elle ne se fondait " pas spécifiquement sur un impact particulier [de l'infraction sur le marché] " (considérant 321 de la décision attaquée), dans le cadre de la détermination du montant de l'amende.

168. Quant à l'affirmation selon laquelle l'entente aurait été complètement inactive entre le 19 juillet 2001 et le 12 août 2002, étant donné que ni la communication des griefs ni la décision attaquée n'avaient fait mention d'activités anticoncurrentielles pendant cette période, il y a lieu de souligner que les requérantes n'ont pas contesté la durée de l'infraction ni son caractère continu.

169. En outre, même à supposer qu'il n'y ait pas eu de réunions anticoncurrentielles pendant cette période, il s'agirait alors d'un élément propre à l'entente en tant que telle, et non au comportement individuel de Lucite, qui ne saurait donc être pris en compte pour l'appréciation des circonstances atténuantes. Du reste, si les requérantes entendaient affirmer que c'est en raison de leur stratégie commerciale qu'il n'y a pas eu de réunions anticoncurrentielles au cours de la période allant du 19 juillet 2001 au 12 août 2002, il ressort de ce qui précède que ce lien de causalité n'est pas établi.

170. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des éléments analysés ci-dessus, il y a lieu de constater que les requérantes n'ont pas établi que, malgré leur appartenance à l'entente pendant la période considérée, elles avaient adopté un comportement concurrentiel sur le marché, remplissant les conditions posées par la jurisprudence rappelée au point 109 ci-dessus, et méritaient ainsi une réduction du montant de base de l'amende.

171. À cet égard, il convient de souligner que la période concernée par l'absence d'application des accords (voir, en ce sens, arrêt du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, point 46 supra, point 204), la présence ou non d'éléments documentaires objectifs dans le dossier au soutien des allégations de l'entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, point 46 supra, point 205), le caractère ambigu du comportement d'une entreprise (arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259-02 à T-264-02 et T-271-02, Rec. p. II-5169, point 494) et, plus généralement, la mesure dans laquelle le comportement de l'entreprise concernée affecte l'application des accords, tant en substance qu'en durée (voir, en ce sens, arrêts Cheil Jedang/Commission, point 46 supra, point 199 ; Groupe Danone/Commission, point 53 supra, point 389, et Daiichi Pharmaceutical/Commission, point 93 supra, point 124), sont tous des facteurs qui sont pris en compte par le juge pour apprécier l'opportunité de l'octroi d'une réduction de l'amende au titre des circonstances atténuantes.

172. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir, d'une part, si, comme la Commission le soulève, le comportement des requérantes pouvait être qualifié de tentative d'utiliser l'entente à leur profit, rendant ainsi une réduction de l'amende inappropriée, ou, au contraire, d'autre part, si, comme le soutiennent les requérantes, il s'agissait en l'espèce de circonstances particulières, tenant notamment au fait qu'elles auraient " hérité " d'une entente " secrète ", allant même au-delà d'une " simple " non-application des accords.

173. De même, compte tenu de ce qui précède, l'argumentation des requérantes ne saurait non plus être retenue au titre de la catégorie " autres ".

174. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent, d'une part, que les requérantes n'ont pas établi que la Commission avait commis des erreurs dans l'appréciation des circonstances atténuantes et, d'autre part, qu'il n'y pas lieu de réformer l'amende qui leur a été infligée dans le cadre de l'exercice de la compétence de pleine juridiction du Tribunal.

175. Il s'ensuit que le moyen unique doit être rejeté dans sa totalité, de même que la demande visant à la réduction de l'amende.

2. Sur la demande de retrait de l'immunité accordée à Lucite à partir du 1er mars 2001

Arguments des parties

176. Lors de l'audience, la Commission a demandé au Tribunal de retirer, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, l'immunité accordée à Lucite à partir du 1er mars 2001. Cette demande serait motivée par des éléments nouveaux, à savoir les allégations formulées par les requérantes dans leur plaidoirie, selon lesquelles l'entente serait demeurée " dormante " entre le 19 juillet 2001 et le 12 août 2002. Ces allégations seraient incompatibles avec le fondement de cette immunité partielle. De l'avis de la Commission, le comportement des requérantes, qui traduit une stratégie visant à concilier des objectifs contradictoires, ne peut être considéré comme démontrant un véritable esprit de coopération de sa part.

177. Les requérantes considèrent que la demande de la Commission doit être rejetée.

178. Elles soutiennent qu'elles ont simplement attiré l'attention du Tribunal sur le fait que la décision attaquée ne mentionne aucune réunion anticoncurrentielle survenue au cours de la période allant du 19 juillet 2001 au 12 août 2002. À leur avis, cet argument ne devrait pas être interprété comme un retrait de leur coopération avec la Commission.

179. En outre, les requérantes estiment que cette demande est irrecevable à ce stade. Elles soulignent, en particulier, que l'argument en question figurait déjà dans la requête.

Appréciation du Tribunal

180. Tout d'abord, il ressort de la décision attaquée que, dans le cadre de la demande tendant à ce que lui soit accordé le bénéfice de la communication sur la coopération, Lucite a fourni à la Commission des éléments de preuve qui lui ont permis d'établir que l'entente avait perduré au-delà du 28 février 2001, à savoir jusqu'au 12 septembre 2002 (éléments que Degussa et Atofina ont confirmés par la suite) (voir considérant 412 de la décision attaquée). Par conséquent, conformément au point 23 de la communication sur la coopération, la Commission lui a accordé une immunité pour la période allant du 1er mars 2001 au 12 septembre 2002 [voir considérant 422, sous c), de la décision attaquée]. Cette immunité a eu pour effet que le montant de départ de l'amende de Lucite a été augmenté de 10 % au titre de la durée de l'infraction (correspondant à un an de participation à l'infraction), au lieu de 25 % (deux ans et neuf mois) (voir considérants 351 à 354 et note en bas de page n° 236 de la décision attaquée).

181. Ensuite, il convient de souligner que, lors de l'audience, les requérantes n'ont fait que réitérer l'argument figurant dans la requête, où elles ont affirmé que " l'entente a[vait] été complètement inactive pendant plus d'un an entre le 19 juillet 2001 et le 12 août 2002 ", dès lors que " [n]i la communication des griefs ni la décision [attaquée] n'[avaie]nt invoqué d'activités anticoncurrentielles pendant cette période ", tout en admettant, au même point, qu'elles étaient responsables des agissements anticoncurrentiels commis en leur nom entre le 2 novembre 1999 et le 12 septembre 2002.

182. Force est donc de constater que les requérantes n'ont nullement remis en cause les éléments ayant fondé l'octroi de l'immunité partielle. En particulier, elles n'ont pas contesté la durée de l'infraction ni son caractère continu, ni d'ailleurs leur responsabilité propre pour l'entièreté de la période considérée.

183. Ainsi qu'elles l'ont exposé lors de l'audience (voir point 178 ci-dessus), leur argument doit nécessairement être compris en ce sens qu'elles ont simplement attiré l'attention du Tribunal sur le fait, objectif, que la décision attaquée ne faisait état d'aucune réunion anticoncurrentielle durant une certaine période. Le fait pour les requérantes d'invoquer un tel argument ne saurait justifier le retrait de l'immunité qui leur a été accordée.

184. Par conséquent, la demande de la Commission doit être rejetée, sans qu'il y ait besoin d'analyser sa recevabilité.

Sur les dépens

185. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions, ou pour des motifs exceptionnels.

186. En l'espèce, les requérantes ont succombé en leurs conclusions, alors que la Commission a succombé dans sa demande visant au retrait de l'immunité accordée aux requérantes. En outre, il y a lieu également de tenir compte, pour le règlement des dépens, du bien-fondé des critiques des requérantes à l'égard de la motivation de la décision attaquée (voir point 118 ci-dessus), et ce même si elles sont sans conséquence quant au niveau de l'amende déterminé par la Commission. Dans ces conditions, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront 90 % de leurs propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission, alors que la Commission supportera 10 % de ses propres dépens et 10 % des dépens exposés par les requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La demande de la Commission visant au retrait de l'immunité est rejetée.

3) Lucite International Ltd et Lucite International UK Ltd supporteront 90 % de leur propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission.

4) La Commission supportera 10 % de ses propres dépens et 10 % des dépens exposés par Lucite International et Lucite International UK.