CJUE, 6e ch., 15 septembre 2011, n° C-544/09 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
République fédérale d'Allemagne
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Arabadjiev
Avocat général :
Mme Sharpston
Juges :
M. Caoimh, Mme Lindh (rapporteur)
LA COUR (sixième chambre),
1. Par son pourvoi, la République fédérale d'Allemagne demande l'annulation de l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 6 octobre 2009, Allemagne/Commission (T-21-06, ci-après l'" arrêt attaqué "), par lequel celui-ci a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision 2006-513-CE de la Commission, du 9 novembre 2005, concernant l'aide d'État mise à exécution par la République fédérale d'Allemagne en faveur de l'introduction de la télévision numérique terrestre (DVB-T) dans la région de Berlin-Brandebourg (JO 2006, L 200, p. 14, ci-après la " décision litigieuse ").
Le cadre juridique
La communication de 2003
2. La Commission des Communautés européennes a publié le 17 septembre 2003 une communication au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions concernant la transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique (du passage au numérique à l'abandon de l'analogique) [COM(2003) 541 final, ci-après la " communication de 2003 "].
3. Conformément à l'introduction de la communication de 2003 :
" La présente communication analyse les principales questions liées à la migration de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique du point de vue du marché et réglementaire. [...] "
4. Le point 1.4 de la communication de 2003, intitulé " Arguments en faveur d'une intervention publique ", dispose :
" Il est impératif de déterminer s'il est souhaitable que les autorités publiques interviennent pour accélérer le passage au numérique et/ou influer d'une manière ou d'une autre sur ce processus. Pareille intervention se justifierait dans deux hypothèses. En premier lieu, il faudrait que des intérêts généraux soient en jeu, c'est-à-dire que les avantages et inconvénients du processus touchent la société dans son ensemble, et pas uniquement certains groupes ou individus. En deuxième lieu, il faudrait qu'il y ait une carence du marché, c'est-à-dire que les mécanismes du marché ne suffisent pas à assurer le bien-être collectif, autrement dit que le comportement des acteurs sur le marché n'internalise pas complètement le coût de la transition. [...] "
5. Le point 1.4.1 de la communication de 2003, intitulé "Modalités", énonce que la réglementation des États membres doit remplir les principes suivants :
- être fondée sur des objectifs politiques clairement définis ;
- se limiter au minimum nécessaire pour atteindre ces objectifs ;
- renforcer encore la sécurité juridique dans un marché dynamique ;
- viser la neutralité technologique, et
- être mise en œuvre aussi près que possible des activités réglementées.
6. Le point 2.1.3 de la communication de 2003, intitulé " Réglementation proportionnée et neutre sur le plan technologique ", prévoit :
" [...] tous les réseaux de transmission doivent être pris en compte (essentiellement le câble, le satellite ou les réseaux hertziens). [...] En principe, chaque réseau doit lutter avec ses propres armes. Il ne faut pas exclure une quelconque possibilité de soutien des pouvoirs publics à une option déterminée, mais ce soutien doit être justifié par des objectifs d'intérêt général bien définis et mis en œuvre d'une manière proportionnée. [...] "
Les antécédents du litige
7. Les faits à l'origine du litige, tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué peuvent être résumés comme suit aux fins du présent arrêt.
8. Afin de promouvoir la numérisation de la radiodiffusion, la République fédérale d'Allemagne a décidé de lancer, à la fin de l'année 1997, l'initiative "Radiodiffusion numérique". Dans le cadre de cette initiative, elle a élaboré, avec les Länder et différents opérateurs, des recommandations en vue de la numérisation de la radiodiffusion. Ce passage à la radiodiffusion numérique, concernant à la fois la diffusion par câble, par satellite et par voie terrestre, devait être achevé au plus tard au cours de l'année 2010.
9. Les Länder de Berlin et de Brandebourg, premiers Länder à prendre des mesures en faveur de la transmission par voie terrestre, ont adopté ensemble des mesures pour permettre le passage de la télévision analogique à la télévision numérique terrestre (ci-après la " TNT ").
10. La compétence pour l'attribution des emplacements de chaînes a été confiée à la Medienanstalt Berlin-Brandebourg (autorité chargée des médias dans la région de Berlin-Brandebourg, ci-après la "MABB"), suivant la procédure définie par les statuts de la TNT, adoptés le 9 juillet 2001, lesquels prévoyaient notamment qu'une priorité devait être accordée, lors de la première attribution des capacités de transmission numérique terrestre aux opérateurs déjà présents sur le réseau analogique. Les mêmes statuts prévoyaient également l'attribution d'un multiplex entier au profit des radiodiffuseurs privés, pour autant que ceux-ci diffusent plus d'une chaîne en mode analogique.
11. Le 17 décembre 2001, la MABB a décidé de soutenir financièrement le passage à la TNT.
12. Par une convention conclue le 13 février 2002 (ci-après la " convention du 13 février 2002 "), la MABB, des diffuseurs publics et des diffuseurs privés ont fixé l'attribution des capacités de diffusion et les grandes lignes du passage à la TNT, comprenant notamment un échéancier des différentes étapes de ce passage, qui devait être accompagné d'un abandon complet de la transmission analogique. Dans ce cadre, la MABB s'est déclarée disposée à apporter un soutien financier.
13. La MABB a procédé à l'attribution des emplacements de chaînes pour la TNT à des diffuseurs publics et privés, en partie sans procédure d'adjudication et en partie à la suite d'une telle procédure.
14. Au cours de l'année 2003, la MABB a conclu des contrats de subventionnement uniquement avec des radiodiffuseurs privés, les radiodiffuseurs publics étant en mesure de couvrir les dépenses liées à la transmission par la TNT au moyen des recettes provenant de la redevance radiotélévisée. Le subventionnement a été étendu à certaines chaînes qui n'étaient pas présentes antérieurement sur le marché de la radiodiffusion terrestre.
15. Ces contrats ont fixé les modalités de financement. Les subventions devaient couvrir les coûts supplémentaires générés par la transmission par voie numérique terrestre par rapport à la diffusion par voie analogique et devaient porter sur une période de cinq ans.
16. Les montants annuels en cause, qui ont été compris entre 65 000 euros et 330 000 euros par radiodiffuseur pour la première année complète, ont été accordés de la manière suivante : 330 000 euros au groupe ProSiebenSat.1, 265 000 euros au groupe RTL, 68 167 euros à FAB et à BBC World, ainsi que 65 000 euros à Eurosport et à Viva Plus.
17. Le 16 décembre 2002, l'association enregistrée " Verband Privater Kabelnetzvertreiber " (Organisation des câblodistributeurs privés) a déposé une plainte informelle auprès de la Commission, relative au financement de la TNT dans les Länder de Berlin et de Brandebourg.
18. Par une lettre du 2 mai 2003, la Commission a demandé à la République fédérale d'Allemagne des renseignements à ce sujet, lesquels lui ont été fournis le 30 juin 2003.
19. Par un courrier du 14 juillet 2004, la Commission a fait connaître à la République fédérale d'Allemagne sa décision d'ouvrir une procédure formelle d'examen en raison des mesures en cause, conformément à l'article 88, paragraphe 2, CE. Cette décision a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 28 août 2004.
20. Aux termes de l'article 1er de la décision litigieuse, la Commission a considéré que l'aide d'État octroyée par la République fédérale d'Allemagne aux radiodiffuseurs privés participant à la Digital-Video-Broadcasting (diffusion vidéo numérique par un réseau terrestre) pour l'introduction de la TNT dans les Länder de Berlin et de Brandebourg n'était pas compatible avec le marché commun.
21. La Commission a ordonné, aux articles 2 et 3 de la décision litigieuse, la récupération, auprès des bénéficiaires, de l'aide illégalement mise à leur disposition, avec intérêts à compter de la date du premier versement des aides illégales et jusqu'à la date de leur récupération.
Le recours devant le Tribunal et l'arrêt attaqué
22. Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 2006, la République fédérale d'Allemagne a introduit un recours tendant à l'annulation de la décision litigieuse.
23. À l'appui de son recours, cet État membre a invoqué deux moyens, tirés respectivement d'un détournement de pouvoir lors de l'appréciation de la compatibilité de l'aide avec le marché commun et d'une violation de principes juridiques généraux.
24. Le Tribunal a rejeté le premier de ces moyens comme non fondé, après avoir vérifié si la Commission avait commis une erreur d'appréciation et un détournement de pouvoir lors de son examen du critère tiré de la défaillance du marché, du caractère nécessaire et approprié de la mesure en cause, de la condition de neutralité sur le plan technologique et de la notion de projet important d'intérêt européen commun.
25. S'agissant du critère tiré de la défaillance du marché, le Tribunal a rejeté l'allégation de la République fédérale d'Allemagne selon laquelle il s'agissait d'un critère nouveau qui ne pouvait être utilisé. Le Tribunal a relevé que le critère en question figurait dans la communication de 2003, que la Commission s'y était référée lors de l'ouverture de la procédure formelle d'examen et que la République fédérale d'Allemagne s'était elle-même référée au marché et à ses carences pour justifier la nécessité d'une intervention publique.
26. En ce qui concerne le caractère prétendument nécessaire de la mesure en cause, le Tribunal a examiné l'argument de la République fédérale d'Allemagne selon lequel cette mesure était nécessaire car, sans elle, les radiodiffuseurs n'auraient pas été disposés à effectuer les investissements nécessaires en vue du passage à la TNT. Le Tribunal a rejeté cet argument en se fondant sur la convention du 13 février 2002. Il a constaté, au point 64 de l'arrêt attaqué, que, dans la région de Berlin-Brandebourg, les principaux radiodiffuseurs privés avaient déjà confirmé qu'ils étaient prêts à effectuer le passage à la TNT.
27. Au point 63 dudit arrêt, le Tribunal a, par ailleurs, relevé que les effets incitatifs de la mesure en cause, qui, selon la République fédérale d'Allemagne, n'auraient pas été suffisamment évalués par la Commission, ont été analysés par cette dernière dans la décision litigieuse, qu'il s'agisse des coûts de transmission, de l'attribution d'emplacements de chaînes ou du développement de services supplémentaires. Le Tribunal a ajouté qu'il était constant que l'octroi de la subvention aux radiodiffuseurs privés s'était étendu sur une période de cinq ans, alors que, pour les radiodiffuseurs concernés, la phase de transition vers la TNT n'avait duré que quatre mois. Le Tribunal en a conclu que, contrairement à ce qu'avait soutenu la République fédérale d'Allemagne, la mesure en cause avait eu un effet allant bien au-delà de la simple incitation au passage à la TNT.
28. En ce qui concerne le caractère proportionné de la mesure en cause, le Tribunal a relevé, au point 66 de l'arrêt attaqué, que la République fédérale d'Allemagne n'apportait pas d'éléments circonstanciés et probants infirmant le constat contenu dans la décision litigieuse, selon lequel la concurrence entre radiodiffuseurs dans la région de Berlin-Brandebourg n'était pas entravée par des problèmes structurels. Il a jugé, à ce même point, que la République fédérale d'Allemagne n'avait pas établi que l'octroi d'une subvention aux radiodiffuseurs privés constituait un moyen proportionné en vue de favoriser le passage à la TNT.
29. Au point 67 dudit arrêt, relatif à l'obligation des pouvoirs publics de respecter le "strict minimum nécessaire" lorsqu'ils interviennent pour faciliter le passage à la TNT, le Tribunal a constaté, en particulier, que la part des coûts de transmission couverte précisément par la subvention a varié, selon les radiodiffuseurs concernés, entre 28 % et près de 50 %, alors que les coûts de la transmission numérique sont très inférieurs à ceux de la transmission analogique.
30. Au point 68 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a considéré les mesures proposées par la Commission comme alternatives à la mesure d'aide en cause, telles que la fixation d'une date unique pour l'expiration de toutes les licences de transmission analogique terrestre. Il a jugé qu'il suffisait de constater que la République fédérale d'Allemagne ne parvenait pas à démontrer que ces mesures alternatives étaient a priori inefficaces et qu'elle était dans l'impossibilité de les mettre en œuvre, voire même de mettre en œuvre d'autres mesures, qui auraient eu moins d'impact sur la concurrence que l'aide en cause, tout en permettant d'accélérer le passage à la TNT dans la région de Berlin-Brandebourg.
31. Quant à la condition de neutralité sur le plan technologique, selon laquelle tous les modes de transmission, à savoir le câble, le satellite ou les réseaux terrestres, doivent être pris en compte pour assurer le passage à la transmission numérique, le Tribunal a rappelé qu'elle était visée dans la communication de 2003 et qu'il était constant, en l'espèce, que, par l'aide en cause, c'était uniquement la voie terrestre qui avait été privilégiée par rapport aux autres modes de transmission.
32. S'agissant de l'objectif allégué, consistant à promouvoir la réalisation d'un "projet important d'intérêt européen commun", le Tribunal a rappelé que cette notion devait être interprétée de manière stricte et que la République fédérale d'Allemagne ne fournissait à l'appui de cet argument aucun élément sérieux tendant à établir que le passage à la TNT dans la région de Berlin-Brandebourg poursuivait un tel objectif.
33. En ce qui concerne le second moyen, le Tribunal a considéré que la Commission n'avait violé aucun des deux principes juridiques généraux invoqués, à savoir ceux de bonne administration et de protection des droits de la défense.
Les conclusions des parties devant la Cour
34. Par son pourvoi, la République fédérale d'Allemagne demande à la Cour :
- d'annuler l'arrêt attaqué ;
- d'annuler la décision litigieuse, et
- de condamner la Commission aux dépens.
35. La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la République fédérale d'Allemagne aux dépens de l'instance.
Sur le pourvoi
36. À l'appui de son pourvoi, la République fédérale d'Allemagne soulève cinq moyens.
37. Le premier moyen est tiré d'une appréciation erronée en droit de l'effet incitatif de l'aide en cause et, par voie de conséquence, d'une violation de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Le deuxième moyen, relatif aux mesures alternatives proposées par la Commission, est tiré d'une méconnaissance de l'étendue du pouvoir de contrôle de cette dernière et d'une violation de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Le troisième moyen, qui porte également sur ces mesures, est tiré d'une violation des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce que le Tribunal aurait méconnu le droit fondamental à la liberté d'entreprise. Par son quatrième moyen, la République fédérale d'Allemagne soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en méconnaissant que lesdites mesures créent elles aussi des distorsions de concurrence. Enfin, le cinquième moyen est tiré d'une appréciation erronée de la condition de neutralité sur le plan technologique.
Sur le premier moyen, tiré d'une appréciation erronée en droit de l'effet incitatif de l'aide en cause et d'une violation de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE
Argumentation des parties
38. La République fédérale d'Allemagne fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 63 de l'arrêt attaqué, en ne reconnaissant pas que la Commission avait apprécié de manière erronée l'effet incitatif de l'aide en cause.
39. En premier lieu, le Tribunal n'aurait procédé à aucune appréciation au fond des constatations opérées par la Commission et se serait borné à affirmer qu'une analyse de ces effets avait été effectuée par celle-ci. Ce faisant, le Tribunal aurait violé l'obligation qui lui était faite de vérifier si la Commission avait commis une erreur manifeste d'appréciation.
40. En second lieu, le Tribunal se serait livré à sa propre appréciation et aurait commis une erreur de droit en considérant que l'effet incitatif de l'aide n'avait pas été démontré. Il aurait jugé à tort que la phase transitoire du passage de la transmission analogique terrestre à la TNT n'avait duré que quatre mois, alors que l'aide s'était étendue sur une période de cinq ans.
41. La République fédérale d'Allemagne soutient que l'objectif poursuivi par l'aide en cause consistait à donner les moyens aux diffuseurs privés d'offrir aux téléspectateurs, pendant une période de cinq ans, un programme télévisuel diffusé par la TNT. Pour créer un effet incitatif, il convenait, selon cet État membre, de prendre en considération l'investissement financier se rapportant à l'ensemble de la période. La République fédérale d'Allemagne estime que, en contestant l'effet incitatif de l'aide en cause, le Tribunal n'a pas censuré le détournement de pouvoir commis par la Commission et a fait une application erronée de la notion d'effet incitatif.
42. La Commission conteste le bien-fondé des arguments présentés au soutien du premier moyen du pourvoi.
Appréciation de la Cour
43. Par son premier moyen, la République fédérale d'Allemagne reproche essentiellement au Tribunal, d'une part, de ne pas avoir vérifié si la Commission avait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'aide en cause n'avait pas eu d'effet incitatif et, d'autre part, de s'être livré à sa propre appréciation, laquelle serait erronée.
44. S'agissant de l'argument selon lequel le Tribunal aurait omis de vérifier, au fond, les constatations effectuées par la Commission en ce qui concerne l'effet incitatif de l'aide en cause et aurait, par voie de conséquence, violé l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE, il convient de relever, à titre liminaire, que la République fédérale d'Allemagne ne critique pas l'arrêt attaqué en ce qu'il a examiné cette aide au regard du critère tiré de l'effet incitatif. Il y a lieu de rappeler, en tout état de cause, qu'une aide qui apporte une amélioration de la situation financière de l'entreprise bénéficiaire sans être nécessaire pour atteindre les buts prévus à l'article 87, paragraphe 3, CE ne saurait être considérée comme compatible avec le marché commun (arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730-79, Rec. p. 2671, point 17, et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C-390-06, Rec. p. I-2577, point 68).
45. À cet égard, il y a lieu de constater que, en dépit de la présentation confuse de l'analyse du critère tiré du caractère nécessaire de l'aide en cause et du principe de proportionnalité effectuée aux points 63 à 68 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, au point 64 de cet arrêt, l'argumentation de la République fédérale d'Allemagne selon laquelle, sans l'aide en cause, les radiodiffuseurs concernés n'auraient pas été disposés à effectuer les investissements nécessaires en vue du passage à la TNT.
46. Le Tribunal a relevé qu'il était constant que, dans la région de Berlin-Brandebourg, les principaux radiodiffuseurs privés avaient déjà confirmé qu'ils étaient prêts à effectuer le passage à la TNT. Il a considéré que cette orientation résultait clairement de la convention du 13 février 2002, laquelle avait été adoptée alors même que le financement public pour le passage à la TNT n'avait pas encore été décidé.
47. Cette appréciation à laquelle s'est livré le Tribunal, qui n'a pas été contestée au stade du pourvoi, a conduit le Tribunal à conclure, au point 65 de l'arrêt attaqué, qu'il n'était pas établi que la subvention versée aux radiodiffuseurs privés pour la prise en charge de tout ou partie des coûts de transmission liés à ce passage constituait un moyen nécessaire et approprié pour atteindre l'objectif visant à assurer la transition vers la TNT.
48. Partant, contrairement à ce que soutient la République fédérale d'Allemagne, il y a lieu de constater que le Tribunal a bien examiné la question de savoir si l'aide en cause avait été nécessaire pour le passage à la TNT et a vérifié, ainsi qu'il ressort du point 71 de l'arrêt attaqué, si la Commission avait commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant que tel n'était pas le cas.
49. La remarque figurant au point 63 de l'arrêt attaqué, par laquelle le Tribunal se borne à relever que la Commission a effectué une analyse des effets incitatifs de l'aide sans se prononcer, à ce point précis, sur l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation n'infirme pas cette constatation.
50. S'agissant du second volet du moyen soulevé par la République fédérale d'Allemagne, il y a lieu de relever, premièrement, que le Tribunal n'a pas substitué sa propre appréciation à celle de la Commission. En effet, cette dernière a considéré, au point 61 de la décision litigieuse, relatif à l'examen des avantages économiques de l'aide en cause, que celle-ci " n'est pas limitée dans le temps pour faciliter le passage durant la période 'Simulcast' (laquelle n'a duré que quatre mois dans le cas des radiodiffuseurs privés), mais qu'elle s'étend sur une période de cinq ans après le passage au numérique ".
51. Deuxièmement, compte tenu des considérations développées aux points 43 à 49 du présent arrêt, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le bien-fondé de l'argument de la République fédérale d'Allemagne relatif au caractère erroné de l'appréciation du Tribunal figurant au point 63 de l'arrêt attaqué, lequel argument est en tout état de cause inopérant.
52. Il y a lieu de constater, en outre, que la République fédérale d'Allemagne n'expose pas en quoi la Commission aurait commis un détournement de pouvoir.
53. Il s'ensuit que le premier moyen du pourvoi doit être écarté.
Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens, portant sur les mesures alternatives proposées par la Commission et tirés d'une méconnaissance de l'étendue du pouvoir de contrôle de la Commission, d'une atteinte au droit fondamental à la liberté d'entreprise ainsi que d'une absence de prise en compte des effets négatifs de ces mesures sur la concurrence
54. Les deuxième, troisième et quatrième moyens sont tirés d'erreurs de droit, visant toutes le point 68 de l'arrêt attaqué, concernant l'existence de mesures alternatives. Il y a lieu, dès lors, de les examiner ensemble.
Argumentation des parties
55. Par son deuxième moyen, la République fédérale d'Allemagne soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission était en droit de contester la compatibilité de l'aide en cause avec le marché commun en faisant référence à des mesures alternatives. Le Tribunal aurait ainsi violé l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE, en reconnaissant à la Commission un pouvoir qui excède celui prévu par le traité CE.
56. La République fédérale d'Allemagne considère que la Commission ne peut pas se substituer aux États membres, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé au point 68 de l'arrêt attaqué, en ce qui concerne le choix des options d'action possibles en matière de politique économique. Il incomberait aux seuls États membres d'apprécier l'opportunité des mesures de politique économique. Le rôle de la Commission se limiterait à veiller à ce qu'une décision concernant une aide d'État prise par un État membre ne porte pas atteinte à la concurrence et ne fausse pas le marché intérieur. La Commission ne serait pas compétente pour remettre en question le choix d'un moyen financier et son efficacité par rapport à d'autres mesures envisageables.
57. La République fédérale d'Allemagne fait également valoir que le Tribunal a méconnu les règles régissant la charge de la preuve incombant à la Commission et aux États membres. Selon l'arrêt attaqué, la République fédérale d'Allemagne aurait dû démontrer que les mesures alternatives proposées par la Commission " étaient a priori inefficaces et qu'elle était dans l'impossibilité de les mettre en œuvre, voire même de mettre en œuvre d'autres mesures ". La République fédérale d'Allemagne estime que cette répartition contredit le principe de sécurité juridique et qu'elle constitue une violation des principes généraux en matière de preuve. Elle soutient qu'elle doit uniquement démontrer que l'aide en cause est légale au regard de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE et qu'elle n'a pas à établir la preuve de l'inefficacité des mesures alternatives.
58. Par son troisième moyen, la République fédérale d'Allemagne soutient que, en constatant qu'une mesure d'aide est incompatible avec le marché commun en raison uniquement d'une prétendue existence de mesures alternatives, le Tribunal a méconnu le droit fondamental à la liberté d'entreprise et a violé par là même l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE.
59. Au soutien de ce moyen, la République fédérale d'Allemagne fait valoir que les mesures alternatives envisagées par la Commission auraient conduit les radiodiffuseurs à assumer l'intégralité du risque financier et à réaliser un investissement totalement incertain sur le plan économique. La préférence donnée à de telles mesures constituerait une atteinte au droit fondamental des radiodiffuseurs à la liberté d'entreprise.
60. Par son quatrième moyen, la République fédérale d'Allemagne fait grief au Tribunal d'avoir commis une erreur de droit en méconnaissant le fait que les mesures alternatives proposées, en particulier les mesures réglementaires, auraient créé, elles aussi, des distorsions de concurrence.
61. La Commission conteste le bien-fondé de ces trois moyens invoqués par la République fédérale d'Allemagne.
Appréciation de la Cour
62. S'agissant, en premier lieu, du troisième moyen, tiré d'une atteinte au droit fondamental à la liberté d'entreprise, il y a lieu de constater d'emblée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner son bien-fondé, que celui-ci est soulevé pour la première fois au stade du pourvoi.
63. Or, dans le cadre d'un pourvoi, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l'appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les juges du fond (voir, notamment, arrêt du 1er février 2007, Sison/Conseil, C-266-05 P, Rec. p. I-1233, point 95 et jurisprudence citée). Une partie ne peut donc pas, en principe, soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu'elle n'a pas invoqué devant le Tribunal, dans la mesure où cela reviendrait à permettre à la Cour de contrôler la légalité de la solution retenue par le Tribunal eu égard à des moyens dont ce dernier n'a pas eu à connaître.
64. Il s'ensuit que le troisième moyen du pourvoi est irrecevable.
65. Il convient d'examiner, en second lieu, d'une part, l'excès de pouvoir auquel la Commission se serait livrée en proposant des mesures alternatives et que le Tribunal aurait méconnu (deuxième moyen) et, d'autre part, l'atteinte à la concurrence que ces mesures impliqueraient et que le Tribunal aurait omis de mentionner (quatrième moyen).
66. Au point 68 de l'arrêt attaqué, le Tribunal se borne certes à constater que la République fédérale d'Allemagne ne parvient pas à démontrer que les mesures alternatives proposées par la Commission étaient a priori inefficaces et qu'il lui était impossible de les mettre en œuvre.
67. Toutefois, la République fédérale d'Allemagne ne saurait en déduire que le Tribunal a admis que la Commission puisse se substituer aux États membres en proposant des mesures alternatives dont il appartiendrait à ces derniers de prouver l'inefficacité et qu'il a ainsi modifié les règles régissant la charge de la preuve.
68. En effet, ce point 68 fait suite à l'analyse, effectuée par le Tribunal aux points 52 à 67 de l'arrêt attaqué, de la compatibilité de l'aide en cause avec le marché commun, telle qu'examinée dans la décision litigieuse, et dont il ressort que cette aide ne remplissait pas les conditions pour être jugée compatible avec le marché commun.
69. Ainsi, il y a lieu de constater que le point 68 de l'arrêt attaqué contient une motivation surabondante.
70. Il en résulte que le deuxième moyen du pourvoi est inopérant.
71. Il en découle également que l'allégation de la République fédérale d'Allemagne, selon laquelle le Tribunal a omis de reconnaître que ces mesures alternatives elles-mêmes portaient atteinte à la concurrence, n'est pas utile aux fins d'apprécier la validité de l'arrêt attaqué. Par conséquent, le quatrième moyen du pourvoi est inopérant.
72. Il y a lieu, dès lors, d'écarter les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi.
Sur le cinquième moyen, tiré d'une appréciation erronée de la condition de neutralité sur le plan technologique
Argumentation des parties
73. Par son cinquième moyen, la République fédérale d'Allemagne soutient que, au point 69 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a fait une appréciation erronée de la condition de neutralité sur le plan technologique, portant atteinte par là même à l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Selon la République fédérale d'Allemagne, cette condition est inadaptée, en l'espèce, pour apprécier si l'aide en cause pouvait être autorisée au titre dudit article.
74. La République fédérale d'Allemagne ne conteste pas que l'aide en cause n'est pas neutre sur le plan technologique, puisqu'elle ne vise que le passage de la transmission analogique terrestre à la TNT. Elle fait valoir toutefois que, si la condition de neutralité sur le plan technologique est pertinente dans le cas de mesures portant de manière générale sur le passage de la transmission analogique à la transmission numérique, elle ne l'est pas dans le cas d'une mesure qui vise spécifiquement la réception terrestre libre de la télévision.
75. En estimant que le maintien de la transmission télévisuelle terrestre n'est pas digne de faire l'objet de mesures de soutien, la Commission imposerait un objectif politique qui lui est propre et se substituerait de manière abusive aux États membres. Le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ne le reconnaissant pas.
76. La Commission rétorque que le Tribunal a correctement appliqué la communication de 2003 et qu'il n'a pas commis d'erreur de droit.
Appréciation de la Cour
77. Selon la communication de 2003, tous les réseaux de transmission, lesquels comprennent essentiellement le câble, le satellite ou les réseaux hertziens, doivent être pris en compte. La Commission précise que, en principe, chaque réseau doit lutter avec ses propres armes. En vertu de la communication de 2003, il ne faut pas exclure une quelconque possibilité de soutien des pouvoirs publics à une option déterminée, mais ce soutien doit être justifié par des objectifs d'intérêt général bien définis et mis en œuvre d'une manière proportionnée.
78. Il convient de relever que le point 69 de l'arrêt attaqué doit être lu à la lumière du point 66 de cet arrêt.
79. Or, le Tribunal a considéré, à ce point 66, que, s'agissant du marché de la télévision numérique dans la région de Berlin-Brandebourg, à supposer que les deux modes de transmission que sont le satellite et le câble soient dominés par un seul fournisseur, une subvention publique en faveur de la transmission terrestre, qui permettrait de lancer cette dernière, pourrait avoir, le cas échéant, des répercussions positives sur la structure concurrentielle dudit marché, en augmentant les possibilités de choix offertes aux consommateurs.
80. Il s'ensuit, contrairement à ce qu'affirme la République fédérale d'Allemagne, que le Tribunal n'a pas exclu la possibilité qu'une subvention soit accordée en faveur d'un seul mode de transmission. Il a toutefois estimé, audit point 66, que cet État membre n'avait pas apporté d'éléments circonstanciés et probants infirmant le constat contenu dans la décision litigieuse, selon lequel la concurrence entre radiodiffuseurs dans ladite région n'était pas entravée par des problèmes structurels. Il en a conclu que la République fédérale d'Allemagne n'avait pas établi que l'octroi d'une subvention aux radiodiffuseurs privés constituait un moyen proportionné en vue de favoriser le passage à la TNT.
81. Il en découle que le Tribunal n'a commis aucune erreur en droit en jugeant, au point 69 de l'arrêt attaqué, que l'aide en cause ne satisfaisait pas à la condition de neutralité sur le plan technologique, au sens de la communication de 2003.
82. Dans ces circonstances, il convient d'écarter le cinquième moyen du pourvoi comme non fondé.
83. Aucun des moyens présentés par la requérante au soutien de son pourvoi ne pouvant être accueilli, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
84. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d'Allemagne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.