CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 4 janvier 2011, n° 09-13945
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Président de l'Autorité de la Concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Fossier
Avocats :
Mes Wachsmann, Elkins
Par requête datée du 11 mai 2009 et enregistrée au greffe le 3 juin 2009, la Rapporteure générale de l'Autorité a demandé au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris d'autoriser les agents de ses services d'instruction à procéder aux opérations de visites et saisies dans les locaux du X, de l'Association Y, de l'Agence Z, du Syndicat A et de la société B.
La requête a exposé des soupçons de comportements illicites adoptés par :
* X, en ce qu'il aurait, "sous sa seule autorité ou dans le cadre de ces prérogatives concédées par Y et E et en accord avec lesdits organismes" (requête, page 10) :
- refusé l'intégration de la société Actis aux groupes de travail national "GS20" et européen "WG12" (précité) (requête, pages 2 à 4),
- fait obstacle à une demande d'agrément technique européen (Ate) présentée par Actis (requête, pages 4 à 6)
- opéré une communication agressive déloyale à l'égard des produits d'isolation réfléchissants que fabrique Actis (requête, pages 6 et s.).
* la société B, en ce qu'elle aurait :
- déployé un lobbying agressif autour de la procédure débattue devant le Comité Européen de Normalisation (Cen), sinon pour interdire, tout au moins réduire les possibilités pour les industriels des IMMR de participer aux débats institutionnels ;
- œuvré pour que le produit principal de la société Actis le "tri iso super 9" ne bénéficie plus de la certification de l'organisme BM Trada, membre de l'Organisation Européenne pour l'Agrément Technique "l'OEAT" (Requête, pages 11 à 14) ;
* A, en ce qu'il semblerait avoir apporté sa contribution afin de réduire voire interdire l'accès au marché aux industriels IMMR (requête, pages 14 et s.).
Z, quant à elle, a été visée au titre de la question de la désignation d'un représentant d'Actis au sein du WG12.
Il a été fait mention de ce que X intervient en tant qu'"organisme mandaté par Z pour délivrer la marque "NF" pour les produits de construction" (page 2).
Selon la requête, "les comportements de B, X, de Y, de Z et du Syndicat A, relevés dans le secteur de la certification, production et distribution de produits de construction d'isolation thermique, laissent présumer l'existence de pratiques prohibées ayant pour objet et/ou pour effet :
- un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce,
- de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises au sens de l'article L. 420-1 1° du Code de commerce,
- de limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique au sens de l'article L. 420-1 3° de ce même Code,
- et au sens des articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne dans la mesure où ces pratiques sont également susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres." (Requête, pages 16 et s.).
Le 3 juin 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance faisant droit à la requête de la Rapporteure générale de l'Autorité et autorisant les agents de ses services d'instruction à procéder à des opérations de visites et saisies dans les locaux des organismes et entreprises mentionnées ci-dessus.
Cette ordonnance a été complétée par une ordonnance du 5 juin 2009 du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Meaux, afin de permettre les visites et saisies dans les locaux [de X] situés à Champ-sur-Marne ; par une ordonnance du 4 juin 2009 du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny pour permettre d'identiques visites et saisies dans les locaux de Z à La Plaine Saint Denis ; et par deux ordonnances rendues à Nanterre les 4 et 11 juin 2009 pour permettre d'identiques visites et saisies dans les locaux de la société B, respectivement à Courbevoie et à Suresnes.
L'ordonnance du 3 juin 2009 a été frappée d'appel par X, Z, la société B, et le Syndicat A. Les appels ont été joints par décision d'administration judiciaire du 17 juin 2010, comme affectant la même décision de première instance, mais rejetés par ordonnance de ce jour.
X a frappé d'appel l'ordonnance rendue à Meaux le 5 juin 2009. Cet appel a été rejeté par ordonnance de ce jour.
X a frappé de recours les conditions de visite de ses locaux <adresse>, une fois au greffe du TGI de Meaux (14467), une fois au greffe du TGI de Paris (13945). Les deux dossiers seront joints.
Il estime avoir été victime d'une violation massive de la confidentialité des correspondances avocat-client, violation qui ne saurait en l'espèce être "rachetée" par la restitution des documents indûment saisis à laquelle l'Autorité de la concurrence s'est en tout état de cause refusée jusqu'ici.
L'Autorité de la concurrence estime que les opérations se sont déroulées, compte tenu des contraintes techniques qui pèsent notamment sur les saisies de documents informatiques, dans des conditions conformes à la loi.
Sur quoi
Le délégué du premier Président
Attendu que les opérations de visite effectuées à Champ-sur-Marne ont, selon le procès-verbal qui en a été établi, débuté à 9 h 30 pour se terminer le lendemain à 3 h 30 ;
Qu'il n'a pas été fait de réserves par le maître des lieux ;
Attendu que les parties sont contraires sur les techniques existantes de saisie et d'inventaire des documents informatiques et messageries ;
Que la méthode recherchée devrait, selon les débats et les pièces, tout à la fois préserver l'authenticité et l'intégrité des saisies et le contenu des ordinateurs visités - qui sont physiquement laissés à leur propriétaire - , permettre un contrôle juridique et concret des opérations par les acteurs de la procédure et par les juridictions, et garantir à l'entreprise visitée la possibilité de faire retirer, avant même leur analyse par les enquêteurs, les documents qui seraient sans rapport avec l'enquête ou couverts par un secret légal ;
Attendu qu'en outre, le procès-verbal établi en l'espèce apparaît, sans qu'il soit aucunement préjugé de sa validité, sommaire sur les modalités techniques des opérations de saisies de documents et de messagerie ; notamment, les opérations de sélection des documents et des messages, le transfèrement des fichiers sur le DVD-R vierge, les modalités successives de copie et d'inventaire, enfin les raisons qu'il y avait de ne pas recourir aux scellés semblent rudimentaires ou inexistantes ; par application, les mots "Analyse approfondie (d'un ordinateur)", "documents entrant dans le champ de l'autorisation de visite et de saisie", "des (article indéfini)" données informatiques, "transférées", "analyse approfondie", "authentification numérique", ne paraissent pas convenir à première vue pour décrire des atteintes aussi graves aux libertés que le sont une perquisition et des saisies et en permettre le contrôle judiciaire ;
Attendu qu'une messagerie a été exploitée, sans qu'il soit donné de précisions techniques au procès-verbal à ce sujet ;
- il ne semble pas que l'inventaire des messages saisis permette, en raison de son caractère très synthétique et par ailleurs peu lisible, de garantir l'identification de ces messages sans erreur par le juge de contrôle, par l'entreprise visitée ni même par les enquêteurs lorsqu'ils voudront établir le dossier de la poursuite et de permettre aux mêmes de vérifier quels messages ou groupes de messages entrent dans le champ de l'autorisation de perquisition ; si les précédents cités par l'Autorité ont plus ou moins précisément justifié les inventaires électroniques, c'était faute d'une autre proposition technique de la part de l'entreprise visitée ;
- il ne semble pas qu'au cours de la visite et pour les saisies, il ait été tenu compte de ce que les représentants [de X] n'entendaient pas contribuer activement à l'application de méthodes simplifiées des enquêteurs ; il n'a notamment été apposé aucun scellé, le juge n'a pas été saisi pour arbitrer les tris nécessaires, et la restitution des documents protégés par la loi ne pourrait plus intervenir désormais qu'après que les enquêteurs en auront pris connaissance ;
Attendu que ces considérations sommaires pourraient peut-être commander l'annulation du procès-verbal s'il n'était démontré que les méthodes des enquêteurs étaient les seules qui garantissent la sécurité et l'efficacité des opérations, le délégué du premier Président se réservant de vérifier ensuite leur conformité à la loi ; que ces mêmes considérations conduiront donc à faire droit à la demande d'expertise formulée subsidiairement par X ;
Attendu qu'il ressort aussi des débats que la littérature spécialisée a attiré l'attention, alors que le présent recours était pendant, sur des modalités de saisies et d'inventaires développées par d'autres autorités de concurrence (NL, UE, USA), qui pourraient permettre de concilier les droits effectifs de la défense avec une lecture au premier degré des articles 56 du CPP et L. 450-4 C. com., en sorte que la mission de l'expert sera d'office étendue selon cette considération ;
Attendu qu'il faut surseoir à statuer sur le tout, dans l'attente de l'expertise, tous moyens des parties étant expressément réservés ;
Par ces motifs : Ordonne la jonction des dossiers n° 13945 et 14467 de 2009 ; Avant dire droit, Ordonne une expertise ; La confie à L.-R. Eric <adresse> avec mission de : - Se faire produire les pièces du dossier et les écritures des parties ; convoquer celles-ci et les entendre ; entendre tous sachants ainsi qu'au besoin les représentants d'entreprises visitées dans les mêmes circonstances et conditions que X ; en toutes choses, respecter la confidentialité des documents, notamment le secret des affaires, le secret des correspondances d'avocat et le secret de la vie privée ; - Prendre connaissance des articles L. 450-4 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale et 263 et suivants du Code de procédure civile mais se garder d'en interpréter les concepts et de proposer une analyse juridique du différend ; - Obtenir contradictoirement les explications techniques sur les modalités auxquelles ont recouru les enquêteurs en l'espèce et que ne décrirait pas leur procès-verbal ; - Se faire communiquer par la plus diligente des parties la documentation technique "Méthode de travail pour la recherche digitale" des autorités néerlandaises, l'"Anticartel Enforcement Manual" de l'International Competition Network et la Notice explicative de la Commission européenne pour les saisies de documents informatiques, ainsi que tous autres documents de même nature dont l'expert estimerait avoir besoin ; - s'agissant des saisies de messageries, fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre au délégué du premier Président de déterminer si la copie d'un ou plusieurs messages se trouvant dans la base de données modifie les propriétés de ce ou ces messages, son contenu, les pièces jointes, ou son en-tête internet (signature, cheminement) ; - s'agissant encore des saisies de messageries, fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre au délégué du premier Président de déterminer si le logiciel utilisé offre des possibilités de recherches variées et multicritères de messages élémentaires ou de groupes de messages se trouvant dans une messagerie électronique, quel que soit le volume global de celle-ci et le fait que les messages se trouvent dans une base de données ; - s'agissant encore des saisies de messageries, fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre au délégué du premier Président de déterminer si des enquêteurs peuvent copier tous les messages obtenus par leur sélection dans un ou plusieurs fichiers qu'ils auraient créés à cet effet ; - De manière générale, fournir au délégué du premier Président tous éléments qui lui permettront d'évaluer techniquement la possibilité de la saisie sélective de messages dans la messagerie électronique sans compromettre l'authenticité de ceux-ci ; - s'agissant de toutes les sortes de documents ou fichiers informatiques, décrire les possibilités de sélectionner ceux d'entre eux qui relèveraient d'un champ d'investigation précis ; décrire en outre comment il est possible d'en dresser un inventaire lisible ; - Se faire assister d'un sapiteur de son choix pour résoudre les problèmes techniques qui ne relèveraient pas de la compétence technique de l'expert ; - A l'issue de ses opérations, établir un pré-rapport qu'il communiquera aux parties, lesquelles disposeront de quinze jours [à X] d'avoir à consigner la somme de dix mille euros à valoir sur la rémunération de l'expert et les frais de l'expertise, avant le 20 janvier 2011, à défaut de quoi l'affaire sera rappelée à l'audience du 8 mars 2011 ; dit que cette somme sera versée au régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Paris, - dit que l'expert devra adresser tous ses courriers à la cour d'appel, greffe de la chambre 5-7 ; - dit que l'expert devra remettre à chaque partie un exemplaire de son rapport. - désigne le délégué du premier Président pour suivre les opérations ; Réserve tous les moyens des parties ainsi que les dépens et frais irrépétibles.