CA Colmar, 1re ch. civ. A, 13 septembre 2011, n° 10-01255
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Boultouak
Défendeur :
Brasseries Kronenbourg (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Hoffbeck
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
Mes Frick, Boisrame
Le 1er mars 2003, la société Brasseries Kronenbourg a conclu avec M. Boultouak, qui exploite un débit de boissons à Montrouge, un contrat de fourniture de bière pour une durée de cinq années à compter du 1er mars 2003. Ce contrat a été complété par des avenants datés des 1er mars 2003 et 23 juin 2004.
Le 18 juillet 2005, M. Boultouak a vendu son fonds de commerce.
Reprochant au débitant d'avoir vendu son fonds sans en informer le brasseur, ni transférer à son successeur les obligations assumées au titre du contrat de fourniture de bière, la société Brasseries Kronenbourg a, selon assignation du 15 février 2006, attrait M. Boultouak devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour obtenir la résiliation du contrat, la restitution des avantages consentis et le paiement de l'indemnité de rupture.
Par jugement du 18 mai 2009, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a :
- condamné M. Boultouak à payer à la société Brasseries Kronenbourg :
* 12 427,83 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2005,
* 4 438,31 euro au titre des restitutions avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2005,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- débouté M. Boultouak de sa demande reconventionnelle,
- condamné M. Boultouak à payer à la société Brasseries Kronenbourg une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné M. Boultouak aux dépens,
- débouté la société Brasseries Kronenbourg de ses plus amples prétentions,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Les premiers juges ont principalement retenu :
- qu'il était constant que l'acquéreur du fonds n'avait pas repris les engagements de M. Boultouak et que ce dernier n'avait pas informé le brasseur de la cession envisagée ;
- que si M. Boultouak n'avait pas signé les avenants litigieux, ceux-ci le liaient néanmoins puisqu'il les avait confirmés en prenant possession du matériel prêté ;
- que les dispositions tarifaires ne constituaient pas une clause abusive ;
- que M. Boultouak qui n'était pas un consommateur ne pouvait pas se prévaloir de l'article L. 122-3 du Code de la consommation ;
- que M. Boultouak ayant violé les obligations mises à sa charge, notamment la clause de porte-fort, la société Brasseries Kronenbourg était fondée à solliciter l'application des sanctions prévues par l'article 11 du contrat ;
- que le brasseur aurait dû solliciter la restitution en nature de l'enseigne.
Par déclaration reçue le 1er août 2009, M. Boultouak a interjeté appel de cette décision. La société Brasseries Kronenbourg a formé un appel incident.
Selon conclusions récapitulatives remises au greffe le 18 janvier 2011, M. Boultouak demande à la cour de :
Sur appel principal,
- déclarer l'appel recevable ;
- infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Brasseries Kronenbourg de ses plus amples prétentions ;
- donner acte à l'appelant de ce qu'il reconnaît être redevable de 4 000 euro en remboursement de l'investissement réalisé par le brasseur ;
- débouter la société Brasseries Kronenbourg de l'intégralité de ses conclusions ;
- condamner la société Brasseries Kronenbourg à lui payer une somme de 12 427,83 euro ;
- subsidiairement, réduire les montants pouvant être mis à sa charge ;
- ordonner la compensation des créances réciproques ;
Sur appel incident,
- dire que la demande de la société Brasseries Kronenbourg tendant au paiement de 598,57 euro au titre de la restitution du matériel constitue une demande nouvelle irrecevable ;
- rejeter l'appel incident ;
En tout état de cause,
- condamner la société Brasseries Kronenbourg à lui verser une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Brasseries Kronenbourg aux dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de son appel, il fait valoir en substance :
- que le montant mis à sa charge au titre de l'investissement (4 438,31 euro) excède l'investissement convenu ;
- que le contrat est nul en raison de l'indétermination du prix de la bière, qui peut être fixé de manière unilatérale et abusive par le brasseur, et de l'abus de position dominante de ce dernier ;
- que n'ayant pas signé les avenants, M. Boultouak n'était tenu de réaliser que 250 hl et non 300 hl ;
- que la société Brasseries Kronenbourg ne justifie pas du prix unitaire pris en compte pour fixer l'indemnité réclamée ;
- que tout au plus, 16 hl sont manquants et il ne serait redevable que de 729,44 euro.
Suivant conclusions déposées le 8 mars 2011, la société Brasseries Kronenbourg rétorque :
- que M. Boultouak a méconnu son obligation d'information préalable à la vente ;
- que M. Boultouak doit restituer l'ensemble des avantages reçus ;
- que M. Boultouak, qui procède à une lecture tendancieuse des relevés de vente, n'a pas débité les quantités convenues ;
- que l'appelant n'est pas recevable à se prévaloir d'une violation de l'article L. 420-2 du Code de commerce, en vertu de l'article 563 du Code de procédure civile ;
- qu'aucun abus de position dominante n'est caractérisé.
En conséquence, elle prie la cour de :
- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande liée au paiement du matériel mis à disposition ;
- débouter M. Boultouak de ses prétentions ;
- condamner M. Boultouak à lui payer :
- 10 038,91 euro avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure,
- 4 000 euro avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure ;
- condamner M. Boultouak à lui restituer le matériel litigieux, sous astreinte de 100 euro par jour de retard, et subsidiairement le condamner à lui payer la somme de 598,57 euro correspondant à la valeur du matériel mis à disposition et non restitué, avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure ;
- condamner M. Boultouak à lui payer la somme de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- condamner M. Boultouak à lui payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- ordonner la capitalisation des intérêts ;
- condamner M. Boultouak aux dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 mars 2011.
Sur ce, LA COUR,
Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,
Attendu que la recevabilité de l'appel en la forme n'est pas discutée ;
Attendu que selon le "contrat de brasserie" daté du 1er mars 2003, M. Boultouak s'est, en contrepartie d'une prestation financière de 4 000 euro, engagé à débiter 250 hl de bière en fût et 50 hl de bière en bouteilles et boites sur une durée de cinq ans ; que l'avenant du 1er mars 2003 a prévu la mise à disposition par le brasseur d'un store d'une valeur de 438,31 euro TTC, l'avenant du 23 juin 2004 celle d'une enseigne de 160,26 euro TTC ;
Attendu, sans doute, que les avenants n'ont apparemment pas été signés par M. Boultouak ; que cependant, il n'est pas contesté que M. Boultouak est entré en possession du store et de l'enseigne visés par les avenants ; que dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que ces deux accords avaient, en tout état de cause, été ratifiés par M. Boultouak et étaient entrés dans le champ contractuel;
Attendu que son argumentation étant destinée à faire écarter les demandes de la société Brasseries Kronenbourg au sens de l'article 564 du Code de procédure civile, M. Boultouak demeure recevable à invoquer l'abus de position dominante qu'aurait commis le brasseur ;
Attendu que l'article L. 420-2 alinéa 1 du Code de commerce dispose qu'est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;
Attendu que s'il est notoire que la société Brasseries Kronenbourg est un des principaux acteurs du marché national de la bière destinée aux cafés, hôtels et restaurants indépendants, cette notoriété n'est pas une preuve de ce que l'intimée serait en position dominante et de ce qu'elle aurait abusé de sa position ; que la circonstance qu'il a accepté de souscrire une obligation d'approvisionnement exclusif est insuffisante pour induire l'abus allégué de domination ; que M. Boultouak étant totalement défaillant dans l'administration de la preuve qui lui incombe, ce moyen doit être écarté;
Attendu, certes, que le contrat de bière du 1er mars 2003 n'a pas précisé le prix auquel l'entrepositaire désigné, la "Brasserie Les Vosges", vendrait à M. Boultouak les différentes bières ; que cette indétermination n'affecte pas la validité du contrat de bière dès lors que celui-ci constitue un contrat-cadre et non un contrat de vente ; qu'il résulte de l'article 6 du contrat litigieux, par lequel M. Boultouak a déclaré avoir pris connaissance et accepter les tarifs pratiqués par l'entrepositaire, que les livraisons seraient soumises aux prix de ce dernier ; que la détermination du prix n'a pas été laissée à la discrétion de l'entrepositaire ou du brasseur puisque l'article 6 alinéa 3 a prévu l'arbitrage d'un "expert... désigné par Monsieur le Président de la chambre du Tribunal de grande instance de Strasbourg, à la requête de la partie la plus diligente", "en cas de contestation du prix des produits" ; que le débitant était en mesure de contester une fixation abusive du prix, non conforme au marché ;
Attendu que, aucun abus dans la fixation du prix des bières n'étant caractérisé, l'exception de nullité de la convention du 1er mars 2003 soulevée par l'appelant doit être rejetée ;
Attendu que l'article 9 de la convention litigieuse dispose :
"S'il décidait de vendre... ou céder son établissement, (le débitant de boissons) devrait préalablement en informer la Brasserie par lettre recommandée, en indiquant le nom et l'adresse du successeur envisagé.
Il s'engage à mettre à la charge de son acquéreur, locataire ou successeur, les obligations qu'il assume par le présent contrat... A défaut, l'article 11 s'appliquera de plein droit."
Attendu que M. Boultouak qui n'a pas, préalablement à la cession, informé le brasseur de son intention de vendre son fonds, ni transmis ses obligations à son successeur, encourt la résiliation du contrat à ses torts prévue par l'article 11 ;
Attendu qu'en conséquence, il est tenu, en application de ce même article 11, de "restituer" les avantages consentis et de "payer des dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs à un montant fixé forfaitairement à vingt pour cent du prix des quantités de bière manquantes valorisées sur base de la dernière facturation."
Attendu que M. Boultouak ne conteste pas devoir rembourser la prestation financière qui lui a été versée (4 000 euro) ;
Attendu que les demandes pécuniaires formulées par le brasseur au titre de la restitution du store et de l'enseigne ne sont pas nouvelles puisqu'elles ont déjà été soumises aux premiers juges, celle concernant l'enseigne étant présentée de façon indépendante, celle concernant le store au titre de "l'investissement" ;
Attendu que débitant étant incapable de représenter ces équipements mis à sa disposition en exécution des avenants, il sera condamné à en payer la valeur au brasseur (160,26 euro + 438,31 euro = 598,57 euro) ; qu'il sera observé qu'en condamnant M. Boultouak à restituer une somme de 4 438,31 euro, les premiers juges avaient admis que la société Brasseries Kronenbourg pouvait prétendre à la valeur du store ;
Attendu qu'il résulte de l'article 10, intitulé "Non-atteinte de l'objectif volume", que le volume à prendre en considération pour chiffrer les obligations du débitant est le "volume fût prévu" ; que l'objectif assigné à M. Boultouak en ce qui concerne ce volume n'a pas été modifié par les avenants (250 hl) ;
Attendu que M. Boultouak qui, de façon faussement ingénue, confond les litres de bière commandés et le nombre de fûts livrés ne démontre pas avoir commandé plus de 29,8 hl de bière en fût ;
Attendu qu'il résulte de la dernière facture émise par l'entrepositaire (facture n° 11-20050200062 du 1er février 2005 - annexe n° 13 de l'intimée) que le prix du litre de bière Kronenbourg en fût de 30 litres était de 1,906 euro HT ; qu'en conséquence, l'indemnité forfaitaire due par M. Boultouak ressort à 1,906 euro x 100 x (250 - 29,8) x 20 % = 8 394,02 euro ; qu'il n'y a pas lieu de réduire cette peine dont le caractère manifestement excessif n'est pas établi ;
Attendu qu'en conclusion, la dette de M. Boultouak ressort globalement à 4 000 + 598,57 + 8 394,02 = 12 992,59 euro, outre intérêts légaux à compter de l'assignation ;
Attendu que l'appel ayant abouti à une légère réduction de la dette de M. Boultouak, chaque partie conservera la charge de ses dépens et de ses frais irrépétibles d'appel ; que la société Brasseries Kronenbourg ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. Boultouak à payer à la société Brasseries Kronenbourg : 12 427,83 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2005, 4 438,31 euro au titre des restitutions avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2005 ; Statuant à nouveau de ces chefs, Condamne M. Boultouak à payer à la société Brasseries Kronenbourg une somme de 12 992,59 euro avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2006 ; Confirme pour le surplus le jugement entrepris ; Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société Brasseries Kronenbourg de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ; Laisse à chaque partie la charge de ses dépens d'appel.