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Décisions

CA Metz, président, 15 avril 2011, n° 10-4253

METZ

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Staechele

TGI Metz, JLD, du 26 oct. 2010; TGI Brie…

26 octobre 2010

Par ordonnance du 26 octobre 2010, le juge des libertés et de la détention, au visa de l'article L. 450-4 du Code de commerce, et sur la demande formée par le Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a autorisé cette administration à procéder ou faire procéder dans les locaux de différentes entreprises, dont la SAS X, aux visites et saisies prévues par le texte susvisé, afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par les points 1 et 2 de l'article L. 420-1 du même code, relevés dans le secteur du traitement des déchets ménagers en région Lorraine, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée, avec cette précision que, pour les autres lieux, ce magistrat a donné commission rogatoire aux juges des libertés et de la détention des Tribunaux de grande instance de Versailles et de Briey à l'effet d'exercer le contrôle sur les opérations de visite et de saisie jusqu'à leur clôture et de désigner à cette fin les chefs de service territorialement compétents pour nommer les officiers de police judiciaire.

Par déclaration enregistrée le 25 novembre 2010 au greffe du Tribunal de grande instance de Metz, la SAS X a relevé appel de cette décision ;

Par déclaration du même jour effectuée au greffe du Tribunal de grande instance de Briey, cette entreprise a relevé appel de l'ordonnance rendue le 5 novembre 2010 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Briey désignant pour procéder aux opérations de visite et de saisie le commandant de police, chef de la circonscription de sécurité publique de Briey.

Par acte d'avocat du 25 novembre 2010, la SAS X a demandé l'annulation des ordonnances des 26 octobre 2010 et 5 novembre 2011 et le rejet de la requête de la partie adverse.

Par conclusions du 21 février 2011, Madame le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, représentée par le Directeur Général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, représenté lui-même par M. Y, directeur régional adjoint de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, a demandé que l'ordonnance du 26 octobre 2010 prise par le JLD du Tribunal de grande instance de Metz soit déclarée régulière de même que tous les actes prenant appui sur cette ordonnance et notamment l'ordonnance du 5 novembre 2010.

À l'audience des plaidoiries du 25 février 2011, le Ministère public a conclu à la confirmation de l'ordonnance entreprise.

MOTIFS DE LA DECISION

Vu les conclusions des parties en date des 25 novembre 2010 et 21 février 2011, les conclusions du Ministère public et les énonciations des ordonnances attaquées et les pièces produites aux débats :

Sur la recevabilité de l'appel de la SAS X :

Attendu que l'ordonnance querellée du 26 octobre 2010 a été notifiée à la société concernée selon procès-verbal du 16 novembre 2010 préalablement au déroulement des opérations de visite et de saisie ainsi autorisées ;

Qu'il en découle que l'appel formalisé le 25 novembre 2010 est recevable en la forme pour être intervenu dans le délai légal et selon les prescriptions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;

Que pour les mêmes motifs le recours dirigé contre l'ordonnance du 5 novembre 2010 doit être pris en compte ;

Sur le mérite de cet appel :

Attendu que l'article L. 450-4 du Code de commerce fait obligation au juge, saisi d'une demande d'autorisation de visite et de saisie de documents, de vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ;

Que ce texte précise que cette demande doit comporter tous les éléments d'informations en possession du demandeur de nature à justifier la visite et que, lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du Livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer en l'espèce l'existence des pratiques dont la preuve recherchée, devant être observé que la société X a souligné que la requête de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, n'ayant pas fait référence dans sa demande d'enquête à la seconde phrase de l'alinéa 2 du texte précité, n'a donc pas soutenu que des infractions seraient en train de se commettre, avec cette conséquence que le juge ne pouvait dès lors se borner à fonder son autorisation sur de simples indices et qu'il devait effectivement caractériser l'existence d'éléments de nature à établir les présomptions de pratiques prohibées, faute de quoi l'autorisation de visite et de saisie qu'il a délivrée serait entachée de nullité ;

Attendu que la lecture de l'ordonnance du JLD en date du 26 octobre 2010 permet de constater que deux griefs sont formés exclusivement à l'encontre de la société X, le premier grief étant déduit par l'Administration, puis par le JLD du caractère qualifié de surprenant du chiffrage effectué par les candidats écartés, dont la société X, en ce qui concerne le poste n° 3 intitulé " post-exploitation ", compte tenu des modalités d'exploitation retenues et de la durée très brève du marché, ce chiffrage aboutissant selon la requête et la décision critiquée à en faire supporter la charge à la collectivité, alors que la société retenue, la société Z, avait quant à elle chiffré ce poste en assurant l'essentiel du financement par un provisionnement dont l'assiette reposerait essentiellement sur le prix à la tonne du traitement des déchets ;

Que le deuxième grief consiste à déduire du fait que, si différents éléments du cahier des charges étaient sujets à contestation, cette contestation existait dès le lancement de la procédure de consultation, en sorte que les sociétés évincées, dont la société X, pouvaient dès la lecture du cahier des charges en contester certaines dispositions et saisir le juge des référés administratifs dans le cadre d'un recours pré-contractuel et qu'en réalité ces candidats ne sont intervenus devant le juge administratif qu'après la décision d'attribution du marché qui leur a été défavorable, et alors surtout que le premier recours contre la procédure de mise en concurrence a été introduit précisément par la société X, candidat placé en quatrième position sur les quatre offres reçues et dont les propositions financières étaient près de deux fois supérieures à celle des sociétés Z et A, de sorte que ce recours a été introduit par le candidat le moins susceptible de prétendre à un préjudice ;

Attendu que ces griefs sont repris par l'intimé dans ses écritures et sont contestés par l'appelante dans la requête déposée par elle au soutien de son appel ;

Qu'il suffit qu'un seul de ces deux griefs ne soit étayé par aucun élément de nature à caractériser les présomptions devant servir de fondement à l'autorisation sollicitée pour que l'ordonnance dont appel mérite effectivement d'être annulée, le juge d'appel n'étant pas tenu d'examiner lesdits griefs dans l'ordre de leur présentation par les parties, alors surtout qu'il apparaît que le deuxième grief ci-dessus résumé porte atteinte au principe fondamental en droit national et en droit européen que constitue le libre droit d'accès au juge et à la liberté d'appréciation qui doit être reconnue à une partie à la fois d'une part dans la présentation et le choix de ses moyens de défense et d'autre part en ce qui concerne le moment auquel elle décide d'introduire sa procédure, dès lors que celle-ci est initiée conformément aux dispositions qui lui sont applicables, notamment en matière de délais ;

Qu'en effet il résulte des pièces produites par l'Administration elle-même que le Tribunal administratif de Strasbourg, puis le Conseil d'État ont, relativement à ce litige et aux demandes de la société X, rendu les décisions suivantes :

- par ordonnance du 29 mai 2009 le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a enjoint à la communauté de communes de l'arc mosellan de différer la signature du marché objet du présent litige jusqu'au terme de la présente procédure et pour une durée maximum de 20 jours ;

Cette décision a été rendue à la suite de la requête présentée par la société X le 29 mai 2009 sur le fondement de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative visant les cas de manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics ;

- par ordonnance du 22 juin 2009, le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a annulé la procédure de passation des marchés publics d'exploitation du centre de stockage de déchets non de dangereux d'Aboncourt lancée par avis d'appel public à la concurrence en date du 7 avril 2009, a condamné la communauté de communes de l'arc mosellan à payer à société X et à la société A, chacune, une indemnité de 2 000 euro pour frais irrépétibles ;

Cette décision est fondée sur la constatation de l'existence d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence au visa de l'article 5 du Code des marchés publics, qui énonce que la nature et l'étendue des besoins satisfaits sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence en prenant en compte des objectifs de développement durable, que les marchés conclus par le pouvoir adjudicateur ont pour objectif de répondre à ces besoins, que le pouvoir adjudicateur détermine le niveau auquel les besoins sont évalués et que ce choix ne doit pas avoir pour effet de soustraire les marchés aux règles qui leur sont normalement applicables, et au visa de l'article 35 selon lequel est inappropriée une offre qui apporte une réponse sans rapport avec les besoins du pouvoir adjudicateur et que l'offre est inacceptable si les conditions prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur ;

Le juge saisi a retenu que la gestion et le traitement des résidus appelés lixiviats ont été présentés au moins implicitement comme faisant partie de la gestion du site et incombant par suite au titulaire du marché en litige et que la communauté de communes n'a pas répondu clairement à la demande de précisions formée sur ce point par la société X et n'a pas levé l'ambiguïté afférente à la question de la prise en charge du traitement des lixiviats et à son imputation au titre d'une des quatre missions définies par l'appel d'offres ;

Le juge des référés a constaté que la société X avait proposé une offre couvrant l'élimination des lixiviats chiffrée à 1 291 176 euro au titre de la mission numéro 2, tandis que la société Z, désignée comme attributaire du marché, n'a pas inclus cette tâche en chiffrant ladite mission à seulement 16 780 euro, cette différence étant à l'origine de l'écart substantiel observé entre les deux sociétés s'agissant du critère prix au niveau de la notation des offres ;

Le juge des référés en a tiré la conséquence que cette indétermination du contenu des missions couvertes par le marché est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, manquement ayant lésé les intérêts de la société X ;

- par ordonnance du 10 juillet 2009, le juge des référés a suspendu l'exécution du marché public d'exploitation du centre de stockage de déchets non dangereux d'Aboncourt, signé et notifié le 19 juin 2009, jusqu'à ce qu'il soit statué sur les requêtes aux fins d'annulation formée par les sociétés X et Z;

Le magistrat a déduit de l'ambiguïté déjà relevée dans les autres décisions qu'elle méconnaissait l'exigence de définition précise de la nature et de l'étendue des besoins à satisfaire, alors que l'admissibilité des candidatures est subordonnée à la présentation d'une offre correspondant à l'objet du marché et que l'étendue des divergences existantes entre les offres des sociétés X et A aurait dû conduire à l'élimination d'au moins une d'entre elles conformément aux dispositions de l'article 58-3 du Code des marchés publics, et encore que cette indétermination du contenu des missions couvertes par le marché objet du litige est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, un tel moyen étant propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du marché objet du présent litige ;

- par arrêt du 3 février 2010, le Conseil d'État a toutefois annulé cette ordonnance du 10 juillet 2009 et rejeté la demande présentée par les sociétés X et A devant le juge des référés au motif, qui n'est pas un motif de fond relatif au mérite de cette demande, que, si la méconnaissance du caractère exécutoire d'une ordonnance du juge du référé précontractuel enjoignant de suspendre la signature d'un contrat crée en principe une situation d'urgence en raison de l'atteinte grave et immédiate qu'elle porte à l'intérêt public, il n'en demeure pas moins que la communauté de communes de l'arc mosellan n'a conclu le marché litigieux qu'après l'expiration du terme de la suspension de sa signature fixée par le juge et n'a pas ainsi méconnu l'ordonnance du 22 juin 2009;

Qu'il découle de ces décisions, qui démontrent au surplus l'inanité du premier grief avancé contre la société X, que le juge administratif, au contraire de l'administration requérante, n'a pas jugé que la société X l'avait saisi indûment et de façon abusive, ces décisions soulignant au contraire les irrégularités et à tout le moins l'ambiguïté et l'imprécision du marché finalement conclu avec la société A, de sorte que les différentes procédures introduites par la société X, et la société Z, ne peuvent en aucun cas être considérées comme constitutives d'une présomption de l'existence d'agissements anticoncurrentiels, et autorisent au contraire à s'étonner que ce soit précisément ces deux entreprises, victimes des irrégularités et de l'ambiguïté ci-dessus relevées, qui soient soupçonnées de tels agissements, alors qu'en réalité la pratique dont elles sont accusées, consistant selon l'Administration à avoir sciemment et de façon concertée effectué une mauvaise interprétation des documents de la consultation et à avoir augmenté leurs offres de façon considérable, leur faisant ainsi perdre toute chance d'emporter le marché, ayant bien plutôt favorisé l'entreprise A, ne peut être qualifié de pratique anticoncurrentielle et ne répond pour le moins à aucun impératif d'ordre économique ;

Attendu que l'ordonnance dont appel en date du 26 octobre 2010 doit être annulée ;

Que par voie de conséquence l'ordonnance rendue le 5 novembre 2010 par le juge des libertés de la détention du Tribunal de grande instance de Briey se trouve dépourvue de tout effet ;

Par ces motifs : Disons l'appel de la SAS X recevable en la forme ; Le déclarons bien fondé ; Annulons l'ordonnance prise le 26 octobre 2010 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Metz ; Disons que l'ordonnance subséquente du 5 novembre 2010 rendue par le JLD du Tribunal de grande instance de Briey par conséquent dépourvue d'effets.