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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 16 septembre 2011, n° 11-02401

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kuehne Nagel (Sté)

Défendeur :

Transports Cotsos Guy (SARL), BASF (SE)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Cuny

Conseillers :

M. Maunier, Mme Clozel-Truche

Avoués :

SCP Laffly-Wicky, SCP Aguiraud Nouvellet

Avocats :

Mes Rivollet, Chabert, SCP Dumont-Latour, Selarl Delsol avocats

T. com. Saint-Etienne, du 16 mars 2011

16 mars 2011

Faits, procédure, prétentions et moyens des parties

Par actes du 1er avril 2010, qui ont été notifiés par voie postale le 12 avril, la SARL société Transports Cotsos Guy, ci après STCG, a fait citer devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne juridiction de son siège social, au visa des dispositions de l'article L. 442-6-I 5e du Code de commerce, les sociétés de droit allemand GL Kayser GmbH (à Mainz) et BASF SE (à Ludwigshafen) pour obtenir leur condamnation "conjointe et solidaire" au paiement d'une somme principale de 229 623 euro.

La société STCG a exposé que dans le cadre de son activité de transport routier de fret interurbain elle avait réalisé des opérations de transport pour des livraisons sur les départements 13, 31, 34, 35, 37 et 38 :

- entre les années 1990 et 2000 pour le compte de la société Merck

- à compter de l'année 2000 à l'initiative de la société Merck, qui a ensuite cédé sa division de haute technologie à la société BASF, pour le compte du transporteur allemand GL Kayser.

Elle a déploré la rupture brutale de relations commerciales établies, par un mail de la société GL Kayser du 28 septembre 2009 avec effet immédiat au 5 octobre 2009.

La société GL Kayser GmbH, qui a invoqué les dispositions de l'article 31 de la Convention CMR, a demandé au Tribunal de commerce de Saint-Etienne de se déclarer incompétent au profit de la juridiction de Mayence en Allemagne.

La société BASF a demandé au tribunal de se déclarer incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon en vertu des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce.

Par jugement en date du 16 mars 2011, qui a été notifié aux avocats des parties par lettres recommandées dont les avis de réception ont été signés le 22 mars 2011, le tribunal

- a dit que l'assignation du 1er avril 2010 signifiée à la société BASF SE était parfaitement valable

- s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon en application du Règlement CE 44-2001 et de l'article D. 442-3 du Code de commerce et de l'annexe 4-2-1

- a dit qu'il serait fait application de l'article 97 du Code de procédure civile

- a dit qu'il n'y avait pas lieu, en l'état, à application de l'article 700 du Code de procédure civile

- a réservé les dépens.

Par courrier reçu le 5 avril 2011 au greffe du Tribunal de commerce de Saint-Etienne, la société Kuehne Nagel, venant aux droits de la société GL Kayser GmbH, a formé contredit à l'encontre du jugement rendu le 16 mars 2011.

Elle expose que :

- aucun accord commercial n'a lié le commissionnaire de transport GL Kayser, qui à la demande de la société Merck à Darmstadt, a organisé depuis 1999 les transports de produits EC voyageant sous température dirigée depuis l'Allemagne jusqu'en France sur la base de documents CMR

- la société BASF qui avait racheté en 2007 l'activité produits sous température dirigée de Merck Darmstadt a, au printemps 2009, formulé un appel d'offre pour le transport de ces produits

- la société GL Kayser en a informé la société STCG qui a fait savoir qu'elle ne pourrait collaborer à ces opérations

- la société GL Kayser a perdu le marché BASF et a vainement tenté d'employer la société STCG à d'autres opérations de transport.

La société Kuehne Nagel soutient que le Tribunal de Saint-Etienne est incompétent :

- en vertu des dispositions de l'article 31 de la CMR qui régit les opérations de transport international de marchandises par route et qui prime sur les règles de compétence édictées par le règlement CE 44-2001 et par la loi française, faute de pouvoir déterminer le lieu de livraison des marchandises nécessairement situé en outre dans les départements 13, 31, 34, 35, 37 et 38

- en vertu du règlement communautaire 44-2001 alors que des deux sociétés défenderesses sont domiciliées en Allemagne

- car il ne répond ni aux exigences de l'article 46 du Code de procédure civile ni à celles du règlement communautaire; sur ce point la société Kuehne Nagel fait valoir que le litige, qui résulte d'une succession de contrats de transport, relève de la matière contractuelle; que la prestation exécutée par la société STCG consistait à transporter des produits depuis l'Allemagne jusqu'à des points du territoire français qui ne sont pas situés dans le ressort du Tribunal de Saint-Etienne

- car le litige ne ressort pas des dispositions de l'article L. 442-6-5 I du Code de commerce puisque les relations résultent de contrats indépendants en dehors de tout contrat-cadre.

Elle estime donc que seules les juridictions allemandes peuvent connaître du litige qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer aux juges lyonnais.

Le dossier de la procédure a été adressé le 5 avril 2011 à la cour.

Par courriers du 8 avril 2011 le greffe a convoqué les parties à l'audience du 20 juin 2011.

Par conclusions déposées le 3 juin 2011 la société européenne de droit allemand BASF SE demande à la cour :

A titre principal, vu le règlement CE 44-2001 et l'article 96 du Code de procédure civile, d'infirmer le jugement entrepris, de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, et de condamner la société STCG à lui payer une indemnité de procédure de 5 000 euro

A titre subsidiaire, vu l'article D. 442-3 du Code de commerce et son annexe 4-2-1 de confirmer le jugement entrepris en ce que le Tribunal de commerce de Saint-Etienne s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon et de condamner la société Kuehne Nagel à lui payer une indemnité de procédure de 5 000 euro.

La société BASF SE soutient d'abord que la Convention CMR qui a pour objet de régler de manière uniforme les conditions du transport international de marchandises par route n'est pas applicable au litige.

Elle ajoute que l'action engagée par la société STCG sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce est une action de nature délictuelle qui en application des dispositions de l'article 5.3 c du règlement CE 44-2001 peut être engagée au lieu où le fait dommageable s'est produit qui s'entend du lieu où la faute reprochée a été commise; qu'à supposer démontrées les allégations de la société STCG, la décision de rompre brutalement la relation commerciale n'a pu être prise qu'en Allemagne.

Elle en conclut que seuls les tribunaux allemands sont compétents pour connaître du litige et qu'il convient donc de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

La société BASF SE rappelle enfin les dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce auxquelles il ne peut être dérogé et qui prévoient une règle de compétence spéciale pour l'application des dispositions de l'article L. 442-6.

Par conclusions n° 2 déposées le 15 juin 2011 la SARL STCG demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner in solidum les sociétés Kuehne Nagel et BASF SE à lui payer chacune une indemnité de procédure de 5 000 euro et à supporter les dépens avec distraction au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet Avoué.

La SARL STCG soutient que les dispositions de la CMR n'ont pas vocation à s'appliquer en l'espèce; que la rupture brutale des relations commerciales entre deux sociétés ne peut engager la responsabilité contractuelle de la société qui en est à l'origine au sens de l'article 5 paragraphe 1 du Règlement CE 44-2001, cette responsabilité relevant de la matière délictuelle ou quasi-délictuelle au sens de l'article 5 paragraphe 3 du règlement; que le dommage consécutif à la décision de rompre abusivement les relations commerciales, c'est-à-dire le préjudice économique important mettant en péril son activité et entraînant le licenciement de deux salariés, est survenu à son siège social à Saint-Etienne.

A l'audience les parties ont développé oralement leurs observations écrites.

Sur ce LA COUR

Attendu que, si la Convention CMR prévaut sur les dispositions du Règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000, le champ d'application de cette convention est limité à son objet qui est de régler de manière uniforme les conditions du transport international de marchandises par route, particulièrement en ce qui concerne les documents utilisés pour ce transport et la responsabilité du transporteur; que la Convention CMR régit ainsi les pertes, avaries et retard de marchandises survenus en cours de transport; que la CMR n'a donc pas vocation à s'appliquer à l'action engagée par la société STCG sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6-5 I du Code de commerce au motif de la rupture brutale de relations commerciales établies ;

Que dès lors les dispositions de l'article 31.1 de la CMR ne peuvent utilement invoquées par la société Kuehne Nagel, qui est venue aux droits de la société Kayser ;

Attendu que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage la responsabilité délictuelle de son auteur; qu'il sera d'ailleurs observé en l'espèce que la société Kuehne Nagel convient qu'il n'existe pas de contrat-cadre entre les parties ;

Que si l'article 2 du Règlement CE n° 44-2001 pose le principe que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat contractant sont attraites devant les juridictions de cet Etat, ce Règlement offre au demandeur une option de compétence aux termes de son article 5 3°, un défendeur domicilié dans un Etat membre pouvant être attrait dans un autre Etat membre en matière délictuelle ou quasi-délictuelle devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ;

Que l'expression lieu " où le fait dommageable s'est produit " doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal ; que lorsque ces deux lieux ne sont pas identiques le défendeur peut être attrait au choix du demandeur devant le tribunal de l'un de ces lieux ;

Que si l'option doit être entendue strictement et exclut que le demandeur puisse se prévaloir par principe du lieu de son siège social comme censé localiser le centre de son patrimoine en cas de préjudice financier, le dommage en matière de rupture brutale de relations commerciales établies, c'est-à-dire le préjudice économique résultant de l'absence ou de l'insuffisance d'un préavis écrit, survient au lieu où celui qui se prétend victime du comportement incriminé exerce son activité ;

Que le fait dommageable allégué en l'espèce par la société STCG c'est-à-dire le préjudice économique mettant en péril l'activité de la société demanderesse, et entraînant selon ses indications, le licenciement de deux salariés, est donc survenu à son siège social qui est situé dans le ressort du Tribunal de commerce de Saint-Etienne ;

Attendu que l'article D. 442-3 du Code de commerce dispose que pour l'application de l'article 442-6 le siège et le ressort des juridictions compétentes sont fixés au tableau de l'annexe 4-2-1 qui désigne le Tribunal de commerce de Lyon pour connaître des procédures applicables aux personnes domiciliées dans le ressort de la Cour d'appel de Lyon ;

Attendu en conséquence que le Tribunal de commerce de Saint-Etienne s'est en l'espèce à juste titre déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon ;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la société Kuehne Nagel aux dépens du contredit ; que les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile n'étant pas applicables à l'occasion de la procédure de contredit il n'y a pas matière à distraction des dépens ;

Par ces motifs, Rejette le contredit, Confirme le jugement rendu le 16 mars 2011 par le Tribunal de commerce de Saint-Etienne ; Y ajoutant, dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit des sociétés STCG et BASF ; Condamne la société Kuehne Nagelaux dépens du contredit.