CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 13 septembre 2011, n° 09-05920
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Conimast International (SAS)
Défendeur :
ID ES (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
MM. Roger, Delmotte
Avoués :
SCP Boyer Lescat Merle, SCP Nidecker Prieu Jeusset
Avocats :
Mes Fayard, Renucci
Faits et procédure
Le 20 décembre 1996, la société Conimast et la société ID ES Lumière ont signé un contrat d'agent commercial, contrat qui confiait à la société ID ES Lumière le mandat de vendre à titre exclusif pour le compte de la société Conimast des poteaux d'éclairage public en acier galvanisé.
Ce contrat d'agent commercial a fait l'objet de divers avenants.
Par lettre du 27 février 2003, les co-gérants de la société ID ES Lumière informaient la société Conimast qu'ayant constaté une dégradation de la rentabilité de leur activité consacrée à la société Conimast, ils avaient décidé de consacrer leurs efforts à des activités plus rentables et avaient ainsi projeté de céder le contrat d'agent commercial signé entre les parties le 20 décembre 1996 à la société Cart Elec qui présentait toutes les aptitudes nécessaires pour la poursuite de l'activité sur le secteur que la société Conimast avait confié à ID ES Lumière.
Parallèlement, la société ID ES Lumière et la société Cart Elec, représentée par Monsieur Cojan, signaient une convention de cession de carte, soumettant ladite cession à une condition suspensive tenant dans l'acceptation écrite de la société Conimast sur la cession.
Le 5 mars 2003 la société Conimast accusait réception de la " démission'" du 27 février de la société ID ES Lumière et l'interrogeait sur les conditions de la fin de leurs relations contractuelles. Cette dernière répondait le 6 mars 2003 qu'elle n'avait jamais entendu mettre fin à leurs relations et qu'elle lui avait présenté un candidat intéressé pour lui succéder comme agent, conformément l'article 14 du contrat liant les parties depuis le 20 décembre 1996.
Par correspondance du 9 avril 2003, la société Conimast informait la société ID ES Lumière qu'après avoir étudié la candidature de la société Cart Elec, elle était au regret de l'informer que cette candidature ne pouvait être retenue. La société Conimast écrivait que, "conformément aux dispositions de l'article 14 du contrat liant les parties, elle n'avait plus pour seul recours que de racheter la carte de la société ID ES Lumière".
Alors que Conimast lui proposait 13 000 euro, la société ID ES Lumière sollicitait la somme de 50 614 euro, sur la base d'un montant de 2 années de commissions brutes perçues par l'agent.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 6 juin 2003, la société Conimast procédait à la résiliation du contrat d'agent commercial pour fautes graves commises par la société ID ES Lumière.
Par acte introductif d'instance en date du 30 décembre 2004, la société ID ES Lumière assignait la société Conimast devant le Tribunal de commerce de Pau avec les demandes suivantes:
- A titre principal, la condamnation de la société Conimast International au paiement de la somme de 48 192,76 euro HT représentant deux années de commissions pour le rachat de la carte d'agent commercial liant les deux sociétés.
- A titre subsidiaire, la condamnation de la société Conimast au paiement de la somme de 45 734 euro HT représentant la somme que la société Cart Elec était disposée à lui verser pour le rachat de la carte.
- La condamnation de la société Conimast au paiement de la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires.
- L'exécution provisoire des condamnations.
Par jugement en date du 1er août 2006, le Tribunal de commerce de Pau a :
- Débouté la société Comimast International de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamné la société Conimast International à payer à la société ID ES Lumière la somme de 35 734 euro HT, la somme de 5 000 euro à titre de dommages intérêts et celle de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouté la société ID ES Lumière de sa demande d'exécution provisoire;
Les premiers juges ont retenu que Conimast avait tergiversé dans le seul but de faire échouer la cession de la société ID ES Lumière à la société Cart'Elec.
La SAS Conimast International a interjeté appel ;
La Cour d'appel de Pau, par un arrêt du 3 juin 2008, a infirmé le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Pau. La Cour d'appel de Pau a débouté la société ID ES Lumière de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et a débouté la société Conimast International de sa demande reconventionnelle d'indemnisation pour procédure abusive.
La société ID ES Lumière, a alors formé un pourvoi à l'encontre de la décision rendue par la Cour d'appel de Pau, le 3 Juin 2008.
Par arrêt du 7 juillet 2009, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Pau sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Conimast International.
Prétentions et moyens des parties
Par conclusions déposées le 28 avril 2010, auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus complet de l'argumentation, la SAS Conimast International soutient que ID ES Lumière a commis des fautes graves en ne maintenant pas l'activité et en se désintéressant de la carte : en effet, entre l'exercice 2000 - 2001 (31 170,70 euro) et l'exercice 2002 - 2003 (14 829,00 euro) le chiffre des commissions a été réduit de moitié.
Elle invoque l'irrecevabilité de la demande :
- à titre principal, pour violation de la règle annale,
- à titre subsidiaire, pour non-respect des exigences de l'article 14 du contrat d'agent commercial,
- et à titre plus subsidiaire, par défaut d'accord entre les parties sur le quantum du prix de rachat de la carte : à défaut d'un accord entre les parties sur la chose et sur le prix, la demande de ID ES Lumière est irrecevable et la rupture pour fautes, notifiée à l'agent le 6 juin 2003 doit sortir son plein et entier effet.
La SAS Conimast International demande à la cour de :
- Réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Pau,
- Dire la SARL ID ES Lumière tant irrecevable que mal fondée en sa demande principale et l'en débouter;
- Constatant que, le 28 mars 2003, Cart Eleca dénoncé auprès d'ID ES Lumière son projet d'acquisition de la carte Conimast International, la juger irrecevable en sa demande subsidiaire et l'en débouter;
- Mais statuant sur la demande reconventionnelle de la SA Conimast International, condamner la SARL ID ES Lumière à lui payer la somme de 7 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;
- La condamner enfin en tous les dépens d'instance et d'appel, jugeant pour ces derniers, que la SCP Boyer & Merle, avoués à la cour, pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code procédure civile.
Par conclusions déposées le 21 juin 2010, auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus complet de l'argumentation, la SARL ID ES Lumière invoque l'article 14 du contrat d'agent commercial aux termes duquel: " Si le mandant refuse d'agréer tout successeur qui lui est présenté qui a les aptitudes nécessaires pour la poursuite du contrat, l'agent ou ses héritiers auront droit à l'indemnité compensatrice visée à l'article 12-2 du contrat ", et l'article 12-2 qui prévoit le règlement par le mandant de l'indemnité compensatrice du préjudice subi calculé selon les usages de la profession d'agent commercial, en cas de rupture du contrat du fait du mandant.
Elle soutient que la correspondance établie le 9 avril 2003 par la société Conimast rend vaine sa tentative postérieure d'échapper à ses obligations contractuelles.
Sur le rejet des moyens d'irrecevabilité soulevés par la société Conimast, la SARL ID ES Lumière soutient :
- L'inapplication de la règle de prescription annale et l'irrecevabilité de la société Conimast à présenter à nouveau ce moyen devant la cour d'appel de renvoi puisque déjà rejeté par le Tribunal de commerce de Pau et la Cour d'appel de Pau et non remis en cause par le pourvoi.
- L'absence de fondement et l'irrecevabilité de la société Conimast à présenter à nouveau le moyen découlant de la prétendue absence de justification des aptitudes de la société Cart Elec.
- L'absence de fondement du moyen tiré de la mauvaise interprétation de la correspondance du 9 avril 2003.
Elle fait valoir la mauvaise foi de la société Conimast dont le comportement inacceptable réduit à néant les accusations portées sur la prétendue insuffisance de résultat de la société ID ES Lumière sur les derniers mois d'activité, dans la mesure où la société Conimast était directement responsable de la situation qu'elle avait elle-même créée.
A titre subsidiaire, elle soutient le caractère mal fondé de la résiliation pour faute grave par la société Conimast du contrat d''agent commercial.
La SARL ID ES Lumière demande à la cour de :
- Confirmer la décision du Tribunal de commerce du Pau rendue le 1er avril 2006, en ce qu'elle a écarté les moyens d'irrecevabilité soulevés par la société Conimast,
- Infirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a débouté la société ID ES Lumière de sa demande de condamnation de la société Conimast au paiement de la somme de 48 192,76 euro HT représentant deux années de commission.
En conséquence,
- Condamner la société Conimast au paiement au profit de la société ID ES Lumière de la somme de 48 192,76 euro HT représentant deux années de commission calculées sur la moyenne des 36 derniers mois d'activité de la société ID ES Lumière.
A titre subsidiaire,
- Confirmer la décision rendue par le Tribunal de commerce de Pau en ce qu'elle a fait droit à la demande subsidiaire de la concluante, sauf à la modifier dans son quantum.
- Condamner la société Conimast au paiement de la somme de 45 734 euro HT représentant la somme que la société Cart Elec était disposée à lui verser pour le rachat de la carte.
Confirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a fait droit à la demande de dommages et intérêts complémentaires formulée par la société ID ES Lumière, sauf à modifier le montant de la condamnation dans son quantum.
En conséquence,
- Condamner la société Conimast au paiement au profit de la société ID ES Lumière de la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires,
- Débouter la société Conimast de ses entières demandes, fins et conclusions,
- Confirmer la condamnation prononcée en première instance au titre de l'article 700 du NCPC et condamner la SA Conimast au paiement en cause d'appel de la somme de 5 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel devant être distraits au profit de la SCP Nidecker Prieu-Jeusset.
Motifs de l'arrêt
Sur la rupture du contrat du fait du mandant
Il résulte clairement des divers courriers échangés par les parties que la société ID ES Lumière ne souhaitait pas rompre le contrat d'agent commercial mais céder sa carte à la société Cart Elec. Ce n'est pas elle qui a pris l'initiative de la rupture mais la société Conimast qui, après avoir tergiversé sur la cession de la carte, lui a notifié la rupture pour faute le 6 juin 2003.
Sur la prescription.
Contrairement à ce que prétend la société ID ES Lumière, aucune autorité de la chose jugée ne s'oppose à l'examen du moyen tiré de la prescription, d'abord parce que le dispositif de l'arrêt de la Cour d'appel de Pau ne rejette pas ce moyen, ensuite parce que, l'eût-il fait, l'arrêt de la Cour d'appel de Pau a été cassé sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Conimast.
La société Conimast invoque la prescription édictée par l'article L. 134-12 du Code de commerce qui dispose " 'L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits. "
Le délai, à supposer qu'il coure depuis la date de la résiliation, le 6 juin 2003, jusqu'à la date de l'assignation le 30 décembre 2004 serait effectivement dépassé.
Néanmoins, la société ID ES Lumière réplique à bon droit que la prescription annale est inapplicable à la cause. En effet, à la date du 9 avril 2003, la société Conimast a expressément reconnu le droit à commission de la société ID ES Lumière ; la prescription d'un an ne pouvait à ce titre plus courir à l'encontre de la société ID ES Lumière.
De plus, cet article n'impose pas à l'agent commercial de faire valoir ses droits en justice dans le délai d'un an mais simplement de notifier au mandant qu'il a l'intention de le faire. Or il résulte des deux correspondances adressées par le conseil de la société ID ES Lumière en date des 28 avril 2003 et 12 juin 2003 qu'à deux reprises, cette société a sollicité le paiement de l'indemnité de résiliation du contrat d'agent commercial.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a admis la recevabilité de la demande d'indemnisation de l'agent commercial.
Sur l'irrecevabilité découlant de la prétendue absence de justification des aptitudes de la société Cart Elec.
Contrairement à ce que prétend la société ID ES Lumière, aucune autorité de la chose jugée ne s'oppose à l'examen de ce moyen. Celui-ci n'est cependant pas plus fondé que celui tiré de la prescription puisque l'agent n'a pas à justifier des aptitudes de son successeur pressenti. Certes le mandant n'est pas obligé de donner son agrément à la cession mais il est alors, en application de l'article 14 du contrat tenu de verser l'indemnité compensatrice visée à l'article 12-2 du contrat, sauf à lui, à démontrer que le successeur n'a pas les aptitudes nécessaires, ce qu'il ne fait pas en l'espèce. Au contraire, dans son courrier du 9 avril 2003, la société Conimast refuse d'agréer Cart Elec sans prétendre à son inaptitude et en reconnaissant qu'il ne lui reste plus qu'à racheter la carte.
Sur la faute grave.
Il résulte de l'article L. 134-13 que la réparation prévue par l'article L. 134-12 n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial. C'est le moyen invoqué par Conimast pour refuser le versement de l'indemnité : la société ID ES Lumière aurait commis une faute grave en délaissant la carte de représentation qui lui avait été confiée le 20 décembre 1996.
C'est à bon droit et par des motifs que la cour approuve que le premier juge a considéré que la rupture incombait exclusivement à la société Conimast dont les correspondances, après le refus d'agrément, n'ont eu qu'un seul but, celui de minorer le prix de cession de la carte.
En effet après avoir admis son obligation de racheter la carte le 9 avril 2003, Conimast proposait à son agent une indemnité de 13 000 euro feignant de confondre le prix de la carte de représentation avec le prix de la clientèle dont elle était propriétaire. Ce n'est que devant le rappel des dispositions légales sur l'indemnisation de l'agent commercial et les prétentions de la société ID ES Lumière à obtenir une somme de 50 614 euro que la société Conimast, décidait le 5 mai 2003 de lui opposer les mauvais résultats de son activité, notamment sur le mois d'avril 2003, puis lui notifiait une rupture pour faute grave caractérisée par l'effondrement du chiffre d'affaires. Certes, la lettre du 10 janvier 2003 qui marquait le début des difficultés contractuelles évoquait déjà la régression du chiffre d'affaires de l'année 2002 mais sans accorder à ce phénomène un caractère essentiel et sans évoquer une faute grave ni même une possible résiliation du contrat.
Par ailleurs, le tribunal a pertinemment relevé que le chiffre d'affaires de l'année 2003 ne pouvait que se traduire par une baisse d'activité compte tenu des difficultés contractuelles apparues en début d'année.
La société Conimast qui échoue à rapporter la preuve de la faute grave de son agent se doit donc de l'indemniser dans les termes de l'article 12, du contrat L. 134-12 et en fonction des usages de la profession.
Sur l'indemnité compensatrice.
Les usages professionnels se réfèrent à deux années de commission calculées sur la moyenne des trois dernières années. Sur la base de ces calculs, la société ID ES Lumière demande la somme de 48 192,76 euro ou, au minimum, celle de 45 734 euro acceptée par la société Cart Elec. La moyenne des trois dernières années n'est qu'un indice qui peut être écarté suivant les circonstances. En l'espèce, le prix accepté par un tiers au contrat constitue une juste évaluation de la valeur de la carte au jour où elle pouvait être cédée. C'est donc ce prix qui doit être retenu sans que puisse être suivi le raisonnement du premier juge qui a réduit cette somme de 10 000 euro en tenant compte des résultats de l'activité en baisse. Le premier juge ne sera pas non plus confirmé en ce qu'il a décidé d'augmenter la somme due de 5 000 euro au titre de dommages et intérêts pour obligation de plaider car le demandeur n'établit pas en quoi le droit de se défendre en justice aurait dégénéré en abus du droit et causé un préjudice particulier.
L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à l'intimé contraint d'exposer des frais devant la cour.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision du Tribunal de commerce du Pau rendue le 1er avril 2006, sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation, le réformant sur ce point, Condamne la société Conimast au paiement au profit de la société ID ES Lumière de la somme de 45 734 euro HT, Dit n'y avoir lieu à condamnation à titre de dommages et intérêts complémentaires formulée par la société ID ES Lumière, y ajoutant, Déboute la société Conimast de ses demandes, Condamne la SA Conimast au paiement en cause d'appel de la somme de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel devant être distraits au profit de la SCP Nidecker Prieu-Jeusset.