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Décisions

Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-30.567

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Esso raffinage (SA)

Défendeur :

Tina (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Boré, Salve de Bruneton

T. com. Paris, du 2 avr. 2007

2 avril 2007

LA COUR : - Sur le premier moyen : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 janvier 2010), que la société Esso SAF (la société Esso), après avoir successivement conclu plusieurs contrats à durée déterminée avec la société Tina concernant l'exploitation d'une station-service, lui a notifié la résiliation de leur dernière convention, usant de la faculté qui lui était reconnue dans leurs accords de pouvoir y procéder à certaines conditions ; qu'après avoir refusé d'exécuter l'injonction qui lui a été adressée de reprendre les livraisons de carburants et de réactiver l'informatique de la station-service, ce qui a donné lieu à la liquidation d'astreintes, la société Esso a assigné la société Tina afin de voir constater la résiliation de plein droit du contrat, l'apurement des comptes entre les parties, et obtenir la condamnation de cette dernière à lui payer certaines sommes ; qu'à son tour, la société Tina a assigné la société Esso en indemnisation de son préjudice pour rupture abusive et brutale du contrat, en remboursement des pertes du mandat et en paiement de primes de fin de contrat et de fermeture ; que ces deux procédures ont été jointes ;

Attendu que la société Esso fait grief à l'arrêt d'avoir dit le contrat résilié à effet du 12 novembre 2003 à ses torts exclusifs, d'avoir déclaré les astreintes liquidées non remboursables, de lui avoir ordonné de donner mainlevée de la caution bancaire sous astreinte et d'avoir rejeté toutes ses demandes, alors, selon le moyen : 1°) qu'est potestative la condition qui est au bon vouloir de l'une des parties ; qu'en considérant qu'est potestative la clause qui permet à la société Esso de mettre fin au contrat, au seul motif que cette clause "ne sanctionne pas un comportement fautif du distributeur", circonstance d'où ne pouvait être déduit le caractère potestatif de la résiliation, cette dernière pouvant avoir, nonobstant l'absence de faute du distributeur, un motif objectif, la cour a violé les articles 1170 et 1174 du Code civil ; 2°) que la résiliation d'un contrat pris en vertu d'une décision, expressément autorisée, moyennant contrepartie, par un accord professionnel, ne saurait être considérée comme procédant d'une condition potestative ; qu'en l'espèce il était constant que la décision de la société Esso avait été prise en application du protocole signé le 25 mai 2000 entre cette dernière, le Syndicat national des professions de l'automobile et le président de la Commission nationale des locataires-gérants de stations-service, relatif aux "exigences économiques d'une refonte des systèmes de distribution", lequel protocole prévoyait que : "pour procéder à la transformation de ces sites en stations automates Esso devra, selon les cas, confirmer le non-renouvellement du contrat, résilier le contrat en cours, ou être amenée à proposer la prolongation du contrat actuel pour une durée limitée, dans le strict respect des AIP (...) ; Esso versera la prime de fin de contrat et la prime de fermeture lors de chaque résiliation de contrat ou pour tout contrat non renouvelé, sous réserve que la station-service soit transformée en automate dans les deux mois suivants le non-renouvellement ou la résiliation du contrat" ; que la cour d'appel a reconnu que la clause de résiliation avait été stipulée en prévision d'une refonte du système de distribution dont le protocole ainsi conclu entre la société Esso et le CNPA avait admis la nécessité et fixé les conséquences sur le sort des contrats ; qu'en décidant que la clause qui, en prévision de cette situation, autorisait la résiliation unilatérale du contrat, présentait un caractère potestatif, la cour a violé les articles 1170 et 1174 du Code civil ; 3°) qu'est potestative la condition qui est au bon vouloir de l'une des parties ; qu'en l'espèce, la cour retient que la décision de la société Esso de mettre fin au contrat d'exploitation conclu avec la société Tina était liée aux "exigences économiques d'une refonte des systèmes de distribution", exigences dont la réalité et le caractère contraignant étaient susceptibles d'un contrôle par le juge; qu'en estimant néanmoins qu'était potestative la clause permettant la résiliation du contrat pour ce motif, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation des articles 1170 et 1174 du Code civil ; 4°) que le protocole d'accord signé le 25 mai 2000 entre la société Esso, le Syndicat national des professions de l'automobile, et le président de la Commission nationale des locataires-gérants de stations-services autorisait expressément la résiliation avant terme des contrats d'exploitation, au motif d'une transformation des sites en stations automates, et moyennant des contreparties financières; qu'en particulier, ce protocole stipulait : "Esso confirme son intention de développer un nouveau concept de stations-service automates dans son réseau. Dans ce but, les tests en cours vont être étendus à un certain nombre de sites actuellement exploités par des sociétés locataires-gérantes" qu'il était ensuite indiqué : "pour procéder à la transformation de ces sites en stations automates, Esso devra, selon les cas, confirmer le non-renouvellement du contrat, résilier le contrat en cours, ou être amenée à proposer la prolongation du contrat actuel pour une durée limitée, dans le strict respect des AIP (...) ; Esso versera la prime de fin de contrat et la prime de fermeture lors de chaque résiliation de contrat ou pour tout contrat non renouvelé, sous réserve que la station-service soit transformée en automate dans les deux mois suivants le non-renouvellement ou la résiliation du contrat" ; qu'en énonçant que la clause du contrat qui autorisait la société Esso à "en cas de refonte complète de la station-service en vue de réorienter ses activités, son mode de gestion ou d'exploitation, (à) résilier le contrat de plein droit avec un préavis de deux mois" était contraire à "l'esprit" du protocole susvisé, la cour d'appel l'a dénaturé en violation de l'article 1134 du Code civil ; 5°) que, ni les usages professionnels, ni les stipulations de l'accord interprofessionnel du 12 janvier 1994 n'ont la valeur de dispositions impératives interdisant l'application des stipulations du protocole du 25 mai 2000 autorisant la résiliation avant terme des contrats d'exploitation au motif d'une transformation des sites de Esso et moyennant contrepartie financière ; qu'en faisant ainsi mécaniquement prévaloir les prétendus usages professionnels et les termes de l'accord interprofessionnel sur ceux du protocole, la cour a violé les articles 6, 1134 et 1135 du Code civil ; 6°) qu'en jugeant, par motifs adoptés, qu'aucune proposition conforme aux stipulations du protocole du 25 mai 2005 et aux accords interprofessionnels n'avait été formulée par la société Esso à l'attention de la société Tina, alors qu'au contraire la lettre de résiliation du contrat d'exploitation confirmait que la société Esso examinerait "les conditions économiques de (la) fin d'exploitation dans le strict respect des accords interprofessionnels", la cour a dénaturé ladite lettre en violation de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que la clause de résiliation du contrat ne sanctionne pas un comportement fautif du distributeur, l'arrêt relève qu'elle offre à la société Esso, et à elle seule, la possibilité, purement discrétionnaire, de mettre fin au contrat avec un préavis très court ; qu'il relève encore que cette clause est contraire à l'esprit du protocole signé le 25 mai 2000 entre le Syndicat national des professions de l'automobile et le président de la Commission nationale des locataires-gérants de stations-services et des accords interprofessionnels du 12 janvier 1994, dont il résulte que les exigences économiques d'une refonte des systèmes de distribution ne font pas obstacle à une renégociation des contrats avec les distributeurs, assortie de propositions d'indemnisation ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la réalisation de la condition litigieuse tenant à la refonte complète de la station-service, en vue de réorienter ses activités, son mode de gestion ou d'exploitation, dépendait de la seule volonté de la société Esso, et non de circonstances objectives qui seraient susceptibles de contrôle juridictionnel, la cour d'appel en a exactement déduit, sans dénaturation, que cette condition présentait un caractère purement potestatif ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses première et dernière branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et attendu que le second moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.