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Décisions

CA Papeete, ch. com., 9 septembre 2010, n° 247-COM-06

PAPEETE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lerige

Défendeur :

Pearly Investissements (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Selmes

Conseillers :

Mmes Teheiura, Lassus-Ignacio

Avocats :

Mes Malgras, Usang

T. mixte com. Papeete, du 26 sept. 2005

26 septembre 2005

Alléguant des faits de concurrence déloyale et de parasitage imputables à la SARL Pearly Investissements, Pierre Lerige, commerçant sous l'enseigne Opec, a saisi le Tribunal mixte de commerce de Papeete qui, par jugement du 26 septembre 2005, l'a débouté de toutes ses demandes et, reconventionnellement, l'a condamné à payer à la SARL Pearly Investissements la somme de 1 000 000 FCP de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 150 000 FCP au titre des frais irrépétibles, après avoir déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts formée par la SARL défenderesse pour son gérant à titre personnel.

Suivant requête déposée le 18 mai 2006, Pierre Lerige a relevé appel de ce jugement dont il sollicite l'infirmation en demandant à la cour de condamner la société Pearly Investissements à lui payer 87 000 000 FCP au titre de la perte commerciale, 15 000 000 FCP à titre de dommages et intérêts compte tenu de l'attitude extrêmement préjudiciable de son adversaire et les sommes de 300 000 FCP et de 400 000 FCP au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. Au soutien de son appel, il invoque les fautes de Pearly Investissements qui a:

- débauché ou repris cinq de ses anciens collaborateurs,

- copié toutes ses méthodes commerciales (show-room, brochure d'information, caisson de radiographie etc ...),

- dénigré son établissement,

- obtenu frauduleusement des secrets commerciaux,

- détourné sa clientèle ciblée,

- utilisé des méthodes commerciales illicites (emploi abusif des termes "perle" ou "perle nue" au lieu de perle de culture, octroi de remises permanentes en violation de la loi, défaut de mention de la TVA etc ...).

Par conclusions du 24 avril 2007, la SARL Pearly Investissements sollicite la confirmation en son principe du jugement entrepris qui a rejeté les demandes de Pierre Lerige, mais, relevant appel incident, demande la condamnation de Pierre Lerige à lui payer la somme de 3 000 000 FCP pour procédure abusive et préjudice moral et à payer à son gérant la somme de 1 000 000 FCP pour procédure abusive et préjudice moral personnel. Elle conteste toutes les fautes qui lui sont imputées en faisant parfois référence au droit des marques ou des brevets, considère comme fantaisistes les données chiffrées fournies par son adversaire qui exploite aussi un magasin à Bora-Bora et souligne le caractère abusif de l'action en justice intentée contre elle.

Par conclusions des 26 octobre 2007, 16 octobre 2008, 16 janvier 2008 et 15 mai 2009, Pierre Lerige réitère ses prétentions et moyens, développe son argumentation et réplique aux moyens et arguments de son adversaire.

Par conclusions du 16 mai 2008, 16 janvier 2009 et 24 juillet 2009, la SARL Pearly Investissements réitère ses prétentions et moyens et réplique aux moyens et arguments de son adversaire ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 janvier 2010.

Sur quoi,

Attendu que Pierre Lerige invoque contre la SARL Pearly Investissements de nombreux faits, constituant selon lui des actes de concurrence déloyale ou parasitaire, qu'il convient d'examiner successivement;

Attendu sur l'embauche d'anciens salariés que pour être fautive, cette embauche doit ou bien concerner des salariés liés à leur précédent employeur par une clause de non-concurrence, ou bien faire suite à un débauchage obtenu par des manœuvres frauduleuses ou déloyales;

Qu'en l'espèce la situation d'Hinano Holman qui a travaillé pour Pierre Lerige mais qui n'a pas été embauchée par la société Pearly Investissements, ne peut être invoquée au soutien de la thèse d'un débauchage fictif;

Qu'au surplus le caractère changeant voir contradictoire des attestations qu'elle a déposées, les pressions diverses dont elle a fait état, le classement sans suite d'une plainte pour subornation de témoin etc... ne permettent pas d'accorder de crédit aux attestations d'Hinano Holman;

Attendu que le débauchage concernerait quatre salariés, ou plutôt trois dès lors qu'Evelyne Boiron n'était pas liée par un contrat de travail mais par un contrat de prestation de service - portant sur quelques heures par semaine au titre de prestations d'assistance comptable -, sur une cinquantaine de salariés embauchés par l'Opec en une dizaine d'années;

Que Didier Hemond a été licencié par Pierre Lerige suivant lettre du 11 janvier 2002 pour absences injustifiées - il aurait prolongé un séjour en métropole - et n'a été embauché par Pearly Investissements que le 1er mai 2002;

Qu'en l'absence de preuve de manœuvres particulières ou de l'existence d'une clause de non-concurrence l'embauche par une société concurrente d'un salarié libre depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois de tout engagement à l'égard de son ancien employeur, ne peut être regardée comme participant d'une acte de concurrence déloyale;

Qu'il en va de même pour Yves Valen qui a quitté l'Opec le 15 mars 1999 "libre de tout engagement" et qui n'a été embauché par Pearly Investissements que début 2000;

Qu'il en est enfin de même pour Lilia Albert qui a démissionné par lettre du 19 juillet 2001, dont le mari a signé un reçu pour solde de tout compte le 1er octobre 2001, et qui a été embauchée par la SARL PearLy Investissements le 1er novembre 2001, libre de tout engagement;

Que dans ces conditions et en l'absence de clause de non-concurrence, l'embauche par la SARL Pearly Investissements d'anciens salariés de Pierre Lerige - dont un, Lilia Albert, a engagé et gagné un contentieux contre lui devant les juridictions du travail - ne peut être considéré comme fautive;

Attendu par ailleurs que Pierre Lerige soutient que les salariés ultérieurement embauchés par sa concurrente auraient violé le secret professionnel, mais ne prouve nullement ses allégations relatives à l'existence et à la teneur du prétendu secret professionnel;

Que le contexte contentieux ayant existé entre la SARL Pearly Investissements et Evelyne Boiron, après le licenciement de celle-ci, ne permet pas de donner force et crédit à l'attestation rédigée par cette dernière, ainsi que l'a d'ailleurs considéré la chambre sociale de la Cour d'appel de Papeete dans un arrêt du 2 mars 2006 rendu dans le cadre du contentieux opposant alors Pierre Lerige à Lilia Albert;

Attendu ensuite que Pierre Lerige reproche à la SARL Pearly Investissements d'avoir copié ses méthodes de commercialisation, tant dans le type des locaux, installés dans la même rue, que dans l'utilisation d'un appareil de radiographie, ou dans les méthodes de vente;

Que malgré l'existence de plusieurs facteurs similaires, l'activité commerciale du nouveau concurrent qu'a été la SARL Pearly Investissements à compter du début 2001 ne peut être considérée comme déloyale eu égard au principe de la liberté du commerce, et ce sans qu'il soit fait référence au droit des marques ou des brevets puisque l'action en concurrence déloyale est ouverte à ceux qui ne disposent pas d'un droit privatif;

Attendu que si la société Pearly Investissements a pu s'inspirer des méthodes commerciales de l'Opec, ces méthodes (salle de présentation des perles et présentoirs, documents publicitaires...) ne présentaient pas un degré d'originalité suffisant pour que celles de Pearly Investissements soient considérées comme fautives:

Qu'il convient d'ailleurs de noter que Pierre Lerige avait donné à son local de vente un caractère plus confidentiel en l'installant au premier étage d'un immeuble, contrairement à Pearly Investissements qui l'avait implanté en rez-de-chaussée, et n'avait pas hésité à utiliser le nom commercial d'Office Polynésien d'Expertise et de Commercialisation" (Opec) qui pouvait être pris comme désignant un organisme officiel;

Que pareillement Pierre Lerige ne peut imputer faute à Pearly Investissements l'utilisation d'un appareil de radiographie des perles dès lors qu'il n'est pas l'inventeur de ce procédé, que cette technique de vérification de l'épaisseur de nacre des perles a été adoptée à l'époque du début de l'activité de Pearly Investissements par le service officiel de la perliculture, et qu'elle était préconisée par certains depuis plusieurs années (M. Coeroli en 1991) ; que l'utilisation de cette technique, tombée dans le domaine public, ne peut caractériser une concurrence déloyale;

Que si l'activité commerciale de Pierre Lerige et de Pearly Investissements s'exerçait sur les mêmes produits, dans la même rue, aucune pièce du dossier n'établit qu'une confusion dans l'esprit de la clientèle ait été créée entre ces deux concurrents, d'autant que les documents publicitaires respectifs sont par leur format et leur graphisme bien différents;

Attendu que le dénigrement invoqué contre Pearly Investissements n'est nullement justifié par les pièces produites et ne résulte pas du constat dressé à la requête de Pierre Lerige, l'huissier de justice ayant par exemple noté que Didier Hemond, distributeur du prospectus pour Pearly Investissement, ne lui avait donné aucun renseignement défavorable sur l'Opec même s'il lui avait fait remarquer que selon lui l'utilisation du signe Office n'était pas légal - une telle remarque ne suffisant pas à caractériser le dénigrement ;

Attendu que Pierre Lerige reproche également à Pearly Investissements d'avoir utilisé dans ses documents publicitaires l'expression " perles de Tahiti " au lieu de " pertes de culture de Tahiti " et ce par référence aux dispositions de la délibération du 12 juillet 2001 qui définissent les produits issus de l'activité de la perliculture en Polynésie française (perle de culture, mabé, keshi, nacre, rebuts) et prévoient une peine d'amende contraventionnelle pour les personnes qui font un usage frauduleux des définitions fixées par cette délibération et qui se dispensent d'utiliser les appellations propres à chaque produit définies dans cette délibération;

Qu'il résulte des pièces versées aux débats que de nombreux commerçants utilisent dans leurs publicités le raccourci "perle de Tahiti" au lieu de " perle de culture de Tahiti " ainsi d'ailleurs que la lettre d'information bimestrielle de l'organisme officiel "GIE Perles de Tahiti et que les prospectus distribués par Pierre Lerige qui en deuxième page indiquent : "Perles noires : la perle de Tahiti est, bien entendu, le produit le plus convoité par les visiteurs en Polynésie quel que soit le montant de votre budget, emportez avec vous une perle de Tahiti"...;

Qu'eu égard à la généralisation de l'emploi des termes "perles de Tahiti", le grief de Pierre Lerige ne peut être retenu;

Attendu enfin que Pierre Lerige reproche à son concurrent de ne pas mentionner la TVA sur les factures et de promettre abusivement dans ses publicités des réductions qui de surcroît ne sont pas appliquées mais il verse seulement la copie de deux factures établies les 27 et 29 novembre 2002;

Que Pearly Investissements réplique non sans raison d'une part que les achats ont été effectués par deux non-résidents, demeurant à la même adresse à Audenge (33), qui bénéficiant de la détaxe à l'exportation n'avalent pas à régler la TVA, et d'autre part que ces deux factures critiquées ont été établies, ce qui n'est pas démenti, par Mme Boiron - ultérieurement licenciée - qui avait pu dès cette époque là manquer de rigueur;

Qu'en ce qui concerne la promesse abusive d'une réduction de 15 %, Pierre Lerige produit le constat d'huissier du 29 novembre 2002 auquel est annexé un document publicitaire de Pearly Shell (Pearly Investissements) rédigé en anglais et portant la mention " save 15 % off ";

Que Pearly Investissements verse aux débats des documents similaires émanant de Michel Fouchard bijoutier-joaillier (mention dactylographiée : Welcome come and visit us at jewelery Michel Fouchard... 16 % tax off and 10 % with this voucher), de YU Pearls (mention manuscrite - 16 % off), de Sibani Perles (mention imprimée "with this voucher you will profit by 20 %, 30 % or 40 % discount on specific collections), de My Pearls (mention dactylographiée since 1986 in Papeete... Merry christmas special offer 15 % off new collection duty free services);

Que par ailleurs les services du ministère des Finances avaient, en réponse à une demande d'information de Pearly Investissements du 13 février 2003, rappelé à ce commerçant les prescriptions de l'arrêté du 7 février 1992 prévoyant que les publications relatives aux réductions du prix pouvaient porter, à défaut d'autres mentions, sur tous les produits offerts à la vente, pouvaient n'indiquer que le taux uniforme de réduction - conditions remplies par Pearly Investissements - et devaient préciser la période concernée ou l'importance des quantités offertes, précisions omises par Pearly Investissements;

Que ce même courrier ajoutait qu'il était possible de créer un mode de distribution spécifique en ne réservant les offres promotionnelles qu'aux touristes internationaux en faisant bénéficier les touristes muni des "flyers" des réductions - par référence aux modalités de ventes en détaxe - qu'elle souhaitait leur accorder et ce après avoir vérifié la qualité de touriste international, les restrictions et les conditions d'accès devant être mentionnées sur les dépliants;

Que manifestement la réduction uniforme et permanente de 15 % mentionnée sur un document publicitaire succinct rédigé en anglais s'adressait à des touristes internationaux;

Que l'omission des dernières mentions visées dans les réponses ministérielles n'a, dans la réalité, fait l'objet d'aucune critique ou poursuite et n'a pas faussé le jeu de la concurrence en l'état de l'ensemble des éléments d'appréciation soumis à la cour;

Qu'il convient dès lors par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges de confirmer le jugement entrepris qui a rejeté la demande principale de Pierre Lerige,

Attendu sur la demande reconventionnelle qu'en l'état des moyens et arguments de Pierre Lerige qui nécessitaient l'appréciation de la juridiction et ne traduisaient pas uniquement une intention de nuire, l'action en justice intentée par celui-ci ne peut être qualifiée d'abusive, ce qui conduit à rejeter la demande de dommages et intérêts de la société Pearly Investissements, la disposition du jugement ayant déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts formée au nom du gérant de la société Pearly Investissements étant confirmée;

Qu'en cet état il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge des frais exposés par elle et non compris dans les dépens;

Que Pierre Lerige qui succombe au principal doit supporter les dépens, étant précisé que la société Pearly Investissements qui est seule à le demander, ne peut bénéficier de la distraction des dépens;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande principale de Pierre Lerige et déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée pour le compte du gérant de la SARL Pearly Investissements ; Le réformant pour le surplus ; Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la SARL Pearly Investissements ; Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française ; Condamne Pierre Lerige aux dépens.