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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 14 septembre 2011, n° 10-05101

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Grossmann Leuchten GmbH & Co KG (Sté)

Défendeur :

Cussac

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Parenty

Conseillers :

MM. Deleneuville, Brunel

Avoués :

SCP Levasseur Castille Levasseur, SCP Thery-Laurent

Avocats :

Mes Messmer, Gobbers-Veniel

T. com. Arras, du 5 févr. 2010

5 février 2010

Vu le jugement du Tribunal de commerce d'Arras en date du 7 février 2010 qui, saisi par M. Cussac, agent commercial multicartes, d'une demande de condamnation de la société Grossmann Leuchten (la société Grossmann) pour rupture abusive du contrat d'agent à lui payer la somme de 5 259,50 euro à titre d'indemnité de préavis, 42 076 euro à titre d'indemnité de rupture, 42 076 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et 5 121,32 euro au titre des commissions non perçues, a condamné la société Grossmann à lui payer 5 121,32 euro au titre des commissions non perçues, 5 259,50 euro au titre de l'indemnité de préavis et 15 000 euro au titre de l'indemnité de rupture outre 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu la déclaration d'appel de la société Grossmann en date du 15 juillet 2010 ;

Vu les dernières conclusions de la société Grossmann signifiées le 23 mars 2011 demandant la réformation du jugement en contestant le montant des arriérés de commissions réclamées par M. Cussac qui n'apporterait aucun élément probant à cet effet et faisant valoir que celui-ci aurait commis des fautes graves exclusives de toute indemnisation compensatrice dans l'exécution de son activité d'agent commercial en exerçant une activité d'agent commercial auprès d'une société concurrente, la société Linea Light et en ne se montrant pas suffisamment diligent dans le cadre de l'activité exercée pour le compte de la société Grossmann ; à titre subsidiaire, la société Grossmann conteste les modalités de calcul de l'indemnité de préavis ainsi que le principe même de l'indemnité présentée comme réparant la rupture abusive du contrat d'agence ; une somme de 7 500 euro est demandée au titre des frais irrépétibles ;

Vu les dernières conclusions de M. Cussac signifiées le 18 janvier 2011 demandant la confirmation du jugement sauf à ce que soit portée à 42 076 euro l'indemnité de rupture outre la condamnation de la société Grossmann à lui payer 40 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et que soit ordonnée la communication de tous les livres de comptes de la société depuis le début du contrat d'agence ; il fait valoir que la société Linea Light pour laquelle il était également agent n'était pas concurrente de la société Grossmann, seul un produit apparu en 2002 sur le catalogue Linea Light mais disparu en 2003 pouvant présenter une ressemblance avec ceux des établissements Grossmann et que la société Grossmann avait une connaissance préalable de l'existence d'une relation d'agence entre Linea Light et lui-même ;

Vu l'ordonnance de clôture du 14 avril 2011 ;

Sur ce

Attendu que le jugement déféré a fait un exact et complet rappel des circonstances de fait et que la cour entend y renvoyer à ce titre ;

Attendu que la charge de la preuve de l'existence d'une faute grave justifiant la rupture du contrat d'agence incombe à la société Grossmann ; que le fait pour un agent commercial, même " multicartes " de travailler pour une société concurrente sans autorisation de son mandant constitue, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, une telle faute dès lors que l'article L. 134-3 du Code de commerce, applicable même en l'absence de tout contrat écrit, prévoit que l'agent commercial ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans l'accord de ce dernier ; qu'il est constant en l'espèce que M. Cussac a été lié par un contrat d'agent commercial avec la société Grossmann de mars 1999 à janvier 2004 ; qu'il est également constant qu'il a représenté la société Linea Light du 20 avril 2000 au 13 février 2003 ; que ces deux sociétés ont notamment pour objet la fabrication de luminaires d'intérieur ;

Attendu en premier lieu que M. Cussac fait valoir que les sociétés Grossmann et Linea Light n'étaient pas concurrentes, seul un produit figurant à leurs catalogues respectifs présentant des similitudes ; que toutefois, l'appréciation d'une situation de concurrence entre deux sociétés dont il est constant qu'elles commercialisent des produits semblables ne peut être opérée au regard de l'identité de tel ou tel produit mais au regard de l'ensemble des produits commercialisés ; que l'examen comparatif des catalogues des sociétés Linea Light et Grossmann sur la période considérée montre que, comme l'explique la société Grossmann, il s'agit de luminaires destinés à un usage en intérieur, de style moderne, alliant des éléments métalliques et de présentation plutôt sobre et épurée ; qu'il s'agit là de produits substituables qui, s'il peuvent différer par leurs détails, sont toutefois très semblables ;

Que les nombreuses attestations de " commerciaux " produites par M. Cussac se bornent à indiquer dans des termes très proches voire parfois identiques que les deux sociétés ne seraient pas concurrentes ou que les produits ne seraient pas identiques ; que toutefois, elles ne précisent pas en quoi ces produits, dont l'examen comparatif des catalogues montre leur grande similarité, ne seraient pas en situation de concurrence, étant une nouvelle fois observé qu'une situation de produits concurrentiels ne doit pas être confondue avec une situation de produits identiques voire contrefaits même si l'existence de produits issus de la contrefaçon manifeste à l'évidence une situation concurrentielle ; qu'au demeurant, il est clair que les attestations produites ont été établies entre 2003 et 2005 pour les besoins de la procédure opposant M. Cussac à la société Linea Light ;

Que dans ces conditions, et quelle que soit l'appréciation portée sur ce point par la chambre commerciale du TGI de Béthune dans un jugement du du 2 novembre 2005 qui ne revêt pas l'autorité de la chose jugée à l'égard de la société Grossmann et qui, bien évidemment, ne s'impose pas la cour, il apparaît que, contrairement à ce que soutient M. Cussac, la société Linea Light est en situation de concurrence de l'égard de la société Grossmann ; qu'il aurait donc dû, avant de conclure un contrat d'agence avec la société Linea Light, obtenir l'autori[sation] de la société Grossmann, avec laquelle il se trouvait déjà dans les liens d'un contrat d'agent commercial ;

Attendu, certes, que M. Cussac soutient que l'existence de la carte Linea Light était connue de la société Grossmann ; qu'il lui incombe rapporter la preuve de la connaissance qu'avait son mandant du contrat qui le liait à la société Linea Light, une telle circonstance étant susceptible de l'exonérer de son obligation de demander l'autorisation préalable de la société Grossmann ; qu'il indique que le " représentant commercial France " et un directeur de la société Grossmann, informé oralement par lui, étaient intervenus directement auprès de ses clients à titre personnel et n'ignoraient rien de l'activité de celui-ci et de l'identité de ses mandants ; que toutefois, il ne rapporte pas la preuve des faits ainsi allégués, aucune attestation n'étant produite en ce sens ; que la société Grossmann indique avoir appris l'activité concurrente de son agent courant 2003 ; que l'examen de la carte des secteurs de représentation ne permet pas, contrairement à ce que soutient M. Cussac, de déduire que la société Grossmann avait une telle connaissance ;

Attendu dans ces conditions qu'il doit être considéré que la société Grossmann rapporte la preuve de la faute grave imputée à son agent commercial ; que le jugement déféré sera réformé sur ce point ;

Attendu que, lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial, l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est pas due et les dispositions de l'article L. 134-11 relatives au préavis sont également sans application ; qu'il en résulte que les demandes présentées par M. Cussac au titre de l'indemnité compensatrice et de l'indemnité de préavis ne peuvent qu'être rejetées ; que celui-ci, ne peut pas plus soutenir que le contrat d'agence aurait été abusivement rompu compte tenu des circonstances de fait ci-dessus développées ; que la demande présentée à ce titre doit être rejetée ;

Attendu que M. Cussac demande également la condamnation de la société Grossmann à lui payer la somme de 5121,32 euro au titre du solde des commissions qui lui sont dues ; que la société Grossmann s'y oppose en indiquant que M. Cussac n'aurait plus exercé d'activité à compter de décembre 2003 ; que toutefois, comme le souligne M. Cussac, une telle circonstance n'a pas été évoquée dans le courrier de rupture du 29 janvier 2004 ; qu'au contraire, dans ce courrier, la société Grossmann proposait un paiement des commissions jusqu'à fin décembre 2003, payable en février pour un montant total de 5 121,32 euro ; que dès lors il y a lieu de considérer que cette somme est due, les termes du courrier du 29 janvier 2004 étant clairs et la société Grossmann ne pouvant utilement se prévaloir du caractère " transactionnel " de son offre de paiement alors que le décompte de chiffre d'affaires et de provisions qu'elle produit fait précisément ressortir que les commissions dues au titre des mois de novembre et décembre 2003 étaient demeurées impayées ; que c'est donc à juste titre que le premier juge a fait droit sur ce point à la demande de M. Cussac et que le jugement sera confirmé à ce titre ;

Attendu, pour le surplus, que M. Cussac demande la condamnation de la société Grossmann à procéder à la communication de tous ses livres de comptes depuis le 1er mars 1999 jusqu'au 30 juin 2004 sur le secteur qui était le sien en faisant valoir qu'il avait droit à des commissions de retour sur échantillonnage ; que toutefois, il ne produit aucun élément de nature à laisser penser que sur la période retracée dans le décompte de chiffre d'affaires et de provisions produit par la société Grossmann soit de mai 1999 à décembre 2003, les chiffres d'affaires relevés et le montant des commissions payées ne correspondraient pas à la réalité ; que, s'agissant des commissions qui lui seraient dus au titre du mois de janvier 2004, il appartenait à M. Cussac, sur la base des éléments produits par lui, de formuler une demande de condamnation à l'égard de la société Grossmann ; que tel n'est pas le cas, M. Cussac ayant au contraire choisi de demander la communication par la société Grossmann de tous ses livres de comptes depuis le début du contrat d'agent commercial alors qu'une telle demande, pour les raisons qui viennent d'être développées, ne peut être accueillie ; qu'il en résulte que le surplus des demandes de M. Cussac a été à juste titre écarté par le premier juge ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable que chacune des parties conserve à sa charge le montant des frais irrépétibles engagés pour les besoins de l'instance conduite devant le premier juge et devant la cour ; que les demandes respectives présentées en application de l'article 700 du Code de procédure civile seront écartées ; que chacune des parties supportera la charge de la moitié des dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Grossmann à payer à M. Cussac la somme de 5 121,32 euro au titre des commissions non perçues et en ce qu'il a rejeté implicitement la demande de M. Cussac relative à la communication des livres de comptes de la société Grossmann ; Réforme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, Rejette la demande de M. Cussac relative à l'indemnité de préavis, à l'indemnité de rupture et aux dommages-intérêts pour rupture abusive, Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés à parts égales par chacune des parties.