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Décisions

Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-20.914

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Vill (SARL)

Défendeur :

Chanel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat général :

M. Carre-Pierrat

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Lyon-Caen, Thiriez

Lyon, 1re ch. A, du 6 mai 2010

6 mai 2010

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Chanel, propriétaire de diverses marques, a agi à l'encontre de la société Vill pour usage illicite de marques et concurrence déloyale après que cette société eût proposé à la vente des produits cosmétiques et de parfumerie "Chanel", acquis auprès de la société Futura finances, qui les avait elle-même achetés lors d'une vente aux enchères publiques du stock de la société Galeries rémoises, distributeur agréé, mise en liquidation judiciaire ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Vill fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Chanel une somme de 8 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'usage illicite de sa marque et de la distribution des produits Chanel hors réseau, alors, selon le moyen : 1°) que ne saurait constituer une contrefaçon par usage la simple commercialisation de produits authentiques régulièrement acquis après avoir été initialement mis en vente avec l'accord du titulaire de la marque ; qu'en retenant en l'espèce, pour condamner la société Vill à payer la somme de 8 000 euro, que l'exposante avait porté atteinte aux marques Chanel par un usage illicite et une distribution de produits hors réseau, quand il était constaté que les produits authentiques litigieux avaient été initialement commercialisés par les Galeries rémoises avec l'accord de Chanel, avant d'être acquis ensuite régulièrement à des fins commerciales par la société Vill, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que l'autorisation de commercialiser, donnée en principe par le titulaire de la marque, peut également être issue d'une décision dotée de l'autorité de chose jugée ; qu'en retenant en l'espèce le contraire, pour condamner la société Vill à payer à Chanel la somme de 8 000 euro, la cour d'appel a violé les articles 480 du Code de procédure civile et 1351 du Code civil, ensemble les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que le titulaire de la marque ne peut s'opposer à une nouvelle commercialisation de produits, à laquelle il a, fût-ce tacitement, consenti, en refusant de contester judiciairement une décision ayant autorisé cette nouvelle commercialisation ; qu'en retenant en l'espèce, pour condamner la société Vill à payer à Chanel la somme de 8 000 euro, que l'exposante avait fait usage illicite de la marque Chanel "en mettant en vente des produits sous leur marque sans l'accord du titulaire" (arrêt, p. 7) à la suite de la liquidation judiciaire des Galeries rémoises, distributeur agréé Chanel, quand il était constaté que Chanel, parfaitement informée des opérations de liquidation, n'avait intenté aucun recours à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente aux enchères des produits litigieux, en sorte qu'elle avait, au moins tacitement, acquiescé à une nouvelle commercialisation de ses produits, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 4°) qu'il appartient au juge de rechercher si une méconnaissance du contrat de distribution sélective par le titulaire de la marque, refusant de racheter les produits de sa marque aux termes dudit contrat, ne lui interdit pas de se prévaloir d'un motif légitime permettant d'interdire une nouvelle commercialisation ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir, pour condamner la société Vill à payer la somme de 8 000 euro à la société Chanel, que cette dernière avait des motifs légitimes pour s'opposer à une nouvelle commercialisation des produits litigieux, motifs tirés de l'existence d'un réseau de distribution licite et de conditions de vente particulières, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Chanel ne s'était pas opposée de manière purement formelle à la vente aux enchères des produits litigieux, en rechignant en réalité à fournir son contrat de distribution sélective prévoyant la reprise desdits produits au prix de livraison, en préférant, autrement dit, au coût contractuel et certain d'une reprise de produits, les bénéfices éventuels d'une action en contrefaçon contre le revendeur, ce dont il se déduisait une absence de motif légitime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; 5°) que l'usage illicite d'une marque ne peut résulter du seul fait d'une commercialisation de produits authentiques, régulièrement acquis, en dehors d'un réseau de distribution sélective, lorsque le revendeur a présenté ces produits à la vente avec tout le soin requis pour ne pas porter atteinte à la marque ; qu'en relevant en l'espèce par motifs adoptés, pour dire que les conditions de vente des produits litigieux n'avaient pas été satisfaisantes et condamner la société Vill au titre d'une atteinte portée à la marque Chanel, des éléments généraux ou extérieurs à la commercialisation même des produits, et partant inopérants, tirés de la "façade extérieure du magasin" (jugement, p. 6) de sa structure "en tôle" (jugement, p. 7) ou encore de la présentation des "autres articles en vrac" (jugement, p. 7), sur la foi d'un procès-verbal des 15 et 16 février 2005 ne relevant du reste la présence d'aucun produit Chanel dans le magasin au jour du constat, quand il était établi que les quelques produits proposés avaient été présentés soigneusement dans des vitrines fermées, et ainsi séparés des autres produits du magasin, la clientèle étant par ailleurs informée de l'origine des produits, du caractère exceptionnel de la vente et de la qualité du revendeur, n'étant pas un distributeur agréé, la cour d'appel a violé les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que la société Chanel avait informé le liquidateur de son opposition à la vente par adjudication, lui avait communiqué le contrat de distribution et avait offert de reprendre ses produits à un prix tenant compte de leur ancienneté, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que la vente du stock de parfums Chanel, qui n'est pas contestée, annoncée dans les locaux de la société Vill par affiches publicitaires portant réduction de leur prix à moins 30 %, a eu lieu dans un espace commercial de type hangar en tôle, sur lequel était apposée une enseigne indiquant "100 % dégriffrés, fins de séries, sinistres", que la simplicité des locaux, les conditions de présentation minimalistes des produits entourés de bacs contenant d'autres articles en vrac et les moyens de publicité de médiocre qualité sont incompatibles avec l'image de produits de luxe Chanel et portent atteinte en eux-mêmes à la renommée de la marque Chanel ; que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche visée par la quatrième branche, a pu déduire de ces constatations et appréciations que la société Chanel justifiait d'un motif légitime l'autorisant à s'opposer à une nouvelle commercialisation de ses produits et à se prévaloir de l'absence d'épuisement du droit de marque ; qu'ainsi, elle a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que l'ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la vente des produits Chanel par adjudication n'a pas été notifiée à la société Chanel, laquelle a manifesté son opposition à la vente dès qu'elle en a eu connaissance et a fait une proposition de rachat du stock pour laquelle elle n'a reçu aucune réponse ; que la cour d'appel qui a ainsi fait ressortir que la société Chanel n'avait pas consenti, même implicitement, à une nouvelle commercialisation des produits en cause a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche : - Vu les articles 1382 du Code civil, L. 442-6 I 6° du Code de commerce, ensemble les articles L. 713-2 et L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que pour dire que la société Vill a commis des actes de concurrence déloyale et la condamner à payer à la société Chanel une somme de 8 000 euro à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la concurrence déloyale est caractérisée par le fait qu'en revendant des produits Chanel, sans être soumise aux contraintes des distributeurs agréés, la société Vill a bénéficié de l'attrait de cette marque sur la clientèle, les affiches publicitaires reproduisant la marque étant toujours présentes dans les locaux après épuisement du stock pour attirer le public ; qu'il retient encore que cette société a commercialisé des produits Chanel dans des conditions de présentation médiocres incompatibles avec l'image de marque et la notoriété de la société Chanel, constituant encore des actes de concurrence déloyale ;

Attendu qu'en prononçant une condamnation au regard de tels faits, qui ne constituent pas des faits distincts de ceux retenus pour dire que la société Chanel justifiait de motifs légitimes pour s'opposer à une nouvelle commercialisation de ses produits, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Vill à payer à la société Chanel une somme de 8 000 euro au titre d'une concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 6 mai 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Lyon, autrement composée.